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sement, ils se ralentissent sous l'influence de toute cause, médicamenteuse ou autre, qui accroît la tension des artères capillaires. Cette grande loi est soumise à des exceptions; on les explique, plus ou moins bien, en disant que le cœur n'est pas un appareil mécanique exsangue, et qu'indépendamment des effets de la tension artérielle, son énergie doit s'accroître lorsque son tissu reçoit davantage de sang. Quoi qu'il en soit, établir d'après les expériences d'autrui que la loi de Marey est incomplète, ce n'est pas réfuter la théorie régnante, et encore moins fonder une théorie nouvelle. M. Turro s'est trompé; il lui reste du moins le mérite d'avoir montré que la discussion n'est pas close et que de nouvelles études sur la circulation sont nécessaires.

Dr L.

Des dyspepsies gastro-intestinales. Clinique physiologique par le professeur GERMAIN SÉE. Un vol. in-8° de 488 pages, 2o édition ; Paris, A. Delahaye et E. Lecrosnier, 1883. - Prix: 10 francs.

Un groupe de médecins de l'avant-dernier siècle avait voulu rattacher la médecine à la chimie. Leur tendance, bien qu'un peu étroite, était très bonne, mais ils n'arrivèrent à rien parce que la chimie ne faisait que naître. On les appella iatro-chimistes, expression toute naturelle, puisque iatro signifie medecin et que chimiste signifie chimiste. Ces médecins agacèrent tellement le gros de leurs confrères que l'épithète «< iatro-chimiste, » produit encore l'effet d'une injure, et cette année même on a vu, en pleine Académie de médecine, un professeur voué aux vieilles doctrines, la lancer à la tête d'un de ses collègues comme un pavé suprême. Étrange pouvoir des mots !

Eh bien voici les iatro-chimistes réhabilités. M. Germain Sée, le professeur en vogue, le médecin à la riche clientèle, est iatro-chimiste. Et il a bien raison. Citons-le textuellement :

« On a jusqu'ici manqué de précision en n'étudiant que la dyspepsie gastrique ; il n'y a pas qu'une seule digestion ; outre celle qui se passe dans l'estomac, il faut désormais admettre une digestion intestinale, pancréatique, biliaire; par conséquent, autant de dyspepsies.

divers produits. Il étudie également les gaz de l'intestin et les sécrétions intestinales, puis passe à l'examen des conditions morbides, telles que : goutte, gravelle, uricémie, diabète, herpétisme, alcoolisme, nicotisme, etc., qui engendrent telles ou telles dyspepsies. Enfin, le chapitre du traitement par les médicaments, et le régime est encore fondé essentiellement sur la chimie.

Ce traité, dont le plan est entièrement nouveau, est bien supérieur à tout ce qui a été écrit jusqu'à présent sur les dyspepsies. Dr L.

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La question du charbon est si compliquée et si difficile que les personnes qui ont lu, au jour le jour, tout ce qui a été écrit, pour ou contre, dans les journaux scientifiques, ne peuvent nullement se vanter d'être au courant, si elles ne l'ont réétudiée tout fraîchement dans quelque résumé bien fait. La présente publication de M. Chamberland répond à ce besoin. Elle fait d'abord l'historique du sujet, puis reproduit textuellement les communications originales de M. Pasteur aux Académies des sciences et de médecine, communications qui (soit dit en passant) sont des modèles de style. Enfin, dans la seconde partie de l'ouvrage, M. Chamberland nous fait connaître les résultats des expériences de vaccination charbonneuse faites en divers pays. Le résultat général de ces expériences, c'est que l'on pourra dorénavant, grâce aux découvertes de M. Pasteur, réduire à très peu de chose les pertes annuelles que les maladies charbonneuses infligent aux cultivateurs. C'est à ce point de vue que se place le gouvernement lorsqu'il demande une nouvelle récompense nationale pour M. Pasteur, mais ce ne saurait être celui du savant ni du philosophe. Un vigneron qui trouverait une manière de détruire le phylloxera mériterait, d'après cette manière de raisonner, une récompense bien plus forte, ce qui n'est pas. L'intérêt de cette grande question du charbon gît tout entier en ceci le charbon est la première affection virulente infectieuse dont la cause ait été connue, la première que l'on ait bien étudiée et la première dont on espère trouver le remède autrement que par hasard. Tout ce qui concerne le charbon intéresse, par analogie, les autres maladies virulentes ou contagieuses morve, rage, variole, cholera, etc., etc.

«... Toutes ces erreurs, ces obscurités, ces imperfections tiennent à une seule raison: on a oublié que les digestions ne sont avant tout que des opérations chimiques, et qu'il ne saurait, par conséquent, y avoir que des dyspepsies du même ordre (chimiques), quel que soit l'organe ou le suc digestif en défaut. Les autres propriétés des organes digestifs (la motricité, l'innervation et la faculté d'absorption) ne sont que des moyens auxiliaires de la digestion. »Tous les renseignements sur la manière dont le La conséquence de ces prémisses, c'est qu'un traité des dyspepsies doit être avant tout un traité de la chimie des digestions. Tel est le présent ouvrage. M. le professeur Sée y étudie successivement le suc gastrique, la pepsine, les peptones, les mucus, le suc pancréatique, la bile, etc., et les actions diverses que les maladies, les régimes ou l'inanition ont sur ces

charbon se propage ou se guérit sont de la plus haute importance, par analogie, pour l'hygiène publique humaine. Le charbon est dû à la présence dans le sang d'une certaine espèce de bactéridies, filaments ou baguettes que l'on ne peut apercevoir qu'au microscope; ces bactéridies vivent et pullulent dans le sang de divers animaux et dans certains

liquides de culture artificiels, pourvu que la température ne descende pas au-dessous de 10 degrés et ne s'élève pas au-dessus de 42. A des températures intermédiaires entre ces extrêmes, les bactéridies charbonneuses produisent, en outre, des spores ou germes dont la résistance à tous les agents de destruction est très grande; ces spores résistent à l'eau bouillante, à l'oxygène comprimé, à la congélation, tandis que les bactéridies périssent bien avant l'ébullition de l'eau. Les spores n'ont pas besoin d'air pour conserver la vie cachée en elles, tandis que les bactéridies ont besoin d'oxygène pour vivre. Cet oxygène, elles le prennent dans le sang de l'animal charbonneux, mais dès que la putréfaction existe, les bactéridies succombent rapidement et leurs spores seules subsistent; c'est pourquoi, dans les expériences sur le sang charbonneux, faut-il prendre du sang d'un animal vivant ou mort depuis peu d'heures, sous peine d'y trouver, au lieu de bactéridies charbonneuses, des microbes de la septicémie, vivant sans air, et dont l'inoculation donne des affections purulentes et non le charbon. Lorsqu'on enfouit le cadavre d'un animal charbonneux, les bactéridies périssent, mais non leurs spores; ces spores sont ramenées à la surface par les vers de terre qui sont, ainsi que Darwin l'a montré, les

grands agents de formation de la terre végétale. Ces spores se trouvant plus tard à l'état de poussière sur les fourrages, reproduisent le charbon chez les animaux nourris de ces fourrages, ou bien sont transportées à distance par l'air et par les eaux, ce. qui donne lieu à des cas de charbon dits spontanés. Pour le charbon comme pour beaucoup de maladies virulentes, il est reconnu que les individus qui résistent à une première attaque sont réfractaires ensuite à la maladie, soit pour toute la durée de leur vie, soit pour un certain temps. M. Pasteur s'est demandé si l'on ne pourrait pas, en faisant souffrir les bactéridies nourries dans des liquides de culture, en les rendant malades elles-mêmes, en déduire des virus qui, inoculés aux moutons ou aux bœufs, donneraient à ces animaux un charbon atténué qui les vaccinerait en quelque sorte contre le charbon intense et les rendrait incapables de le contracter. Il y est parvenu en maintenant durant un temps assez long les cultures de bactéridies à des températures relativement élevées. Cette partie des études de M. Pasteur est celle qui a obtenu le plus de retentissement à cause de son importance agronomique ; toutefois, c'est celle qui approche le moins de la perfection.

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BELLES-LETTRES

ROMANS

Noris, par M. JULES CLARETIE. Paris, Dentu, 1883. 1 vol. in-18 jésus. — Prix : 3 fr. 5o.

Les âmes sentimentales vont se sentir déchirées, les cœurs faciles vont saigner, et l'on va accuser Jules Claretie de cruauté et de noirceur, parce qu'il a impitoyablement sacrifié son héroïne, sa touchante et émouvante Noris, victime depuis la première jus. qu'à la dernière ligne, victime des autres, victime d'elle-même, toujours victime! - Pour nous, nous applaudirons hautement l'auteur d'avoir eu le courage de ne pas céder à la tentation du dénouement heureux, d'avoir voulu faire vrai avant tout, sans écouter le sentimentalisme faux, d'avoir enfin peint la vie comme elle est, avec ses nécessités féroces, ses écrasements de cœurs loyaux, ses aveuglements impla cables et ses douleurs énormes. - Non, l'écrivain n'a pas voulu nous montrer une Noris heureuse après tous ses deuils, deuil filial, deuil de vertu et deuil de cœur ; il a eu raison de ne pas faire de sa Noris l'épouse de son premier amant et de la venger ainsi terriblement, - de lui donner pour mari le marquis de

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Ferdys et de la relever par l'espoir, parce qu'en terminant ainsi son roman par une concession au public, il faisait dévier son œuvre, il manquait à la vérité et ne peignait plus la marche si impitoyable de la vie. Bravo! d'avoir affronté carrément ses lecteurs, de les avoir traités en gens capables de regarder en face les férocités de l'existence et non pas en femmelettes attendries à faux sur des malheurs et des joies simulées. Noris traînera sa plaie profonde jusqu'à la mort; Ferdys, heureux avec l'honnête fille qu'il a épousée, se consolera avec le temps qui apaise tout, se relèvera avec l'honneur qui ennoblit tout, et Chantenay continuera, avec la riche héritière prise par dépit, sa vie d'oisif inutile, restant un danger pour tous, une vraie plaie sociale. — Cela seul est logique, parfaitement déduit de l'exposition des faits, et le romancier aura eu le courage, pas trop commun, de son opinion, sans avoir cédé à aucune pression. Aussi cette nouvelle œuvre prendra-t-elle une bonne place à côté de ses aînées, Monsieur le Ministre, Le Million, etc., etc.

Ce qu'on peut dire aussi du dernier roman de Jules Claretie, c'est qu'il est original; il a créé une figure de courtisane d'une grande envergure et d'un relief

tout particulier, jetée à cette existence honteuse par la fatalité et par la lâcheté de l'homme. Quoi de plus attristant et de plus cruellement vrai que cet amour de jeune blasé de Chantenay pour cette humble et superbe fille du pauvre romancier Féraud; quoi de plus réel que l'abandon lâche après la promesse de mariage, après l'échange d'amour! Nous sommes émus aussi par ce personnage sincère du pauvre romancier, que l'auteur a dû connaître, et sur lequel plus d'un pourrait peut-être fixer un nom. Quelle ingénieuse figure de l'envahissement de la hâtive richesse moderne, la richesse de la banque et de l'agio, venant englober jusqu'à cet écrivain qui a toujours vécu au milieu de l'hallucinante illusion de ses écrits et qui finit par rédiger des prospectus de Sociétés comme il eût écrit quelques pages enflammées de ses romans. Tout cela est humain et poignant, tout cela vous pénètre jusqu'au cœur, car ces types sont vécus et nous entourent. Mais à côté de la noble figure du jeune officier de marine, cette physionomie qui donne comme le type de notre brave armée de mer, si désintéressée, si courageuse, si héroïque, le personnage de Noris se détache en vigueur avec une virilité qui fascine, attache et retient longtemps. C'est bien là une victime de notre civilisation et de notre législation incomplète, de même que le Prince bleu, le Chantenay trompeur, est bien la décevante et futile image de nos jeunes dégénérés, plus préoccupés de se transformer en comédiens de salons et en clowns de société qu'à chercher leur voie dans de nobles travaux.

G. T.

La Vie en oulottes, par THÉO-CRITT, dessins de Henriot. Paris, P. Ollendorff, 1883, 1 vol. in-18.

Ces scènes de la vie militaire sont lestement enlevées. La note gaie y domine, mais n'exclut pas la mélancolie et, parfois, la douleur. C'est un livre sans prétentions, mais bien humain, et qui est sain à lire. On peut ne pas partager l'enthousiasme de l'auteur pour la vie de caserne, de camp et de garnison. Je ne suis même pas bien sûr que les militaires, même dans la cavalerie, soient aussi choyés partout que ThéoCritt nous le raconte et se le figure. Je pourrais citer telle et telle ville où le régiment est à l'index. Je ne voudrais même pas dire que ces villes ont tort: elles font leur métier de ville de province collet-monté, hargneuses, ridicules et bêtes. Mais enfin, c'est ainsi. C'est pourquoi j'admire la vaillante bonne humeur du jeune officier, qui ne voit que le beau côté de la vie en culottes, sans vouloir un instant s'arrêter à considérer le revers de la médaille.

Les dessins qui illustrent ce livre sont gentiment et spirituellement troussés. Ils ornent vraiment le texte et le font valoir. Le tout forme un joli volume, amusant à lire et plaisant à regarder.

B.-H. G.

Pierre Patient, par LÉON CLADEL. Paris, Henry Oriol, 1883, I vol.

Le grand public ne connaissait pas cette œuvre de la jeunesse de Léon Cladel. Qui l'avait lue dans

l'Europe de Francfort, de Gregory Ganesco, en 1865, lorsque sa publication fit interdire au journal l'entrée de la France impériale? Qui l'avait lue naguère, lorsqu'une jeune et ardente petite feuille d'avantgarde, la Nouvelle rive gauche, la publia une seconde fois en feuilleton? Cette primeur n'avait été goûtée que de quelques privilégiés, et c'est aujourd'hui pour tout le monde un fruit nouveau. Fruit savoureux, non sans âpreté, mais plein d'un suc rafraîchissant et réconfortant.

Je me garderais d'analyser Pierre Patient. J'aurais trop peur de ne donner, comme il arriverait infailliblement, qu'une idée faible et trompeuse de l'impression que laisse la lecture de l'œuvre. Elle est digne de Bouscassié, des Va-nu-Pieds et d'Ompdrailles. Non pas qu'il y soit déjà, à un degré aussi parfait, le maître écrivain, l'éclatant coloriste, le puissant metteur en relief des choses observées qu'il est devenu depuis. Mais, à lire ces pages enfiévrées de jeunesse, de justice et de générosité, on devine tout ce qu'il deviendra.

Des critiques de profession, des abstracteurs de quintessence patentés et ayant pignon sur journal ou sur revue, ont déclaré, au bout de laborieux efforts, pour paraître spirituels, ingénieux, sagaces, profonds, convaincus et convaincants, que Léon Cladel était un merveilleux peintre de paysans et d'athlètes forains, mais n'était que cela. A d'autres! Cladel est, comme tous les vrais artistes et les vrais écrivains, un peintre de la vie humaine vue à la lumière de l'idéal. Il n'y a point de compartiments pour le génie, et les esprits de cette envergure ont pour cage l'univers, quitte à la briser d'un coup d'aîle et à s'envoler dans l'infini. Ce n'est pas un paysan, ce Pierre Patient, ce rejeton héroïque d'une double race de héros. Il a revêtu l'habit de l'ouvrier, il travaille le fer de ses fortes mains, et lorsqu'il aura résolu de reprendre le rôle d'Harmodius, il saura lui-même forger le glaive qui devra entrer « jusqu'à la garde, et comme dans une gaine, dans le cœur infâme de César! » Mais c'est aussi un lettré, un philosophe, un mystique, un poète. Singulière et grandiose conception, dont M. Cladel a certainement eu autour de lui des modèles inspirateurs, car quel est celui d'entre nous qui a été mêlé aux luttes politiques des dernières années de l'empire et qui n'en a pas coudoyė? — mais qu'il a su élever jusqu'à la taille d'un demi-dieu en lui donnant la force, l'éloquence, la rêverie inspirée et prophetique, l'amour chaste poussé jusqu'au délire, la bonté sereine, et ce tranquille et souverain sentiment de justice qui l'amènera, sans rien perdre de sa calme douceur, à se faire l'implacable justicier.

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Ce beau livre est illustré, par M. Fern. Besnier, de dessins qui ont du mérite et, dans l'effort visible pour atteindre le vrai, une réelle originalité, mais qui sont bien froids, pâles et ternes à côté des pages enflammées de l'étincelant et fougueux prosateur. Il est précédé d'une préface par M. Jean Bernard, un jeune avocat dont le nom commence à être connu au barreau comme celui d'un homme toujours prêt à défendre les opprimés et les petits, et qui a cette bonne

fortune d'être l'ami de M. Cladel. Ce jeune a le souffle et l'ardeur de son ancien. Il en a la fougue et l'audace dans l'hyperbole et dans l'image, et ne craint pas de a planter l'étoile poétique de l'idéal sur le chemin où passeront les soldats de la liberté ». Il la plante, c'est donc qu'il l'a décrochée ? Mais, plaisanterie et talent littéraire à part, et je ne veux pas dire que M. Jean Bernard n'en a pas, mais je dis que celui qu'il a n'est pas à comparer avec l'art merveilleux de Léon Cladel, l'auteur de la préface est digne, par sa foi dans la justice, son amour de la liberté et son enthousiasme à revendiquer l'une et l'autre, de nous introduire dans l'œuvre du maître qui l'honore et le soutient de son affection. B.-H. G.

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Les joyeusetés de la Régence, par P.-L. IMBERT, 4 édition. Paris, Ed. Rouveyre et G. Blond, 1883; I vol. in- 18.

Les costumiers trouveront à profiter dans ce livre. Je veux croire que les descriptions de toilettes sont authentiques, d'autant plus qu'elles sont bien dans le style du temps et qu'on n'y trouve pas, comme on dit, de fautes d'orthographe. En tout cas, elles abondent, et j'avoue que, tout en étant aussi couturier qu'un littérateur ou un artiste doit l'être de nos jours, je n'ai pas atteint le dernier costume sans quelques baillements.

C'est néanmoins, à mon sens, et peut-être à celui de l'auteur, quoiqu'il ne le fasse pas dire dans l'avisréclame que les éditeurs distribuent avec le volume, la partie importante de l'ouvrage. Le reste est une variation écrite en un style approprié au sujet sur un thème connu : la conspiration de Cellamare et les orgies du Régent. D'ailleurs, ces choses-là intéressent toujours, surtout le bourgeois, heureux de voir que les vices qu'il a rêvés ont été pratiqués par d'autres, plus grands que lui.

B.-H. G.

La petite Marquise, par PAUL SAUNIÈRE. Paris, E. Dentu, 1883, 1 vol. in-18.

L'histoire de deux enfants qui, pour des causes diverses, ne connaissent pas leurs parents, et qui les retrouvent à la fin, n'est certes pas une histoire nouvelle. Depuis Edipe, ces sortes d'imbroglios défrayent le théâtre et le roman. M. Paul Saunière s'est emparé de cette donnée qui, tant qu'il y aura une famille constituée dans la société, sera un sujet ouvert à l'imagination et au talent de composition des gens de lettres, et il l'a appliquée à la période si curieuse où la régence du duc d'Orléans faisait un trait d'union naturel entre la corruption hautaine, magnifique et triste des dernières années du règne de Louis XIV et la corruption échevelée, effrénée, violente, élégante et cynique du règne de Louis XV le Bien-aimé.

Il s'agit d'une jeune fille, la petite marquise, que des nobles de province sans enfants ont adoptée en l'achetant à sa mère, et d'un jeune garçon trouvé par un pêcheur du même pays. Les deux enfants sont élevés ensemble, et se prennent l'un pour l'autre d'un amour

aussi profond que naïf. Le garçon, conduit à Paris par les circonstances, y devient le secrétaire particulier du cardinal Dubois; et au moment où les vieux nobles veulent marier malgré elle leur fille adoptive à un riche courtisan, le secrétaire particulier de Dubois, l'enfant trouvé de leur village, découvre sa mère et rentre en possession de sa fortune et de son titre de duc que des oncles sans scrupule avaient usurpés en le faisant disparaître. Les deux jeunes gens se marient; les méchants sont punis et les bons récompensés. Rien n'est plus attendrissant.

Tout cela au milieu d'une complication d'intrigues, d'aventures, d'épisodes, d'enlèvements, de coups de poignard et d'épée. Il faut s'attendre à rencontrer dans cet enchevêtrement les incohérences, les contradictions et les impossibilités ordinaires au romanfeuilleton; mais, en dépit de tous ces eléments hétérogènes, le plat est cuisiné par quelqu'un qui connaît son affaire, et comme il est en outre copieux, les gros appétits ont de quoi s'y plaire et s'apaiser.

B.-H. G.

La vie humoristique, par COQUELIN cadet. 1 vol. in-18. Paris, Paul Ollendorff, 1883.- Prix : 3 fr. 5o.

M. Coquelin cadet n'est pas un nouveau venu dans la carrière littéraire. Il a écrit, sous le pseudonyme de Pirouette, un monologue, le Cheval; un livre-album, Fariboles, et un petit ouvrage sur le Monologue moderne. Le dernier volume du sociétaire de la Comédie-Française nous présente son auteur sous des traits inattendus: ceux d'un critique. Mais rassurez-vous, ô lecteur! Les lauriers de M. Sarcey n'ont jamais privé M. Coquelin d'une minute de sommeil. Les portraits, études, paysages et autres fantaisies dont se compose la Vie humoristique sont autant d'aimables badinages sans prétention. Ils amusent, ce qui est déjà quelque chose. M. Coquelin a la note gaie, ironique et parisienne qui convient à ce genre de littérature. En le lisant, on croit l'entendre parler... nous ne croyons pas lui faire là un mauvais compliment.

P. C.

La vie bête, par Max WALLER. Préface de Camille Lemonnier, vol. in-24. Bruxelles, A. Brancart, 1883. Prix : 4 francs.

Pour son début dans la carrière du roman, un jeune Bruxellois, M. Max Waller, vient de publier, en édition de bibliophile, un petit conte dont le mérite est de ne faire de mal à personne. Malheureusement, il n'y a pas d'autre éloge à en faire. C'est l'histoire d'une amourette très innocente, ajustée tant bien que mal à celle d'un monsieur très ennuyé de son oisiveté. Franchement, ces symphonies en blond majeur nous plongent dans une douce somnolence. Pour les écouter avec plaisir, nous les voulons écrites de main de maître. Tel n'est pas le cas de l'œuvre de M. Waller. Sa blonde héroïne est un affreux basbleu, et son amoureux oisif un jeune maladroit,

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Si nous en croyons la préface de ce livre, la courtisane est un refuge... Un refuge contre qui? Nous le donnons en mille à deviner: un refuge contre la jeune fille! Ceci, on l'a bien compris, est une délicate protestation contre le mariage.

Maintenant, veut-on savoir à qui la courtisane appartient: « Au prêtre, parce qu'il la connaît; au médecin, parce qu'il l'a vue; au professeur dont elle suit les cours à la mode, parce qu'il l'étonne. » Eh bien! Et le financier? Nous réclamons énergiquement en faveur de ce tout-puissant du jour.

Est-il bien nécessaire, après cet exposé des théories de l'auteur, de raconter comment Mlle de la PierreTaillade est devenue courtisane? De décrire les splendeurs et les misères de son existence? D'apitoyer le lecteur sur le sort de ce malheureux frère qui cherche vainement à ramener sa soeur dans le sentier du devoir? A quoi bon? C'est une histoire vieille comme le monde, et le style prétentieux, incorrect de M. Pierre de Lano est loin de la rajeunir.

P. C.

Angèle, par HENRY GREVILLE, 1- vol. in-18. Paris, E. Plon, 1883.

Il y a dans ce roman beaucoup d'idées élevées et de sentiments généreux. Le caractère de la jeune fille, qui sacrifie son amour au bonheur de son amie, est vraiment héroïque. D'autre part, nous nous demandons pourquoi l'auteur a fait de cette jeune Marianne un personnage aussi calme? Pourquoi cette absence d'angoisses, de combats intérieurs? Un cœur sincèrement épris ne renonce pas aussi facilement à son amour: « Il n'est pas fait pour moi, ce garçon jeune et brillant, dit Marianne à son amie Angèle. Moi, je ne suis qu'une paysanne; toi, tu es une demoiselle, et puis, il t'aime...! » Et, plus loin : « Je te le donne, entends-tu, ma fille Angèle? Et je suis heureuse, plus heureuse que je n'avais jamais pensé l'être... » Dans l'idée de l'auteur, Marianne ne ment pas; elle est même si véritablement heureuse qu'elle s'installe bientôt auprès des jeunes époux et partage leur existence. Est-ce naturel? Non; Marianne était une fausse amoureuse et celui qu'elle

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Pierre Beson, fils d'un ouvrier maçon, reçoit une éducation brillante et devient architecte. Une dame riche le charge de lui bâtir une maison. Le jeune homme s'éprend de la nièce de la propriétaire; ses vœux sont comblés: il épouse.

Au bout d'un an, désillusion: il s'aperçoit qu'il n'a jamais été aimé, et que sa femme n'a consenti à ce mariage que pour échapper à sa tante. Après cette funeste découverte, l'architecte s'embarque avec sa femme et sa fille pour le Maroc. Vous savez qu'il n'a pas de chance aussi le vaisseau fait naufrage. Mais n'ayez peur. On les sauve tous trois. Mais chacun croit les deux autres perdus.

:

La petite Jeanne est recueillie par son grand-père, et sa mère Angèle Beson par un bâtiment anglais, qui la dépose à Portsmouth. Elle devrait se rendre au consulat français et se faire rapatrier. Elle juge plus naturel d'errer toute la nuit par la ville inconnue. Harassée, elle s'endort sur le port; et là des matelots anglais peu délicats s'apprêtent à lui donner un réveil de marins, quand survient le duc Harris Harrison. Et voyez ce pauvre duc pleure depuis longtemps une fiancée perdue. Et Angèle Beson est le fidèle portrait de cette adorée. Alors vous comprenez: le duc lui demande de jouer le rôle d'Eurydice retrouvée, mais pour la forme; il ne la veut ni comme femme ni comme maîtresse, mais comme compagne. Elle se croit veuve, elle accepte; dame, l'excellent Harisson possède six millions de rentes!

Là-dessus apparition du mari, qui a été fou, s'est échappé; la police le recherche. Il supplie sa femme de venir avec lui. Elle, maligne, le fait pincer par les agents et réintégrer dans un cabanon; brave petite femme! Mais le duc n'est pas du tout content qu'elle ait renié son époux. Il l'expulse, en lestant son bagage de six millions: rien que cela! Elle en profite pour se faire épouser à quoi bon? - par un gredin nommé Rosemonde qui mange sa fortune.

Et puis après?... Tenons-nous-en là. C'est déjà beaucoup d'avoir poussé l'analyse jusqu'à ce point. Ce roman indigeste, mixture composée selon la formule Montépin, Rocambole, Vieux-Jeu et Cie, ne peut satisfaire l'esprit et ne dit rien au cœur; quelques scènes par-ci par-là prennent une allure dramatique, mais se gåtent aussitôt par le fatras et l'emphase, et surtout par l'invraisemblance outrée. P.Z.

Une Haine de femme, par LOUIS COLLAS, Paris, E. Dentu, éditeur; in-18. - Prix: 3 francs.

On regrette que ce roman soit tellement inégal qu'on ne puisse dire : « Il est bon. » Mais dans ses parties bonnes il dépasse la mesure moyenne. Plu

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