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Les deux principales nouvelles de ce recueil, qui en contient trois, se font pendant, si l'on peut dire. Dans la première, Madame Armel, une charmante jeune femme, à laquelle son mari défunt n'a laissé, en guise de regrets, que les plus mauvais souvenirs, refuse obstinément, malgré les sollicitations dont elle est l'objet, de contracter de nouveaux liens. Un jeune homme, plus habile, plus tenace, plus heureux que les autres, finit pourtant par triompher des répugnances et des hésitations, sait se faire aimer et épouse Mme Armel. Mais le soir même du mariage, dans le parc, un soupirant, évincé jadis, frappe de deux coups de poignard son rival favorisé. L'auteur dédaigne de nous expliquer cet acte brutal, dont on peut sans crainte dire que rien ne saurait le justifier. Quant à la conclusion, elle semble être que les veuves ne doivent pas se remarier, si elles ne sont pas curieuses de recommencer sur de nouveaux frais l'expérience de leur ménage. Mais je crois bien que la véritable conclusion est qu'il n'y en a pas: d'autant plus que c'est là l'idéal auquel aspirent tant de jeunes littérateurs aujourd'hui.

La seconde veuve est une délicieuse coquette qui met à mal tous les cœurs du voisinage, mais qui finirait par se laisser prendre aux madrigaux et sonnets d'un hobereau nommé de Sermoises, si n'arrivait de Paris juste à point un homme accompli, fort au courant des ruses d'amour pour les avoir pratiquées avec toutes sortes de femmes, mais jeune encore et dont le cœur est comme ces marbres de Carrare dont parle Musset, qui serviraient de dalles à un égout sans en être souillés. Il s'éprend de Mme de Valansay avec l'ardeur d'un collégien et manoeuvre pour supplanter son rival avec l'habileté d'un roué. Au moment psychologique, il révèle à Mme de Valansay que les vers de M. de Sermoises sont des bêtes à treize pieds, monstruosité dont la jeune femme ne peut supporter l'idée. De là à l'amour réciproque il n'y a qu'un pas, comme l'on voit; et il est bientôt franchi, comme l'on pense. Un duel, où le poète amateur reçoit un bon coup d'épée qui le rend aussi boiteux que ses vers et le mariage de Mme de Valansay et du comte de Trébry donnent impartialement à chacun son dû.

L'historiette Après le sermon est un quiproquo amusant et assez bien raconté. Mais vraiment ce sont choses si légères qu'on se prend à corriger le vieux proverbe et à dire : Verba scriptaque volant.

Marie Queue-de-Vache (Fumeron, Guyot et Cie), par HECTOR FRANCE. Librairie du Progrès. I vol. in-12.

Ce roman, comme le Péché de sœur Cunégonde auquel il fait suite, tout en n'y étant pas lié de façon que la lecture de celui-ci soit nécessaire à l'intelligence de celui-là, fait partie d'une « collection de

volumes destinés à la propagande antireligieuse », sous le titre général de Mystères du confessionnal. Ici nous ne nous inquiétons guère, en fait de propagande, que de la propagande du beau dans la littérature et dans l'art. Je laisserai donc de côté les tendances du livre pour ne m'occuper que de la forme dans laquelle M. Hector France a réalisé sa conception.

On ne peut cependant s'empêcher de remarquer qu'avoir une thèse à soutenir s'accorde généralement assez mal avec l'exécution artistique d'une œuvre d'imagination. Mais les premiers livres de M. Hector France ont eu un tel succès, la critique même des partis ou des opinions hostiles les a accueillis avec un étonnement admiratif si marqué, que le public a pu croire à l'heureuse et adéquate combinaison du génie du polémiste et du génie du romancier chez un auteur qui, dès son coup d'essai, s'est acquis un nom honorable. La lecture de Marie Queue-de-Vache ne permet pas de prolonger cette illusion. Certes, l'auteur de cette étrange et peu ragoûtante histoire n'est pas un écrivain sans talent. L'action y est touffue, et les événements, tout en étant extraordinaires, s'y enchaînent et s'y déroulent assez naturellement, si l'on accepte le milieu et les mœurs qu'il a plu au romancier de choisir. Mais ce sont justement ces mœurs ce milieu que je déclare nettement inacceptables. A part peut-être la vieille gouvernante de l'abbé Guyot dont l'affection désintéressée pour son maître n'est pourtant pas sans une pointe de sensualité qui ne se dissimule que parce qu'on la dédaigne, tous les personnages de ce livre ne sont conduits que par deux mobiles le lucre et le rut. Il faut en excepter la victime innocente, le fossoyeur Lecoiffier, paysan d'humeur robuste et farouche qui aurait dû dominer le roman de toute la hauteur de son intègre énergie, et dont on fait un personnage si peu sympathique que le lecteur a peine à s'indigner lorsqu'il est, grâce aux intrigues et aux calomnies de deux prêtres libertins et endettés, condamné aux travaux forcés à perpétuité pour un assassinat et un vol qu'il n'a pas commis. Je ne parle pas de celle qui donne son nom au roman, la petite Marie Queue-de-Vache, âgée de treize ans, fille d'un prélat et de la femme Lecoiffier : elle ne fait que traverser le livre, en irritant, de sa chevelure rousse et des émanations de sa blanche chair de vierge, les appétits de son curé; elle échappe par miracle aux griffes des proxénètes auxquelles le curé, impuissant à s'en emparer lui-même, l'a vendue, et on la laisse, à la dernière page du roman, avec la promesse que lui fait sa sœur Aglaé, matrone d'un lupanar, de venir la prendre lorsqu'elle aura grandi. En résumé, je ne crois pas qu'il soit possible de trouver quelque part, non pas même dans les livres les plus dépravés, une telle collection de porcs et de coquins.

Le but est dépassé, c'est-à-dire manqué. Quant au style, il est facile et ne manque ni de chaleur ni d'énergie. On lui voudrait quelque chose de plus personnel, plus de relief et d'originalité. J'y ai même relevé des incorrections, mais je crois plus juste de les

laisser pour compte au prote que de les attribuer à l'auteur. Le maire Grugevin a un langage excessivement drôle qu'on trouve en effet quelquefois dans la bouche de vieux militaires devenus des gros bonnets de village, étrange mélange de jargon de caserne, de patois et de français officiel estropié et pris à contresens; mais, en voulant le photographier, l'auteur s'est servi de verres grossissants et nous en a donné l'exagération outrée, c'est-à-dire la charge. Je n'en dirai pas autant des discours du gendarme Fumeron, qui sont pris sur le vif et de purs chefs-d'œuvre d'un sérieux désopilant.

B.-H. G.

Les quatorze récits de Bizat, matelot de la marine française, recueillis et mis en ordre par l'Académie des lettres de province. 1 vol. in-8°. Paris, Paul Ollendorff; 1883. - Prix : 3 fr. 50.

Le rédacteur de ces quatorze récits de Bizat avoue n'être pas content de son travail; il lui a été impossible de rendre les inflexions de voix et le jeu inimitable de la physionomie du conteur. Nous voulons bien croire que s'il avait été possible, en effet, de faire entrer dans le texte la verve un peu lourde et le geste brusque d'un marin bon enfant, d'un marin à demi Marseillais et à demi Gascon, ce texte nous semblerait un peu moins fastidieux; nous n'avons eu que le texte tout seul, et ni le Requin ivrogne, ni la Trompe facétieuse, ni la Dent payée, ni les autres récits n'ont eu l'heur de nous faire sourire un instant. Les histoires médiocrement extravagantes du matelot ne plairont pas davantage aux enfants.

F. G.

Pierre Corbeau, par PAUL DE JOUVENCEL. I vol. in-18. Paris, Paul Ollendorff; 1883. — Prix 3 fr. 5o.

Raconter, sous forme de roman, la période de notre histoire qui s'étend de l'année 1846 au second empire, a été le but de M. de Jouvencel. Pierre Corbeau, le héros de son livre, est un ouvrier qui joue un rôle politique.

Pourquoi M. de Jouvencel n'a-t-il pas publié son travail sous une forme purement historique? -Pourquoi? Il répond lui-même à cette interrogation, et sa réponse n'est pas flatteuse pour ses contemporains : « Une œuvre constamment sérieuse, dit-il dans sa préface, si restreinte qu'elle soit, paraît excéder la mesure des choses qui intéressent le public actuel! »> L'auteur se trompe; il y a encore des gens sérieux en France, mais ceux-là ne liront pas Pierre Corbeau, livre plein d'invraisemblance et d'ennui.

P. C.

Ludine, par FRANCIS POICTEVIN. Bruxelles. Henry Kistemaeckers, 1883. 1 vol. in-18.

« Dans l'indicible pauvreté du fond des vies, ne reste-t-il pas du moins à manifester ce drame microscopique et éternel: le tous les jours d'une existence? Cette réelle recherche, à travers les riens révélateurs, réussie ou non, est un signe haut jurassien de l'inspiratrice de ces pages. »

Si ce n'est de la folie, cela y ressemble bien. Le pire est que c'est une folie voulue, une imitation laborieuse et préméditée d'insanité. Du reste, la petite explication qui précède, mise en guise d'introduction au volume, en donne admirablement le ton. « Ce qui poursuit Ludine, nous dit M. Francis Poictevin arrivé à la fin d'une histoire qu'il comprend peut-être, mais qu'à coup sûr lui seul comprend, c'est, sous le franc masque peu grimé de cette scurrilité hilarante, l'inconnu noir de la Sorcière. » Et voilà! Si vous n'êtes pas satisfait de cette limpidité d'eau de roche, allez consulter la sibylle; M. Poictevin n'a rien de plus à vous apprendre.

En vérité, sans exiger, comme Mme Adam, que le mal ait «< un relief satanique » ni « des allures dantesques », pour peu qu'on aime la clarté et «< la belle langue française », on ne saurait goûter l'idiome épileptique et ahurissant dans lequel écrit l'auteur de Ludine. Quoique je sois incapable d'offrir, comme il le fait, à M. Edmond de Goncourt, « l'hommage d'une dilection unique,» j'apprécie assez le maître pour ne pas lui faire compliment de son élève, et je crois trop que l'élève s'égare déplorablement pour ne pas l'engager à mieux étudier le maître.

Je ne veux pas insister. Ces sortes de production, qui semblent un défi au goût et à la raison, n'ont par elles-mêmes aucune importance. On leur en donne en en parlant plus qu'il ne convient.

B.-H. G.

Mérindol, par FORTUNÉ DU BOISGOBEY. Paris, E. Dentu, 1883; 1 vol. in-18.

Il faut ajouter un nouveau récit, aussi attachant que ses aînés, à la liste déjà longue des romans de M. Fortuné de Boisgobey. Il s'agit ici d'une jeune fille orpheline que des coquins veulent dépouiller de sa fortune en lui dérobant le testament où sont consignés ses droits. Ils réussiraient, grâce à l'habileté et à l'audace du plus criminel de tous, le très estimé M. Nalot, notable commerçant et chef de voleurs, si le héros Mérindol, ingénieur amoureux de la jeune Gabrielle, n'arrivait à percer la trame perfide dont elle est enveloppée et ne l'épousait en dévoilant et en faisant punir ses spoliateurs.

L'auteur est un des écrivains de ce temps qui savent le mieux agencer un récit, en suspendre et en ménager l'intérêt, et amener le lecteur, sans fatigue, mais non sans impatience, jusqu'à la dernière page. Il a montré dans ce nouveau volume ses qualités habituelles. Sans pouvoir prétendre à être classé parmi les œuvres de haute littérature, Mérindol est un intéressant et aimable roman que je recommande aux personnes qui cherchent dans la lecture une distraction à la fois émouvante et honnête.

Récits du Gaillard d'avant, par A. RÉMUSAT. Paris, C. Marpon et E. Flammarion. 1 vol. in-18.

Le premier des deux récits que contient ce volume a pour titre : Nadjée ou une Passion de tigresse. Un jeune pilotin devient amoureux d'une magnifique

négresse, passagère sur son navire; et cette négresse se trouve être la reine des Hovas ou Ovas, de Madagascar. A l'occasion de cet amour fortement colore, l'auteur nous fait faire une nouvelle descente aux enfers, dont il offre un tableau d'une fantaisie à outrance, mais non sans talent. Le pilotin est infidèle; Nadjée tue sa rivale d'un poison terrible; une seconde jeune fille éprouverait le même sort, si René ne lui obtenait la vie en consentant à tout ce que voudra désormais la tigresse hova. Celle-ci emporte son amant dans son royaume sauvage; il y devient fou, et il meurt entre les bras de la femme noire qui se tue avec lui, et ainsi ne le lâche pas même dans la mort et chez Satan.

L'autre histoire, la Mariette, beaucoup plus courte, fait contraste avec ces farouches et peu vraisemblables aventures. Ce n'est pas qu'elle soit bien gaie, roulant tout entière sur des haines de bord qui vont jusqu'au crime. Mais elle est traversée par l'amour pur de deux enfants bretons qui, tous deux, meurent le même jour, à des milliers de lieues l'un de l'autre, le garçon en mer au milieu d'une tempête, la fille au village, comme sympathiquement frappée du même coup qui tuait le jeune gars, son fiancé.

Tout cela n'est pas dépourvu d'intérêt, au contraire. Un peu plus de correction et de soin ne gâterait rien cependant. Ainsi, malgré toute ma bonne volonté, il ne m'a pas été possible d'arriver à comprendre cette phrase: « La reine des Hovas, en voyant mon trouble extrême, par un mouvement charitable m'abandonna sa main qu'elle essayait de retirer des siennes, mais continua à rire de plus belle. » Les élèves, quand ils commettent de semblables bévues, sont envoyés à la retenue pour n'avoir pas relu leur copie.

Les Amours d'une millionnaire, par HENRI CHABRILLAT. Paris, E. Dentu, 1883. 1 vol. in-18.

M. Henri Chabrillat, après s'être tué, écrit des romans. Il réussit mieux dans la seconde entreprise que dans la première, et je l'en félicite bien sincèrement. Comme nous l'annonce l'éditeur, « l'auteur s'est inspiré d'un fait qui, vers les dernières années du second empire, passionna tout Paris, et qui, dans son œuvre, sert de point de départ à une action des plus dramatiques... dont l'intérêt se développe avec une intensité toujours croissante ». Pour une fois, l'appréciation de M. Dentu sur la valeur de l'œuvre qu'il édite me parait-être dans la note juste et ne dire que ce qui est vrai.

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On lira le gros roman de M. Chabrillat avec plaisir, et si l'on en a encore à dépenser en ces sortes de choses avec passion. Ce n'est, d'ailleurs, qu'un récit à la vieille manière, bien composé, raconté sans prétentions au style neuf ni au document humain. Il n'en est pas moins touchant et vrai. Cette figure du vieux Farou, braconnier et malfaiteur de la pire espèce, qui, par reconnaissance, devient à soixante ans un honnête homme, est originale et hardie; mais elle ne choque en rien la nature, et tout le monde, à part soi, sent la justesse de cette conception et y éprouve

un plaisir sain et de bon aloi. De combien de romans, parmi ceux qu'on voudrait bien faire prendre pour des chefs-d'œuvre, en pourrait-on dire autant?

Mémoires d'un sceptique, par CARLE DES PERRIÈRES. Deuxième édition. Paris, Ed. Rouveyre et G. Blond, 1883. 1 vol. in-18.

Pour être, comme le dit son auteur, « d'une philosophie amertume », le titre de ce volume n'en est pas moins ambitieux et, à mon avis, assez mal justifié.

Ces chroniques, qui sont moins « un lambeau de l'histoire parisienne » que des lambeaux de cancans parisiens, ont un attrait d'actualité déjà disparu en grande partie, et un attrait littéraire qui, lui, ne disparaît pas, et qui est la véritable, la seule raison d'être de ce volume. C'est dire qu'il vaut mieux que tant de ces recueils où les journalistes aiment à déposer leurs articles quotidiens, comme une momie dans un sarcophage. Mais, quant à être les « Mémoires d'un sceptique », que non pas! Je ne connais guère que les Essais de Montaigne, pour mériter ce titre. Est-il besoin de dire que la copie de M. Carle des Perrières n'a avec ces Essais que les plus lointains rapports? Et puis, l'auteur s'en fait accroire, en vérité. Il déclare qu'il publie un volume « militant », et il se proclame sceptique! Rien de plus contradictoire. Le doute est un « mol oreiller à une tête bien faite »>, mais il ne saurait être une arme de combat dans des mains fiévreuses et vaillantes. Or, en cela, du moins, M. Carle des Perrières ne se trompe pas sur lui-même. C'est un militant et, j'ai grand plaisir à le reconnaître, un vaillant. Il hait et attaque, c'est-à-dire qu'il aime et défend. Si ce sont là des qualités, — et qui en doute? ce ne sont pas celles d'un sceptique; il s'en faut du tout.

Je ne partage ni les haines ni les amours de M. Carle des Perrières. J'aime même beaucoup de choses qu'il hait, et je déteste beaucoup de choses qu'il aime. Mais les goûts personnels ne font rien à l'affaire, et il faut avouer qu'il y a dans ces pages un talent spirituel et mordant qui en font, même pour ses adversaires, un vrai régal de gourmet. D'ailleurs, quand on quitte le terrain politique, il n'y a plus qu'à applaudir, aussi bien au fond qu'à la forme. Les chroniques consacrées à notre engouement pour les étrangers, à la marée montante de l'anglomanie, aux usuriers, aux emprunteurs de clubs, etc., sont de petits morceaux achevés qui justifient la réputation du journaliste et expliquent le succès du livre publié par les bons imprimeurs Ed. Rouveyre et G. Blond.

B.-H. G.

Les Amoureuses, par A. DE L'ESTOILLE. Paris,

Paul Ollendorff, 1883. 1 vol. in-18.

L'auteur a égrené le chapelet des contes orientaux et en a dérobé quelques grains qu'il nous présente aujourd'hui. C'est, dit-il, « un collier de camées, de cailloux et de médailles, qu'arrête un gros grain de

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corail - le rêve inachevé... Je vous le donne. Si un morceau vous plait, prenez-le, et jetez les autres. » Ces camées et médailles d'amoureuses les cailloux ne sont là mentionnés que par modestie sont au nombre de onze, dont voici les noms: Lia, Rhodope, Gyptis, Morgane, Heldewige, Balkis, Hélène, Marthe, Alsa, Meyrin, Rosalie. Chacune, comme la physionomie même du nom propre le fait prévoir, est destinée à caractériser une époque historique et un degré de civilisation. Lia, c'est l'époque biblique. Rhodope est de Naucratis, sur le Nil. Gyptis symbolise l'union de l'esprit grec avec l'esprit celte à Massalia. Morgane est contemporaine de Merlin l'enchanteur et personnifie la persistance des traditions druidiques au fond de l'Armorique. Hildewige est la Scandinave, la blonde fille des Ases, qui croit aux Elfes et accompagne l'homme du Nord dans sa barque de cuir. La reine de Saba, l'amante de Soliman, que les chrétiens appellent Salomon, c'est Baikis, produit étrange des rêves de la cabale et des commentateurs du Coran. Hélène est la jeune fille contemporaine, sans père, et avec si peu de mère que pas du tout vaudrait mieux, fleur qui «< ne sent pas le terreau dans lequel elle a poussé », et qu'un brave capitaine épouse, parce qu'il l'aime et qu'il se sent aimé. Marthe s'est mariée à un jeune Allemand, lorsque la guerre éclate et force son mari à se mettre dans les rangs des envahisseurs de la France, et Karl, le mari, est tué par Dubreuil, le père de Marthe; c'est le symbole de la fatalité de la guerre et de l'impitoyable antagonisme des races. Alsa, c'est l'Alsace qui dit : « Nos fils se souviendront! >> Meyrin nous reporte en Orient, dans le pays des rêves; c'est la vierge qui hante l'idéal et qui, après lui avoir résisté longtemps, s'éprend de lui jusqu'à en mourir. Dans Rosalie, nous retrouvons l'Alsace, après la conquête, aussi fidèle de cœur, aussi brave et héroïque qu'elle le fut jamais.

Livre étrange en somme, de style bizarre, tout en dialogues et en effusions lyriques, qui dénonce une imagination chaude, vigoureuse et sincère. J'ai peur qu'on ne le comprenne pas, ou qu'on ne se donne pas la peine de le lire, et qu'il ne passe inaperçu.

B.-H. G.

La petite Princesse, par CHARLES BUET. Paris, E. Dentu, 1883. 1 vol. in-18.

C'est un roman historique, qui procède d'Alexandre Dumas père, comme certaines maquettes d'apprentis sculpteurs procèdent de l'Apollon du Belvédère ou de la Vénus de Milo. Les personnages si connus et si populaires, grâce au grand romancier, de Catherine de Médicis, de Henri III, de Quélus, etc., donnent à ce récit l'attrait des réminiscences. Mais ne sont-ce pas là des oranges dont on a pressé tout le jus, et dont il ne reste plus que l'écorce sèche? Après tout, le zest a encore sa saveur, et on peut prendre quelque plaisir à la lecture de cet épisode assez mouvementé et peu connu de l'histoire de France au XVIe siècle. Il s'agit du mariage de Henri III avec Louise de Lorraine, mariage auquel le roi des mignons

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et le plus mignon des rois prélude en ordonnant l'assassinat de son meilleur ami.

L'haleine de l'émule de Dumas père a été trop courte pour remplir un volume sur cette donnée. Une nouvelle, intitulée la Revanche du hasard, fait l'appoint et donne au livre le nombre de pages voulu. C'est l'histoire d'une fille séduite qui, après avoir commis un crime, retrouve son séducteur en robe de procureur et requérant contre elle. Ce serait assez poignant, si l'auteur avait su le rendre tel. Dans l'état, cela présente l'intérêt d'un fait divers très délayé.

THEATRE

नै

B.-H. G.

La Comédie espagnole de Lope de Rueda. Traduction GERMOND DE LAVIGNE. - Paris, Michaud, éditeur; 1883.

Lope de Rueda, peu connu en Espagne, est en France un ignoré, et avant la traduction de M. Geṛmond de Lavigne, presque un inédit; oubli bien injuste si l'on songe qu'il a pour ainsi dire fondé ce théâtre espagnol qui a été la source du théâtre moderne, et souvent le modèle du théâtre français. Avant Lope de Rueda, la scène appartenait quasi exclusivement à l'Église et ne sortait guère du domaine mystique ou de l'intrigue religieuse plus ou moins calquée sur les Grecs ou les Latins; Lope de Rueda sécularisa le drame, familiarisa la comédie; d'ampoulé, on devint naturel et de factice, vrai; il prit ses personnages et ses intrigues autour de lui, enfin, il indiqua un genre qui, depuis trois siècles, a donné à l'Espagne un répertoire dont la fécondité seule égale la réputation. C'est d'ailleurs ce qu'une préface érudite et agréable sans pédanterie indique fort justement. La comédie espagnole est traduite avec habileté, tâche difficile quand on rencontre un cachet tout espagnol, un langage démodé et vulgaire, et des traits d'esprit dus à des équivoques intraduisables; malgré cela et malgré l'allure primitive, l'ouvrage est intéressant et se sauve de la fadeur des traductions par la verve naturelle, fûtée et comique du vieux Castillan, qui fut, comme Molière, auteur et acteur; mais plus heureux et plus respecté que lui, il obtint, au lieu du charivari dont on troubla les funérailles de Molière, un tombeau dans la cathédrale de Cordoue, vers 1560.

A. A.

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En donnant ce titre à son recueil, l'auteur se réservait le droit de chanter sur tous les tons; tant mieux, se dit-on d'abord, la variété n'est pas un défaut, et la poésie n'en meurt pas. Hélas! la promesse est trompeuse. Ce n'est guère que pour ajouter à son livre des poésies diverses, en général bien anodines, la plupart traduites de l'allemand de Grün et de Lenau, honneur excessif pour elles, que M. Bataille y a inscrit ce titre vague. Le plus grand malheur est que la poésie des pages intérieures n'est pas moins vague. Que ce poète sache mouler un vers, il n'est pas question. Il en est plus d'un qui, fermement frappé, révèle l'artisan. Mais ils sont épars on cherche vainement une pièce entière, d'un bout à l'autre soutenue, où l'idée se développe complète et rapide vers son but. Et pourtant elles ne sont pas longues, les pièces de M. Bataille. La moitié du volume est formée de petits morceaux d'une coupe plus bizarre que séduisante; quatre tercets ayant pour queue un solitaire. Puis un certain nombre de sonnets; et quatre ou cinq poésies plus importantes. Tout est dans le même ton, un peu âpre moins cependant que ne le croit et ne le désire M. Bataille. Il a beau écrire les Haines finales, que j'ai plaisir à transcrire comme une des plus vigoureuses et des plus soutenues de ses poésies, il en demeure au souhait, à l'intention. Voici ces vers :

Dieu, laisse-moi mourir dans mes haines finales! Mets toujours dans mon cœur le mépris haut et pur Des maquignons tablant sur les vertus vénales!

Que mon vers ait toujours le mot vengeur et sûr
Qui comme un fer trempé poursuive en leurs ténèbres
Les crapauds venimeux qui crachent sur l'azur.

Que toujours, étreignant leurs hideuses vertèbres,
Mon fouet aille cingler les reptiles maudits
Qui traînent sur l'honneur leurs sifflements funèbres.

Que ma verve implacable, assaillant les bandits,
Ne se lasse jamais de dénoncer leurs fanges,
Et que même, arrachant son masque au paradis,
J'en chasse les démons qui posent pour des anges!

M. Bataille sent peut-être tout de bon s'agiter dans son cœur ces terribles haines qu'il demande à Dieu de conserver, mais il n'a pas toujours le mot vengeur et sûr, son fouet ne cingle pas si cruellement les rep

tiles, sa verve est parfois bien traînante ou boiteuse; c'est simplement déclamatoire. L'allure altière que rêve M. Bataille et à laquelle il s'efforce courageu sement n'est pas celle de sa pensée, qui semble trop peu nourrie.

Dans toute cette série de Fusains mignons dédiés à une collection de peintres dont les toiles ont suggéré une poésie à M. Bataille, il n'est qu'un certain savoir faire, le talent très secondaire d'un rimeur qui se voue à déposer quelques couplets au bas des tableaux.

Parmi les sonnets du Carnaval des Muses, il en est d'un goût douteux; et quand pour chute à un sonnet on écrit ce vers :

L'art de la Sangalli s'abaisse à la chahut.

on pourrait au moins donner à chahut le sexe que lui a imposé le quartier latin, son père naturel.

Et encore pourquoi, lorsqu'on vise aux mâles invectives, lorsque, dans une préface-programme, on semble se souvenir du huguenot d'Aubigné et vouloir le rappeler, pourquoi imprimer cette fadeur mirli. tonnesque les Mures:

Dans les buissons pendent les mûres,
C'est en été qu'elles sont mûres,

Petit frère et petite sœur
Vont en savourer la douceur.

Pour cueillir le fruit qui les tente,
Ils déchirent leur main ardente
Et voient leur sang rose couler
Sans qu'ils songent à s'en aller.

Et la suite à l'avenant. Le lecteur pourrait bien songer à s'en aller, lui, un peu ennuyé d'avoir souvent vu l'infini rimer avec béni, et fatigué de l'abus des participes présents qui mettent aux phrases indécises des rallonges et de lourdes surcharges.

Mais il serait injuste de ne pas compter à l'actif de M. Frédéric Bataille une ardeur virile, un noble désir d'habiter les sommets, des sentiments sincères, et quelquefois aussi de touchantes émotions. Il peut produire mieux que ce volume : il annonce une œuvre nouvelle les Pacifiques, nous serons heureux d'y trouver avec les mêmes qualités personnelles la réa lisation des intentions littéraires exprimées dans une Lyre.

PZ.

Les Heures paisibles, par PAUL COLLIN. Paris, Hachette et Cie, 1883. 1 vol. in-18.

M. Paul Collin est un poète bien connu des com positeurs et des éditeurs de musique. Sa Fille de Jaïre, dont M. C. de Grandval a fait la musique, a obtenu le prix Rossini. Deux de ses recueils ont été médaillés par la Société nationale d'encouragement au bien. C'est un des fournisseurs ordinaires, pour la partie poétique, de la Revue britannique et de l'Artiste. Voilà bien des titres de gloire. On ne croira cependant pas que je m'avance trop en disant que

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