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leur parvenaient de toutes parts, se décidèrent à réimprimer cet excellent livre, mais avec des additions très considérables. C'est M. Hiersemann qui fut chargé de ce labeur; et l'on comprendra toute la valeur de son travail, en songeant que la nouvelle édition qui nous est offerte ne contient pas moins de 3,000 articles.

Le but de cette compilation fort bien faite est de procurer aux hommes d'étude et aux libraires une liste facile à consulter des meilleures dictionnaires et grammaires, mais de ceux seulement, qu'on peut acquérir sans difficulté. C'est-à-dire que tous les ouvrages répertoriés dans ce catalogue sont modernes et se trouvent actuellement dans le commerce.

Le plan suivi par le rédacteur est fort simple. Tous les pays y sont rangés par ordre alphabétique; au-dessous de chaque nom de pays, les ouvrages, divisés en deux groupes, les Dictionnaires et les Grammaires, sont classés eux-mêmes suivant l'ordre alphabétique de leur titre. Enfin, pour faciliter encore les recherches, un index, placé en tête du volume, permet de trouver, en un instant, le pays ou la langue dont on veut s'occuper.

La lecture seule de cet index est saisissante et bien faite pour stupéfier les polyglottes les plus courageux: elle comprend 600 noms au moins et fait défiler sous les yeux tous les peuples de la terre, tous les âges, toutes les civilisations et aussi toutes les ruines de l'humanité. On y voit figurer tous les travaux publiés, depuis soixante ans au plus, sur les langues mortes ou perdues, sur les langues vivantes et sur leurs modifications de dialectes, de patois et même d'argot.

Dans ce livre aussi simple qu'étonnant, les populations de cent millions d'âmes se heurtent aux tribus de quelques centaines d'individus; les langues presque indéchiffrables de l'Inde ancienne, de la Chaldée ou de la vieille Égypte ý rencontrent les langues à peine formées des peuplades de l'Afrique centrale et des naturels de la Polynésie; les langues les plus pures et les plus scientifiques de l'Europe moderne y coudoient ces dialectes corrompus et ces argots excentriques qui peut-être, hélas! sont appelés à former le beau langage de demain. En un mot, ce catalogue, véritable image de Babel, moins le désordre et la confusion, est bien propre à rappeler à la fois aux hommes et le sentiment de leur grandeur et celui de leur néant.

Ce n'est point dans ce but, assurément, que MM. Trübner et Cie ont publié la nouvelle édition de leur catalogue, car à tout bien considérer, ils l'ont fait rédiger, moins pour servir à l'accroissement de la science bibliographique, que dans un but purement commercial.

Tous les ouvrages qu'ils indiquent sont, nous le répétons, tout modernes, les ouvrages anciens qu'on ne peut se procurer que difficilement ont été éliminés de ce travail. Une bibliographie linguistique complète renfermerait au moins quatre fois plus de matières que la compilation qui nous occupe. Telle qu'elle est, c'est encore un livre excellent, que tous

les travailleurs et même les bibliophiles seront désireux d'acquérir. Il y a là l'idée première et le plan d'un utile et beau travail, que quelque bibliographe français aura peut-être le courage d'entreprendre et d'exécuter dans un esprit plus général et avec une plus grande largeur de vue. Le catalogue de MM. Trübner et Cie est surtout un ouvrage pratique, fait pour des gens pratiques, tels que sont les Anglais qui, plus voyageurs et plus colonisateurs que nous ne le sommes en France, ne sont pas fàchés de préluder par la conquête des langues à des établissements ou à des avantages plus solides dans les pays lointains.

PHIL. MIN.

A Dictionary of the Anonymous and Pseudonymous Literature of Great-Britain. Including the works of foreigners written in, or translated into the English language. By the late SAMUEL HALKETT, Keeper of the Advocate's Library, Edinburgh; and the Late Rev. JOHN LAING, M. A., Librarian of the New College Library, Edinburgh. Volume first. - Edinburgh : William Paterson. 1882. (Turnbull and Spears, Printers, Edinburgh). Grand in-8, à deux colonnes (III p. 870 col.) Tirage sur beau papier vergé — reliure à l'anglaise.— Prix: 2 £.

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L'ouvrage que nous offrent MM. Paterson, Turnbull et Spears, d'Edimbourg, est un monument bibliographique de la plus grande valeur. Non moins que notre littérature, la littérature anglaise comprend une innombrable quantité d'écrits anonymes et pseudonymes. Jusqu'à ce jour, on n'avait, pour se guider au milieu de cette multitude d'imprimés abandonnés ou reniés par leurs auteurs, que les indications trop rares du manuel de Lowndes, ou les notes succinctes et souvent peu sûres parsemées dans les répertoires des bibliothèques particulières ou dans les catalogues officinaux des bibliopoles. Ainsi, alors que la France, l'Allemagne, l'Italie, la Russie, la Belgique et la Suède même possédaient déjà d'admirables travaux sur ce chapitre si important de l'histoire littéraire, l'Angleterre, dont la littérature est si riche cependant en productions anonymes et pseudonymes, attendait encore une bonne bibliographie de ces sortes d'ouvrages. Comme l'a fort justement remarqué Philarète Chasles, peu de pays ont vu publier autant d'écrits sans nom d'auteur, ou sous des noms déguisés, que l'Angleterre en a vu paraître, principalement de 1688 à 1800. Pendant cette période, des centaines d'écrivains ont spontanément renoncé à la célébrité que pouvait leur procurer leur plume et sacrifié leur amour-propre ou leur vanité à leurs intérêts ou à leurs passions politiques et religieuses. Quelques-uns n'ont même usé de ces supercheries que pour assurer à leurs écrits une publicité plus grande; d'autres ont voulu détruire des réputations établies qui leur por taient ombrage, ou vulgariser des opinions qu'ils croyaient utiles; d'autres encore n'ont eu pour but que de flatter l'orgueil national; mais le plus grand nombre ont songé seulement à faire leur fortune.

Parmi ces publicistes de genres si divers, on en trouvait, pour ne citer que les plus connus, d'honnêtes, comme de Foë; de violents et d'imprudents, comme Chatterton; d'insensés, comme Ireland; de grossiers et de calomniateurs, comme Landor; enfin, d'habiles comme l'Écossais Macpherson, qui réussit à mystifier toute une génération. La plus grande partie des innombrables brochures, pamphlets, libelles, plaquettes, publiés ainsi pendant plus d'un siècle sur toutes espèces de questions politiques, économiques, religieuses ou littéraires, sont anonymes ou pseudonymes, et, depuis longtemps, tous les journaux littéraires de l'Angleterre réclamaient, au nom des bibliophiles et des libraires, une bonne bibliographie qui permît de reconnaître à qui l'on devait les attribuer.

M. Samuel Halkett, le savant conservateur de la Bibliothèque des Avocats, à Édimbourg, entendit cet appel et, dès 1856, résolut d'entreprendre cette tâche immense. Il associa à son œuvre d'éminents bibliographes, notamment M. Henry B. Wheatley, qui avait entrepris avant lui ce même travail et qui lui abandonna généreusement des matériaux considérables, qu'il avait réunis au cours de plusieurs années de pénibles recherches. M. Halkett fut encore secondé par le révérend John Laing, bibliothécaire du New-College d'Édimbourg, qui travailla avec lui, pendant plus de vingt ans, jusqu'en 1871, époque à laquelle M. Halkett mourut.-M. John Laing continua seul leur commune entreprise; il venait d'y mettre la dernière main, quand il mourut à son tour, en 1880. C'est donc le travail de ces trois infatigables bibliographes que nous donnent MM. Paterson et Turnbull. Il est édité avec ce luxe confortable qui n'exclut pas l'élégance, et qui distingue en général les produits des grandes imprimeries anglaises. Les caractères sont nets et clairs, le papier est magnifique, la disposition typographique fort heureuse; il y a beaucoup d'air dans ces colonnes cependant très compactès; ce volume est agréable à lire et les recherches n'y sont point fatigantes. A ce point de vue, cet ouvrage est au moins aussi beau, sinon davantage, que les produits similaires de la presse française; il faut dire d'ailleurs que le prix en est beaucoup plus élevé. Cette supériorité est du reste purement matérielle, car les notices si bien faites qu'on trouve presque à chacun des articles de notre Barbier sont bien rares et bien clairsemées dans le « Dictionary » de Samuel Halkett et John Laing. — Ce qui ajoute aussi beaucoup de valeur à cet ouvrage, c'est que la plupart des articles qu'il contient y sont décrits de visu. Enfin, et c'est encore une chose excellente, toutes les fois qu'ils ont pu le faire, les auteurs ont indiqué la source à laquelle ils ont puisé leurs indications.

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Le Dictionnaire des Anonymes et Pseudonymes 'anglais, conçu sur le même plan que le nôtre, en est le complément nécessaire; il renferme de nombreux articles relatifs à des ouvrages français publiés en Angleterre, échappés aux recherches de Barbier. M. G. Brunet, qui prépare actuellement un supplé ment à nos Anonymes et Pseudonymes, y trouvera

sans doute de bons renseignements. On n'est jamais complet en bibliographie, nous l'avons dit bien souvent et nous devons le répéter encore ici, car nous avons sous les yeux diverses brochures anglaises du XVIIe siècle, que nous avons vainement cherchées dans le volume qui nous occupe. Espérons que les éditeurs publieront des Additions à la fin de l'ouvrage Quoi qu'il en soit, leur dictionnaire est un livre excellent et bien fait. Le premier volume contient les lettres A. à E. inclusivement. Nous désirons vivement voir bientôt paraître la suite de ce précieux travail.

PHIL. MIN.

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Depuis 1878, M. Gustave Brunet, dont le pseudonyme bibliographique n'est plus un mystère pour les bibliophiles, a pris soin de relever, au jour le jour, les prix les plus notables des grandes ventes de livres qui ont eu lieu dans les douze mois précédents. C'est à ce soin particulier que nous devons l'intéressante série des jolis petits volumes dont il nous offre aujourd'hui le quatrième.

Comme dans ses précédents recueils, M. G. Brunet n'a fait figurer dans celui-ci que des ouvrages ayant atteint au moins mille francs ou quarante livres sterling. Sa récolte a été abondante, car l'année 1882 présente, au point de vue de la bibliophilie, un éclat exceptionnel; elle a offert des ventes d'une importance sans exemple; les prix qu'ont atteints, à la chaleur des enchères, des ouvrages d'une rareté insigne ou d'une beauté parfaite ont dépassé grandement tout ce qu'on avait vu jusqu'ici. Il suffira de rappeler quelques-unes de ces belles ventes pour faire comprendre que M. Brunet n'a vraiment eu que l'embarras du choix en réunissant les articles qui composent son nouveau petit volume.

C'est d'abord la vente de M. G. P. (Guy Pelion), faite, du 6 au 11 février, par M. Durel, si riche en éditions originales de toutes les œuvres illustrées ou caractéristiques de notre littérature, et qui a produit 145,742 francs.

Vient ensuite, au mois de juin, la vente de la quatrième partie de l'admirable bibliothèque, de M. Ambroise-Firmin Didot, qui a donné le chiffre total de 253,146 francs.

Enfin, la bibliothèque de M. Beckford, de Londres, qui a produit, en douze jours, la somme respectable de 22,340 livres sterling, soit 539, 154 fr.

Indépendamment de ces ventes colossales, il convient de citer, au moins pour mémoire, celles de M. Pochet-Deroche, qui avait réuni une si remarquable collection révolutionnaire; de M. L..., si riche en éditions originales de l'école romantique; de M. Kaminski; de M. Gémard, de Grenoble ; de M. Paul de Saint-Victor; de lord H...; de M. Roche

billière, dont le catalogue, rédigé avec amour (on peut le dire) par M. Claudin, est un travail bibliographique de premier ordre, pour les éditions originales des classiques du XVIIe et du XVIIIe siècle; enfin, de la Bibliotheca Sunderlandiana, dont la mise aux enchères a fait époque dans les fastes de la bibliomanie.

Sans vouloir parler de ces manuscrits ou de ces livres exceptionnels, vendus couramment 10,000, 20,000, 30,000 francs et même davantage, bornonsnous à la citation suivante, qui prouvera une fois de plus quel intérêt les amateurs attachent aux éditions originales de nos grands auteurs.

Ainsi, un bibliophile désireux d'acquérir l'édition originale de notre Molière, aurait pu avoir, à la vente Rochebillière, la première édition complète, texte primitif, avant les cartons (Paris, 1682, 8 vol. in-12), pour la modeste somme de 15,000 francs. Si, ayant manqué cette excellente occasion, notre bibliophile avait voulu se rattraper en formant une collection d'éditions originales des pièces séparées du glorieux comique, il eût pu facilement le faire, à la vente Guy Pelion, aux prix suivants :

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Ce qui, avec les frais, ne lui serait guère revenu à meilleur marché.

En feuilletant les 108 pages du petit livre de M. Brunet, on ne peut s'empêcher d'être pris d'une sorte d'étourdissement; c'est que c'est bien autre chose de voir ces chiffres mirifiques dispersés dans vingt catalogues, et de les trouver là réunis et resserrés côte à côte ; encore Philomneste Junior n'a-t-il pas tout mis. Son livre, qu'il intitule d'ailleurs fort justement la Bibliomanie, présente à nos yeux un double intérêt d'abord, il met en lumière certains ouvrages ignorés et introuvables, perdus jusqu'à présent dans des catalogues plus ou moins volumineux, où il serait toujours assez pénible de les rechercher; puis, il prouve, chaque année avec plus d'évidence, que, parmi toutes les passions dont peut être possédé un galant homme, il en est peu, il n'en est pas peut-être, qui puisse inspirer plus de ferveur et de plus louables folies que l'adorable manie des livres.

PHIL. MIN.

Les Archives, la Bibliothèque et le Trésor de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem à Malte, par M. J. DELAVILLE DE Roux, ancien membre de l'École française de Rome (Ernest Thorin, éditeur).

Ce volume forme le 32° fascicule de la Bibliothèque des écoles françaises d'Athènes et de Rome. C'est dire qu'il s'adresse au public spécial de chercheurs et d'érudits, dont il facilitera les investigations. Il complète ou rectifie les indications fournies précédemment par Hopf, M. de Rozière et M. le comte de Mas Latrie. Insister sur l'importance des documents laissés en nombre prodigieux par l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem serait d'ailleurs superflu. Il suffit de rappeler que cet ordre, qui avait survécu aux Templiers, poursuivis par la haine jalouse de Philippe le Bel, aux Chevaliers teutoniques, conquérants de la Prusse pour le compte de l'Allemagne, dura plus que certaines monarchies nées avec lui ou postérieurement, et ne cessa d'exercer une puissance effective que le jour où le général Bonaparte comprenant, avant les Anglais, l'importance stratégique de Malte, arbora sur cet îlot, pour trop peu de temps, le pavillon de la République française. Nous nous bornons à signaler particulièrement, parmi les pièces de l'Appendice, les actes de cession de propriétés, en langue latine pour la plupart, en vieux français ensuite, la première de ces conventions qui forme un monument de la langue vulgaire datant du 27 octobre 1231. La publication renferme la liste des dignitaires et des frères de l'ordre; elle se termine par une table générale qui donne au recueil son maximum d'utilité. En dire plus serait oiseux on ne fait pas le catalogue d'un catalogue.

- G. S. L.

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Un almanach pareil à celui de Gotha, c'est-à-dire renfermant la généalogie des maisons souveraines et des grandes familles; l'annuaire des cercles existants; un compte rendu détaillé de toutes les fêtes du sport, voilà ce que contient, en substance, ce vade-mecum indispensable à tous les club-men du globe terrestre. Si des esprits chagrins trouvent qu'à l'égard de la généalogie des nobles maisons le Club-Almanach fait double emploi avec celui de Gotha, on peut leur répondre que la répétition était nécessaire : supposons qu'un club-man rencontre, dans le cercle d'une grande ville où il est de passage, un prince de maison souveraine. Croit-on qu'il se plaindra d'avoir sous la main tous les détails désirables sur la généalogie de ce prince?

La liste des membres des parlements et diètes n'a pas été oubliée. Ces corps constitués sont aussi des cercles dans leur genre, tumulte à part, bien en

tendu.

La dernière partie du volume est consacrée à la revue des différents événements sportiques de l'année : courses, chasses, tirs aux pigeons, yachting, etc. L'uti

lité d'une telle revue saute aux yeux: il n'est pas de sportman qui, avant de se rendre aux courses, n'aura la curiosité d'ouvrir son club-almanach et d'y chercher les gagnants de l'année précédente.

La physionomie du volume est celle d'un formidable cube. Malgré sa grosseur, il sera facile de le placer dans le coin d'une malle, à cause de la commodité du format in-16. Le papier est de belle qualité, agréable au toucher, et l'impression en a été confiée à M. Motteroz, dont l'eloge n'est plus à faire.

Enfin, six photogravures et deux cents dessins dans le texte achèvent de donner une véritable valeur à cet élégant almanach.

P. C.

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Malgré son titre inconvenant, cet ouvrage ne doit pas être absolument considéré comme un mauvais livre. Il dépeint et raconte, avec une crudité d'expressions qui n'est plus admise aujurd'hui, les faits et gestes du monde de la prostitution, il y a deux cents ans, tout comme de nos jours les Parent-Duchâtelet, les Jeannel et les Lecour l'ont fait pour notre époque. Il faut donc le regarder comme un document curieux pour l'histoire des mœurs... des mauvaises, s'entend.

Ce livre n'a été mentionné par aucun des bliographes; l'auteur en est inconnu; il a été publié pour la première fois, à Amsterdam, en 1681, chez Elie Joghemase de Rhin, aux Trois musiciens couronnés, format in-12. Il est devenu si rare aujourd'hui qu'un exemplaire figurant dans un catalogue de la librairie Rouquette (février 1882, no 1056), n'est pas coté moins de 600 francs.

Suivant l'éditeur de la réimpression qui nous occupe, « l'auteur anonyme devait être un chef de la police de Rotterdam, venu à Amsterdam pour y étudier les établissements de débauche et particulièrement les maisons de musique, qui venaient d'être introduites dans cette ville et qui en furent longtemps une des originalités. Sa mission lui permit d'aller partout, de tout voir, de tout entendre, tout en restant étranger à ce monde interlope. Rotterdamois, il persifle Amsterdam, se moque de la légèreté des Français, méprise le sot orgueil des Allemands alors maîtres du pays, et signale l'origine brabançonne de la plupart des prostituées ».

Le livre est assez facilement écrit; certains mots sont bizarrement orthographiés; on y trouve des détails fort intéressants sur les usages de l'époque; le tout est réellement très curieux à lire. Ce ne devait pas être le premier et seul ouvrage de l'auteur, si

l'on en croit le dizain suivant, imprimé sur un des feuillets liminaires du livre :

Cet auteur, sans estre larron,
Est plus fertile que Scarron;
Son style n'est pas imitable,
Son génie est incomparable;
Tout ce qu'il a fait imprimer
Le fera toujours estimer.
Jamais plume fut plus coulante,
Plus subtile, plus éloquente;

J'en laisse juge, en quatre mots,

Les sçavants, le commun, p....ns et matelots.

Hâtons-nous de dire que ces médiocres vers sont beaucoup trop indulgents pour le style de l'auteur. Le frontispice et les quatre gravures qui accompagnent le texte représentent diverses scènes de ces fameux Musicos, dont on peut dire que nous avons les équivalents aujourd'hui dans les six cents et quelques brasseries à femmes installées dans tous les quartiers de Paris. Le mode interlope que dépeint le fonctionnaire rotterdamois est surtout celui de la galanterie de bas étage. Les ruses employées par les donzelles pour se parer, pour se faire gratifier de cadeaux, pour allécher et gruger les amateurs novices et les débaucher, sont à peu près les mêmes que celles que l'on voit pratiquer par les demoiselles de notre temps. Leurs camarades d'il y a deux siècles auraient peu de choses à faire pour se mettre à leur niveau, et, point à noter, l'argot de ces drôlesses est en partie le même que celui d'à présent. En somme, il y a beaucoup à apprendre dans l'ouvrage que vient de rééditer M. J.-J. Gay; on y trouve matière à bien des rapprochements curieux et, après l'avoir lu, les admirateurs quand même du bon vieux temps seraient forcés de reconnaître que nos aïeux ne brillaient pas précisément par la moralité.

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« Quand ce livre en sera à sa dixième édition, j'ose espérer que depuis longtemps on aura fait une croix, sur ma tombe! » · C'est par ces mots, plus ironiques que plaisants, que le pauvre Delvau terminait, en 1867, la préface de la deuxième édition de son Dictionnaire de la Langue verte. Son vœu ne fut, on le sait, que trop vite rempli; il mourut dans le cours de cette même année, et, depuis dix-huit ans, voici la première fois que l'on remet au jour l'œuvre étrange et piquante qu'il avait entreprise avec tant de patience, d'humour et de sagacité.

Tous les curieux connaissent, au moins pour l'avoir tenu et feuilleté, le Dictionnaire de la Langue verte, mais bien peu, surtout parmi les collectionneurs nou. veaux, ont été à même de se le procurer; c'est un livre devenu rare, très rare même, et que l'on ne peut acquérir qu'à des prix relativement élevés, quand par hasard il en passe quelque exemplaire en vente. La réimpression que nous offrent aujourd'hui MM, Marpon et Flammarion est donc une bonne fortune pour un grand nombre d'amateurs, et l'on peut presque dire que, dans une certaine limite, elle était devenue nécessaire. On a déjà beaucoup écrit sur l'argot; de jour en jour ce bizarre langage voit diminuer le nombre de ses contempteurs et croître celui de ses apologistes; à coup sûr, tout le monde en fait plus ou moins usage, et il n'est pas bien certain que quelques-uns de ses audacieux vocables n'aient pas déjà retenti sous la coupole du palais Mazarin. La raison de cette prospérité est d'ailleurs toute simple: sous des formes diverses, l'argot, on doit le reconnaître, a existé dans tous les temps; mais c'est surtout dans les époques de relâchement général et de décadence littéraire qu'il s'est développé plus facilement; dès lors il est bien naturel de le voir maintenant prendre tant d'importance, foisonner dans la rue, envahir le journal, le livre, le théâtre, pénétrer lenteinent dans les meilleures compagnies et même se glisser dans le Dictionnaire, où déjà quelques-uns de ses mots ont usurpé, plutôt que conquis, un droit de cité. La langue verte, toutefois, et c'est un de ses caractères spéciaux, est essentiellement mobile et variable; telle expression, très en vogue aujourd'hui, sera demain tombée en désuétude, ou, ce qui n'est pas moins désavantageux, pourra avoir totalement changé de signification. Il se produit là quelque chose d'analogue à ce qui se passe pour la prononciation de l'anglais : cette prononciation, comme on peut le voir par les vieux traités, se modifie insensiblement, mais constamment; de telle sorte qu'un Anglais contemporain de Byron aurait quelque peine à suivre aujourd'hui la conversation de deux londoniens. Il en est tout à fait de même pour l'argot: certains termes qui, il y a trente ans, appartenaient au vocabulaire des voleurs, ou ne sont plus du tout usités parmi ces messieurs, ou sont passés dans le lexique des tavernes ou des boulevards; telles autres expressions, absolument insoupçonnées hier, sont acceptées aujourd'hui partout et s'étalent dans tous les genres d'écrits. Par suite, que de tortures pour les Saumaises du xxe siècle si, à défaut de l'Académie, l'argot n'avait, lui aussi, ses Furetières!

Delvau aura donc eu ce mérite, que le dévergondage de notre langue a rendu incontestable, d'avoir le premier dressé le véritable registre d'état civil des irréguliers du français. A part MM. Francisque Michel et Lorédan Larchey, tous ceux qui antérieurement ont traité du langage argotique n'ont vraiment donné que des essais rudimentaires et d'un médiocre intérêt. En réimprimant son ouvrage, qu'on pourrait appeler le code de l'argot moderne, les éditeurs ont fait une chose utile; ils ont fait mieux encore: tout en

respectant le texte primitif de Delvau, qu'ils ont scru leusement reproduit, ils ont songé à mettre son livre au courant des évolutions de la langue verte. C'est M. Gustave Fustier qu'ils ont sollicité de les aider dans ce but, et l'on doit reconnaître qu'ils ne pouvaient faire un meilleur choix. M. Fustier qui, entre autres sujets d'études, possède une érudition toute spéciale sur le langage argotique, a bien voulu choisir dans les matériaux considérables d'un travail qu'il prépare sur le bas langage et qu'il se propose d'intituler les Orphelins de la langue, la matière d'un intéressant supplément au Dictionnaire de Delvau. La tâche était peu commode et présentait au moins deux écueils à éviter les redites et la grossièreté. Dans les quatre-vingts pages qu'il a ajoutées au Dictionnaire de la Langue verte, M. Fustier a soigneusement écarté tout ce qui avait été dit déjà par Delvau ainsi que par MM. Boutmy et Lucien Rigaud, qui ont publié des travaux analogues sur l'argot des typographes et sur l'argot ancien et moderne; il ne s'est pas montré moins diligent pour retrancher tous les termes orduriers qui s'emploient, hélas! si couramment aujourd'hui, mais qui, heureusement, ne s'écrivent point...

encore.

Ses définitions sont très claires et ses exemples bien choisis; en outre, dans la plupart des cas, il a toujours minutieusement indiqué les sources auxquelles il avait puisé ses renseignements; enfin, et ce n'est pas le moindre intérêt que présente son supplément, toutes les expressions qu'il y a admises sont entièrement nouvelles et ne se trouvent dans aucun autre dictionnaire.

En résumé, le livre édité par MM. Marpon et Flammarion est un ouvrage utile et qui sera certainement très apprécié et recherché par les bibliophiles et les curieux. L'exécution matérielle en est bonne; peut-être le format eût-il pu être mieux choisi.

Quant au supplément donné par M. G. Fustier, nous l'avons lu avec le plus grand intérêt; cette lecture nous a inspiré le plus vif désir de voir bientôt paraître ses Orphelins de la langue, ou tout au moins, en attendant, un essai bibliographique sur ces ouvrages relatifs à l'argot, dont M. Fustier a, nous le savons, une si riche et si curieuse collection.

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