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où l'on respire avec délices, au milieu des enfants qui jouent, le parfum des gazons et des fleurs. Ajoutez-y deux ou trois excursions rapides en Seine-etOise, et voilà tous les paysages du roman logés dans son œil.

Tout le monde ayant déjà lu probablement ce nouveau chef-d'œuvre de sensibilité, nous ne l'analyserons pas. On sait que le drame qui s'y déroule a pour moteur principal Mme Autheman, nature rigide qui fait plier les têtes autour d'elle et leur impose son despotisme envahissant. Effrayante incarnation du fanatisme religieux, elle personnifie l'orgueil le plus redoutable, celui qui persuade à un esprit ardent qu'il entend mieux qu'un autre les rapports de l'homme avec le ciel. Elle parle de Dieu sur un ton d'assurance comme de quelqu'un qui n'a rien à lui refuser. Enflammée d'un zèle ambitieux, elle croit travailler pour un noble but, alors qu'elle ne satisfait que sa propre passion. Du reste, pas d'entrailles; son cœur s'est fermé à la terre « et rien de la douceur humaine ne la pénétrera plus. » Tous moyens lui sont bons pour gagner des proselytes; elle brisera sans pitié ni remords les liens les plus étroits de la famille, séparant de braves cœurs faits pour être unis. Dès qu'elle l'aura pétrie de ses mains, Élène Ebsen jusque-là si affectueuse pour sa mère, ne daignera plus lui accorder que des baisers de glace.

En face de la statue de marbre, le romancier a dressé comme contraste Aussandon, le pasteur protestant aux idées tolérantes, à l'àme compatissante, au cœur chaud, qui se jette généreusement entre la tyrannie et les victimes qu'elle écrase, au risque de périr lui-même. Le personnage est d'une émouvante et mâle beauté. Après avoir montré dans toute la cruauté de sa folie un idéal qui offense la nature, il n'était que juste de flatter un peu celui qui la redresse et l'ennoblit.

C'est égal, les sujets théologiques ne sont guère attrayants. Malgré toute la prestesse de sa plume, Alphonse Daudet n'est pas toujours parvenu à dissimuler l'aridité de la matière. Il y a sur les pratiques de Port-Sauveur et sur la façon dont on s'y prend pour entraîner Élène Ebsen quelques pages un peu pénibles à franchir. Mais l'auteur s'en relève aussitôt par une foule de scènes où brille une coquetterie d'esprit qui veut plaire et qui y réussit à souhait. Allons, le voilà, lui aussi, avec son xve chapitre de Bélisaire. Si la Sorbonne théologique n'était pas morte, elle lui eût sans doute accordé les honneurs de la censure et l'eût accusé de « répandre, sous un air de bienséance, les germes les plus propres à inoculer l'incrédulité. »

Je ne sais quelle agréable surprise le romancier nous réserve pour l'an prochain. En tout cas, il lui sera difficile de faire mieux. L'Évangéliste est une perle de la plus belle eau ajoutéé à son écrin déjà si riche. Il est surtout écrit d'un style plein de mouvement et de vivacité. L'expression, même aux endroits tristes, y est gaie et légère, bien dans le génie français. On a souvent et mal à propos distribué à tel ou tel l'héritage de Voltaire. Pour le quart d'heure,

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Il y a loin de Copenhague ou de Christiania à Paris; on s'en aperçoit à la lecture de ce roman, si voisin de ses origines et qui, par plus d'un point, tient encore du poème. Il semble que l'on aborde avec lui dans un monde nouveau, sur un rivage inexploré, tant les mœurs y diffèrent des nôtres. On aura beau dire que la nature humaine est identique en tout pays; chaque climat, chaque latitude, chaque race lui imprime un visage particulier. Nulle part chez les peuples de sang latin vous ne rencontrerez cet humour qui caractérise Norvégiens et Danois, une ironie à la fois narquoise et mélancolique unie à une sorte de simplicité naïve.

M. Édouard Schuré nous a initiés récemment, dans la Revue des Deux Mondes, à la vie et au talent de Biornstierne Biornson, si peu connu jusque-là en France La publication prochaine des œuvres complètes de l'écrivain étranger, dont ce volume ouvre la série, offrira l'occasion à chacun de se former un jugement sur celui que ses admirateurs ont proclamé le Victor Hugo scandinave. Essayons de donner une idée de sa manière par une analyse rapide et aussi fidèle que possible de La fille de la pêcheuse.

Gunlan, grande et forte pêcheuse, hardie à contourner les fiords avec un bateau qui traçait son blanc sillage dans le vert sombre dès flots, eut pourtant la faiblesse, elle si vaillante, d'aimer Pedro Ohlsen, garçon timide et d'un caractère indécis. Après s'être livrée à lui dans un moment d'ivresse, elle en rougit, le roua de coups et s'enfuit au loin, pour revenir neuf ans plus tard, en compagnie de Petra, l'enfant rêveuse et délicate qui lui rappelait sa faute. Voilà le prologue du roman dont la fille de la pêcheuse sera le vrai sujet. Gunnar a ouvert une auberge bientôt fréquentée par les matelots qu'elle mène à la baguette. Elle y fait ses affaires et laisse Petra polissonner par les rues avec les petits gamins de son àge. Un jour que leur bande, surprise à piller un pommier de Pedro Ohlsen, s'est répandue en désordre par la ville, Petra est rencontrée par le fils du pasteur, le jeune et savant Odegaard, qui lui fait honte de son vagabondage et s'offre à lui donner des leçons. Enfant de l'amour et d'un passager caprice, Petra se ressent du hasard de sa naissance; elle n'a aucun goût pour les études sérieuses. En revanche, elle s'abandonne avec une voluptueuse candeur au plaisir d'aimer, surtout d'être aimée. Éprise de son précepteur, elle devient fort triste lorsque, celui-ci ayant quitté le pays pour un long voyage, on l'oblige de prendre le chemin de l'atelier. Là encore elle ne songe qu'à coqueter innocemment. Sa beauté provocante lui attire des hommages et lui vaut deux fiancés,

un rude matelot au cœur d'or appelé Gunnar et un marchand du nom de Yngve Vold. Ce dernier, qui a voyagé en Espagne et en a rapporté de beaux bijoux, serait le préféré : « C'était l'homme le plus riche de la ville; il appartenait à la meilleure famille, et, oublieux de sa fortune et de son rang, il voulait l'élever jusqu'à lui. >>

Sur ces entrefaites, Odegaard revient, enflammé lui aussi, comme bien vous pensez. En apprenant le double flirtage de l'infidèle, il l'accable de reproches. Elle n'est coupable au fond que d'étourderie et ne demande qu'à se reprendre de plus belle pour celui qui l'a élevée et lui a donné le meilleur de ce qu'une áme humaine peut donner à une autre âme. Nouvelle Héloïse, elle adore de nouveau son Saint-Preux, quand l'opinion publique vient par malheur traverser leur passion. Dans une petite ville, où tout le monde se connaît, les moindres infractions aux lois de la bienséance ne tardent pas à être punies. La foule, ameutée contre Petra, la chasse de sa maison à coups de pierres et l'oblige à s'embarquer sur un navire qui la dépose à Bergen. Ici revirement complet chez l'ardente vierge. Elle s'éprend du théâtre et veut à toute force devenir actrice. Après de nombreuses aventures, c'est par là qu'elle doit finir, épou sant l'art faute de mieux. Lorsqu'elle débute, tous ses anciens amoureux et sa mère elle-même lui pardonnent, en voyant avec quelle flamme elle joue Axel et Valborg d'Ohlenschlaeger.

Y a-t-il dans ce type découpé à l'emporte-pièce quelques traits empruntés à Christine Nilsson? Je l'ignore; mais je puis assurer qu'il a beaucoup d'attrait, d'attirance, dirait un moderniste.

Mon analyse incolore n'en peut donner qu'une vague idée; il faut lire le roman. La saveur exotique très prononcée qui s'en dégage flattera certainement le goût des curieux à qui rien ne plaît mieux que les mets étranges.

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L'auteur a placé à la fin de son très court roman quelques-uns des jugements portés par les journaux sur ces précédentes œuvres. Inutile d'ajouter qu'il a choisi les plus favorables. Il n'y a pas de mal à ça, pourvu toutefois que l'on ne prétende pas nous inposer certains de ces éloges comme parole d'évangile. Parmi les qualités que des camarades indulgents reconnaissent si libéralement à Vast-Ricouard, il y en a deux au moins, la justesse d'observation et la profondeur d'étude, que Le Général ne justifierait guère. Avec la meilleure volonté du monde, il est impossible de les découvrir dans cette triviale aventure d'un voyou parisien qui, au régiment, tue son brigadier dans une bagarre d'estaminet. Parce qu'il est fils naturel d'une ouvrière fort intelligente, mais qui ne l'a pu élever sévèrement, est-ce une raison pour qu'il devienne homicide? Quant à l'officier qui, après avoir séduit une jeune fille, refuse de reconnaître l'enfant et ne s'inquiète nullement de lui ni d'elle du

rant des années, il est bien peu naturel dans son remords tardif. Admettons qu'il se ravise, qu'il veuille sur ses vieux jours réparer ses torts et remplir son devoir de père, à qui persuadera-t-on qu'un géneral ait si peu d'action sur le simple soldat placé sous ses ordres, s'il veut le protéger, le faire parvenir? Georges est déjà fort corrompu certainement; il était pourtant facile, si l'auteur l'eût voulu, de le débarrasser de la prostituée qui lui coûte la vie. En somme, il n'y a là qu'une aventure vulgaire, un acte de brutalité aveugle. On nous assure que le fait est vrai; soit. Tout événement, par cela même qu'il a eu lieu, mérite-t-il donc d'être raconté?

P.

La fille aux oies, par JEAN ROLLAND. Paris, Ollendorff, 1883; in-18. Prix: 3 fr. 50.

Aux yeux de la critique, je le sais, nul artiste supérieur n'est responsable du troupeau d'imitateurs qui emboitent le pas derrière lui, copiant ses allures, répétant ses gestes et ne lui laissant, hélas! que son génie et sa flamme. Il n'en est pas moins fàcheux de voir, à la suite de Zola, d'Alphonse Daudet, de Goncourt, tous les naïfs débutants s'ingénier à reproduire exactement le tour de phrase qu'ils ont mis à la mode et le descriptif exagéré de leur style. Oh ! que cette caricature de leurs mines et de leurs gentillesses ne ramène-t-elle nos naturalistes au naturel! Ils y gagneraient au moins de ne pouvoir plus être si facilement pastichés. Voilà, par exemple, M. Jean Rolland qui croit se distinguer en donnant à sa plume un véritable torticolis, afin de contrefaire, en élève docile, la manière en vogue et de balancer, dans chacune de ses lignes, les imparfaits de l'indicatif avec les participes présents. Il ne paraît pas se douter le moins du monde combien cet exercice est puéril. «Ils soufflent dans les mots pour en faire des vessies, » écrivait Lamennais en 1851, comme s'il prévoyait déjà ce débordement de langage vide et déplorablement travaillé. Ce qui rend l'abus plus criant, c'est que tout cet effort se dépense inutilement sur des sujets qui exigeraient au contraire un ton simple, quelque chose de facile et d'aisé, car les jeunes gens commencent en général par l'idylle, la pastorale, les scènes à la Florian, qu'ils ont vu ébaucher dans leur village. Ainsi la Fille aux oies et l'autre nouvelle du volume, Mon grand père Vauthret, n'ont pour acteurs que des paysans. Jugez si les mièvreries parisiennes ou l'argot des ateliers jurent dans la bouche de ces gens-là! Il est vrai que M. Rolland les oublie sans cesse pour colorier des tableaux de forme pareils à celui-ci : « La maison d'allure cossue s'ouvrait au bord de la route. Autour des granges, les garçons allaient et venaient, faisant rentrer le bétail. De gros. tas de fumier se dressaient dans les cours, picorés. par de belles poules, qui parfois y restaient acamies dans l'ébouriffement de leur plumage. La façade, nettement crépie, avait des airs de bien-être bourgeois sous son toit de tuile claire, mais pas un segment de vigne grimpant le long des murs froids, pas un feston de rosier, accrochant aux pierres sèches la grâce de

ses verdures, étoilant de ses floraisons le plâtre gercé et monotone. » Sauf le barbarisme que j'ai souligné, y a-t-il là trace d'originalité? Allons, jeune écrivain, si vous tenez à ce qu'on vous lise, soyez donc vousmême, et non le singe d'autrui.

Le Briou, par PIERRE ELZÉAR. Paris, V. Havard, 1883; in-18. - Prix: 3 fr. 50.

Revenir du Mexique le cœur content et la ceinture gonflée d'or, avec une impatience extrême d'embrasser un frère tendrement aimé, auprès de qui on espère désormais vivre heureux, en lui racontant les aventures merveilleuses, les dangers courus en lointain pays, et voir, au moment même où on débarque, la tête de ce frère tomber sous le couteau de la guillotine, quel guignon! Après l'avoir éprouvé, Roger Guilmain n'aura plus de repos qu'il n'ait vengé son frère injustement condamné, cela va sans dire, et dont l'innocence pour lui n'a jamais fait doute. A force de patientes recherches, il découvre le vrai coupable, un vieux cagot appelé M. de Boismarin, affilié aux congrégations religieuses et qui n'en fait pas moins la cour aux jolies dames.

Mais j'allais oublier un point essentiel, l'explication du titre que porte le volume. La voici. On entend par Briou, dans le patois de Bordeaux, la grâce attrayante, le charme séducteur qui, chez certaines femmes, s'il faut en croire le poète, vaut mieux encore que la beauté. Hélène Peyrel, la victime du drame, avait l'un et l'autre, et c'est ce qui l'a perdue. Mariée à un sot, elle est devenue la maîtresse de Jean Guilmain. Sans y mettre de la coquetterie, elle accueille avec indulgence les hommages, de quelque part qu'ils viennent, se plaisant au contraire à attiser les feux que son briou a allumés. M. de Boismarin, d'abord encouragé, puis repoussé par elle, l'a frappée d'un coup de poignard dans un accès de jalousie et, grâce aux influences mystérieuses dont il dispose, il a fait retomber l'accusation sur Jean Guilmain et a laissé l'innocent monter à sa place sur l'échafaud.

A force de patientes recherches et en cachant le nom qui le déshonore, Roger découvre le vrai coupable, s'insinue auprès de lui, surprend les preuves du crime et, pour mieux tenir le vieillard sous sa coupe, il épouse sa fille Clotilde. Mais l'amour que lui inspire celle-ci désarme à la fin son ressentiment. Il laisse à M. de Boismarin le triste soin de se punir lui-même et ne découvre jamais à sa femme le secret mobile de leur union. M. P. Elzéar a cru devoir mêler à ce drame bourgeois la question religieuse et les jésuites. A quoi bon recourir à une rengaine si usée? A l'heure qu'il est, les bons pères ont d'autres soucis que de jouer de méchants tours aux libres penseurs. Encore si leur intervention eût épargné au romancier l'emploi des autres ficelles. Hélas! non; il n'y a pas de truc auquel il n'ait recours pour donner un semblant d'intérêt à sa fiction, ce à quoi il ne réussit pas beaucoup.

A. P.

L'idiot, par PARIA KORIGAN. Paris, Havard, 1883; in-18. Prix: 3 fr. 5o.

Sous son

nom d'emprunt, d'une sonorité si rauque, Paria Korigan doit cacher une plume de femme. Tout dénonce dans l'Idiot une âme facilement compatissante, ayant la larme toujours prête et le cœur sensible aux misères des petites gens : tout, le choix du sujet, l'agencement des scènes et jusqu'au langage d'une rusticité conventionnelle que l'auteur met dans la bouche des paysans.

Rien de plus navrant que les aventures de cette pauvre fille de village, Marie Kardorec, abandonnée par son père aux mauvais traitements d'une marâtre. Après avoir longtemps souffert les injures et les coups, elle s'enfuit, est arrêtée comme vagabonde et enfermée dans une maison de correction, avec des prostituées et des voleuses qui essayent en vain de la pervertir. Arrive enfin, avec les vingt ans de la mendiante, l'heure de sa libération. Ne croyez pas que le destin lui soit devenu moins contraire. Pour chercher du travail, elle a quitté Nantes, où on l'avait condamnée à demeurer cinq ans sous la surveillance de la police; ainsi le veut la loi. On l'arrête donc une seconde fois et, désespérée, elle se tue en prison, après avoir vu mourir pour elle les seuls amis qui eussent eu pitié de son sort, un idiot et son chien.

L'histoire est touchante, contée d'une façon naïve et sentimentale, sans nul souci de la réalité des choses; il y a pourtant en assez grand nombre de gracieux tableaux de la vie champêtre.

P.

Trievenor, par Alfred D'ALMBERT. Paris, Ollendorff, 1883; in-18. · Prix: 3 fr. 5o.

Cadet de famille entraîné par l'amour du plaisir, Charles Trievenor laisse à son frère aîné, pair d'Angleterre et membre du conseil privé, le sérieux de l'existence, les soucis et les travaux de la politique. Pour lui, quand la joie et le bruit de Londres l'ont un peu lassé, il s'envole pour quelques semaines au château de Bugalough, où l'attend chaque fois une cordiale hospitalité, car le laird de ce domaine est un de ses anciens 'camarades d'université, franc buveur et chasseur intrépide, l'original et bon Mac Travers. Celui-ci, plein de déférence et d'affection pour l'ami dont il admire la vive intelligence, tout en déplorant qu'il n'en fasse pas un meilleur usage, essaye en vain de le détourner du tourbillon frivole où ses jours se passent en débauches. Il va même jusqu'à lui offrir cordialement la main de sa jeune fille Émily qui, malgré la disproportion des âges,soupire déjà en secret pour ce brillant oiseau de passage et serait fière de devenir sa femme.

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d'Angleterre est tué dans un duel, laissant à son cadet son siège à la chambre haute, avec la charge de soutenir dignement l'honneur de leur nom. Dès lors Charles se transforme, devient un homme d'État des plus graves, un orateur écouté. Afin de compléter la métamorphose, il épouse Émily Travers. Faute impardonnable dont il ne tardera pas à se repentir. M. d'Almbert a bâti un roman fort bien charpenté sur les conséquences inévitables d'une telle union. La jeune pairesse, mariée presque enfant à un homme qui a plus de trois fois son âge, n'est absorbée qu'un instant par une maternité hâtive. Bientôt elle ne pourra plus contenir les ardeurs inassouvies de son tempérament et la voix du serpent tentateur résonnera à son oreille. De là, désordres, troubles de ménage, série d'intrigues auxquelles prennent part Fouché, avec sa police, et une courtisane française du nom de Clotilde. Le lord anglais se venge bien par le supplice du séducteur; mais sa fortune s'est écroulée en même temps que la vertu de son épouse. Déchu du pouvoir, il meurt sans héritier, emportant dans la tombe le nom de Trievenor. M. d'Almbert termine ce drame conjugal par une conclusion diantrement pessimiste. Veut-il donc rivaliser avec l'Ecclésiaste de tristesse et d'écœurement?

« Dans le plus beau fruit est un ver qui le ronge; le tronc du chêne pourrit et l'arbre majestueux tombe tout à coup; le palais de marbe s'écroule à la fin. Tout ce qui est humain contient un germe mortel et se dissipe en poussière. »

Comme l'aventure se passe au moment même où l'Angleterre subit le contre-coup de la révolution française, l'auteur a dû toucher, au moins en passant, à la lutte qui s'éleva à cette occasion entre whigs et tories, et citer les plus illustres d'entre ceux qui y prirent part, Fox, Pitt, Sheridan, Burke. On n'aurait pas été fâché qu'il eût plus largement dessiné ce cadre grandiose, en assignant à Trievenor un rôle dans la mêlée héroïque. Son roman y aurait considérablement gagné en intérêt.

Le colonel Ramollot, par CHARLES LEROY. Paris, Marpon et Flammarion, 1883; in-18, avec eau-forte et gravures. - Prix : 5 francs.

Quoique de mince valeur, ce livre divise la critique. Laissez, disent les uns, laissez donc ces charges extravagantes là où elles sont à leur place, dans les colonnes du Tintamarre, entre deux annonces, la moutarde Bornibus et les clysopompes. Ceux qui aiment ces sortes de ragoûts sauront bien les y trouver. Le beau régal vraiment que des pages farcies de jurons ineptes, de n... de D..., de s' crongnieugnieu, de j' vous f... d'dans et autres grossièretés ! Bah! répondent les autres, le sel est un peu gros, c'est vrai, mais il n'en pique que mieux la langue. On a beau vouloir tenir son sérieux et froncer le sourcil, il faut rire, et comment se montrer sévère après cela?

Sans avoir d'avis bien précis en si grave débat, je sais gré à Charles Leroy d'avoir fourni à ses amis les

dessinateurs une excellente occasion de profiler quelques silhouettes d'un grotesque amusant. Il y a même, en tête du volume, une eau-forte de J. Hanriot qui, à elle seule, vaut presque l'argent. On peut bien accepter le reste par-dessus le marché.

Les idées de Pierre Quiroul, par Louis DAVYL. Paris, Ollendorff, 1883; in-18.- Prix: 3 fr. 50.

Lorsque M. Davyl quitta le Figaro, où il avait chroniqué pendant quelques mois, son départ fut salué d'une note peu flatteuse. Au Gaulois, où il émigra ensuite, la signature Pierre Quiroul n'a figuré que de loin en loin; elle a même fini par disparaître tout à fait. Il y a ainsi dans le journalisme des astres errants, que l'on voit poindre tantôt au nord tantôt au midi, et qui s'éclipsent on ne sait comment. M. Davyl est du nombre. Il mériterait mieux, ce nous semble. Non que ses articles, aujourd'hui réunis en volumes, soient tous piquants. Oh! non, bien au contraire. Ce qui leur manque, en général, ce n'est ni le bon sens ni la finesse, mais la vivacité d'allure, le trait, la pointe, le coup de fouet qui attire l'attention. Que voulez-vous que fasse le public en se voyant sollicité par tant de ténors qui chantent à la fois? Il court au plus habile ou au plus gaillard. En fait de chronique, il ne suffit plus d'écrire purement et de conter l'anecdote avec assez d'art; il faut encore varier ses airs, multiplier ses informations, avoir le diable au corps et à la plume.

Il y a pourtant dans ce livre quelques portraits d'écrivains et d'artistes que M. Davyl a connus de près et dont il rend avec beaucoup de vérité la physionomie originale, Barbey d'Aurevilly, Baudelaire, Darcier, Grévin, etc. Le morceau le plus attrayant, sans contredit, c'est le dîner auquel Balzac invita Gustave Planche, en lui proposant de le nommer ambassadeur à Constantinople. L'imaginative étrange de ce rêveur de génie s'y donne ample carrière. Vraie ou non, l'aventure est plaisante et tout à fait caractéristique.

THEATRE

A. P.

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Cet à-propos a été joué à l'Odéon : il a les qualités et les défauts de ces sortes de petites pièces, assez difficiles à mettre debout sans fausser un peu l'histoire. Ici le défaut grave est non pas dans les faits, ils sont sans importance; mais dans le caractère essentiel : il est absolument inconcevable que Racine ait trouvé une raison suffisante d'épouser celle qui fut sa femme de ce fait qu'elle a lu et qu'elle aime ses tragédies. Il s'est marié par dégoût du théâtre, il s'est marié dans un brusque et violent revirement vers la religion, vers l'austérité de Port-Royal. Et Mlle de Romanet n'a jamais montré plus tard qu'elle eût vu et préféré dans Racine le poète dramatique; c'est l'historiographe du roi qu'elle épousa. - A part cela, ce petit acte renferme des vers bien tournés.

P. Z.

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Le volume, outre les pièces demeurées au répertoire, en contient encore quelques-unes qu'il faut lire si l'on veut avoir exactement l'impression que procure la manière de Marivaux, manière fort à la mode aujourd'hui et qui ne charme pas mal de gens, mais qui donne aussi sur les nerfs à beaucoup d'autres. J'avoue, pour ma part, ne la trouver plaisante qu'extérieurement; elle sent trop le salon, le boudoir, les ruelles. Ce sont, à chaque pas, des mots de vaudeville plutôt que de comédie, et soulignés avec affectation. Dans le Legs, par exemple, le valet de chambre Lépine, lorsqu'on lui ordonne d'aller quérir le notaire pour le contrat de mariage de son maître, ce dont il est fort contrarié, s'empresse de répondre : « Nous avons la partie de chasse tantôt; je me suis arrangé pour courir le lièvre et non pas le notaire. On rit, parce que le propos est comique. Mais si plus loin il ajoute : « Voici que je me sens mal, extrêmement mal; d'aujourd'hui je ne prendrai ni gibier ni notaire »; n'y a-t-il pas un léger abus? Pour un talent si fin que celui de Marivaux, n'est-ce pas trop appuyé? M. de Lescure, dans l'éloge couronné par l'Académie et placé en tête du volume, indique avec discrétion ce défaut, qui ne doit pourtant pas, je pense, le choquer excessivement, car lui-même incline volontiers du côté de ces agréments un peu frivoles. Son étude, très sérieuse au fond et animée d'un mouvement plein de verve, qui invite à continuer, n'est pas exempte d'une certaine recherche. Le sujet, il est vrai, semblait commander le ton de la chanson; en telle matière, il est bien permis de souffler quelques bulles d'azur et d'or, sans épargner le savon. Bagatelles, dira-t-on. Ne trouve pas qui veut de ces bagatelles. Le spirituel lauréat me paraît cependant s'être légère

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Amoureux de l'actrice Hymnis, qui n'a pour lui que des dédains, Néron s'en venge en faisant assassiner Cléombrote, son rival; puis, du haut de la tour de Mécène, l'artiste impérial chante sur sa lyre l'embrasement de Troie, tandis que Rome entière, incendiée par ses ordres, flamboie au-dessous de lui. Sa joie féroce est troublée un instant par le complot de Sextus, qui aurait voulu affranchir l'univers d'un tel histrion. Mais la tentative échoue et Sextus se précipite lui-même dans le brasier. Son insuccès était à prévoir, s'il est vrai que les Romains fussent devenus déjà aussi efféminés que nous les peint M. Robert par la bouche de l'un d'eux :

Je n'ai plus désormais ici-bas d'autre envie
Que de jouir en paix des seuls biens de la vie.
Les roses de Pestum ne durent qu'un moment :
Je veux en respirer le parfum librement;

Je veux, sans nul souci des clameurs populaires,
Pouvoir m'étendre au pied des hêtres séculaires
Et voir sous la feuillée, à l'heure de midi,
Filtrer le rayon d'or qui m'arrive attičdi.
J'ai la mer aux flots bleus où se baigne Caprée,

Les montagnes, les bois, l'azur profond des cieux Pour y plonger sans cesse et mon âme et mes yeux. Que m'importe le reste !...

P.

La Bonne Aventure, opéra-bouffe, par Eм. DE NAJAC et H. BOCAGE. Paris, Ollendorff, 1883; in-12.Prix 2 francs.

Pure folie pleine de jeux de mots, de coq-àl'àne inattendus. L'esprit souvent stupide qui court les trottoirs y foisonne. On s'y moque insolemment du sens commun et de la grammaire. Tous les personnages sans exception jargonnent à qui mieux mieux, courant les uns après les autres comme piqués de la tarentule et ne se retrouvant qu'à la fin, pour une double noce. C'est d'une gaieté bruyante, d'une ivresse passablement frelatée et qui tient du délire épileptique.

La Femme, saynète en un acte, par GRENET-DAncourt. Paris, Ollendorff, 1882; in-8°. - Prix: 1 franc.

Deux conférenciers d'avis différents et réunis sur la même estrade parlent ensemble de la femme, l'un pour en faire l'éloge et l'autre la critique. On voit d'ici

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