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qui doivent les amener dans le roman. A la scène, toutes ces longueurs s'effacent, laissant libre place aux faits; de là, l'entier triomphe de cet écrivain, chez lequel dominent la science des effets et la hâte du mouvement, combinés avec le trompe-l'oeil de l'optique.

Tel est le cas de Georges Ohnet, qui, à notre avis, trouvera toujours des succès plus éclatants sur la scène que dans le livre, quelles que soient ses victoires sous cette forme spéciale, où il contraint sa pensée à se mouler et pour ainsi dire à se calmer. Par moments, on devine cette gêne, on sent le poids qui entrave le développement] superbe des ailes, dont le battement lutte énergiquement contre certaines lenteurs de la description; mais, au moment de l'action, rien de cela n'existe plus les faits sont là, visibles, séduisants, portant dans tous les cœurs la conviction et la persuasion.

Dans la comtesse Sarah, quelques scènes, portées au théâtre, auront un effet infiniment plus puissant et plus de vie vraie que dans le roman, où elles s'atténuent malgré elles. Parmi les personnages, un d'eux fera merveille, quoique incident, quand on le verra aller et venir, complet, bourru, bougon et bienfaisant; c'est le colonel Merlot. Il s'engloutit dans les feuillets du livre; vous le verrez sur la scène! Cette figure, épisodique jusque-là, prendra une étrange envergure, roulant à travers la comédie et le drame, pondérant les excès, soulignant les effets avec un bonheur assuré. Un type pareil ferait à lui seul le succès d'un livre, à plus forte raison d'une pièce.

Il serait cependant injuste de sacrifier à ce curieux bonhomme les véritables héros du roman, que l'auteur a soigneusement étudiés, pénétrant leur psychologie particulière avec une grande exactitude et un faire intéressant, en cela qu'il se dégage absolument des procédés réalistes et précis de l'école moderne. En effet, Georges Ohnet relève plus directement d'Octave Feuillet que de Balzac et de Gustave Flaubert; nous estimons que cela tient surtout à la prédominance de son talent dramatique, en absolue opposition avec le système d'observation serrée, d'analyse profonde qui fait de nos maîtres romanciers Alphonse Daudet et Émile Zola de véritables historiens de la vie contemporaine.

Dans ce livre on assiste à un intéressant développement de passion, agissant par bonds, par foucades et conduisant l'héroine Sarah, la bohémienne irlandaise, du mariage avec un vieillard riche et titré à l'oubli d'un amour coupable, par le suicide en un lac mystérieux.

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Le jour où M. Alain Bauquenne aura, selon le très juste mot d'Alphonse Daudet, oublié ses admirations et ses lectures, le jour aussi où il écrira en une langue suffisamment débarrassée de son excès d'argot parisien, il créera une œuvre amusante, vivante et vraiment à la portée de toutes les intelligences. Il y a en lui l'étoffe d'un romancier de talent, d'un sincère observateur de la vie, avec une légère tendance à la caricature, au grossissement des défauts; il semble pourtant gåter tout cela à plaisir par le plus fatigant baragouin qu'il soit possible d'imaginer. C'est à peine si çà et là on trouve chez lui une phrase correcte, un alinéa complet de bonne et simple langue française; l'argot domine à tel point que certains passages auraient presque besoin d'un glossaire pour être compris. — Puis les imitations se succèdent, venant harceler le lecteur de fantômes inoubliés et inoubliables: après le journal du cocher, qui rappelle, en charge, le journal du garçon de bureau du Nabab, voici l'évocation du déjeuner chez le savant grec, un replâtrage de la Faustin. — Encore si M. Bauquenne s'en tenait là, on aurait pour lui quelque indulgence, mais le style est du Goncourt exagéré, quand il ne se moule pas sur la ma nière de Daudet, un Goncourt forcé, accentuant fu rieusement les ellipses de la phrase, les ellipses de la pensée le lecteur doit toujours deviner, toujours compléter le sens, achever les phrases; d'où une lassitude toujours renaissante, qui entrave singulièrement l'élan de l'action et la déchiquète en tas de petites banderoles colorées, mais désunies. Le regard s'éparpille vainement à le suivre, oubliant le fond du roman et ne sachant plus où se reposer.

Ces divers points de critique bien posés, hâtons-nous de reconnaître que le jeune romancier a su tirer un excellent parti des événements parisiens qui ont tout récemment si vivement ému la haute société de Paris; ses personnages sont campés avec une hardiesse, une. energie, un brio et une vérité qui font regretter que son œuvre ne soit pas plus complète et ait été en partie gâtée par les taches que nous avons indiquées plus haut. En somme, M. Alain Bauquenne a fait œuvre de romancier et de littérateur profondément épris de son art, et la Maréchale fait augurer heureusement des prochaines œuvres de son auteur.

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des prudes croient de bon goût de prendre des mines effarouchées et de crier au scandale. Nous nous contenterons de plaindre ces cerveaux étroits ou de mépriser ces esprits hypocrites, qui feignent de prendre pour de la pornographie de pures œuvres d'art détachées de toute préoccupation malsaine. Il suffit cependant de lire attentivement le jeune disciple du grand Gustave Flaubert, notre maître à tous, pour sentir dans tout ce qu'il fait le plus profond amour de son art et un absolu dédain des conventions louches; son tempérament le pousse à écrire crument ce qui est crû dans la nature, mais il le fait en une langue si châtiée, si respectueuse de la forme, que, de même que l'artiste, sincère en face du modèle nu, oublie le sexe de la créature placée devant ses yeux pour admirer la perfection des contours et la pureté des lignes, le lecteur, en présence des nouvelle de Guy de Maupassant, doit admirer la rareté du style et la pénétrante simplicité de la phrase, en négligeant de souligner des malpropretés de sa pensée les réalismes tombés sous la plume de ce véritable écrivain.

Mlle Fifi avait déjà paru en Belgique, mais l'éditeur Victor Havard lui a, en quelque sorte, donné sa véritable consécration en l'ajoutant dans sa collection à la Maison Tellier, et en augmentant le volume de nouveaux contés inédits, où Guy de Maupassant se retrouve tout entier avec ses virilités puissantes, ses qualités de jeune maître et ses promesses de superbe avenir. Il est de ceux dont la forme s'affine, s'épure et se perfectionne avec le temps, parce qu'il ne sacrifie ni à la mode passagère ni au goût du jour, n'ayant d'autre désir que de rester lui et de se consacrer un monument bien personnel, où il puisse revivre un jour tout entier.

Il y a dans ce volume quelques nouvelles qui après Mlle Fifi, la plus longue et la meilleure de toutes, ont de rares qualités et sont peintes avec une bien étonnante sécurité de main. - Nous citerons surtout Deux Amis et Narroca, ne pouvant donner les titres de chacun de ces dix-huit contes, ciselés avec un passionné amour de styliste et de littérateur. C'est un regain de succès pour Guy de Maupassant, préparant admirablement la voie à ce nouveau roman de lui, son premier roman véritable qui vient de paraître, Une Vie.

Les Coquines, par BERTRAND MILLANVOYE et ALFRED ETIÉVANT. Paris, Tresse, 1883; in-18; 1 vol. - Prix : 3 fr. 50.

Sous ce titre, qui n'est justifié qu'en partie et qui devait se compléter de et les Coquins, MM. Millanvǝye et Etiévant nous donnent un gros drame de digestion difficile, émaillé de trivialités cabotines si bien enchevêtrées dans l'action qu'on ne sait plus où commence cet argot spécial ni où il finit. Tout, dans ce roman grossier de style et de faconde, vise à l'effet sans y atteindre et ne dépasse pas le gros mélodrame ordinaire sans élévation. La fable en est usée et ne se relève pas par une écriture soignée qui puisse permettre de classer ce volume parmi les œuvres vraiment littéraires. Nous nous contenterons donc de le

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Ernest d'Hervilly, tout comme Mérimée, a voulu nous donner, lui aussi, sa petite chronique du temps de Charles IX; nous ne saurions établir aucune comparaison entre la fameuse œuvre du maître et celle de notre humoristique confrère. Disons seulement qu'il a conté sa petite histoire en une langue choisie, ayant quelques prétentions au français du xvi° siècle, mais que sa fable n'a pas grande originalité. — Le volume débutait cependant par certaines assemblées de nains qui auraient pu fournir d'amusants et curieux tableaux, mais il eût fallu fouiller l'œuvre plus à fond, et Ernest d'Hervilly n'a fait que l'effleurer d'une plume à la fois badine et facile; cela suffit pour l'amuseur, mais non pour le littérateur et l'artiste.

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Hélas! il nous faut parler d'une œuvre posthume; le pauvre Émile Villemot mourait, emporté par une implacable maladie de poitrine, au moment où ce recueil d'articles paraissait, avec son titre caractéristique: Ne vous mariez pas! - Par une ironie pleine de cruelle antithèse, le malheureux qui lançait sous cette railleuse appellation un volume du meilleur esprit, laisse une veuve et des orphelins. Son livre, plein d'histoires curieuses et d'ingénieux aperçus, empêchera d'oublier trop vite ce disparu, qui semblait appelé à se faire une remarquable place dans le journalisme fantaisiste, humoristique et social.

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Flaubert, Alphonse Daudet, Edmond de Goncourt et Émile Zola.

Nouvelles parisiennes, par PHILIPPE CHAPERON. Paris, Chavaray, 1883. 1 vol. in-18.- Prix: 3 francs.

Le recueil de nouvelles de M. Philippe Chaperon prouve que l'auteur est plein d'ardeur, de bonne volonté et de désir de bien faire; mais aucune de ses historiettes ne s'élève au-dessus des autres par un mérite spécial; nous ne pouvons augurer de l'avenir de l'écrivain sur des bluettes aussi insignifiantes comme forme littéraire, et nous attendrons une forme mûrie et pensée pour porter sur lui un jugement approfondi.

I

Au voleur! par A. Joв. Paris, Dentu, 1883. 1 vol. in18 jésus. Prix : 3 francs.

Il paraît que l'auteur de Au voleur! est un artiste d'un rare mérite, étranger jusqu'à ce jour à la littérature; il est regrettable que l'artiste ait voulu essayer d'écrire, car il nous a rarement été donné de lire un livre plus nul, plus invraisemblable et moins compréhensible; l'analyse en est impossible, car ce roman n'existe ni par le fond ni par la forme; le citer est déjà trop.

Amazone, par C. VOSMAER. Paris, Sandoz et Thuil

lier, 1883. 1 vol. in-18 jésus. Prix: 3 fr. 50.

M. Gacon a traduit du hollandais, pour nous le faire connaître, un roman de M. C. Vosmaer intitulé Amazone, et qui fait un étrange effet au milieu de notre littérature contemporaine. L'histoire de ces amoureux s'aimant au milieu des antiquités romaines, se donnant des noms anciens, n'a rien d'assez remarquable pour qu'il semblât nécessaire de nous initier à cet échantillon de littérature des Pays-Bas. Peut-être a-t-il perdu à être traduit; c'est la seule illusion que nous puissions conserver à son sujet.

La Piaffeuse, par le MARQUIS DE CHERVILLE. Paris, Dentu, 1883. I vol. in-18 jésus. Prix: 3 francs.

Le marquis de Cherville nous peint, sous le titre de la Piaffeuse, un coin de la vie de province à l'époque de la guerre. Il y a des observations assez cruellement justes dans ses portraits de paysans, dans l'étalage de leur rapacité et de leurs passions brutales; mais il manque pour compléter ce livre le souffle puissant qui seul eût pu lui donner de l'envolée et le patient travail du style. Quelques scènes sont partilièrement émouvantes et auraient beaucoup gagné à être plus soignées au point de vue littéraire. En résumé, le livre est agréable à lire et tout flambant de beau patriotisme.

G. T.

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Le romancier l'observe là mieux qu'ailleurs et, chaque fois qu'il la rencontre, en fait l'objet de ses études psychologiques. Dans la Baronne, M. Toudouze analyse cette terrible névrose qui revêt tant de formes différentes, en vrai Protée qu'elle est, et s'attaque surtout aux femmes, dont l'organisation lui offre une proie facile.

Voici d'abord Hélène Beurot, une belle fille dont le dessinateur Fernand Rénal a fait sa maîtresse, et qu'il commence par aimer éperdument. Hélène l'aime aussi; mais, chose curieuse, elle a besoin de lui être infidèle; il faut qu'elle aille, de temps en temps, se crotter dans la boue d'où elle est sortie. Un jeune philosophe nommé Germain Durand, ami du dessinateur, s'est aperçu de son manège et n'a pas hésité à reconnaître là un symptôme de névrose.

Quelques années après cette liaison, Fernand est devenu amoureux, mais, cette fois, pour le bon motif, d'une jeune fille qu'il a vue un jour prier avec ferveur dans l'église de la Trinité. Germain connaît ses parents, M. et Mme Vernel. Il leur présente son ami, et Fernand ne tarde pas à être agréé comme prétendant à la main d'Alice.

Mais, avant de convoler, Fernand veut assurer l'avenir d'Hélène Beurot. Il l'installe dans une boutique de modes et s'éloigne d'elle, la conscience tranquille. Germain le philosophe continue à observer Hélène et la voit descendre, de chute en chute, tous les degrés du vice. En effet, la boutique de modes est bientôt transformée en ganterie. Enfin, grâce à la bourse d'un riche baron, Hélène achète, au centre de Paris, une maison dont elle habite le premier étage, et dont les autres étages sont destinés au rapport, rapport qui n'en a aucun avec la morale. Voilà un ample sujet d'étude pour Germain.

Alice Vernel, la femme de Fernand, et Jeanne Maxens, amie intime d'Alice, lui en offrent deux autres, mais d'un genre différent : Jeanne Maxens est une jeune et jolie femme qui a un mari vieux et, circonstance aggravante, chef de division dans un ministère. Ce n'est pas là le mari entrevu dans ses rêves de jeune fille. Un mari qui n'est jamais là! Désillusion! Maladie sourde! Elle commence par se réfugier dans la religion (premier symptôme de névrose). Puis, deuxième période de la maladie, elle tombe amoureuse d'un Alphonse de la pire espèce, et sa première chute avec lui la conduit au suicide. Quant à la femme de Fernand, c'est la maternité qui la sauve. Comme Jeanne Maxens, elle a commencé par la religion, le mysticisme... Mariée, son caractère demeure inquiet; elle est tourmentée par une maladie mystérieuse. Devenue mère, elle est sauvée !

Nous ne faisons que résumer. Il faudrait citer des pages entières, qui sont de petits chefs-d'œuvre d'observation et de couleur descriptive. D'ailleurs, M. Gustave Toudouze n'en est pas à ses débuts. Dans Mme Lambelle, dans la Séductrice, dans le Vice, il a montré que le temps où nous vivons n'a pas de secrets pour lui et qu'il sait le décrire.

P. C.

La petite duchesse, par ALEXIS BOUVIER. Paris, sible d'atténuer tous ces défauts qui, réunis, enlèvent Marpon et Flammarion, 1883; in-18.

3 fr. 50.

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Prix :

La belle-mère et la bru qui se disputèrent avec tant d'acharnement devant les tribunaux les millions attachés à la tutelle des enfants du duc de Ch... auraient eu droit peut-être sinon à l'oubli, du moins au silence, aujourd'hui surtout que l'une d'elles, la plus intéressante et la plus jeune, a payé de sa vie une lutte aussi bruyante que déplorable; mais le roman, cette industrie sans pitié, est là qui guette sa proie, impatient de convertir en gros sous n'importe quel scandale de famille, quelle cause célèbre. Ah! les beaux droits de collaboration qu'aurait à réclamer de M. Bouvier la Gazette des Tribunaux! Il la pille sans merci ni trêve; c'est là proprement sa mine à succès.

Un journal prêtait, il y a peu de jours, à la duchesse survivante l'intention de s'opposer à ce que l'on publiât ce volume. Pure réclame! Elle vit sans nul doute dans un milieu où ce genre de littérature n'a pas accès. S'il lui tombait par hasard entre les mains un exemplaire de la Petite duchesse, elle ne serait pas peu étonnée, j'imagine, des motifs singuliers attribués à sa dévotion par le conteur populaire, et plus encore du français risqué qu'il lui fait parler, à elle, la grande dame, et à ses bons amis et conseillers, les bénédictins de l'abbaye de Solesmes.

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Bien que le sujet du roman de M. Gabriel Beau ait été pris dans la vie réelle, il n'est nullement réaliste et manque absolument d'esprit de conduite. On sent que l'écrivain hésite, tàtonne constamment et est toujours incertain de la marche à suivre; il a l'air d'aller au hasard devant lui, en aveugle, pataugeant dans les choses et les événements avec une complète inexpérience. Çà et là, il essaye de se rattacher à la réalité par quelque mot brutal qui ne porte pas, parce que rien ne l'amène et qu'il fait l'effet d'une fusée partant avant le signal.

Certes, il y avait dans le sujet matière à une étude nerveuse, serrée et concise; l'auteur a cru devoir la délayer longuement, sans se douter qu'en agissant ainsi il éparpillait l'intérêt et noyait sans rémission son histoire. En outre, le style n'est pas suffisamment châtié; on devine la plume qui court, court sur le papier et ne revient jamais sur les phrases précédemment écrites; peut-être n'est-ce là qu'un défaut de jeunesse, dont l'auteur pourra facilement se corriger, en étudiant beaucoup, en s'astreignant à être plus difficile pour ce qu'il écrit. Nous ferons la même remarque à propos de la pâleur des figures, dont le caractère manque de relief et d'intérêt, et qui sont d'une désolante naïveté.

Nous espérons trouver un progrès dans la prochaine œuvre de M. Gabriel Beau, car il lui est loi

beaucoup de sa valeur à un roman offrant de l'intérêt et dénotant un certain souci de l'observation. Certes, nous n'aurons pas à nous reprocher notre sévérité pour Rhéa Taupinier, étude incomplète, mais que nous pensons avoir profondément disséquée, si le prochain roman présente une amélioration sensible.

Un crime légal, par JULIEN LEMER. Paris, Marpon et Prix : Flammarion, 1883; 1 vol. in-18 jésus.

3 fr. 50.

En s'inspirant de la récente affaire Fenayrou, de l'article 325 du Code pénal et de la palpitante question de l'adultère, M. Julien Lemer a pu échafauder un très intéressant roman, qu'il appelle nettement Un crime légal, indiquant d'avance la marche qu'il compte suivre et la discussion qu'il entend engager. Nous pouvons dire qu'il s'en est fort heureusement tiré, et que le lecteur ne regrettera pas d'avoir suivi toutes les péripéties par lesquelles il fait passer son héros avant de mener son œuvre à bonne fin et d'arriver à l'explosion suprême du drame. Nous ne parlerons pas du côté littéraire de cette œuvre, l'auteur nous paraissant s'être plutôt préoccupé des aventures à raconter que du style à châtier; en tout cas, son livre intéressera.

Mme Dandin et Mile Phryné, par ARMAND SILVESTRE. Paris, Paul Ollendorff, 1883; 1 vol. in-18- jésus. Prix: 3 fr. 50.

Armand Silvestre poursuit joyeusement, avec sa curieuse insouciance de poète, la série des volumes rabelaisiens qu'il englobe sous le titre général de la Vie pour rire. Nous ne saurions refuser au chan teur éthéré le don de grosse gaieté; ses histoires justifient pleinement le titre qu'il leur donne, et il serait impossible de rester morose et taciturne, fût-on de la plus méchante humeur du monde, une fois qu'on a mis le nez dans ce volume extraordinaire.

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N'a qu'un œil, par LÉON CLADEL. Gr. in-18 illustré. Paris, Librairie du progrès.— Prix: 3 francs.

Le talent de M. Léon Cladel n'est pas de ceux qui rallient tous les suffrages. Et, parmi ces admirateurs, beaucoup même admirent de confiance et se dispensent de lire. C'est qu'en vérité ce style hérissé de locutions provinciales, mélangé d'archaïsmes volontaires, n'est pas d'une lecture toujours agréable, et tout à coup l'on est péniblement arrêté comme par une haie vive ou un barrage infranchissable. La faute en est à l'auteur; il s'en fait gloire. Il a voulu avoir un style à lui, et il l'a forgé de mille débris, forgé de force de bras. J'en conviens, il a déployé de la vigueur; tant de vigueur même, que parfois il perd la notion de la mesure et laisse éclater la violence. L'œuvre que publie la Librairie du progrès a la prétention de représenter le roman plébéien, comme les romans d'Erckmann-Chatrian se sont appelés romans nationaux. Et, pour écrire un roman plébéien, M. Clade! a entassé des histoires abominables, dont les criminels héros sont de la noblesse et du clergé, et les vertueuses victimes les pauvres serfs de la glèbe. La cause la meilleure est compromise par l'intempérance de l'avocat. Et le ton de M. Cladel, dans N'a qu'un œil, est d'une intempérance inexcusable. Le sujet est assez puissant par lui-même la modération de la forme eût augmenté sa force.

Les dessinateurs ont eu le mauvais goût de prendre le diapason de l'auteur en ses éclats les plus déclamatoires et en ses narrations les plus crues. Faut-il donc, quand on s'adresse à la plèbe, lui servir des nudités, des groupes licencieux, évoquer les obscénités, chatouiller les appétits les plus bas? Ah çà, monsieur Cladel, vous si pur plébéien, vous si fier de n'avoir pas renié la glèbe, ce qu'on ne vous a sans doute jamais demandé, d'ailleurs, il vous appartenait d'écrire pour le peuple un roman moins suspect et de n'y pas laisser figurer des images aussi peu chastes. On sent là du trafic, et du moins noble. Et quand on se vante d'être incorruptible, il faudrait prendre garde à ne point devenir corrupteur.

Au demeurant, N'a qu'un œil est un pâtre du Quercy qui, après avoir subi tous les tourments et les affronts que le seigneur n'épargnait pas aux serfs, a la consolation de voir la Révolution détruire abus et châtelains. P. Z.

La Mauviette, par SAINT-JUIRS. In-18. Paris, Victor Havard. Prix : 3 fr. 50.

Un brave jeune homme de noble famille a voulu se joindre à une expédition d'exploration dans l'Afrique centrale. Il y a trouvé la mort dans l'incendie d'un camp immense de huttes de paille. Son ami, le docteur Laverdant, a recueilli les dernières recommandations du malheureux, et, pieusement, il les rapporte à la famille Montchorel, qui vient d'apprendre brusquement son deuil par le dessin d'un

journal illustré. Cette famille se compose, outre les parents, d'une jeune fille de dix-huit ans, charmante et jolie, d'un jeune homme d'une vingtaine d'années et de deux enfants tout jeunes. M. de Montchorel le père, ancien magistrat, est atteint d'une maladie de cœur ; sa femme donne les premiers symptômes d'une névrose qui deviendra une folie. Le docteur Laverdant voit, à la première observation, tout cet ensemble de calamités futures. Il s'attendrit d'autant plus, en pensant à cette exquise jeune fille dont son ami l'a souvent entretenu. Lui-même, avec le prestige de la science et la protection toute - puissante du mort, n'est pas sans faire impression sur le cœur tout neuf d'Adrienne.

Donc voilà le problème. Laverdant épousera-t-il Mlle de Montchorel? Pourquoi non? Il plaît à tout le monde, à tout le monde, sauf à Mme Vilquin, aventurière qu'un mariage habile a placée dans le monde avec une belle fortune. Cette intrigante a mis au jour un fils, assez vilain drôle, à qui elle destine la beauté et la dot d'Adrienne.

Elle ne recule devant rien pour atteindre son but. Elle n'est pas vainement brune et Napolitaine, et de plus ex-figurante de la danse à la Scala de Milan.

Elle fait d'abord chasser Laverdant du château de Montchorel, mais sans réussir à le déloger du cœur de l'héritière.

Puis, comme Gaston de Montchorel la gêne, elle lui suscite un duel avec un gaillard très fort à l'escrime. Et le second fils des Montchorel meurt d'un coup d'épée.

La vilaine brune n'ignore pas qu'une violente, secousse peut tuer M. de Montchorel. Aussi s'arranget-elle pour lui annoncer brutalement, en tête-à-tête, la mort de Gaston. Et le père infortuné, secoué dans toutes ses fibres, roule à terre dans un spasme terrible.

En présence des deux cadavres de son mari et de son fils, Mme de Montchorel perd tout à fait la raison. C'est une folie' qui chaque jour s'accentue, la monoma-. nie de la persécution : elle prend sa fille Adrienne en horreur. Mme Vilquin ne l'en détourne, elle s'installe dans la maison et la dirige. Et enfin, un jour que la folle est dans le salon avec ses deux jeunes enfants, elle entre dans un accès violent: l'astucieuse Italienne lui jette un couteau de cuisine avec lequel est consommé le meurtre des deux innocents.

Mme Vilquin a réalisé son vœu secret: détruire tous les cohéritiers de Mlle de Montchorel; car c'est elle aussi qui jadis a poussé l'aîné à tenter l'exploration funeste. Reste la seconde partie de son programme : la livrer par le mariage à son fils César, qui, du coup, s'enrichira de cinq millions.

Mais elle a compté sans la fermeté d'Adrienne. Fidèle à son premier amour et dévouée à sa malheureuse mère que le procureur a fait interner, elle repousse César Vilquin.

Pour soutenir sa résistance reparaît le docteur Laverdant, devenu rapidement célèbre et riche. La Vilquin sent que tous ses crimes vont demeurer sans profit, d'autant que le fils de cette Agrippine n'a de Néron que la pusillanimité. Insolent de loin, craintif

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