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la Renaissance proprement dite. C'est Boccace, avec son Décaméron.

Le même progrès ne s'était pas opéré dans les arts. La tradition byzantine se conservait, raide et compassée, sur la toile ou dans la pierre, avec ses saints aux mains jointes, aux genoux collés, aux draperies tombant d'un seul jet en ligne droite. Cependant deux peintres se dégageaient de la routine: Giotto et Cimabuë savaient merveilleusement détacher leurs personnages maigres, macérés et auréolés, de ces fonds d'or fin et bruni.

En 1453, Constantinople tomba sous les coups de Mahomet II. Sans être un foyer bien vif et bien réchauffant de littérature et d'art, la vieille cité byzantine en conservait du moins les dernières étincelles, et ces étincelles devaient suffire à embraser un monde nouveau. Devant l'inondation musulmane, les rhéteurs, les docteurs, les savants, qui, la veille, amusaient encore les descendants des Romains du BasEmpire, émigrèrent en foule. Déjà plusieurs d'entre eux avaient trouvé asile et secours en Italie, pays admirable où le présent d'un manuscrit de Tite-Live décidait la paix entre les Médicis et le roi de Naples, où les auteurs latins étaient commentés, analysés, répandus partout, grâce à l'invention de Gutenberg venue si à propos, au moment où le monde se réveillait à la passion d'apprendre et de connaître. Ils y avaient donné des leçons de grec, langue presque inconnue alors dans l'Europe occidentale, et y avaient fait fortune. C'était là qu'allaient venir leurs compatriotes, chassés par la chute de l'empire. Les Lascaris, les Chrysoloras, les Argyropoulo arrivèrent, apportant les manuscrits de leurs bibliothèques, les dernières traditions du goût et des lettres grecques. Les petits princes italiens se les arrachaient à l'envi. Chacun d'eux avait son cortège de savants, d'écrivains et d'artistes étrangers ou nationaux : les Lascaris à Milan, chez les Sforza; chez les Médicis, Marsile Ficin, Ange Politien, Pulci; à Ferrare, chez les princes de la maison d'Este, Boiardo, l'Arioste, Torquato Tasso, l'Arétin; à Rome, auprès du pape Léon X, Bembo, Sadolet, Vida, Paul Jove, Michel-Ange, Raphaël; chez Alphonse Ier, à Naples, Pontanus, Sannazar, et tant d'autres dont la liste remplirait plus d'une colonne.

Je n'insisterai pas davantage. Quand on a commencé à parler de la Renaissance, il est difficile de s'arrêter, et facile de perdre de vue le livre que l'on critique. J'y reviens et veux conclure en citant le jugement du savant membre de l'Institut sur le prince de Machiavel. «En voyant sa patrie tombée, malgré l'éloquence morale de Savonarole et l'honnêteté politique de Soderini, malgré tous les charmes des lettres et des arts, il se prend à admirer, à envier le succès des plus habiles, des plus forts, des plus criminels; à tenir en mépris les simples, les faibles et les sots. La fin, voilà tout ce qui lui importe; les moyens, il en fait litière... Ce livre, qui a été regardé comme le plus pernicieux, a cependant rendu justement l'auteur plus célèbre. La passion l'a fait vivre, l'a immortalisé, et avec raison: c'était une passion bonne, fière,

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M. Maxime Petit a écrit le Serment du Jeu de Paume, exposant en une soixantaine de pages la série si intéressante des événements qui amenèrent les états généraux de 1789 à se constituer en Assemblée nationale et à faire entrer ainsi la révolution dans l'ordre des faits. Je ferai à ce petit livre un reproche conditionnel. Il est du format et de l'aspect de ceux que l'on donne aux tout jeunes enfants, et je crois qu'il figure ou figurera sur la liste des prix dans les écoles primaires. Si c'est bien à cette catégorie de lecteurs qu'il est surtout destiné, je n'hésite pas à le dire, la rédaction en est manquée. Les enfants n'y comprendront rien, ou à peu près. Entendez-vous un bambin de dix ou douze ans vous répéter, parce qu'il l'a lu dans son livre, que les rois, en ne convoquant plus les états généraux depuis 1614, « avaient, pour ainsi dire, extirpé l'embryon des institutions libres»>! Il y a là, pour l'écrivain qui s'adresse à la jeunesse, un écueil très dangereux, très difficile à éviter; et il me semble que M. Petit y est venu donner en plein.

II.

Chef et Soldat, Récit du sergent François, par A. Gervais, ancien officier, est bien mieux à la portée des jeunes intelligences. C'est, comme le dit le prospectus, une « leçon ardente et généreuse du patriotisme D. Le temps dure encore et n'est pas près de finir, où les leçons de patriotisme ne sauraient être trop ardentes ou trop généreuses. Mais il faut se garder de forcer, c'est-à-dire de fausser la note, en confondant patriotisme et militarisme. Appliqué à ce petit ouvrage, le blame serait exagéré, et, cependant, j'y trouve, pour mon compte, une glorification trop exclu

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sive des institutions qui ont en vue la guerre, en general, et la vie de régiment, en particulier. Le patriotisme, même à notre époque, même après la défaite et le démembrement, peut s'exercer ailleurs qu'à la caserne et dans les camps. L'auteur est du même avis, j'en suis sûr, et, à l'occasion, saurait mieux que moi développer l'idée que j'indique ici.

III.

Un Fils de l'Alsace, Kléber, par M. Auguste Echard, est inspiré par le même sentiment et rẻpond aux mêmes préoccupations. Le sentiment est juste, les préoccupations sont légitimes, et il n'est pas un citoyen français qui ne les ressente. Mais, encore une fois, le bien est en cela, comme en toute chose, très proche voisin du mal; il serait deplorable de ne donner à nos fils que des idées de guerre et de vengeance. Tout en les préparant, sans négligence et sans faiblesse, aux luttes qu'ils seront sans doute appelés à soutenir, on doit leur apprendre qu'au-dessus des héros du champ de bataille, il y a les héros de la paix. Ici, du moins, le héros est bien choisi et mérite d'être connu. Avec Marceau, Hoche et Desaix, Kleber est une des plus graudes et des plus pures figures de la Révolution, et, comme eux, il eut ce bonheur de « disparaître de la scène du monde au moment où la cause qu'il servait était perdue, trahie; assassiné peu de temps après le 18 brumaire, il ne survécut pas à la liberté de sa patrie ». Ces lignes sont de M. Echard, et l'on ne saurait mieux dire.

IV.

Je désire en finir d'un coup avec les études militaires, récits de combats et de campagnes, qui ont sans doute été pour beaucoup dans le succès de la publication de MM. Charavay, qui ont leur intérêt et leur utilité, mais dont j'engage les éditeurs à ne pas abuser et qu'en tout cas, il ne faudrait pas mettre au premier plan. Dans cet ordre d'idées, j'ai à citer un volume de M. Charles Levin, intitulé: Un Exemple à suivre, la Prusse après Iéna, et les Marins de la République, 1793-1811, par M. H. Moulin.

Le premier s'explique assez par son titre. L'auteur nous invite à faire, après l'écrasement de 1870, ce qu'ont fait les Prussiens après Iéna. Je ne suis pas aussi sûr que lui que ce soit un exemple à suivre. Depuis lėna, la Prusse s'est exercée à la violence politique, au travestissement de l'histoire, aux mensonges diplomatiques et officiels. M. Levin le démontre lui-même tout au long et d'une manière irrefutable. Elle a dépouillé l'Autriche, absorbé les États allemands, démembré la France. Elle est venue à Paris pour la seconde fois, et la voilà arrivée à ce point où les conquêtes déjà faites nécessitent des conquêtes nouvelles, jusqu'au jour où, des mains trop pleines, tout échappe d'un coup, et où l'on retombe d'autant plus bas qu'on s'était élevé plus haut. Est-ce là l'exemple qu'on nous offre? Tenir haut le drapeau de la patrie, revendiquer ses droits, lui donner le pres

BIBL. MOD. - V.

tige de l'industrie, des arts, des sciences, des lettres, la défendre jusqu'à la mort, tel est, sans nul doute, le programme de M. Ch. Levin, comme c'est celui de tout vrai Français. On se tromperait si, pour apprendre à le remplir, on allait chercher un modèle chez les Prussiens.

Je préfère le livre de M. H. Moulin, qui en est à sa seconde édition. Les Marins de la République sont d'une lecture saine et qui réchauffe le cœur. Le niveau moral, chez ces plébéiens arrivés tout d'un coup, grâce à la Révolution, des bas grades de la marine au commandement des navires et des flottes, est d'une extraordinaire élévation. Ils se montent tout naturellement à l'héroïsme, et leur simple rudesse s'allie bien à leur éclatante valeur. M. Moulin nous les montre tels qu'ils furent, sans s'arrêter aux mensonges ou aux hyperboles historiques comme la légende du Vengeur, et convaincu avec raison que pour faire trouver ces marins de la république plus grands que nature, il n'y a qu'à donner leur vraie taille.

V.

M. Fabre des Essarts, qui n'est pas un nouveau venu dans les lettres, donne à la collection une étude sur Dupleix et l'Inde française. C'est une narration facile que les enfants comprendront, et qui leur enseignera à admirer et à aimer un des hommes qui ont le plus fait pour la France, sans que ceux qui gouvernaient la France alors aient daigné, non pas l'en récompenser, mais en profiter. La question des colonies est aujourd'hui pleine d'actualité. On est naturellement disposé à remonter à l'origine de nos entreprises coloniales et à étudier ce que firent les hommes qui nous créèrent, pour un temps trop court, des empires outre-mer. Je me souviens d'avoir, à cette place même, il y a environ dix-huit mois, rendu compte d'un gros et important ouvrage sur Dupleix. Ce petit volume contribuera plus que la longue et savante monographie à faire connaître aux Français de nos jours un grand Français d'autrefois.

VI.

L'Héroïsme professionnel, tel est le titre du livre que M. Étienne Charavay, archiviste paléographe, ajoute aux ouvrages qu'il a déjà écrits pour la Bibliothèque d'éducation moderne. Les gendarmes, les gardiens de la paix, les gardes champêtres, les sapeurs-pompiers, les douaniers, les mécaniciens et les chauffeurs, les capitaines de navires, les médecins, les infirmiers, infirmières et ambulanciers, enfin les préfets et les maires fournissent à l'auteur de nombreux exemples d'abnegation et de dévouement qu'il enregistre et présente aux enfants comme modèles dans un style qui gagnerait à être plus personnel et plus coloré. Entre temps, il fait des excursions sur le domaine de l'économie politique et de l'administration, et paraît persuadé que notre régime écono- . mique et administratif est tout simplement parfait. Les enfants le croiront peut-être avec lui, mais les

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enfants seulement, car il ne leur faudra pas vivre longtemps pour être cruellement désabusés.

VII.

Le Serment du Jeu de Paume a son pendant dans la Nuit du quatre août, de M. Marc Pillegous. A la bonne heure! Voilà qui est bon, utile et grand à raconter. Voilà qui est sain et réconfortant à lire. «< La patrie et la liberté, dit avec raison l'auteur, tels sont les deux résultats rayonnants de la nuit du 4 août. » Et il ajoute, avec non moins de sens et de fermeté, comme conclusion: « La révolution sociale semblait complète alors... Nous ne partageons plus aujourd'hui cette illusion excusable, et nous pensons que l'humanité ne sera pas vraiment affranchie tant qu'on n'aura pas chassé de la société la faim et la misère. Mais quand viendra-t-il, ce jour de délivrance appelé par tous ceux qui souffrent? Comment en préparer la venue? Nous ne le savons pas encore et nous ne reprochons pas à la Révolution de n'avoir pas fait cette besogne que nous hésitons, cent ans après, à entreprendre. Souvenons-nous seulement des bienfaits de la Révolution, non de ses oublis. » C'est là de l'enseignement viril, qui sait distinguer le bien du mal, et qui ne dissimule pas les problèmes parce qu'il n'en a pas trouvé la solution.

VIII.

J'ai gardé pour la fin de cette rapide revue l'œuvre la plus importante à tous égards qui ait encore paru dans la collection de MM. Charavay. C'est la Vie de Voltaire, par M. Georges Renard, un des plus brillants parmi les savants et ardents professeurs qu'a su grouper la grande école Monge. Je citerai les premières lignes de l'introduction qui indiquent le plan et l'esprit du livre tout entier : « On a beaucoup écrit pour et contre Voltaire. Mais cent ans et plus ont passé sur sa tombe il est temps de sortir des plaidoyers passionnés pour entrer dans l'histoire sereine. Le montrer tel qu'il fut, parler de lui sans haine et sans superstition, l'expliquer enfin sans le rabaisser et sans l'exalter est aujourd'hui une tâche à la fois tentante et possible. Tel est le but de ce petit ouvrage. »

Ce « petit ouvrage », qui est un beau volume in-8°, et qui est, d'ailleurs, bien plus gros qu'il n'en a l'air, remplit son but à merveille. Le talent de l'écrivain, la philosophie du penseur, l'érudition du lettré, M. Georges Renard avait tout à son service, et il s'en est servi de manière à faire une œuvre qui restera. Je ne crois pas qu'il soit possible de faire une étude à la fois plus complete, plus condensée, plus vive, plus attachante et plus vraie de Voltaire, « ce grand émancipateur de la pensée moderne ». C'est un livre de haut enseignement, que nos jeunes gens de rhétorique doivent lire et relire jusqu'à ce qu'ils le possédent à fond. Quant aux gens du monde qui s'y risqueront, ils y trouveront tant de charme uni à tant de solidité qu'ils le reliront également.

Au point de vue matériel, cette publication fait

grand honneur à la maison qui l'édite. Suivant un excellent système, qui se propage de plus en plus, l'illustration est, dans chacun de ces volumes, copieusement employée pour orner et expliquer le texte. Malheureusement, à côté de quelques dessins originaux, bien venus et d'une valeur réelle, il y a beaucoup trop de reproductions sans intérêt ou manquées, de niaiseries symboliques et de figures d'un hideux parfait. Je sais bien que ces livres se vendent à un prix tel qu'on se demande comment il a été possible de les établir aussi bien; mais cela n'excuse pas ces prétendues.euvres d'art. Il était si simple de supprimer le mauvais et de ne garder que le bon. Il ne faut pas, surtout dans des livres destinés aux enfants, qu'orner et illustrer deviennent les synonymes d'enlaidir.

B.-H. G.

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L'erreur de ce livre, c'est qu'il y a trop peu de musique: trois ou quatre pièces au plus, dont la Marseillaise. Des chansons sans musique, déjà cela ne se concevait guère; mais les chants nationaux de la révolution, voilà qui ne se conçoit plus du tout. Chantés (certaines d'entre eux au moins), passe encore! mais récités ou lus, est monstrueux. Il faut parcourir, comme nous venons de le faire, cette suite d'hymnes, puisque hymne il y a, pour mesurer le degré d'ineptie où était tombée la versification, je n'ose dire la poésie française, à la fin du XVIe siècle. André Chénier lui-même! Relisez la Jeune Tarentine, qui d'ailleurs, n'avait que faire en ce volume:

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A travers la littérature anglaise. Maximes et Pensées, extraites des œuvres de 309 auteurs de langue anglaise, par LOUIS JUILLARD. Paris, Paul Ollendorff. I vol. in-8°, papier vergé.-Prix: 10 fr.

Je ne sais rien de plus intéressant, de plus utile à consulter, de plus agréable à parcourir que ces sortes d'abrégés bien divisés qui synthétisent à merveille l'esprit d'un groupe de littérateurs si ce n'est toute la littérature d'une nation. Swift a écrit à ce sujet : « Les abrégés, extraits, sommaires, sont comme les miroirs ardents. Ils rassemblent les rayons d'esprit et de savoir épars dans les auteurs, et les transmettent avec force et vivacité à l'imagination du lec

teur. »

Rien de plus juste. M. Louis Juillard a mis en pratique la pensée de Swift et, grâce à un travail colossal à travers la littérature anglaise, il est arrivé à nous présenter un remarquable ouvrage, admirablement divisé, qu'on ne saurait trop recommander à tous les lettres, travailleurs et curieux. Le livre est du reste imprimé avec un goût exquis sur beau papier vergé. Il sera de ceux qu'on garde sous la main, qu'on ne lit jamais d'un bout à l'autre, mais qu'on entr'ouvre à chaque instant pour y cueillir une formule spirituellement énoncée, un mot d'humour, une satire ou une phrase poétique et concise.

ÉTRENNES 1884

Almanachs de la maison Plon, pour 1884.

Les voici revenus, ces avant-coureurs de l'hiver et du bonhomme Janvier. Ils apparaissent en petite armée compacte, sous tous les formats, gros, grands, courts et petits et tous se dispersent aux quatre coins de la France, dans la famille bourgeoise de province ou sous le chaume du paysan. Saluons-les. Ils sont au grand complet, pas un seul n'a disparu :

Après le Triple Liégeois, viennent l'Annuaire, le Triple et le Double almanach Mathieu de la Drôme précédés du portrait du grand prophète de l'atmosphère, de celui qui dispose à son gré de la pluie et du soleil; le Petit Almanach national de la France, l'Almanach des célébrités contemporaines, l'Almanach du Savoir-Vivre, l'Almanach-Manuel de la Bonne Cuisine, celui des Dames et des Demoiselles, la Mère Gigogne, le Prophétique, l'Almanach de France et du Musée des Familles, le Parisien, l'Astrologique, le Scientifique, le Parfait Vigneron, l'Almanach illustré de la Jeune Mère, l'Almanach du Sacré-Cœur et celui du Bon Catholique; le Lunatique, le Charivari, le Pour Rire, le Comique, illustrés par Mars, Draner, Henriot, Humbert, etc.; l'Almanach des Parisiennes, illustré tout entier par Grévin.

BEAUX-ARTS

L'Art du XVIIIe siècle, par EDMOND ET JULES DE GONCOURT. Paris, A. Quantin, 7, rue Saint-Benoît, 2 vol. in-4o, relies dans un cartonnage artistique. — Prix: 170 francs.

La librairie Quantin vient de mettre en vente la grande publication complète de l'Art du XVIe siècle, par Edmond et Jules de Goncourt en 2 volumes in-4° illustrés de 70 planches hors texte. Ils contiennent les 14 fascicules suivants: Watteau, Chardin, Boucher, La Tour, Greuze, les Saint-Aubin (2 livraisons), Gravelot, Cochin, Eisen, Moreau, Debucourt, Fragonard, Prudhon: les peintres et les dessinateurs de l'Ecole française représentant vraiment l'art français du siècle passé.

Les auteurs ont consacré une vingtaine d'années à écrire ce livre, recherchant dans les archives, les bibliothèques, les collections de lettres autographes, les éléments de leurs études. Ils ont retrouvé les actes civils de presque tous ces peintres, ils ont eu la bonne fortune de decouvrir, pour le Watteau, la précieuse vie de l'artiste écrite par le comte de Caylus et qui etait perdue, ils ont pour chacun mis au jour des petits coins de leur vie intime. En outre, ils ont apporté à cette étude les connaissances techniques

que leur donnaient un passé de peintre et toute une vie consacrée à la collection de ces maîtres. Et le survivant des deux frères a complété ces notices dans cette dernière édition par un catalogue des tableaux, des dessins, des eaux-fortes de chaque maître et des estampes gravées d'après ce maître.

L'illustration compte 70 planches représentant en fac-similé d'une rigoureuse exactitude les plus importants dessins de chaque maître, tirés des collections du Louvre, du British Museum, de l'Albertina et des plus célèbres collections parisiennes. Watteau est représenté par des feuilles d'études de la plus délicate qualité. De Chardin, dont les dessins originaux sont si rares, les auteurs ont été assez heureux pour en pouvoir donner trois, indépendamment d'un merveilleux tableau et de son beau portrait au pastel du Louvre. Et ce sont des Greuze et des Boucher hors ligne. M. Eudoxe Marcille a bien voulu prêter, pour la livraison de La Tour, les deux curieuses préparations de Voltaire et de Rousseau qui sont certainement les effigies les plus ressemblantes des deux grands écrivains du xvIIIe siècle. Il y a encore de charmants Gravelot, de fins Eisen, de merveilleux Moreau parmi lesquels se trouve la reproduction de l'aquarelle représentant le souper donné à Luciennes

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L'industrie, et par suite, l'art céramique sont aussi anciens que l'homme. Mais nous passerons tout de suite au déluge et même à une date historique un peu plus voisine de nous, à l'année 1878, signalée par la dernière Exposition universelle. A cette occasion, on put constater les progrès extraordinaires accomplis, dans cet ordre d'activité, depuis la précédente exposition, c'est-à-dire en onze années. On avait rejeté les méthodes anciennes, rajeuni l'outillage de la fabrication, inventé des procédés nouveaux, créé des produits originaux, trouvé des applications de cet art non encore prévues. Cela témoignait d'une grande confiance en soi justifiée par une effective prospérité. Après trois siècles, pendant lesquels elle avait été bannie de l'architecture par les sévères froideurs de Louis XIV et de l'Empire, la céramique se réveillait audacieuse et vive comme aux temps de la Grèce antique et de la Renaissance. Ce réveil s'était manifesté d'abord dans les petites pièces de faience décorative mobilière, vases, plats, poteries de toutes formes et de toutes sortes. Le succès, motivé par le goût d'artistes comme MM. Parvillée, Adalbert de Beaumont, Bracquemond, Tull, Deck et tant d'autres, tourna à l'engouement et prépara le public à bien accueillir des tentatives plus hardies. De jeunes architectes, secondés par d'intelligents industriels, introduisirent les terres cuites et les faïences dans la décoration extérieure des habitations. L'on n'a pu oublier encore la place importante qu'en 1878, occupait au Champ de Mars la céramique architecturale, non seulement dans les galeries du génie civil, mais surtout dans mille édifices charmants, tels que la gare, le kiosque polychrome de « l'Union céramique de France », le pavillon de la ville de Paris, les façades des pavillons des beaux-arts. Depuis 1878, le goût du public pour ce genre de décoration, comme pour la ceramique d'appartement, n'a fait que grandir. Le livre de M. Julien Foy est bien propre à l'entretenir. Il contient une étude technique des procédés, des machines et des fours qui servent à transformer l'argile en terre cuite ou en faïence. Il traite successivement dans la première partie, des argiles et kaolins; de la fabrication des terres cuites: briques, tuiles, carreaux,

poteries; de la cuisson des pâtes; et enfin, des fours; c'est-à-dire de tout ce qui rapport à la céramique des constructions. La deuxième partie du volume est consacrée à la céramique décorative: 1° décoration des poteries, poteries simples, poteries composées et glaçures, glaçures incolores, glaçures coloriées ou émaux, peinture des poteries, briques et tuiles vernissées; 2o carrelages céramiques; 3° faiences décoratives, faïence commune ou terre cuite émaillée avec une analyse des procédés de toutes les anciennes fabriques, et faïences fines. Les douze planches qui accompagnent ce précieux ouvrage sont des plans de machines et de fours représentant les perfectionnements les plus recents apportés à la fabrication. La commission chargée d'étudier cette intéressante partie de notre Exposition de 1878 n'ayant pas publié son rapport après quatre années écoulées, il en faut faire son deuil. Désormais, nous nous consolerons de cette incurie d'autant plus aisément que nous avons entre les mains le livre très sérieux, très complet de M. Julien Foy, qui arrive à son heure; et en vérité, comme le dit l'auteur: « c'est une belle heure pour la céramique ». En effet, au goût de plus en plus éclairé du public pour les choses de l'art décoratif répondent de tous côtés les efforts de nos peintres, sculpteurs et industriels céramistes qui viennent chaque jour ajouter aux trésors du passé des créations nouvelles et vraiment originales.

E. C.

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M. Henry Jouin est un des rares écrivains spéciaux qui, en France, se soient attachés à l'étude de la sculpture. L'art statuaire est un art sévère qui n'a pas, à beaucoup prės, la popularité de la peinture. « Les grands yeux blancs des statues me font peur », disait Decamps. Il faut croire qu'ils font peur à bien d'autres qu'à Decamps, si l'on s'en rapporte au silence, à peine, de loin en loin, rompu par le pas du gardien, où demeurent enveloppées les galeries des antiques au Louvre. Si les sculpteurs n'avaient pas, au Salon, la complicité des fleurs, de la verdure, des bancs de repos et du cigare, leurs œuvres s'y morfondraient dans le plus absolu délaissement. Le moindre peintre de paysage ou d'anecdotes prend dans l'histoire des allures de personnage, quand de très grands artistes, pour avoir taille le marbre ou modelé le bronze, n'y font que piètre figure. Sachons gré à M. Henry Jouin de protester contre cet injuste ostracisme par l'attention particulière, persévérante et très éclairée qu'il a toujours, en ses travaux, prètée à la sculpture. Il n'en est pas à son coup d'essai. Cette étude sur Antoine Coyzevox est la conséquence de nombreuses études antérieures esthétiques et critiques sur la statuaire française contemporaine. Il a

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