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Dieu est-il mort? par CAMILLE PELLETAN. Paris, A. Degorce-Cadot, 1883; 1 vol. in-12.

A cette question, M. Eugène Pelletan répond par un réquisitoire en règle, long, violent, étayé de preuves indéniables, contre la religion catholique romaine. Puis, comme il sait parfaitement que cette réponse n'en est pas une ou ne pourrait s'interpréter que dans le sens négatif, il condamne en quelques mots l'athéisme et le positivisme qu'il déclare absurdes et contraires à la nature humaine, et conclut en ces termes par un appel au protestantisme « Si la Réforme a converti autrefois les masses et entraîné les peuples sur ses pas, et si aujourd'hui elle semble avoir perdu le don de conversion et touché sa limite, à quelle cause attribuer sa puissance au XVIe siècle et son impuissance dans le présent? A cette cause évidente qu'autrefois elle marchait avec le temps et qu'aujourd'hui elle reste en arrière à écouter voluptueusement les magnifiques échos de son passé. Veut-elle reprendre les âmes comme elle les a déjà conquises une première fois? Eh bien, qu'elle brise le cadre trop étroit de tel ou tel synode, qu'elle l'étende à la mesure du XIXe siècle, pour y faire entrer tous les progrès accomplis depuis trois cents ans, et alors elle pourra y faire entrer du même coup les multitudes, les nations formées et pétries de tous ces progrès. »

Il y a là, je le crains, une déplorable équivoque qu'on retrouve dans toutes les discussions qui portent sur les différentes manifestations de l'activité intellectuelle de l'homme. On prend l'effet pour la cause, et la formule pour la loi. Une religion est la résultante de l'esprit mystique d'une société à une époque donnée de son évolution historique. Il n'est pas plus en elle de se transformer en un cadre mobile où trouverait place la société nouvelle née des ruines de l'ancienne, qu'il n'est donné à une cathédrale gothique de se transformer en une gare de chemin de fer, ou à une tragédie classique de se muer en un drame contemporain. Les choses qui sont les expressions d'un état social disparu disparaissent avec lui ou ne restent que comme les monuments, imposants peut-être, mais à coup sûr inféconds et déserts, de ce qui fut autrefois. Si donc le

temple protestant et l'église catholique, ainsi que nous l'affirme M. Eugène Pelletan dans un magnifique langage, se dépeuplent davantage chaque jour ou ne réunissent plus que des cœurs tièdes et sceptiques, ce n'est pas aux religions qu'il faut s'en prendre. Elles sont ce qu'elles sont et n'en peuvent mais. C'est à ces cœurs mêmes qu'elles n'ont plus le don d'échauffer et d'émouvoir, et qui resteront ainsi dans leur indifférence ou leur doute jusqu'à ce que, de leurs profondeurs mystiques, jaillisse un jour un Verbe nouveau, une croyance née d'eux et où ils se reconnaissent, si toutefois la science et la raison n'ont pas à jamais détruit en eux cette puissance créatrice et vraiment divine d'objectiver leur idéal.

B.-H. G.

Dictionnaire raisonné de philosophie morale, par Roux-FERRAND. Un vol. in-8°. Paris, Didier et Cie, 1883.

L'ouvrage est sans valeur; le dictionnaire n'est pas raisonné; les nombreuses citations d'auteurs chrétiens et spiritualistes faites à chaque page ne sauraient tenir lieu de l'exposition, de la discussion et de la comparaison entre eux des différents systèmes de morale.

Le rédacteur, membre de plusieurs académies et sociétés savantes, ne semble pas se douter qu'on puisse analyser ni argumenter; quelques sentences sont, pour lui, la science morale; pour lui, la philosophie, c'est la sagesse des nations.

Le dictionnaire serait d'une certaine utilité dans les pensionnats de jeunes filles; ces demoiselles y trou veraient des lieux communs à placer dans leurs devoirs de style.

F. G.

La Certitude philosophique, par H. DE COSSOLES, avec une lettre de Msr Perraud, évêque d'Autun, membre de l'Académie française. Un vol. in-12. Paris, E. Plon et Cie, 1883.

Le livre est d'un polémique et non d'un philosophe. Ce n'est pas à dire qu'il manque d'intérêt; il est fort intéressant, au contraire, et pour deux raisons: d'abord, parce que l'auteur, qui combat sous les auspices de Mgr Perraud, a bonne plume, bonne encre,

avec cela, de l'audace, ce qui lui permet de se dissimuler à lui-même son ignorance du terrain philosophique; ensuite, parce que, tout en tiraillant à droite, à gauche (sans grand dommage pour ses adversaires), il laisse deviner quelle position souhaiterait d'occuper la partie la plus intelligente, sinon la plus puissante, du clergé catholique français.

Nous insistons: l'ouvrage est à lire. Ce n'est pas, en effet, sans une certaine habileté, volontiers nous dirions une certaine crânerie, que M. de Cossoles passe à travers la doctrine de saint Thomas, celle de Descartes; qu'empruntant à l'une, empruntant à l'autre, il s'efforce de ruiner, et le pseudo-dogmatisme cousinien qui n'est que scepticisme, et le criticisme de Kant, de M. Renouvier, autre scepticisme; qu'il édifie le nouveau dogmatisme (le seul vrai, le seul légitime), celui qui a, pour fondements nécessaires, la raison et la volonté.

Ce que, dit-il, on enseigne aujourd'hui parmi nous sous le nom de cartésianisme est précisément le contraire de ce qu'a enseigné Descartes, qui sans cesse a tenu pour l'unité de la raison, principe fondamental et condition sine qua non de tout dogmatisme. Les spiritualistes ont tort de faire de Descartes un sceptique et de s'autoriser de son nom pour professer l'individualité de la raison. Il est vrai que s'il a dit la vérité, il ne l'a dite qu'à demi; il a très justement montré dans l'évidence le fondement de la certitude qu'avant lui on plaçait dans l'autorité, l'antiquité et la tradition; il ne pouvait deviner une autre question qui a été posée par la suite. La raison, qui, en effet, ne reçoit que l'évidence, ne la reçoit pas toujours; l'universalité n'est pas, quoi qu'ait dit ce philosophe du xvne siècle, le résultat nécessaire de l'évidence, de la démonstration philosophique. Descartes a montré le fondement de la certitude, ce qui était le problème de son temps; il n'en a pas montré le signe, ce qui est le problème du nôtre.

De notre temps, le scepticisme, sous le nom de philosophie critique, s'est, ajoute l'auteur (qui semble

bien ne connaître que par oui-dire, et fort mal, la critique de la raison pure), emparé du fait de la division des esprits, et montrant que la revendication faite par les dogmatistes modernes du droit à l'erreur n'est autre que l'abdication mal déguisée du droit à la vérité, il a victorieusement combattu la légitimité, la certitude de toute affirmation; il s'est établi sur les ruines du dogmatisme demeuré muet devant ses attaques et impuissant à répondre à ses objections. Le criticisme est, pour M. de Cossoles, le grand adversaire qu'il s'agit de réduire à l'impuissance.

Mais rapportons ce passage:

<< S'il est vrai que la raison n'obéit jamais qu'à l'évidence, qu'elle seule est juge de ce qu'elle doit croire, il ne l'est pas moins que la volonte n'est jamais mue que par l'attrait, par l'amour. Pour que l'homme accepte et croie la vérité, il ne suffit pas qu'il puisse la connaître, il faut encore qu'il la souhaite, qu'il la veuille; en un mot, qu'il l'aime.

« Avant que la raison détermine la volonté, dit saint Thomas, il faut que la volonté meuve la raison; la raison est toujours maîtresse de détourner la volonté de toute vérité qui lui déplait.

« C'est l'erreur des dogmatistes de n'avoir tenu aucun compte de ce rôle de la volonté dans la croyance, d'avoir enseigné la vérité philosophique comme on enseigne la géométrie, c'est-à-dire en supposant qu'il lui suffit d'être démontrée pour ne pas rencontrer de dissident. C'est l'erreur des philosophes critiques d'avoir exagéré ce rôle, d'avoir étendu son domaine hors des limites qu'il ne peut franchir. >>

A la thèse de l'individualité de la raison, thèse des criticistes et des protestants, l'écrivain catholique oppose l'antithèse de l'unité. Mais le défaut de volonté, de bonne volonté, permet l'erreur. Oui, et l'erreur est coupable, car nous sommes libres; mais pour nous sauver, toutefois, et de l'ignorance, et de l'erreur, pire que l'ignorance, il y a l'Église en parfait accord avec la philosophie : la philosophie nous propose la vérité et l'Église nous dispose à l'entendre.

F. G.

SCIENCES NATURELLES

Fourmis, Abeilles et Guêpes, études expérimentales sur l'organisation et les mœurs des sociétés d'insectes hyménoptères, par sir JOHN LUBBOCK, membre du parlement britannique et de la Société royale, avec 65 figures dans le texte et 13 planches hors texte. Deux volumes de la Bibliothèque scientifique internationale. Paris, Germer Baillière, 1883.

Le célèbre naturaliste de Londres fait paraître sous ce titre, pour la première fois en langue fran

çaise, le récit d'expériences qu'il poursuit depuis douze années. La publication de ce travail en anglais avait eu beaucoup de retentissement parce qu'elle modific considérablement les idées que nous avions sur les fourmis et nous les présente comme plus intelligentes non seulement que tous les autres insectes, mais même que tous les autres animaux, y compris les gros mammifères et l'homme seul excepté. Quant aux abeilles et aux guêpes, elles restent fort au-dessous des fourmis et M. Lubbock n'ajoute guère à ce que l'on savait de leurs mœurs et aptitudes.

Les expériences de sir Lubbock ont été généralement faites au moyen de fourmilières de verre, rendues obscures par des couvercles que l'on enlève lorsqu'on veut examiner les travaux accomplis par ces insectes. Certaines de ces fourmilières contiennent des individus âgés de plus de huit ans et encore très valides; quelques-unes de ces fourmis sont des reines qui n'ont pas encore cessé de pondre. Tout le monde sait que les fourmis forment des sociétés bien organisées, pratiquant la division du travail, faisant la guerre et capturant des esclaves; je ne crois pas utile d'insister sur ces points; il ne serait pas possible, sans refaire l'ouvrage lui-même, d'entrer dans le détail des actes qui témoignent de leur intelligence, laquelle est très variable suivant les races et même suivant les fourmilières dans la même race. Je ne mentionnerai que quelques points particulièrement intéressants et nouveaux. Chez certaines fourmis la division du travail est pratiquée depuis si longtemps que la noblesse, pour parler le langage humain, ne sait plus rien que guerroyer; elle est devenue incapable de toute autre occupation, même de se nourrir, et elle périrait de faim si les esclaves ne venaient lui ingurgiter les aliments. Cette aristocratie est déchue au point de devenir ainsi parasite de ses esclaves.

Les fourmis ont un langage qui leur permet de se communiquer diverses impressions. Quand l'une d'elles n'a pas la force suffisante pour s'approprier un gros butin, un cadavre de mouche, par exemple, elle va chercher des amies pour l'aider; mais elles gardent autant qu'elles peuvent leurs bonnes aubaines pour elles seules. Elles sont habituellement dures, égoïstes et cruelles. Parfois, elles rapportent à la fourmilière leurs compagnes malades ou blessées; mais, si elles les trouvent trop endommagées, elles les jettent impitoyablement à l'eau.

Étant donnée la structure de leurs yeux, on a lieu de croire que leur vision est confuse; elles n'en tirent, pour se diriger, qu'un secours assez médiocre. Leur odorat est très fin. Elles ne perçoivent certainement pas les couleurs comme nous: elles fuient les radiations ultra violettes auxquelles nous sommes absolument insensibles. Elles semblent aussi percevoir des sons qui nous échappent, tandis que la voix humaine et nos divers instruments de musique les laissent parfaitement indifférentes.

Dr L.

La grande pêche, par le Dr H.-E. SAUVAGE, aidenaturaliste au Muséum. Un vol. in-16 de 314 pages orné de 86 gravures faisant partie de la Bibliothèque instructive de la librairie Furne. Paris, 1883. Prix 2 fr. 25.

Ce petit livre, destiné surtout à être donné aux enfants en prix et en étrennes, est beaucoup plus intéressant qu'on ne le croirait; il a une autre qualité rare dans les ouvrages destinés aux enfants : l'exactitude. Les chapitres les plus importants sont consacrés à l'esturgeon, au thon, à la morue et au hareng. La question des grandes pêches a toujours eu beaucoup d'importance au point de vue du commerce maritime;

mais elle va bientôt en prendre une énorme au point de vue de l'alimentation. La viande est de plus en plus demandée et elle atteindra bientôt des prix excessifs. Il est probable que dans vingt ans, elle coûtera deux fois plus cher qu'aujourd'hui et le renchérissement ne s'arrêtera, certes, pas là. Il n'y a pas de motif, au contraire, pour que le prix du poisson s'élève beaucoup, car le produit des pêches est loin d'avoir atteint sa limite. On voit, en lisant ce livre, que l'outillage des pêcheurs est encore très primitif; quand il sera élevé à la hauteur de l'industrie, le poisson viendra combler le déficit de la viande de boucherie. Dr L.

Recherches physico-chimiques sur la terre végétale, par J. VALLOT. Un vol. in-8° de 344 pages imprimé en caractères elzéviriens sur papier de luxe. Paris, Jacques Lechevallier, 1883. — Prix: 12 francs.

maté

Ce volume pourrait porter en sous-titre riaux pour la science future, car les analyses chimiques qui en font la base et les discussions auxquelles l'auteur se livre n'ont pas grande utilisation actuellement. Le but de ces recherches était de déterminer laquelle de ces deux choses a le plus d'importance pour les plantes: la constitution chimique du sol ou sa structure physique. La conclusion, facile à prévoir, à priori, est que c'est la composition chimique. Si M. Vallot s'était placé au point de vue de la science agricole, la plus récente, il eût écrit un livre tout autre. La structure du sol a une importance évidente pour la conservation de l'eau et des engrais, l'aération des racines, etc. Mais à côté de cela, il est absolument nécessaire que les plantes trouvent dans le sol tous les éléments chimiques dont elles ont besoin; seulement, comme les amendements et les engrais permettent d'ajouter à un sol quelconque la potasse, la chaux ou tel autre ingrédient qui lui manque, on arrive à cultiver toutes les plantes sur tous les terrains.

Les analyses de M. Vallot font ressortir un fait bon à noter tel terrain très calcaire se comporte, vis-à-vis des plantes, comme pauvre en chaux et l'agriculteur aura profit à y répandre de la chaux; cela tient à ce que le calcaire du sol, très compact, est à peine attaqué par les eaux pluviales et à ce que celles-ci ne par viennent pas à en dissoudre assez pour les besoins de la végétation.

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SCIENCES MÉDICALES

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et difficiles. Ce petit livre est très sagement conçu, bien que ses préceptes dussent paraître quelquefois très hardis aux vieux médecins. Les pansements antiseptiques permettent, en effet, de pratiquer, sans grand danger, des opérations qui eussent été considérées, il y a vingt ans, comme le comble de l'imprudence. Les principaux chapitres de ce volume traitent des abcès froids, des kystes, des tumeurs, de quelques opérations qui se font sur l'œil, sur les organes génitaux, etc. Celui que M. Cruet a ajouté est instructif, mais n'entre pas assez dans les détails techniques. D' L.

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A moins qu'il n'inaugure une série, pourquoi ce titre Filles d'amour? Il n'est question, à proprement parler, que d'une seule femme, Marcelle de SaintRome, élevée en pleine campagne, un peu à la diable, recouverte aux Oiseaux d'un vernis d'éducation, demoiselle inquiétante, femme surprenante d'inouisme. Après une année de mariage, elle force presque son compagnon d'enfance, Jean, qui sort du séminaire, à devenir son amant. Surprise avec lui, dans les bois, par d'Auperre, le gentillâtre campagnard qui l'a épousée, elle est, par lui, mise à nu entièrement, fustigée, maculée de boue et de sang. Malgré tout, ce justicier barbare n'en aura pas moins la faiblesse, quelque temps après, de reprendre sa femme, quand elle aura << jeté son ombrelle par-dessus cottages », cabinets particuliers, bouges mêmes. Ainsi que cela était à prévoir, d'Auperre est mal inspiré, car l'hystérique le quitte encore une fois pour se mettre à la recherche du seul mâle qui ait pu satisfaire ses appétits désordonnés. Elle se fait écuyère pour vivre de la vie de

l'hercule Murza et se fracasse la tête, le jour même de son début, au Cirque d'hiver.

L'histoire, violente à dessein, pèche moins dans la peinture des caractères que dans l'agencement des situations. Un type assez réussi dans la galerie de viveurs et de désœuvrés qu'expose M. Monterel, c'est l'impuissant transi qui a nom de Junclar. Quant au style, cette fois, nous n'en parlerons pas. Attendons une œuvre plus châtiée.

G. S. L.

D'après nature, par FRANCIS ENNE. Deuxième série. Eaux-fortes de Brunin. Bruxelles, Henry Kistemaeckers, 1883. Un vol. in-12.

C'est toujours un plaisir que d'avoir entre les mains un de ces mignons petits volumes dont s'enrichit rapidement la collection bien dénommée par M. H. Kistemaeckers, édition de bibliophile. Mais ce plaisir n'est pas d'ordre purement matériel; la sensualité intellectuelle y trouve son compte, et la liqueur est presque toujours digne du flacon.

La nouvelle série de petites nouvelles et d'études d'après nature que nous offre aujourd'hui M. Francis Enne a les mêmes qualités que la première et jouira du même succès. Il y a là des pages charmantes, d'une vérité un peu crue parfois, parce que l'auteur a voulu

résolument rejeter tous les masques et tous les voiles de convention, mais d'une saveur âpre et piquante, comme un bon vin de vrais raisins vendangés l'an dernier. Du reste, M. Enne, au rebours de certains naturalistes, accepte tout de la nature, le beau aussi bien que le laid, le poétique et l'idéal à l'égal de l'ignoble et du plat. Et, quoi que la nature lui fournisse, il l'embellit de son talent de conteur qui, comme un prisme, revêt les objets ternes de couleurs brillantes.

Je recommande tout particulièrement le ménage Jonas dans la nouvelle intitulée Relâche. Ce petit côté de la vie humoristique, comme dit Coquelin cadet, est observé d'un œil net et brossé de main de maître. Le volume, trop mince à mon gré, se termine par quelques souvenirs personnels à propos de feu Gambetta. J'y relève cette phrase plus profonde qu'elle n'en a l'air : « Si Gambetta a trouvé en lui de véritables élans démocratiques, cela tient uniquement à son passé flâneur. »

Je quitte à regret ce petit livre fait pour plaire à tous, depuis le styliste jusqu'au politicien, en passant par l'homme d'esprit.

B.-H. G.

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Le roman est une autre Conquête de Plassans ». Mais des différences: au lieu d'un prêtre, c'est un juif qui s'empare du pays; et le pays, c'est un village de Russie, au lieu d'être une petite ville du midi de notre France. Et il est d'autres différences encore, qui ne tiennent pas, celles-là, au sujet; par le rappro chement que nous avons établi, nous n'avons pas, en effet, entendu donner à croire que le récit de M. Rouslane eût la valeur de l'œuvre de M. Zola : le récit n'est rien que l'exposé des faits, qui, selon l'auteur, pourraient être justement reprochés à tous les israélites; à aucune page de cette patiente et scrupuleuse observation extérieure qui, dans l'école naturaliste, tient la place de l'analyse psychologique; pour le style, il est incolore.

Le juif arrivé mourant à Sofievka, secouru par le seigneur du lieu, fait tant et si bien (ou si mal), travaillant, surtout volant et prêtant à usure, qu'il acquiert une petite fortune. Il a fondé un cabaret, il exploite les vices des paysans. Le dommage qu'il leur cause, le seigneur ne peut l'empêcher, et le « petit père », que « ses enfants » se reprennent à aimer, meurt acca

blé de tristesse. Voilà le juif installé au château, pressurant de toutes manières les paysans. Ceux-ci se vengent; ils tuent, sans pitié ni merci, ces voleurs astucieux, tous ces gens de la race maudite, venus au village, appelés par l'ancien colporteur.

M. Rouslane explique la colère des paysans russes; il n'approuve pourtant pas le massacre, il le condamne, au contraire, par la voix de la fille même du juif de Sofievka; Mavroussia, qui était disposée à se convertir au christianisme, ne peut plus épouser Danilo puisqu'il n'a pas su pardonner, qu'il a dirigé la tuerie; elle se refuse à quitter une maison incendiée : elle mourra en même temps que les siens.

La haine des juifs est un sentiment que nous ne saurions partager, nous, Français, avec les Russes et les Allemands, et ce sentiment, il faudrait l'éprouver dans une certaine mesure, pour trouver quelque intérêt au roman de M. Rouslane.

F. G.

Le Pavé, par JEAN RICHEPIN. Paris, Maurice Dreyfous, 1883. Un vol. petit in-12.

Ces études ont été un des plus grands succès du journal dans lequel elles ont d'abord paru. Elles forment aujourd'hui un livre qui restera comme un des monuments les plus caractéristiques de l'esprit et du style de ce temps. Non pas que je veuille dire que l'esprit soit banal et le style vulgaire. C'est précisément le contraire qui est ma pensée. Et, en effet, les œuvres littéraires et artistiques qui sont l'expression d'une société et le type d'une époque doivent en être les plus originales et les plus puissantes. De même que dans un paysage vu à vol d'oiseau, on n'aperçoit que les hauts sommets, tours, clochers, arbres géants, pics et montagnes, tout le reste se nivelant en une immense plaine unie, de même celui qui jette un coup d'œil d'ensemble sur la littérature des âges écoulés n'y voit que les ouvrages qui dépassent par l'inspiration, la science ou l'art, les productions contemporaines et semblent des édifices bâtis çà et là et épars dans le désert.

Or, si je ne me trompe, ce livre de Richepin contient bien la quintessence du pavé parisien de nos jours, en même temps qu'il donne exactement la mesure du talent de l'écrivain arrivé au point culminant de la première partie de sa carrière. Je ne dis pas qu'il ne fera pas autrement, qu'il ne s'élèvera pas plus haut, qu'il ne produira pas, qu'il n'a pas déjà produit des œuvres de plus vaste envergure et de vol plus puissant. Mais en tenant compte du sujet et de la manière voulue par l'auteur, on peut affirmer qu'il ne fera rien de mieux, parce que ce qui, dans un genre quelconque, est parfait, est définitif et ne se surpasse

pas.

Le Pavé de Jean Richepin est pour sa prose ce qu'est la Chanson des Gueux pour ses vers l'expression nette et complète d'un génie original à un moment donné de son évolution intellectuelle. Il lui marque sa place parmi les prosateurs, comme la Chanson des Gueux la lui marque parmi les poètes. Parmi les versificateurs serait sans doute plus juste, car il est de

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