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de profondeur. Et l'on regrette de ne jamais rencontrer une note gaie qui nous repose de cet attristant tableau.

Si le roman de M. Toudouze peut contribuer à mettre en garde les familles françaises contre la manie d'héberger des gouvernantes et des servantes d'outre-Rhin, et leur faire voir un côté des dangers de cette invasion domestique, nous souhaitons qu'il soit beaucoup lu. Il est d'ailleurs écrit d'un très excellent style qui le recommande à tous les gens de goût.

PZ.

Le domino rose, par ALEXIS BOUVIER. Paris, Rouff, 1882. In-18. — Prix : 3 francs.

Méfiez-vous des titres de M. Bouvier, sous leur air pimpant, ils cachent presque toujours quelque crime, de noirs complots, plus d'une scène atrocement lugubre. Ce domino rose, par exemplé, a été ramassé à la morgue, sur les épaules d'une femme jeune et belle, trouvée morte un matin dans ce costume sur la berge de la Seine. Elle venait d'être empoisonnée et laissée là par l'amant cupide au profit de qui elle avait la veille déserté le toît conjugal et volé son mari. Comment le misérable séducteur, appelé Joret de Gaillac, sera-t-il démasqué plus tard par la couturière Caroline Vallier, une des nombreuses victimes de ses hypocrites galanteries, c'est ce qu'il faut découvrir à travers mille rencontres de la vie parisienne. On y suit avec émotion M. Bouvier, seul capable de se reconnaître au milieu d'un tel dédale d'intrigues entrecroisées. Dans ce fouillis rendu par lui inextricable, il se joue adroitement de la curiosité qu'il a mise en éveil, menant en laisse derrière lui la fille-mère de tous ses romans, blanche comme l'hermine et pure comme la colombe, à laquelle il aurait presque le talent de nous faire croire, tant i la poétise. Ah! c'est qu'il ne faut pas badiner avec lui de la vertu des modistes, et de la morale donc ! Quand il en parle, on dirait qu'il en mange. Au reste, vous pouvez compter sur lui pour la punition du traître, noble devoir auquel il n'a jamais failli! De bric ou de brac, il forcera Joret de Gaillac à boire à son tour le verre de champagne sucré d'arsenic et à venir, couvert du même domino rose, rendre son dernier râle à l'endroit précis où dix-huit ans auparavant succomba sa première victime. Dieu est juste... c'est le châtiment!

A. P.

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empaillés! Et d'abord l'inévitable abbé, trottinant le jour comme une souris, à travers champs, pour découvrir quelque cimetière gallo-roman ou un camp de César, et dormant la nuit dans un sarcophage, à côté de ses grands bas noirs qui sèchent sur des urnes funéraires, tant il pousse loin la manie des vieilles reliques! Puis le général en retraite de Bagnols, si malheureux de n'avoir pas un garçon pour héritier et qui ne cesse de crier à son enfant, quand elle s'essaye à former ses lettres : « Plus de nerf, morbleu!... Un peu de vigueur! ne soyons pas petite fille! » Et, pour lui obéir, Germaine se met à écrire comme un sergent-major, ce qui plus tard fera rougir la pudique sœur Sainte-Ursule.

Qui encore? La douairière de Bagnols, fort entichée de son titre, quoiqu'elle ait eu pour père un bonnetier de Rouen. De son ton le plus rogue, elle rabroue Germaine et ses illusions de colombe amoureuse : « Pour une fille de votre race, l'avenir n'est pas fait de plaisirs, il est fait de devoirs. Ne l'oubliez pas. » Germaine l'apprend en effet à ses dépens. Petite sauvagesse élevée en plein air par le général, habituée à courir dans les libres clairières et les échappées à perte de vue de son modeste patrimoine, où elle regardait vaguement chaque soir coucher le soleil, on l'enferme, après la mort de son père, au couvent des Saints-Anges, avec des filles de nobles comme elle et très fières de leurs aïeux. Là, pas d'autre bonheur que les rares visites de son cousin Lucien, celui-là même avec qui elle jouait dans les bois et dont elle espère un jour porter dignement le nom, car un amour réciproque est né dans leurs cœurs, ainsi que fleurit au printemps la branche d'aubépine.

Ce n'est pas lui pourtant qu'elle épousera. Ses études terminées, elle retombe sous le joug de la sèche douairière de Bagnols, mère de Lucien, et qui a rêvé pour son fils une union plus brillante, plus avantageuse surtout. Que peut faire, en pareil cas, une demoiselle sans fortune et bien résolue à ne pas faillir? Plutôt que de retourner au froid sépulcre du couvent, elle acceptera tout, même un mari réduit à l'état d'eunuque, pourvu qu'il soit riche et titré. Tel est le marquis de Virenque auquel sa tante la livre. Sorte de botaniste maniaque, il semble ne vivre que par artifice, afin de prouver, par son exemple, à quel degré d'appauvrissement peut descendre le sang le plus géné reux. Le médecin lui a interdit, sous peine de mort, la moindre volupté; il doit veiller sur son cœur avec autant de soin qu'on ménage l'eau d'une source prête à tarir, ce qui ne l'empêche pas d'attacher une complexion aussi fragile que la sienne à cette beauté en fleur et en pleine espérance. On devine l'existence désolée et morne de Germaine aux côtés d'un être pareil, qui se contente de quelques baisers discrets et condamne sa femme à un veuvage anticipé, sans qu'elle ait même la consolation d'un seul regret. Dévorée par de sourdes ardeurs, en proie à un trouble profond, fruits amers d'un hymen purement extérieur, elle cherche à y échapper à force de courses à cheval effrénées, par les sentiers les plus dangereux. « Il lui semble qu'elle écrase sous le galop de sa ju

ment les minutes qui la séparent de la fin de la journée. »>

Au fond de l'impasse désespérée où elle se réfugie, elle a gardé néanmoins l'espérance que Lucien l'aime encore. Aussi, lorsque le beau cousin, rendu libre par la mort de sa mère, revient toujours épris et fidèle à leur amour d'enfance, quel déchirement! Par bon. heur, M. de Virenque, ayant voulu faire le galant, succombe à sa première velléité maritale; l'émotion le tue. Germaine pourrait être heureuse enfin, si la guerre franco-allemande ne venait mal à propos trancher les jours de son fiancé. On abuse fort, dans le roman, depuis quelques années, de ce dénouement commode; mais, comme il n'a ici qu'une importance secondaire, passons.

Ce qui constitue la vraie originalité du volume, ce sont les sentiments de Germaine, exprimés d'une façon si sincère, et sa vie écoulée au milieu de cette collection de types surannés comme un frais ruisseau sous une avenue de noyers séculaires. L'analyse pénétrante de ce beau caractère de femme, ainsi que l'ironie douce et triste du récit font beaucoup d'honneur aux deux écrivains et se distinguent heureusement de leur faire habituel.

A. P.

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Et tel qui s'y croyait ferré se révèle novice à l'heure de la rédaction. Gaston Vassy, le maître du genre, s'il eût moins visé à la réclame, aurait atteint à une perfection véritable. Il a eu parfois de merveilleuses inventions qui ravissaient les gobe-mouches dilettanti. Le public, en vrai boa, engloutit et digère tout ce qu'on lui jette dans la gueule, ortolans ou trognons de choux; mais les raffinés veulent du choix et ne dégustent volontiers que le journal où l'on sait accommoder les choses de la belle façon. C'est à eux, il n'en faut pas douter, que songeait M. Debans en écrivant ses Histoires de tous les diables. La plupart sont de simples faits divers allongés d'une sauce alléchante, avec une habile entente de toutes les ressources du métier. Il y a là bon nombre de pages qui «< séduiront à la fois et la foule qui demande à être émue et les délicats, qui demandent à être charmés, » ainsi que le dit justement l'élogieuse préface de M. Claretie en tête du volume. Si l'auteur, à l'exemple de Chavette, pousse trop loin la charge de certaines mœurs bourgeoises dans le Cuissot de chevreuil, s'il a abusé, un peu plus qu'il n'est permis, de la Gazette des Tribunaux à propos du fameux Giraud de Gâtebourse, il retrouve en revanche tout son talent sobre et nerveux pour nous peindre une nuit chez les morts, ou les folles transes de l'assassin après la perpétration de son crime. Voilà de quoi corriger les coupe-jarrets et les ramener à la vertu, s'ils pouvaient l'être jamais.

P.

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Recueil de cinq nouvelles passablement romanesques et contées sans grand charme. Ainsi que le titre l'annonce, elles roulent toutes, sauf l'histoire d'une guinée, sur l'unique sentiment qui remplit la vie des femmes. La dernière, l'Amour de Muguette, emprunterait d'abord une certaine fraîcheur aux souvenirs de la Mimi Pinson de Musset, si elle ne se perdait aussi. tôt dans une fadeur bourgeoise et plate. Mais la plus étonnante est sans contredit Martha, qui ouvre le volume. On y retombe dans le roman épistolaire, genre ennuyeux par excellence. Ces lettres, datées de 1850, et qui pourraient tout aussi bien être signées par Mme Cottin ou le vicomte d'Arlincourt, nous transportent dans l'Allemagne de convention d'où nous pensions être revenus pour jamais. On y retrouve la Gretchen au type suave, belle comme une vierge de Murillo, qui s'abandonne à l'objet de son culte avec un désintéressement parfait. Pour nous faire avaler de telles lubies, il faudrait d'abord rayer de notre mémoire les événements de 1871 et tout ce que nous avons appris depuis.

P.

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Entre les traits d'esprit acérés et vibrants d'Aurélien Scholl et les aménités littéraires de Monselet, M. Chapron s'est créé, dans l'Événement, une place vraiment à lui, et qu'il occupe depuis longtemps avec succès. Ses articles, réunis aujourd'hui en volume dans Le long des rues nous le représentent tout à fait à son avantage dans ce rôle de chroniqueur mondain. Petit journaliste, c'est bientôt dit; ne l'est pas qui veut. De tous ceux qui, en si grand nombre, s'essayent chaque jour à ce genre, combien en est-il, en fin de compte, qui durent? Quand vous en aurez cité sept à huit, dix au plus, vous serez au bout de la liste. Les autres, après deux ou trois mois de cet exercice, lorsqu'ils tiennent bon jusque-là, sont fourbus, vidés, comme ils disent, et ne savent que répéter à satiété les mêmes calembredaines, débitées avec un tic im-' muable et agaçant. M. Chapron échappe en partie à ce travers par le soin même qu'il met à varier sa manière et à passementer d'agréables broderies le sujet le plus banal. Tout lui est d'ailleurs matière à article: le piano, la voiture aux chèvres, l'annonce d'un journal, le mont-de-piété, le divorce, le scandale d'hier ou l'engouement du jour. En général, ses idées sont justes, et il les exprime sous une forme caustique, de manière à donner au bon sens la saveur du paradoxe. On trouverait bien à reprendre quelque chose par-ci par là, certaine recherche d'effet qui n'aboutit pas toujours, trop de complaisance à l'égard des opinions reçues, des façons de parler plutôt boulevardières que populaires. Mais ce sont là défauts que l'on pardonne à une causerie familière; il faut bien s'encanailler un peu de temps à autre, afin d'être mieux entendu de ceux qui sont en bas. Ce que je reproche

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mon père, quel respect espères-tu m'inspirer, toi qui, en ce cas, as déshonoré ma mère? Réponds... Non, tais-toi. Laisse-moi douter encore. Devant la certitude, vois-tu, je ne saurais me défendre de te mépriser et de te hair.» Ainsi repoussé avec perte de tous côtés, il ne lui reste d'autre ressource que de se précipiter dans la Seine. Les choses se passent peut-être un peu plus doucement dans la société et tous les célibataires galants ne vont pas se jeter à l'eau. M. Cadol n'en a pas moins touché là à une plaie sociale des plus vives. Cela suffit pour rendre son roman supportable, en dépit de l'excessive négligence que l'auteur a mise à le composer.

Mademoiselle de Saulnis, par PAUL JUILLERAT. Paris, Dentu, 1882, in-12. - Prix : 3 fr.

Que les belles enfants mariées à l'étourdie ou contre leur gré se consolent; elles ont trouvé en M, Juillerat un redresseur de torts excessivement dévoué. Dès qu'il y a de par le monde quelque union mal assortie, il accourt et répare aussitôt le dommage. Ainsi ma

« En prenant la plume, disait Mérimée, je songe à ceux qui valent mieux que moi; je rougirais de ne pas chercher à les satisfaire. » Il est douteux que M. Cadol soit tourmenté d'une ambition semblable; on croirait plutôt qu'il vise à ne contenter que la foule, à s'abaisser jusqu'à elle, au lieu de l'élever à lui. S'il faut tout dire, il gratte le vice régnant aux plus mauvais endroits. Sous couleur d'émailler ses récits de locutions caractéristiques, il inflige à ses lecteurs l'ar-demoiselle Sidonie de Saulnis avait un peu trop légègot de tous les vilains mondes, promenant sur chaque partie du sujet la même blague, le même ton gouailleur et sceptique.

L'idée fondamentale de la belle Virginie était fort juste. Mise en œuvre avec plus de conscience, plus de sérieux, elle eût fourni une intéressante étude. Il s'agissait de faire ressortir énergiquement le rôle de dupe que joue presque toujours l'amant d'une femme mariée. Avec nos mœurs actuelles, il arrive plus d'une fois que le pauvre niais, après s'être un moment enorgueilli de sa conquête, paye ce plaisir beaucoup plus cher qu'il ne vaut. Tel est le cas du Félix de Saint-Cervail, le personnage dominant du livre de M. Cadol. Riche et orphelin, il était sur le point de contracter un mariage convenable, quand il eut le malheur de connaître la belle Virginie, épouse du député Sanglepin, et il s'embarqua avec elle dans une liaison dont il ne put se dépétrer ensuite. Suivant l'usage, il est devenu l'ami de l'homme qu'il minautorise, et celui-ci en profite pour l'exploiter de toutes les façons, Peu à peu sa fortune, jusque-là très solide, est engagée dans les spéculations hasardeuses que risque le député dans l'espoir de parvenir au ministère. Cela ne serait rien encore s'il avait quelque droit sur l'enfant issue de l'adultère, dont naturellement il a été le parrain et qu'il a dotée de ses deniers. Mais non; Suzette reçoit, malgré lui, une éducation déplorable. Lorsqu'il s'agit de la marier, on ne le consulte même pas. En vain, d'une voix timide, essaye-t-il d'intervenir en faveur de celle qui, après tout, est sa fille ; on le rembarre outrageusement. « Votre fille ! lui dit Virginie; je vous trouve bien avantageux de le prétendre. Eh! Comment, je vous prie, en seriez-vous sûr, quand je n'en sais rien moi-même ?» Il faut voir aussi l'insolence avec laquelle Suzette, qui, à l'exemple de sa mère, a tourné à la galanterie, reçoit ses observations: « De quel droit te permets-tu de te mêler à ma vie et de régler ma conduite? Si vraiment tu es

rement accordé sa main à Yankee Romaric Emory, Américain vigoureux de ccrps et d'esprit, mais par là même peu délicat, elle si frêle et si tendre, avec des cheveux couleur d'or et des yeux couleur de ciel, déjà aimée d'ailleurs du chevaleresque Martial de Neste, qui semblait fait pour elle, comme on dit. La pauvre femme en a été punie assez cruellement. Son mari, même avant la noce, avait perdu ce qui rendit Jeanne d'Arc invincible. Il s'est laissé prendre aux séductions de la brune et sensuelle Nadia, une orpheline amie de sa blonde fiancée, et leur liaison adultère continue au nez de Sidonie. Heureusement, le preux dont celle-ci avait dédaigné les hommages, Martial, veille sur son bonheur. Il oblige l'Américain à réintégrer le lit conjugal et à devenir un époux fidèle. Plus tard, lorsque Emory sera mort d'une pleurésie contractée au sauvetage du fils qu'il a eu de sa maîtresse, il sera facile à la veuve de se consoler en épousant son premier amoureux.

Cette nouvelle, bien que racontée en termes élégants, n'est pas ce qui réjouit le plus dans le livre de M. Juillerat. Il y en a une seconde, le docteur Flénu, qui vaut mieux encore. Ce médecin septuagénaire, à qui un ami mourant a légué la tutelle de son fils et de sa fille, a fort à faire pour les empêcher de commettre des sottises. Il n'y réussit même qu'à moitié, tant chaque membre de la famille lui donne du fil à retordre. La veuve, espèce de bûche verte qui pleure d'un côté et brûle de l'autre, aurait grande envie de convoler à nouveau. La demoiselle, obéissant aux conseils de cette mère sans cervelle, épouse un aventurier interlope et joueur, en même temps que le garçon s'est amouraché à en mourir d'une femme mariée. Il faut voir le mal que se donne Flénu afin de démarier sa pupille, de lui conserver sa fortune, et de rendre veuve la femme dont le jeune homme est fou. Pour en venir à ces fins, il met fort adroitement aux prises les deux maris qui gênent ses vues

et les fait s'occire l'un l'autre en duel. Cela fournit matière à quelques scènes vraiment plaisantes et d'une ironie spirituelle. M. Juillerat nous permettra néanmoins de signaler dans chacun de ces deux agréables contes plusieurs épigrammes décochées contre la démocratie et le progrès on ne peut plus à contresens. Nous comprenons fort bien qu'on n'ait aucune tendresse pour la république et ses institutions; pourtant, lorsqu'on écrit des œuvres comme celles de ce volume, on ne devrait pas être si hostile au seul gouvernement qui ait été chez nous jusqu'ici favorable au divorce.

A. P.

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Il faut être juste même envers la justice et reconnaître que son organisation, en France, présente bien des garanties. Aucune institution humaine ne peut prétendre à l'infaillibilité, cela va sans dire, et les tribunaux ont quelquefois condamné des innocents; mais ils s'empressent eux-mêmes, dès que l'erreur est évidente, de revenir sur leur décision. Peut-être y a-t-il encore quelque progrès à conquérir en ce sens, des facilités plus grandes à laisser à l'accusé pour qu'il veille de près au soin de sa défense, une indemnité à accorder à ceux que l'on aurait à tort privés de leur liberté ou atteints dans leur honneur. La société doit être responsable des dommages que cause son fonctionnement.

Quand il y va de la vie d'un homme, on ne saurait agir avec trop de prudence ni prendre trop de précautions, puisque l'exécution capitale rend la faute irréparable. C'est là surtout ce que semble avoir voulu démontrer M. Jules Mary. Vraie ou imaginée, son affaire du boucher de Meudon présente un de ces cas où les magistrats et le jury, malgré les lumières dont ils s'entourent, sont induits à croire faussement à la culpabilité du prévenu. Chaque circonstance l'accuse; tous les témoignages se tournent contre lui, sans qu'il parvienne à prouver son alibi à l'heure du crime. Condamné à mort, il aurait donc la tête tranchée si, la veille même de l'exécution, une sœur qui l'adore et qui sait tout ne dénonçait leur mère, la vraie coupable, et ne dessillait ainsi les yeux à la police et aux magistrats. Peu s'en faut qu'elle n'échoue; un retard de quelques minutes et l'iniquité eût été accomplie. Sachons gré au romancier de n'avoir employé, pour dramatiser son récit et le rendre intéressant jusqu'au bout, aucune des déclamations en usage dans ces sortes de sujets. Il a fait avec impartialité leur part aux causes d'erreur, aux fatalités, en même temps qu'il nous montrait un juge d'instruction et un procureur dignes de leur robe et soucieux avant tout de découvrir la vérité.

P.

La Lizardière, roman contemporain, par le vicomte HENRI DE BORNIER. Paris, Dentu, 1883, in-12. Prix : 3 francs.

Entre un joli garçon pauvre comme Job, mais noble et artiste jusqu'au bout des ongles, et la fille

d'un sénateur roturier, mais archi-millionnaire, il y aura toujours moyen de s'entendre. Possible que Jean de La Lizardière, perché comme un faucon à jeun sur son château en ruine, accueille d'abord assez rudement Raymonde Desormes, quand elle vient à brûle-pourpoint demander qu'on lui vende le castel des aïeux, qu'elle voudrait restaurer et rétablir dans son antique splendeur. Rien pourtant n'empêche la réconciliation de ces deux représentants de classes hostiles, surtout si le hobereau, jusque-là farouche et désœuvré, se révèle tout à coup peintre de grand talent, et si la blonde héritière consent, malgré sa fortune, à se parer des aimables vertus qui sont l'apanage incontesté de l'aristocratie de naissance dans les romans de bon ton.

La métamorphose s'opère à souhait des deux cotés, grâce à la baguette magique d'une fée, ou pour mieux dire, à l'imagination riante de M. de Bornier, à qui les illusions ne coûtent guère. Il a versé à pleines mains sur cette pastorale à tendres sentiments des trésors de bienveillance et d'amabilité. Les personnages en sont charmants au possible, de mœurs douces, de caractère affable, doués sur toute la ligne d'un cœur généreux et patriotique, ainsi qu'ils le prouvent en 1870, devant les Prussiens.Gentilshommes campagnards, séduisantes châtelaines, sénateurs dégommés, artistes, paysans, tous vont bravement au feu. Ils en reviennent avec honneur, les uns blessés les autres non, pour contribuer au tableau final, à l'apothéose, et se voir rappelés en choeur par le spectateur enthousiasmé tous! tous! même le chien du logis, Clodion: M. de Bornier est trop expert en effets dramatiques pour n'avoir pas clos son volume sur une impression agréable. Jean et Raymonde, réconciliés par l'amour et par de mutuels sacrifices, vont peupler la Lizardière, désormais florissante, d'une postérité nombreuse. Tout ce récit est édifiant, conté à ravir, agencé avec une entente scénique des plus adroites, encadré dans des paysages de Touraine vaporeux et poétiques; mais, en somme, cela est adorablement faux. En admettant même que l'auteur ait retracé là des souvenirs de jeunesse, ainsi qu'on nous l'assure, il n'en a pas moins fort embelli les faits et idéalisé les physionomies, à commencer par la sienne.

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Ouf! 578 pages complètement remplies par les prouesses de deux forçats évadés, voilà de quoi satisfaire l'appétit du lecteur le plus robuste. Disons d'abord que de ces deux compagnons de chaîne il y en a un d'honnête, Martin Jalras, coupable seulement d'avoir, dans un transport jaloux, donné un coup de couteau à l'amant de sa femme. Revenu depuis à de meilleurs sentiments, il sert à déjouer les noirs complots de son camarade, l'astucieux et criminel Paloque. Celui-ci, après avoir assassiné et dépouillé un riche banquier de Paris, appelé Vannières, est parvenu,

avec l'argent du vol, à séduire le chirurgien de marine qui devait le disséquer, et s'est fait ouvrir par lui les portes du bagne. Maintenant, en face de ces deux misérables, Paloque et le chirurgien, placez la fille du banquier, Aline, acharnée à la vengeance de son père, et le lieutenant de vaisseau Robert de Laistres, à qui sa main est promise, s'il la seconde dans ses projets, vous aurez les personnages essentiels entre lesquels se joue le drame. Assassins et voleurs seront punis, vous le pensez bien, par les braves gens coalisés contre eux, et Aline épousera son bel officier.

Si le but est prévu, M. Pradel a du moins le mérite de nous y mener par des chemins fort intéressants. Il a vu de près, on le sent, il connaît bien le monde de marins qu'il met en scène et les lieux où se passe l'action. Tous ses confrères ne pourraient pas en dire autant. Il y a plus d'un coin de province où l'on s'est égayė jadis aux dépens des conteurs parisiens et de leur ignorance en géographie. Il me souvient, entre autres, d'un roman d'E. Capendu dans lequel ce grand hâbleur avait prodigué à foison les bois d'oliviers et d'orangers sur un point des Alpes où n'ont jamais poussé que le sapin et le mélèze. On y voyait aussi les bateaux à vapeur sillonner en foule le lac du Lauzet, étroite cuvette qui offre tout juste assez de place pour s'y baigner et nourrir quelques carpes. Dieu merci, M. Pradel ne s'est livré à aucune de ces fantaisies. Son seul tort serait d'avoir eu recours, pour les besoins de son intrigue, au fameux trésor des forçats, la plus folle imagination peut-être qu'ait enfantée l'exubérant cerveau de Balzac. Hors de là, il est vraisemblable, naturel, avec de l'entrain et de la verve et son volume, si long qu'il soit, n'ennuie pas un instant. Il a dû même y introduire un rayon de vérité par le caractère de la Torpiaude, une de ces jolies diablesses du Midi, nées pour la perdition de leurs amoureux, et dont Mérimée a tracé dans Carmen le type le plus parfait.

A. P.

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L'intention qui a dicté son livre à M. Zaccone s'explique à merveille; écoutons-le nous en déduire luimême quelques-uns des principaux motifs : « Prenez, dit-il, un homme dans les conditions ordinaires de la vie, ayant à ses côtés sa femme, ses enfants; gagnant son salaire dans un bureau ou dans les affaires; que verrez-vous qui soit digne d'intérêt ou de remarque? Absolument rien. L'existence de cet homme est prévue. Il mourra comme il aura vécu, calme, modeste, insouciant, laissant derrière lui moins de trace que le bâtiment léger qui imprime à peine sur les flots un sillage fugitif. Tandis que le criminel, au contraire, c'est tout une autre affaire. Avec lui, toutes les conditions de la vie sont interverties. Vous avez une âme qui désire, que l'ambition dévore, que la passion fait tressaillir et palpiter. A celui-là, le cœur bat, la tête brûle, le sang bouillonne. La vie lui a fait des promesses, et il veut qu'elle les tienne; dans la route qu'il suit, il y a au bout l'échafaud. Il le sait, il le voit, et

pourtant il marche toujours. C'est là une étude intéressante qui saisit comme un drame. »>

Oui, cela est vrai, si l'on recherche avant tout les émotions violentes, les crimes, les situations extralégales. Hâtons-nous d'ajouter qu'il n'y a pas grand honneur à se faire le biographe passionné de ces monstres. De plus, une telle besogne offre le grave inconvénient de flatter la paresse d'esprit de l'écrivain. Assuré d'avance que ses récits vont d'eux-mêmes s'emparer vivement de l'attention, il ne prendra même pas la peine de les lier entre eux, de les grouper autour d'une existence vraiment digne d'intérêt. Pour attacher au sort d'un grand coupable, il faut le montrer sous l'influence d'une passion vraie ou d'une fatalité qui l'excuse; sinon, vous ne caressez que la curiosité bestiale de la foule pour les spectacles de vice et de sang. L'auteur d'une Haine au bagne n'a guère fait que cela. Il se fie si pleinement aux instincts féroces qu'il se contente de les annoncer par des scènes de coupe-gorge, exposées avec brutalité, sans aucun art, sans aucun souci d'en éclaircir les causes ni le dénouement. A chaque instant, il coupe sa narration pour aller d'un personnage à l'autre, revenant sur ses pas et enchevêtrant l'intrigue à tel point qu'il est obligé d'en convenir: « Nous expliquerons plus loin tout ce qui peut paraître obscur ici.... Que le lecteur nous pardonne donc quelques lacunes, et qu'il nous croie, quand nous lui promettons de n'avancer aucun fait qui ne trouvera son explication. » Gardez-vous de prendre la promesse au sérieux; ce n'est qu'un leurre. Après avoir promené sa bande d'ignobles coquins dans les repaires les plus hideux, à travers mille aven. tures invraisemblables, M. Zaccone les fait tous pincer par la police d'un seul coup de filet; puis il remplit les dernières pages du volume avec des anecdotes empruntées à Maurice Alhoy sur les forçats les plus célèbres, renvoyant pour sa propre fiction à un second tome qu'il compte bien écouler de même. On se demande à quel public peuvent s'adresser des œuvres torchées de cette façon.

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Entre ses repas, il n'est pas désagréable d'entrer chez un pâtissier et d'y croquer du bout des dents quatre ou cinq friandises choisies çà et là dans les plateaux; mais si le soir, à dîner, on ne trouvait sur la table que des mets de ce genre, le régal serait mince. Il en est à peu près de même pour ces volumes où l'on ne renconte que de légers articles déjà publiés dans les journaux et dont la fraîcheur, si fraîcheur il y a, s'est envolée avec la feuille éphémère. Oh! je connais l'excuse de M. Francis Enne; les saynètes qui composent son livre s'imprimaient en même temps sous les deux formats. C'est donc moins une reproduction, un rechauffé de plats déjà servis, qu'une publication simultanée, s'adressant sous des formes différentes à des publics également divers. J'en conviens. A quoi bon cependant avoir changé le titre adopté d'abord dans le Réveil? J'aurais voulu même

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