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Entre eux, ils sont parqués par villages; en somme,
Les gens des bourgs voisins sont déjà l'étranger,
L'intrus qu'on doit haïr, l'ennemi fatal, l'homme
Qu'il faut tromper, qu'il faut leurrer, qu'il faut gruger.
La patrie? Allons donc, qui d'entre eux croit en elle!
Elle leur prend des gars pour les armer soldats,
Elle ne leur est point la terre maternelle,
La terre fécondée au travail de leurs bras.

La patrie! on l'ignore au fond de la campagne.
Ce qu'ils voient vaguement dans un coin de cerveau,
C'est le roi, l'homme en or, fait comme Charlemagne,
Assis dans le velours frangé de son manteau;
C'est tout un apparat de glaives, de couronnes,
Écussonnant les murs des palais lambrissés,
Que gardent des soldats avec sabre à dragonnes.
Ils ne savent que ça du pouvoir.
C'est assez.
Au reste, leur esprit, balourd en toute chose,
Marcherait en sabots à travers droit, devoir,
Justice et liberté. l'instinct les ankylose;
Un almanach crasseux, voilà tout leur savoir;
Et s'ils ont entendu rugir, au loin, les villes,
Ces révolutions les ont tant effrayés,

Que, dans la lutte humaine, ils restent les serviles, De peur, s'ils se cabraient, d'être un jour les broyés.

Ils sont tels? Oui, pour qui les voit tels; ils sont autres pour le poète qui sait deviner, sous leur rude

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Et la muse, « la bonne fée », veut emmener le poète bien loin des cités populeuses. Le poète refuse; il aime les applaudissements, il demeurera à la ville, il tendra « à la gloire ».

Le petit poème dans lequel il nous fait cette déclaration est d'un travail tout intéressant.

Ce qu'il entend par la gloire, nous ne le devinons pas. Nous craignons qu'il n'ait d'autres désirs que celui de la popularité, que celui « d'arriver », comme on dit, et un tel désir n'est pas d'un esprit distingué; mais nos craintes sont peut-être mal fondées.

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Du vieux neuf; la plupart de ces soi-disant poésies remontent à dix ou quinze ans. Refrains, c'est un euphémisme; disons, sans crainte et sans colère, rengaines; à peine deux ou trois jolies choses, mais seulement d'un joli de facture; l'art dénué de substance, et de la lecture du volume il ne se dégage pas une idée ni un sentiment qui vous retienne. L'auteur nous promet que ce sont ses derniers vers. Soyons donc indulgents. Il n'est plus utile désormais de reprocher à M. Diguet l'oubli des plus simples règles de prosodie, l'entassement des épithètes qui, à elles seules, emplissent un vers, non plus que des tournures vieillottes, démodées, voire incorrectes, d'une incorrection sans grâce et qui n'a pas même l'excuse de l'inspiration.

P. Z.

Le Pays des chênes, poésies par GASTON GARRISSON, I vol. in-12. Paris, Alphonse Lemerre, 1882. Prix 3 francs.

On a vingt ans, on aime le soleil qui rayonne, les fleurs qui s'épanouissent, les sentiers où l'on marche à deux, lentement; alors volontiers on dit en vers ce qui brille, ce qui resplendit, et les premières amours. C'est la poésie du diable. On n'est pas vraiment un poète pour être jeune.

M. Garrisson a eu tort de publier ses vers de la

vingtième année. Point d'inspiration, parce que, sans doute, point de sentiments profondément sentis, de joie ou de douleur; seulement des mots et des adjec tifs la plaine brune, les lentes chansons, les noirs horizons, les molles lueurs, les danses légères, le pas mesuré, les roses bruyères, le genét doré, toutes ces expressions en trois strophes seulement, trois quatrains. Quel versificateur n'a pas demandé à la belle toujours adorée : Te souvient-il de ces beaux soirs ?... Et quel, regardant les étoiles, n'a pas souhaité qu'un de leurs rayons d'or descendit sur le front de la bien-aimée? Pourtant, dans le recueil, une ou deux celle pièces qui ne sont pas tout à fait banales; qui porte pour titre la Douleur des plantes plaira assurément. Pourtant encore, à toute page, des vers chantants et qui font une mélodie tout agréable.

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L'annonce de ce livre nous faisait espérer des poésies vigoureuses et simples; M. Parodi a conquis la notoriété par deux drames, dont l'un, Ulm le parricide, renfermait quelques scènes bien suivies, et l'autre, abondant en situations pathétiques, tint pendant plusieurs mois l'affiche de la ComédieFrançaise. A dire vrai, ce n'est point par la beauté soutenue des vers, mais par l'élément scénique que plaisait Rome vaincue. Quand M. Parodi publia Sephora, poème mystique, le même défaut d'élégance et de clarté amoindrit le plaisir que pouvaient causer des conceptions certainement élevées. Dès lors il parut qu'avec une intelligence portée à la poésie, le jeune écrivain ne possédait pas tous les dons du poète, particulièrement la vision nette, et qu'il n'avait pas encore acquis les qualités de facture, le secret prosodique, dont aujourd'hui moins que jamais nous ne pouvons dispenser ceux qui s'essayent aux vers français. Les moindres rimeurs y sont devenus trop habiles.

Eh bien! malgré toute la sympathie que nous ressentons pour l'auteur, il nous est interdit de dissimuler la déception profonde que nous laisse son nouveau livre. Le grand tort, avant tout, c'est d'avoir voulu bâtir une œuvre antithétique, alors que cette antithèse n'était pas dans la nature intime du poète : ses passions semblent factices; c'est pour montrer, dit-il, jusqu'à quels excès peut mener le naturalisme que M. Parodi écrivit la première partie de ces poésies CRIS DE LA CHAIR! O illusion ! Vous n'avez rien montré, monsieur, sinon que, pour écrire la priapée, il faut que Priape s'en mêle, et votre muse, idéale de sa nature, ne s'échauffe pas à votre commandeinent; il n'est rien de plus gauche ni de plus glacialement ennuyeux qu'une honnête femme lymphatique faisant effort pour chanter d'un air canaille un couplet grivois. Non, vos cris de la chair n'ont pas l'accent, et c'est en vain que vous prodiguez les mots crus: malgré vous, tout à côté reparaît une expression, un mot qui révèle votre sang froid, votre goût platonique et

BIBL. MOD. - V.

vos habitudes sentimentales. Un homme bien calme et bien sage qui va vous dire tout à l'heure les Voix de l'âme ne peut pas rendre les cris de la chair. Il a l'air de composer en vers sur un thème. Allez donc comparer à cela des vers de la façon de Gautier :

Ce qu'il me faut à moi, c'est la brutale orgie. Voilà ce que nous appelons les cris de la chair; on peut se scandaliser, et parbleu! M. Parodi, malgré son affectation de but honnête et moralisateur, n'a pas prétendu nous édifier comme par un sermon. Il a cherché des tableaux croustillants, il a essayé de les peindre; il a voulu évidemment les faire amusants, charmants. Il est vrai qu'il n'a pas réussi; mais s'il a voulu ne pas les réussir par égard pour notre sainteté, son antithèse ne signifie plus rien. Il n'a pas représenté la poésie sensuelle qu'il nomme naturaliste.

Le plus triste, c'est que les Voix de l'âme ne sont pas plus suaves que les Cris de la chair ne sont enflammés. Une foule de petits riens, de ces huitains, dizains et autres menues rimailles, dont on noircit les albums des femmes atteintes de la rage.de collectionner les impromptus. Et puis, par-ci, par-là, un éclair, une idée heureuse, un vers bien venu, une expression rajeunie ou imprévue, quelque chose enfin qui décèle le poète. Il semble que dans le cerveau de M. Parodi soit emprisonné un fragment d'une âme de poète. Quand il est touché il vibre, mais il ne produit pas une harmonie complète; comme il ne vit qu'à moitié, il ne résonne qu'à demi; et comme il est enfermé trop étroitement, ses vibrations sont arrêtées court et deviennent intermittentes. De là des vers durs, raboteux, cahotant, retombant lourdement l'un sur l'autre..

Que dire d'un conte intitulé Medi-Carab? qu'il est étrange, et qu'il est long! Un prince d'Orient et sa sultane sont pleins d'affection pour un poète difforme nommé Carab. La sultane, dans un moment de compassion, serre dans ses bras nus le malheureux en larmes. Elle accouche d'un avorton qui ressemble à l'infirme. Le sultan, excité par une femme jalouse, fait périr Carab. Et quand on étend le cadavre nu, il voit avec stupéfaction:

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le meilleur de son œuvre en portefeuille; il a eu tort: son recueil paraîtra vide. Pas un morceau qui n'ait des mérites la forme est heureuse, le vers est chantant; mais pas un morceau qu'on n'oublie aussitôt après l'avoir lu: c'est que le sentiment traduit, l'image évoquée sont, en somme, assez banals. Pas un, disonsnous, qu'on ne doive oublier; nous disons trop; outre cette poésie que nous connaissions, la Chanson des Seins, il en est encore deux ou trois qui se peuvent relire volontiers. Du nombre est celle-ci :

Le soir.

(D'après J.-J. Henner).

Ombrages verts, forêt humide de rosée,
Silence lourd des fleurs succombant au sommeil,
Dans votre charme exquis et fort s'est reposée
Une vierge lassée aux baisers du soleil.

Nue, avec l'abandon des poses indolentes,
Sur la mousse cherchant un reste de fraîcheur,
Elle écoute passer, monotones et lentes,

Les chansons de la brise et les voix de son cœur.

A ses pieds, l'étang bleu s'emplit de crépuscule; Les fleurs, à ses côtés, ont des vapeurs d'encens; La nuit calme et le jour terrassé qui recule S'unissent un moment pour apaiser ses sens.

Le rossignol sait-il, lui qui chante pour elle
Sous le bois, à travers le vent timide et doux;
Quelle est cette déesse assoupie et qui mêle

Au ciel profond du soir l'or de ses cheveux roux?

On ne saurait mieux faire connaître un poète qu'en le citant; donnons sa Chanson des Seins :

Nous sommes les seins blancs et fermes
Aux éblouissants épidermes;

Nous contenons en nous les germes
Des épuisantes voluptés;

Nous sommes les seins nus des femmes;
Nous possédons toutes les flammes;
Nous donnons aux désirs des âmes
La splendeur des réalités.

Nous sommes ceux que rien n'apaise.
Vive Dieu! nous tressaillons d'aise
Lorsqu'un front pâli sur nous pèse
Et qu'il nous prend pour oreiller.
Près de nous, les nuits passent brèves;

Nous n'avons ni haltes ni trêves
Et nous sommes des nids de rêves
Pour ceux qui veulent oublier.

La Grèce, depuis Praxitèle,

A l'art divin toujours fidèle,

A, sur notre forme immortelle,
Modelé ses coupes d'or fin,
En sorte qu'après les caresses
Délicieuses des maîtresses,
Nous versons encor les ivresses
Presque aussi troublantes du vin.

Puis, en nous montent des voix sourdes,
Un beau jour, et, vivantes gourdes,
Nous sommes les mamelles lourdes,

Nourrices de l'humanité.

L'amour, alors, nous sanctifie,

Pour que l'enfance inassouvie

A cette fontaine de vie

Boive la force et la santé!

La chanson est d'un beau mouvement; la dernière strophe est vraiment belle. C'est grand dommage que cette poésie soit comme égarée dans le volume au milieu de nombreuses pièces à peu près inutiles. F. G.

Les mépris, par ABEL HERMANT. Paris, Paul Ollendorff, 1883, 1 vol. in-18.

Le titre est audacieux, mais il est aussi désespérant. Un Juvénal, un Hugo pourraient peut-être en tenir les promesses, et il ne faut pas aller loin dans ce nouveau volume de vers pour voir qu'on n'a affaire ni à un Juvénal ni à un Hugo. Du reste, ici comme en tant d'autres cas, l'étiquette couvre la marchandise, mais il s'en faut qu'elle la décrive exactement. C'est le recueil de vers d'un jeune homme, où il y a de tout, même du souffle et du talent. Quant au mépris, on ne le trouve qu'après avoir traversé des élévations, des chansons à la lune et aux étoiles, des dithyrambes en l'honneur des belles misses:

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C'est une horrible mascarade

Où, devant un miroir moqueur,

Chaque masque, d'un air maussade,

Ridiculise sa laideur.

Jongleurs de mots, jongleurs d'idées....
Au public nous faisons des mines
Et nous jouons des tours nouveaux :
Le dégoût creuse nos poitrines,

Et le vide est dans nos cerveaux!

Son idéal dans l'art est en harmonie avec l'inspiration à laquelle il cède, et il nous l'expose avec une égale franchise :

J'aime les vers tressés en légers filigranes,

Les vers polis et bleus comme l'acier des faulx,
Criards et chatoyants comme les bijoux faux...

Je n'en appellerai point du jugement du poète sur lui-même. Il me semble se bien connaître et s'apprécier comme il convient. Il a le sentiment vif de la forme, l'ardeur de la jeunesse et une habileté de facture moins ordinaire, après tout, qu'il n'est de mode de le proclamer. Ce sont choses qui autorisent la sévérité de la critique et qui me permettent de demander ce que peut bien vouloir dire

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élogieuses; mais on les a murmurées déjà au moment qu'on a lu le titre du livre, et nous ne faisons que répéter un jugement depuis longtemps porté, un jugement auquel depuis longtemps aussi on a souscrit.— Donc cela fera plaisir; le plaisir n'ira pas, pourtant, sans quelque fatigue: l'auteur n'y prend pas garde, il a trop d'esprit; il fait des rapprochements d'idées qui sont ingénieux; il joue heureusement avec les mots; oui, mais de rien il ne faut abuser et M. Valbert abuse des tours de phrase qui font sourire, des comparaisons qui arrêtent l'attention. C'est une preuve d'es prit, et la meilleure, que d'être spirituel avec mesure. Disons bien vite, toutefois, car nous ne sommes pas indulgent, que les pointes de l'auteur à l'adresse des naïfs et candides Allemands, à l'adresse du docteur Busch, de Frédéric, le roi philosophe, de Ferdinand Lasalle, de Louis Schneider, que toutes ses pointes nous ont réjoui, enchanté.

L'auteur a le jugement très sûr; il est un penseur judicieux; la Force et la faiblesse des gouvernements démocratiques, Robinson Crusoé et la littérature électorale sont deux études que nous devrions, nous, républicains, lire et relire souvent.

Une belle étude encore que nous signalons est celle qu'il a consacrée à Amélie de Lassaulx. Pour l'écrire, l'homme d'esprit s'est fait homme de cœur.

Hommes et choses du temps présent est livre à avoir et à garder.

F. G.

Les Essais de lord Macaulay. Étude critique, par PAUL OURSEL, attaché au ministère des affaires étrangères. Un vol. in-8°. Paris, Hachette; 1882.

Quoique Anglais, Macaulay appartient au génie latin. Il n'a point les à-coup de Carlyle, esprit germanique, ses terribles soubresauts qui désarçonnent le lecteur; il n'en a point les fumées ni les ténèbres; il n'en a pas non plus les jets de flamme soudains ni les magnifiques éclairs. S'il reste Anglais dans l'imprévu du trait familier et dans la tendance constante à tout ramener à la question de morale, c'est bien au génie latin, longuement cultivé, qu'il doit l'art de composer, où il est maître, la clarté du style, le cuite de la période soutenue, son éloquence, qui est plutôt, à vrai dire, celle de l'orateur que celle de l'écrivain. Par le discours continu et de long souffle, par l'unité de sa logique, par sa rhétorique abondante, l'auteur de l'Histoire d'Angleterre et des Essais est un classique. Il est classique chez ses compatriotes, qui firent à son Histoire un succès sans précédent : il s'en vendit plus à son apparition qu'il n'avait été vendu des poésies de Byron ou des romans de Walter Scott. Il le devient en France, où son nom a réussi à percer la croûte épaisse de notre coupable indifférence en matière de littérature étrangère. Philarète Chasles, le premier, et après lui Eugène Forcade, Amédée Pichot, M. Léo Joubert, M. Taine surtout, par son Histoire de la littérature anglaise, ont concouru à fixer notre attentive curiosité sur les œuvres de ce beau et grand esprit. A leur suite, M. Paul Oursel vient appeler l'attention du public lettré, non sur l'ensemble

des ouvrages de Macaulay, mais sur une partie de ces ouvrages, spécialement sur les Essais, pour lesquels M. P. Oursel avoue sa préférence, d'ailleurs très justifiée. Les Essais sont moins connus en France que l'Histoire d'Angleterre, et peut-être méritent-ils mieux de l'être. La lecture en est plus facile, parce que les sujets sont plus variés; l'auteur s'y montre moins solennel, « y prend successivement tous les tons; il s'élève, quand le sujet l'y porte, jusqu'à la plus haute éloquence; mais il écrit le plus souvent comme parlerait un causeur de bonne compagnie ». En outre, Macaulay débuta dans la Revue d'Édimbourg, en 1825, précisément sous la forme de l'essai, et n'y renonça jamais, puisque sa belle étude sur William Pitt parut dans l'Encyclopédie britannique, en 1859, l'année même de sa mort. La réunion des Essais permet donc de suivre le talent de l'écrivain et le mouvement de sa pensée dans tout son développement. M. P. Oursel a divisé son sujet en trois grandes séries: les essais littéraires, les essais philosophiques et politiques et les essais historiques. Il reprend chaque étude une à une, en expose le sujet, montre quel parti l'essayist en a tiré, analyse les procédés du critique et, à son tour, juge le juge. Sans doute, ces jugements sont animés d'une sympathie déclarée pour Macaulay; mais ce sentiment n'exclut en aucune façon la clairvoyance, la finesse, la pénétration, l'équité, toutes ces belles et bonnes qualités du vrai critique que M. Paul Oursel possède au plus haut degré. L'on n'est guère tenté de lui reprocher qu'une chose, c'est d'avoir interdit l'entrée de son livre excellent, et avec une rigueur trop absolue, à ce démon' qui, si longtemps, si souvent, tenta Macaulay luimême, le « démon de la citation », Devil of quotation, qui, dans un ouvrage de ce genre, en serait pas si mauvais diable qu'il en a l'air.

E. C.

Essai sur les rapports de l'Église chrétienne avec l'État romain pendant les trois premiers siècles, par HENRY DOULCET. In-8° raisin. Paris, Plon, éditeur; 1883.

Le sort de ce livre a été agité. Présenté comme thèse de doctorat à la Faculté des lettres de Paris, il fut agréé, puis ajourné. Fort des éloges du jury, qui, à défaut du grade universitaire, lui accorda toutes ses félicitations platoniques, M. Doulcet imprima et publia cet ouvrage très savant. Il a puisé aux sources les plus autorisées et s'est livré à des recherches exégétiques, pour lesquelles une patience et une attention également infatigables sont nécessaires. Un appendice épigraphique permet de se reporter aux éléments que l'auteur a mis en œuvre, et justifie de sa science hagiographique.

L'ouvrage se divise en quatre périodes. La première retrace l'histoire des rapports de l'État romain avec le judaïsme et le christianisme naissant. Les Juifs et les Romains unissent leurs efforts contre la foi nouvelle. Saint Paul est la première victime marquante. La lutte est violente; on y trouve de véri tables émeutes, des haines déchaînées, où la foi re

ligieuse se complique d'opinions politiques. Les troubles et les schismes qui déchirent Jérusalem sont pour les chrétiens le signal de la retraite : ils quittent la ville. Et l'Église de saint Jacques, ou plutôt de saint Siméon, son successeur, émigre, dès 68, à Pella, au delà du Jourdain.

La deuxième période commence en 96, à l'assassinat de Domitien. L'avènement de Nerva laisse aux chrétiens un peu de répit. L'Église se fortifie, ou plutôt les Églises se propagent et se multiplient. Mais voici que le rescrit de Trajan pose trois règles dangereuses pour les adeptes du Christ, bien que la première paraisse une protection : 1° il est interdit aux magistrats de prendre l'initiative des poursuites; 2o le simple fait de professer le christianisme est punissable; 3° les apostats doivent être absous.

M. Doulcet, dans son zèle ardent, poursuit le réquisitoire jusqu'à assimiler Marc-Aurèle à Philippe II. Et dans le fond de son cœur il approuve plutôt les autodafés de l'inquisition espagnole que les martyres de Lyon. C'est d'ailleurs l'histoire des martyrs qui occupe surtout M. Doulcet. Il ne tend pas à réfuter la thèse de Dodwell sur le petit nombre des martyrs, mais à montrer comment ily eut des martyrs; et il termine sa seconde partie par la traduction d'un document établissant les proscriptions de Marc-Aurèle dans l'Afrique et le supplice de Speratus, Attinus, Donata, Secunda et Vestia succédant à celui d'un autre groupe, dans le même mois de juillet 179.

Il suit de cette critique que les plus farouches persécuteurs furent ceux qu'on nomma les bons empereurs Trajan et Marc-Aurèle.

De 180 à 235 s'étend la troisième période, pendant laquelle la situation officielle reste la même, avec cette différence que des relations officieuses sont créées entre l'Église et l'État pour le bon plaisir de celui-ci autant que par la bonne volonté de celle-là. D'où résulte que plus tard, si l'on veut revenir aux mesures de rigueur, ce sera non plus par ordre géné ral, mais par désignations individuelles.

Enfin, quand périt Alexandre Sévère, protecteur des chrétiens, commence une période nouvelle : le christianisme existe sinon comme culte reconnu, du moins comme société civile.

Avec des alternatives de crainte et de repos, l'Église progresse; elle pénètre dans le palais des empereurs, à ce point que Valérius est entouré de chrétiens quand il meurt sur le trône en 255. Tout à coup, il est vrai, il se retourne contre eux, et le martyrologe s'enrichit de noms respectables. Et ce n'est qu'en 323 que Constantin, définitivement vainqueur, assure aux chrétiens la sécurité et le libre culte de leur religion.

La conclusion de M. Doulcet a été écrite à Rome, et visiblement il a trempé sa plume dans l'encre du Vatican. Elle éclaire tout d'un coup la suite de ces deux cents pages : l'idée de l'auteur émerge en pleine lumière. Nous sommes, à cette date, en face d'une si tuation semblable à celle des premiers chrétiens. La papauté dans Rome, réduite de plus en plus à une autorité morale, comme aux jours de la persécution, maintient la défense du gouvernement du monde et

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