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durant la tempête, révèle à Claudie le secret de sa cadette, d'où une haine furieuse contre la pauvre petite. Martial périt, victime de son dévouement, et Marguerite avoue qu'elle est enceinte; la fureur de Claudie s'exaspère à l'idée de voir compromis l'honneur de leur nom. Elle séquestre sa sœur, lui enlève son fils dès la naissance du petit être et le fait passer pour mort. Marguerite devient folle et ne recouvre la raison que, plus tard, en retrouvant ce fils devenu grand. Claudie repentante entre dans un couvent.

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Afin de mettre en scène une grande quantité d'enfants de la balle, l'auteur a conduit de front une demi-douzaine d'intrigues. Mais le sujet principal, autour duquel les autres gravitent, est l'histoire d'une jeune artiste, Thérèse Delcamp, que le fils du marquis de Floriolle a épousée par amour et malgré la volonté paternelle. Thérèse a perdu son mari et veut à tout prix être accueillie chez son beau-père. Elle se présente en qualité d'institutrice et, sous un nom d'emprunt, donne des leçons à la fille du marquis. Comme celui-ci n'avait jamais vu sa bru, il la

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La ferme du Choquard est, sans contredit, une des œuvres les plus remarquables de M. Cherbuliez. On y retrouve toutes les qualités qui placent l'auteur du Comte Kostia et de Paule Méré au rang de nos meilleurs écrivains, notamment la vérité des caractères et la perfection du style. De plus, M. Cherbuliez a évité cette grande recherche du bizarre et de l'excentrique qui lui a parfois valu de justes reproches. Son nouveau roman contentera les plus difficiles et donnera peu de prise à la critique. D'un sujet très simple est sortie une étude profondément vraie et dont l'intérêt se soutient, sans interruption, depuis la première page jusqu'à la dernière.

Robert Paluel, honnête et brave garçon, habite, avec sa mère, la ferme du Choquard, située en Brie, non loin de la jolie rivière d'Yères. Il vit là, heureux et tranquille, jusqu'au jour où il épouse Aleth Guépie. Cette rousse, d'une ensorcelante beauté, est la fille de deux aubergistes peu recommandables, et son caractère, comme son nom, est comparable à un venimeux insecte la guêpe. Qui s'y frotte s'y pique! Par d'habiles manoeuvres, la coquette a séduit ce grand enfant de Robert Paluel, qui l'a épousée malgré l'opposition de Mme Paluel mère, plus clairvoyante que lui. Après le mariage, changement de tableau! Aleth ne se contraint plus à affecter pour Robert un amour dont elle est tout à fait incapable. Un seul amour la possède : l'amour de soi. Une seule passion la domine: l'ambition, et l'ambition va la conduire au crime. Elle devient la maîtresse d'un gentilhomme des environs, le marquis Raoul de Montaillé. Mais elle ne s'arrête pas en si beau chemin: elle veut être marquise pour de bon. Qui l'en empêche? Son mari. Quelques gouttes de poison vont l'en débarrasser! Par bonheur, Robert ne boit pas la potion où le poison a été versé, et un accident providentiel finit par le délivrer de sa dangereuse compagne Aleth tombe dans la rivière et se noie. Le fermier du Choquard et sa femme sont les principaux acteurs du drame. Nous voudrions pouvoir retracer les caractères de plusieurs personnages secondaires dont nous avons à peine cité les noms : le marquis de Montaillé, Mme Paluel mère, les époux Guépie. Nous voudrions surtout parler de Mariette Sorris, la jeune servante, amoureuse de Robert Paluel. Cette gracieuse figure est esquissée de main de maître. Mais un résumé succinct ne peut entrer dans

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Poignée de fantaisies formant un bouquet assez agréable. Aucun de ces quarante contes, c'est évident, ne passera à la postérité. Leur ensemble même ne conduira pas l'auteur à l'Académie française. Mais ils sont lestement enlevés, et M. Alexandre Pothey a un tour d'esprit original. La première de ces histoires, la Muette, donne son nom au volume. C'est une plaisanterie qu'on peut classer dans la famille des scies, une espèce de mystification : « La Muette, comme vous le savez, est une réunion de gens sans foi ni loi, sans feu ni lieu, qui rêvent le renversement de l'ordre social établi, par les moyens les plus violents...

« La police le sait, mais elle ne peut rien faire! «En effet, dans la Muette, on ne se rassemble jamais, on ne parle pas, on n'écrit point!... »

Chaque énumération des méfaits de la Muette est suivie du refrain: « La police le sait, mais elle ne peut rien faire! »>

Ce conte fantaisiste indique parfaitement la ma nière de l'auteur et l'esprit de son livre.

P. C.

Criquette, par LUDOVIC HALÉVY. 1 vol. in-18. Paris,

Calmann Lévy, 1883. — Prix : 3 fr. 5o.

Voulez-vous éprouver une sensation agréable? Lisez quelques pages de Zola ou consorts; ouvrez ensuite un roman de Ludovic Halévy: l'Abbé Constantin, Un mariage d'amour,Criquette. Ce sera comme une bouffée d'air frais vous arrivant en plein visage, au sortir d'une atmosphère étouffante. Voilà pourquoi chaque publication nouvelle de M. Halévy porte un rude coup à l'école soi-disant naturaliste. Certes, il y aura toujours des auteurs qui chercheront à remplacer le talent par le scandale la boue a d'éternelles tentations. Mais beaucoup plus sont préoccupés d'écrire avec art, et soucieux de leur dignité personnelle. Entraînés par l'exemple de l'auteur de Criquette, ceux-là trouveront, comme lui, des lecteurs, sans avoir eu besoin de spéculer sur la curiosité malsaine du public.

L'Abbé Constantin est parvenu à sa cinquante et unième édition. C'est un grand et légitime succès. Pourtant nous sommes tenté de croire qu'il sera dépassé par celui de Criquette, à cause du tour de force accompli par l'auteur.

On va voir s'il était facile de naviguer, sans accident, parmi les écueils d'un pareil sujet.

Criquette, de son vrai nom Céline Brinquart, est une pauvre petite orpheline recueillie par Mlle Rosita, actrice de la Porte-Saint-Martin. Criquette aime, de toute l'amitié dont un cœur de dix ans est capable, un garçon de son âge nommé Pascal : quand

Rosita lui propose un rôle dans la féerie où elle joue, la gentille enfant accepte, mais à une condition, c'est que Pascal jouera aussi. Sur ces entrefaites, Rosita part en voyage avec un prince russe. Elle n'emmène ni Criquette, ni sa femme de chambre, Mlle Aurélie, qui se retire après fortune faite. Aurélie consent à se charger de Criquette, dont elle compte se servir pour s'introduire plus aisément dans les salons de Beauvais, car c'est à Beauvais qu'elle veut terminer ses jours. Voilà donc Criquette en pension dans cette ville, et sous la tutelle de l'ancienne femme de chambre. Sortie de pension à dix-sept ans, elle aime toujours Pascal et, le jour où Aurélie veut la contraindre à en épouser un autre, elle se sauve à Paris auprès de son ami d'enfance. Malheureusement, elle est trop jeune pour se marier sans le consentement de sa tutrice, consentement qu'elle ne cherche même pas à obtenir. Qu'importe! Elle s'en passera. Plus tard, elle fera régulariser sa situation. Les deux amoureux partent pour le Mans, où ils se sont fait engager par M. Lamuche, directeur du théâtre. La beauté de Criquette lui vaut les hommages de M. de Sérignan, jeune seigneur qui habite un château des environs. Mais elle reste fidèle à Pascal. L'ingrat ne la paye guère de retour, car, à Bordeaux, où ils se rendent en quittant le Mans, Pascal devient amoureux d'une élégante actrice et trahit la foi jurée à sa compagne. Celle-ci retourne, seule, au Mans, demander l'hospi talité à ses braves amis Lamuche. Là, elle revoit M. de Sérignan, toujours empressé, toujours galant, et ne lui cède pas plus que la première fois. La gueire de 1870 éclate. M. de Sérignan est blessé. Criquette va le chercher jusque sous les balles prussiennes et le ramène, en charrette, dans son château. Mais, atteinte d'une fluxion de poitrine pendant ce trajet, elle meurt victime de son dévouement.

Voilà une fin qui arrachera bien des larmes aux lectrices de Criquette; un style naturel et simple, une grande finesse d'observation, une émotion sincère, forment, d'ailleurs, les maîtresses qualités de ce joli roman.

X.

Un Homme heureux, par FRANÇOIS VILARS. I vol. in-18. Hetzel, Paris, 1883. — Prix: 3 francs.

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C'est par antiphrase que Philippe Terral est traité d'homme heureux. Bien que tout aille au gré de ses souhaits, qu'il obtienne traîtreusement une situation sur laquelle comptait un de ses amis besoigneux, Pierre Chantelay, pour établir sa sœur et soutenir sa mère infirme, quoique ce même Terral pousse l'infamie jusqu'à devenir l'amant de la femme d'un de ses protecteurs, qu'il se voie assuré d'entrer en possession de l'héritage d'un vieillard opulent et atrabilaire, dont les conseils ne pèchent pas par une bienveillance altruiste, encore que, brochant sur le tout, un riche mariage lui procure les relations, la popularité qui, son talent aidant, en font un député, un ministre, sa fin n'en est pas moins misé rable. Cet homme, à qui rien ne semblait impossible, est réduit à avoir recours au suicide. Que de

mal il s'est donné, que de vilenies il a commises pour en arriver là! Est-ce que le cœur serait un meilleur conseiller que le cerveau? Le concurrent évince s'est résigné à rester dans une humble sphère, où l'étude de la nature le console de ses premières déceptions; il associe à sa destinée une jeune fille, jolie et sage, mais pauvre, et voilà que celle-ci est métamorphosée en héritière. Cette chance inattendue ne change ni les goûts ni les aspirations de Pierre Chantelay. En réalité, l'homme heureux, c'est lui.

M. Vilars a-t-il eu dessein d'écrire une œuvre à la fois morale et intéressante, propre à être mise entre toutes les mains? Il eût dû en bannir, dans ce cas, une scène de séduction, assez invraisemblable d'ailleurs. Compte-t-il ne pas s'adresser exclusivement aux demoiselles et aux adolescents? Son récit, dès lors, tourne trop fréquemment à la berquinade. Si louable que soit son but, il risque de ne pas l'atteindre, par suite même de la préoccupation qui le domine prouver (ce qui est peu nouveau) que le bonheur n'est pas où on le cherche.

G. S. L.

Le Fort de la Halle, par ODYSSE BAROT. 2 vol. in-18. Jules Rouff et Cie, éditeurs. - Prix :7 francs.

Voulez-vous des situations empoignantes, des émotions à vous rompre la poitrine, des scènes à vous donner le cauchemar et des tableaux d'une licence croustillante, où l'on montre une fille de comte authentique séduisant un vigoureux valet de ferme, pendant que M. le comte ressuscite le droit de cuissage sur les jeunes paysannes? Vous trouverez tout cela dans le long roman de M. Barot. Vous y verrez bien d'autres choses encore une femme qui vole son mari et laisse condamner le caissier innocent; c'est la même, il est vrai, qui, avant d'être Mme Cernet, fut la demoiselle sensuellement éprise du Ruy Blas campagnard. Elle s'appelait alors Reinette de Fontainebouillant! Que diable, avec ce nom, il fallait bien... Et puis ce caissier a une mère qui n'est pas sa mère, et l'amant de Mme Cernet, qui l'a poussée au vol pour en toucher le produit, est un baron qui n'est pas du tout le baron de Grandehousse, mais le vicomte de Saint-Aubin des Bois. Et lui-même est dans la dépendance d'un certain Firmin Mortier, qui n'est pas plus Mortier que l'autre n'est Grandehousse, mais en réalité Hector Lambinot. Ajoutez que ce pauvre Cernet a, d'un premier mariage, une fille, Andrée, qui s'échappe du couvent où elle était élevée, qu'elle finit par connaître tous les forfaits de sa marâtre! Attendez, il y a encore une certaine chanteuse légère qui doit s'appeler Magali, à moins qu'elle ne ne soit pas Magali, mais autre chose.

Prenez tous ces ingrédients, saupoudrez de sel et de poivre, mêlez et agitez, servez par tranches au bas d'un journal vous avez un roman-feuilleton dont chaque chapitre, ou tranche, vous happe fortement l'esprit. Jugez quand on a lu les deux volumes! Mais il n'y a pas à s'y refuser, M. Barot possède la qualité du genre le tour de main qui ne laisse pas fléchir l'intérêt à travers les invraisemblances.

P. Z.

L'Oreille du cocher, par EUGÈNE CHavette. In-18. Paris. Dentu. Prix : 3 francs.

Quand on aura une fois de plus imprimé : « M. Chavette a bien de l'esprit », sa gloire en sera-t-elle plus assurée? Ce sera seulement lui servir un de ces petits paquets tout faits qu'il raille avec justesse dans une des courses au Bois de Boulogne, pendant lesquelles son cocher lui conte ces anecdotes. Un cocher qui raconte ce qu'il a entendu de la bouche des clients qu'il mène, ce n'est pas une mise en scène bien

neuve.

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Ces fantaisies ont certainement quelque chose d'amusant, l'auteur a le chic pour attraper le côté comique de la vie courante. Sur le fond assez trivial des incidents, son imagination fertile brode des détails risibles. Le paradoxe éclate dans une repartie, et rien n'est plus près de la vérité qu'un paradoxe. Pour cette fusée brillante, on pardonne à l'artificier bon nombre de soleils manqués, où la poudre n'a pas brûlé, d'où il se dégage plus de fumée que de lumière. Et puis, comme dans les feux d'artifice, c'est toujours un peu la même chose.

Une idée drôle, c'est la réflexion de la préface. Pour éviter les réclamations des homonymes de ses personnages, M. Chavette déclare qu'il les a tous appelės de noms de guillotinés.

Ah! si avec cet esprit prime-sautier, abondant en gaieté, prompt à l'observation, M. Chavette s'était de bonne heure donné la peine de reviser les gambades de sa plume et de faire la barbe à son style! Que voulez-vous? il ne s'est pas défié de la facilité, une qualité traîtresse.

P. Z.

L'Œillet bleu, par GEORGES PRADEL. Paris, Ed. Rouveyre et H. Blond, 1883, in-18. - Prix : 5 francs.

L'œillet bleu n'existe pas, comme chacun sait. Dame Nature, qui a peint cette jolie fleur des couleurs les plus diverses, lui a refusé celles du firmament. Voilà pourquoi les oncles du jeune Raoul, deux botanistes rivaux, s'acharnent à vouloir obtenir artificiellement l'œillet bleu.

L'un de ces oncles, M. de Guerlic, est le père d'une jeune fille charmante. Raoul est amoureux de sa cousine Hélène, cela va sans dire. Mais il est pauvre, et, à moins que la Providence ne lui vienne en aide!... Elle lui vient en aide, heureusement, sous les traits de l'autre oncle, M. Bertaud. Celui-ci passe un jour devant le jardin de Guerlic: un pot de fleurs, lancé par-dessus le mur, tombe à ses pieds. Il le ramasse. Merveille! Par la fissure de la terre entr'ouverte pointe une petite corolle bleue. C'est lui, c'est l'œil let bleu! Dans son enthousiasme, M. Bertaud conte l'aventure à Raoul : dérober la plante, la porter le soir même chez M. de Guerlic, c'est l'affaire d'un instant pour notre amoureux, qui espère gagner ainsi le père d'Hélène. Il escalade donc nuitamment le mur du parc, la précieuse fleur à la main. M. de Guerlic le prend pour un voleur, le roule d'un coup de fusil... et Raoul épouse sa cousine.

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Ce petit conte, parfaitement honnête, est lestement et spirituellement troussé.

Mais voici le revers de la médaille. L'illet bleu est suivi d'une autre nouvelle, le Gant de Suède, qui nous plaît infiniment moins. Un vieux garçon, M. Berteil, trouve un gant dans son tiroir aux souvenirs. A cette vue, de cuisants remords s'éveillent en son âme. Il a aimé autrefois la propriétaire de ce délicat objet. Il l'aurait même épousée... si elle n'avait été pauvre. Généreusement, il se met à sa recherche et, après mille peines, finit par la découvrir. Mais ses offres de mariage sont maintenant repoussées avec dédain : « Si j'avais su! » s'écrie-t-il. En effet, savoir tout est là, et si M. Pradel avait su, il aurait probablement supprimé une bonne partie de ces pages, qui traînent en longueur.

P. C.

Culottes rouges, par ALPHONSE DE LAUNAY. In-18. Paul Ollendorff, éditeur. Paris. - Prix : 3 fr. 50.

Ma foi, ces culottes rouges sont souvent des sansculottes; mais s'ils causent des révolutions, c'est seulement dans les cœurs sensibles. Vous percevez déjà la note de ces histoires : M. de Launay m'a l'air d'un capitaine de cavalerie en retraite, narrant pour son propre plaisir, plus peut-être que pour le nôtre, des aventures de garnison. C'est dire que fréquemment il écrit à coups de sabre, et même à coups de plat de sabre son style en garde la marque. Et pourtant, l'anecdote est menée avec entrain; les incidents, assez vulgaires en somme, ne sont pas dépourvus de gaieté.

Signalons aussi, en contraste avec le reste, deux courtes nouvelles d'un accent dramatique, le Casque du Prussien et les Voisins de frontières.

Accompagné de vignettes comiques, le texte peut désennuyer une heure ou deux en voyage, quand il pleut.

P. Z.

Les Deux Cousins, drame intime, par HENRI GRIGNET. Deuxième édition. Paris, 1883. 1 vol. in-18, Auguste Ghio, éditeur. - Prix : 3 francs.

La gravure un peu criarde qui s'étale sur la couverture et que reproduit le titre a pour objet d'appeler, par avance, l'attention du lecteur sur trois des principales scènes de ce « drame intime » : un viol, la mort de l'héroïne et une tentative de suicide accomplie par un mari auprès du cadavre de sa femme. (D'aucuns crieront à l'invraisemblance!)

La seconde scène n'étant guère compréhensible si l'on s'en rapporte au croquis, il faut recourir au texte : Le soleil avait disparu. A l'horizon, les teintes de pourpre qu'il avait laissées derrière lui s'évanouissaient en clartés opalines. Une brise fraîche et embaumée courait à travers les buissons; les oiseaux s'étaient tus, mais les arbres inclinaient mollement leurs branches comme s'ils se chuchotaient des cho ses mystérieuses. Tout à coup, comme aux lueurs fuyantes du crépuscule, Paul regardait Jeanne, il la vit toute påle, les traits convulsés, les yeux fixes,

comme frappée d'une terreur subite, regarder dans la direction de la rivière. Cela dura moins qu'une seconde; la jeune femme n'eut que le temps de dire « Lui, encore lui!», et de ramener, d'un mouvement brusque, son cheval du côté de son mari. « Qu'as-tu, Jeanne?» dit celui-ci, et, tout effrayé, d'un bras il l'attira vers lui, l'arrachant de la selle. Mais elle inclina la tête sans mot dire: son corps inerte ne se soutint plus, elle expirait. Quand Paul, après l'avoir mise sur son cheval, l'eut ramenée au château en la serrant contre lui, elle était déjà toute froide. »

Après cette citation, qui peut donner une idée de l'auteur, et à défaut d'une analyse complète, nous reproduirons un passage d'une dédicace « à Hortense B***», tenant lieu de préface et exposant moins ce qu'est le livre que ce qu'il n'est pas.

« Pour plaire à certains lecteurs, dit M. Henri Grignet, il eût fallu à l'observation des caractères, considérée comme vieux jeux, substituer l'étude des tempéraments, n'attribuer aux effets moraux que des causes physiologiques, procéder à des auscultations, sonder des plaies, examiner des déjections, tirer toutes sortes de linges maculés du magasin des accessoires du naturalisme contemporain. - Pareille besogne était peu de mon goût... Je me suis borné à l'exposition, aussi peu descriptive que possible, d'un drame intime que traverse une idylle, interrompue à l'épilogue par l'hôte immanquable qu'on n'attend jamais. Ce roman sans prétention est-il moins vrai, dans un sens général, que les écrits qui, à grand fracas, font montre d'allures documentaires ? Pour n'avoir pas le ragoût écourant de Pot-Bouille et des ouvrages similaires, ne mérite-t-il pas d'avoir droit de cité dans la république des lettres? Au public, aux critiques de décider ».

Ce n'est assurément pas nous qui opposerons à cette requête une fin de non-recevoir, d'autant plus que M. Grignet n'en est pas à faire ses preuves, et qu'il a publié, il y a deux ans, un ouvrage de critique proprement dite, très serré, rempli d'aperçus nouveaux, sous le titre de Comptes rendus des conférences de l'Association scientifique de France à la Sorbonne, recueil dont le Livre a entretenu ses lec

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La Glu, par JEAN RICHEPIN, drame en cinq actes et six tableaux, représenté pour la première fois sur le théâtre de l'Ambigu le samedi 27 janvier 1883. Édition conforme au manuscrit original, avec une préface. Paris, Maurice Dreyfous, 1883, 1 vol. in-8°.

Tout le monde connaissait le roman, et tout le monde a voulu connaître la pièce. Elle a été un régal pour les gourmets et un attrait pour les curieux. La critique l'a louée, discutée, malmenée, suivant les tempéraments, les opinions, les intérêts ou les affec tions de ceux qui la font parler. Elle reste une œuvre forte et de haute valeur dramatique. On ne

s'attend pas que j'en fasse ici l'analyse; toutes les revues théâtrales l'ont faite naguère, et je n'ai aujourd'hui qu'à en signaler la publication en un beau volume chez Maurice Dreyfous. Il m'est cependant permis de dire que, par la simplicité et la netteté de son action, par le dédain pour ce qu'on est convenu d'appeler le métier, par la sincérité des passions rudes, violentes et d'une pièce chez les primitifs, hésitantes, vicieuses et cyniques chez les civilisés, par le naturel d'un dialogue débarrassé d'ornements factices et où l'énergie résulte de l'expression nue de la pensée dans le langage de la conversation, ce drame ouvre, pour ainsi dire, une porte de l'art. Je ne parle pas des caractères si variés et si humains : ils sont les mêmes que dans le roman. Mais je tiens à bien établir, dans les quelques lignes que j'ai déjà à ma disposition, que la pièce de Jean Richepin n'a rien de commun avec les machines à succès dont certains fabricants savent si bien tailler et coudre les morceaux. Elle est aussi éloignée des tirades et des boursouflures romantiques que des procédés et des formules suivant lesquels le naturalisme à la mode met la brutalité dans l'afféterie et la miévrerie dans l'ignoble. C'est le jet d'un talent vigoureux, maître de soi et ne devant rien aux autres que le fonds commun sur lequel nous travaillons tous. Je n'en dis cependant pas tout le bien que j'en pense. J'attends l'auteur au jour prochain où il coulera son idée d'un bloc dans le moule du drame, sans la faire d'abord passer par le roman.

J. R.

La préface dont M. Jean Richepin a fait précéder sa pièce est tout simplement merveilleuse. Un conte des Mille et une nuits dans la langue de Rabelais,'— voilà pour la forme. Quant au fond, la satire joyeuse et grasse n'en est pas moins cinglante. Les houspillés ne s'en vanteront point, mais il leur en cuit. Ainsi fut traité jadis, nous raconte le vieux La Fontaine, certain renard qui prétendait que ses frères devaient se couper la queue, parce que lui n'en avait pas.

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pour M. Verhaeren; M. Verhaeren est résolument naturaliste. Ses doctrines positiviste, moniste, évolu tionniste, ont fait une mentalité nouvelle; le genre humain tel qu'on le veut concevoir, tel que la science le montrerait, comprend deux sous-genres: des hommes qui ne sont encore que des animaux sous une autre forme, et puis, avec les « artistes » qui savent voir et rendre, des êtres à culture « artistique » pour applaudir aux «artistes ». Nous protestons. Tout fatalistes qu'étaient les Eschyle et les Sophocle, ils avaient de l'homme une plus haute idée. Quand il y a abaissement du sentiment moral, il y a décadence de l'art. L'art devient artifices.

Nous disons: artifices; les anciens procédés ne suffisant pas aux naturalistes. M. Verhaeren nous donne des poésies? Non, des tableaux; et le mot est une touche, et le vers est un contour. Chaque paysage, chaque « étude sur nature» est un chef-d'œuvre, s'il ne faut considérer que le rendu; nous ne le contestons pas, mais on ne transporte pas impunément les procédés de la peinture dans la littérature; ce qui est jeté sur la toile se voit d'ensemble; le langage est nécessairement une analyse; et ce n'est pas sans éprouver une véritable fatigue qu'il est possible de se représenter les cours de ferme, les cuisines avec leurs cuivres, les tables chargées de mets que veut nous montrer l'auteur, trop fidèle imitateur de MM. Lemonnier et Léon Cladel.

Ces remarques faites, donnons un morceau ou deux de ce recueil.

Celui-ci d'abord :

L'Étable.

Et pleine d'un bétail magnifique, l'étable,
A main gauche, près des fumiers étagés haut,
Volets fermés, dormait d'un pesant sommeil chaud,
Sous les rayons serrés d'un soleil irritable.

Dans la moite chaleur de la ferme au repos,
Dans la vapeur montant des fumantes litières,
Les bœufs dressaient le roc de leurs croupes altières
Et les vaches beuglaient très doux, les yeux mi-clos.

Midi sonnant, les gars leur portaient, par brassées,
Des trèfles fauchés hier, des herbes frais rasées,
Que les bêtes broyaient d'un bref mâchonnement;

Tandis que les doigts gourds et durcis des servantes
Etiraient longuement les mamelles pendantes
Et grappillaient les pis tendris, canaillement.

Pas un mot de trop et pas un dont on pourrait regretter l'absence; voilà pour l'éloge. Maintenant, le reproche rien pour communiquer un sentiment, tout pour faire éprouver des sensations, sensations de la vue, de l'odorat. Comme on ne saurait les éprouver que successivement, on est obligé de les rapprocher, d'en composer la synthèse. Tandis que les sensations sont distinctes, les sentiments, eux, se continuent l'un par l'autre; les sentiments lient et rattachent; et un seul évoqué eût encore donné comme de l'unité dans le tableau, en même temps

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