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les-Mines, c'est faire du socialisme pourtant, mais

du meilleur.

Il convient toutefois de faire certaines réserves. Ainsi quelques passages sentent trop la polémique. Or c'est une erreur de voir dans l'âme de l'enfant, ou dans celle de l'ignorant, cet homme à l'enfance prolongée, une cire molle disposée à se laisser modeler. Certaines assertions absolues, disons le mot, partiales, iront à l'encontre du but cherché. Que fait, d'autre part, le portrait de M. Gambetta parmi les illustrations? N'est-ce pas une imitation blàmable de ces images d'Epinal où l'empereur et l'impératrice étaient représentés dans des attitudes plus ou moins théâtrales?

Pour compléter ces critiques de détail, signalons l'inexacte détermination du rôle et de la responsabilité des percepteurs (p. 48), un défaut d'explications sur la Cour de cassation (p. 59), — un puéril rappel du titre de desservant (p. 94), la mention de l'emploi de piqueur actuellement supprimé (p. 99), - l'affectation erronee d'agents voyers à tous les départements (p. 100), un motif un peu spécieux de la limitation des pouvoirs des Conseils municipaux (p. 104). Enfin, et ceci est plus grave, M. Paul Bert nous déclare en possession de la liberté d'association et de la liberté de réunion. Il aurait dû ajouter que ces deux libertés n'existent encore qu'à l'état de tolérance.

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depuis longtemps: rendre aimable l'économie politique, sans lui rien enlever néanmoins de la solidité de ses principes et de sa forme scientifique

Sous le titre modeste d'éléments d'économie politique, cet ouvrage, supérieur à n'importe quel manuel, vaut autant que le plus volumineux, le plus vanté des traités sur la matière: tout y est. Le savant n'a qu'à l'ouvrir; sa science économique pourra se rebiffer contre des théories qui ne sont point les siennes, mais elle n'aura point de lacunes à déplorer. Lejeune homme ignorant ou qui sort des écoles avec son bagage fort mince de connaissances universitaires, possédera à fond, après l'étude de cet ouvrage, les importants problèmes de la question sociale et économique.

M. E. de Laveleye a su rattacher intimement son sujet à celui des autres branches des études humanitaires, c'est-à-dire à la philosophie, à la morale et aux souvenirs de l'antiquité, à l'histoire et à la géographie. Comme méthode, à l'énoncé de chaque principe l'éminent professeur a joint un exemple, un fait, une maxime, de telle sorte que le volume, ainsi grossi, paraît cependant plus court, parce que l'attention est plus soutenue. Notre économiste commence ainsi le chapitre des consommations de luxe : « Au >> XVIIIe siècle, on discutait beaucoup au sujet du » luxe. « Le luxe, dit un financier, soutient les États. >> "«< Oui, répond un économiste, comme la corde soutient >> un pendu. » L'économiste avait raison. » Y a-t-il un procédé plus original pour exciter davantage chez le lecteur le désir de connaître la suite? - Certes, ce n'est point nous qui blâmerons M. E. de Laveleye de s'être écarté assez souvent de la marche habituellement suivie en économie politique, puisque suivant lui, et avec raison, l'objet de l'économie politique n'est pas celui qu'on indique d'ordinaire.

Il fallait à M. E. de Laveleye son style nerveux, correct et sobre, qui le met au rang des bons écrivains; il lui fallait sa vaste et géniale science d'économiste pour mener à bonne fin l'œuvre qu'il a conçue et écrite dans l'intérêt de la jeunesse.

L. B.

SCIENCES NATURELLES

L'Électricité et ses applications. Exposition de Paris, par HENRI DE PARVILLE. Un vol. in-8° avec 187 figures dans le texte. Paris, G. Masson, 1882.Prix: 6 francs.

Ce volume abonde en renseignements, c'est presque un manuel complet d'électricité; la description des machines et appareils y est faite avec une lucidité qui touche à la perfection; on voit que l'auteur est maître de son sujet, qu'il a étudié à fond, et cette

compétence lui permet d'émettre sur bien des points des jugements sommaires très exacts, sans se perdre dans les discussions. L'auteur y étudie successivement les piles, la mesure des quantités électriques, les générateurs mécaniques d'électricité, l'emmagasinement de l'électricité, le transport de l'énergie à distance par le moyen de l'électricité, tous les systèmes de lumière électrique, les téléphones et une trentaine d'applications industrielles accessoires de l'électricité, dont on a vu des projets ou spécimens à l'Expo

sition de 1878. Les chapitres qui offrent le plus grand intérêt d'actualité sont ceux qui traitent du transport de l'énergie à distance et des lampes électriques par incandescence. Le transport de l'énergie à distance repose sur le fait fondamental que voici: si l'on a deux machines Gramme identiques disposées dans un même circuit et situées à une distance quelconque, lorsque l'on fera tourner l'une d'elles l'autre se mettra à tourner aussi. On perd de la sorte la moitié et plus de l'énergie dépensée sur la machine réceptrice, mais on peut transporter au loin des forces motrices qui ne coûtent presque rien à emmagasiner; on parviendra ainsi à utiliser, à Paris la force des marées du Pas-de-Calais et, avant cela, on produira dans les mines de houille, sur place, par la combustion du charbon, de la force motrice que l'on expédiera au loin par de simples fils conducteurs de cuivre, au lieu de transporter le combustible lui-même par les chemins de fer. Pour ce qui concerne les lampes électriques à incandescence, on sait que la lumière qu'elles fournissent coûte beaucoup plus cher que celle des diverses lampes électriques à charbons brûleurs, mais elles sont les seules auxquelles on puisse songer pour l'éclairage des appartements. Elles rivalisent avantageusement avec le gaz dans un grand nombre de circonstances, mais le bénéfice n'est pas assez grand pour que le gaz perde rapidement sa clientèle. L'éclairage au gaz reste le plus économique toutes les fois que de faibles lumières suffisent.

MÉLANGES

Dr L.

Le livre des métiers manuels, répertoire des procédés industriels, tours de mains et ficelles d'atelier, etc., par J.-P. Houzé, orné de cinq planches hors texte, comprenant de nombreux dessins techniques. Un vol. in-18. Paris, Gaston Samson, 1882.

Nous signalions, il y a quelques mois, un ouvrage paru chez le même éditeur et portant pour titre : la

Pêche à toutes les lignes. Nous sommes heureux d'avoir à renouveler aujourd'hui les compliments que nous faisions alors à l'éditeur pour le soin qu'il avait apporté à l'exécution de l'ouvrage. Ce livre des métiers est une œuvre éminemment utile. Son auteur, M. Houzé, à qui nous devons déjà l'Encyclopédie nationale et le Trésor de la famille, a compris que la science pratique moderne devait être humanisée et mise à la portée de tous. Il a voulu faire, comme il le dit lui-même, un manuel des classes laborieuses. Les sciences industrielles sont sujettes à des changements journaliers, par suite de progrès incessants : les amateurs, les ouvriers des petites villes ne peuvent matériellement pas se tenir au courant. M. Houzé a la volonté de leur venir en aide. Ce livre « a pour objet, dit-il, de décrire, en un langage clair et compréhensible à tous, les procédés employés dans les arts et l'industrie, et surtout ceux qui ont pour but de simplifier et d'abréger le travail, ceux qu'en langage d'atelier on nomme tours de main, trucs ou ficelles ».

Ce livre ne s'adresse point aux savants, qui le trouveraient sans doute fort incomplet: aussi la classification adoptée n'est-elle rien moins que scientifique. Une table alphabétique des matières permet de retrouver à l'instant et sans recherches fastidieuses le paragraphe qui intéresse le lecteur. Cette table renvoie au numéro sous lequel est comprise chacune des matières traitées dans ce volume.

M. Houzé, d'ailleurs, ne se proclame pas impeccable. « L'auteur, dit-il, acceptera avec reconnaissance les critiques, observations et communications relatives aux matières traitées dans ce recueil, qu'on voudra lui adresser par l'entremise de son éditeur. » Comment pourrait-on se montrer sévère envers un auteur qui, après avoir fait un livre bon et utile, se met si entièrement à la disposition de ses lecteurs?

H. M.

SCIENCES MÉDICALES

De l'ataxie locomotrice d'origine syphilitique, par ALFRED FOURNIER, professeur à la Faculté de médecine de Paris, membre de l'Académie de médecine. Un vol. in-8° de 388 pages. Paris, G. Masson, 1882.

L'ataxie locomotrice ou tabes dorsalis, dont la découverte comme maladie distincte ne remonte qu'à

Duchenne (de Boulogne), est l'une des affections qui, grâce à la bizarrerie de ses symptômes, ont le plus de notoriété dans le public extra médical. Tout le monde sait que les ataxiques, sans avoir perdu notablement de leur force musculaire, ont perdu le sens de la coordination des mouvements et ne peuvent plus, dans l'obscurité, marcher ou accomplir d'autres actes très simples. Dans son essence, cette maladie

consiste en une destruction des cordons postérieurs de la moelle: elle est incurable: les traitements les plus heureux parviennent seulement à en ralentir la marche; l'ataxique souffre, se paralyse et dépérit progressivement; il est ordinairement emporté par quelque affection incidente, de forme aiguë, ou par la tuberculose pulmonaire, cette terminaison habituelle des maladies chroniques. — M. le professeur Fournier expose dans ce volume tout ce que l'on sait aujourd'hui sur l'ataxie locomotrice, et il développe très longuement les signes qui servent à fixer le diagnostic dans la première période, dite pré-ataxique, celle où la medication donne les meilleurs résultats; mais le principal intérêt de ce remarquable ouvrage est la révélation de la véritable cause de l'ataxie. Les quatre cinquièmes des malades ont des antécédents syphilitiques éloignés, de sorte que si l'on tient compte des syphilis inavouées ou ignorées on peut dire que l'ataxie est presque toujours d'origine syphilitique et qu'elle appartient aux manifestations tertiaires. Cette cause prédisposante ne suffit pas toujours à la faire éclore: les excès et les fatigues de tous genres jouent le rôle de causes déterminantes. On remarque que l'ataxie súit le plus souvent des syphilis d'apparence bénigne et qui, pour ce motif, n'ont pas eté régulièrement soignées. La conséquence de cette découverte, c'est que l'on devra instituer un traitement anti-syphilitique dès l'apparition des premiers symptômes ataxiques ou, plus exactement, lorsque ces symptômes ne se manifestent pas encore, mais qu'on parvient à les évoquer par des artifices de diagnostic. Grâce à cette médication, M. Fournier a vu s'arrêter l'évolution de quelques ataxies, mais le traitement anti-syphilitique n'a plus aucune efficacité contre l'ataxie conformée.

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avec la plus grande facilité. Après cet éloge, il ne nous reste qu'à examiner les sujets traités. Ce sont les aliments et les boissons, la gymnastique, le chauffage, le tabac, l'obésité et la maigreur, les affections des voies respiratoires, la médecine d'urgence et les nouvelles méthodes d'alimentation artificielle et de gavage dans les dyspepsies. Le tout est conforme aux données les plus récentes de la science. Je ne ferai qu'une seule critique: les chapitres relatifs à l'alimentation sont écrits suivant les goûts, les sentiments et caprices de l'auteur et non d'après les règles exactes de la chimie et de la physiologie. C'est jusqu'à présent le défaut de tous les traités d'hygiène alimentaire. M. Vigouroux n'aime pas la bière, cela se voit dès les premières lignes; aussi ne fait-il attention qu'aux inconvénients de cette boisson, tandis qu'il n'aperçoit aucun de ses avantages; il est de même très injuste à l'égard de la viande de porc, sans doute parce qu'il la digère mal. Un hygiéniste ne devrait jamais oublier que tous les estomacs et tous les pancréas ne se ressemblent pas.

Des maladies utérines et de leur traitement par les eaux de Cauterets, par le docteur CoNSTANT ROBERT (de Pau). Un vol. in-8° de 164 pages. Paris, G. Masson, 1882.

Cette publication se compose d'un consciencieux travail historique sur les sources de Cauterets et d'un mémoire sur les maladies utérines et leur traitement par l'ergot de seigle, le sulfate de quinine et l'électricité. On est un peu surpris de voir les eaux de Cauterets en cette compagnie, mais on excuse l'auteur en considérant qu'il a l'esprit fortement préoccupé desdites eaux. Elles sont assurément l'un des agents thérapeutiques qui peuvent servir dans certains cas contre les maladies utérines, mais elles ne jouissent à cet égard d'aucun privilège spécial. Les médecins liront avec intérêt les remarques personnelles et originales de l'auteur concernant l'action physiologique des eaux sulfureuses en ellesmêmes et comparée à celle des autres agents thérapeutiques.

Dr. L.

SCIENCES MILITAIRES

Le Camp retranché de Paris, par A. QUILLET SAINT-ANGE. Un vol. in-8° de 320 pages. Paris, P. Ollendorff, 1882.

Dans un ouvrage justement estimé et évidemment inspiré par une haute personnalité militaire,

M. Ténot nous faisait connaître récemment dans tous ses détails le système définitif adopté pour mettre notre frontière démembrée à l'abri d'une nouvelle invasion.

Une précédente étude du même auteur avait envisagé, d'autre part, le nouveau camp retranché de

Paris, et démontré quelle était sa fonction et quel rôle il était appelé à jouer si de funestes éventualités se représentaient jamais. Cette question vient d'être reprise sous un nouvel aspect par M. Quillet SaintAnge.

Estimant à plus du double l'augmentation du périmètre de la ligne d'investissement par la construction des forts actuels, périmètre porté maintenant de So qu'il était en 1870, à près de 170 kilomètres, il démontre que le blocus d'une circonférence aussi étendue n'exigerait qu'une force de 400,000 hommes environ; c'est-à-dire que l'augmentation de l'armée d'investissement ne croitrait pas proportionnellement à la longueur de la ligne à investir. En somme, cette opération ne serait pas au-dessous des efforts 'une puissante armée allemande.

La construction du nouveau système de forts autour de la capitale, dit l'auteur, ne résout donc pas complètement le problème: Rendre le blocus de Paris impossible.

M. Quillet Saint-Ange oublie que cela n'a jamais été la prétention des hommes éminents qui ont conçu notre nouveau système de défense. Toute place assiégée ou bloquée a besoin d'une armée de secours extérieure pour être dégagée; elle ne peut se sauver avec ses propres forces. L'histoire l'a amplement démontré; mais l'auteur tient à empêcher même

l'investissement de Paris, et, pour arriver à ce but, il ne songe à rien moins qu'à étendre démesurément le camp retranché, au point de le faire aboutir à la mer du côté du Havre, en comprenant dans ses longs bras tout le cours de la Seine. Cette longue ligne de forts, espacés au plus de 12 kilomètres les uns des autres, ne comporterait pas moins de vingt et un ouvrages sur la rive droite et de trente sur la rive gauche.

L'auteur a étudié avec le plus grand soin la position exacte à attribuer à chacune de ces forteresses et cette longue discussion emprunte bien la moitié du volume. Abstraction faite des dépenses énormes qu'occasionneraient ces cinquante ouvrages, nous ne croyons pas, militairement parlant, ce projet discutable. Rien ne serait plus facile à forcer qu'une pareille ligne, présentant forcément des trouées, des points faibles, et qui réaliserait le type d'une véritable muraille de la Chine. Nous ne parlons pas des nombreuses troupes immobilisées, tant pour la défense des forts eux-mêmes que pour la constitution des réserves appelées à agir dans l'intérieur de ce camp retranché.

En somme, l'idée généreuse de M. Quillet SaintAnge ne nous semble pas pratique et nous doutons fort de son succès en haut lieu.

C. M.

BELLES LETTRES

ROMANS

Léonie Chambard, par PAUL VIGNET. Paris, Charpentier, 1882, un vol. in-18 jésus. Prix: 3 fr. 50.

A n'en pas douter, l'auteur de Léonie Chambard est un jeune, un débutant. On sent cela immédiatement, avant d'avoir ouvert la première page, rien qu'à ce sous-titre, Histoire d'un tête-à-tête, qui conserve son franc parfum de gourme littéraire et qui ferait pousser aux moralistes de l'école épicurienne des exclamations dans le goût suivant :

«Eh bien! eh bien! jeune homme, nous avons donc fait nos petites fredaines, comme tout le monde, et nous grillons du désir de les raconter, de les mettre en noir sur du papier blanc? Hein! la bonne chose! Dire au public ce qu'on a souffert! Comment on a aime! Comment on a été aimé! »>

M. Paul Vignet n'a pu résister à ce caprice juvénile, et nous qui cherchons les écrivains de valeur avec le

véritable désir de les trouver, surtout parmi les jeunes, nous étions tout disposés à le louer, mais...

La première ligne met d'abord en méfiance. En effet, comment lire, sans une moue désappointée, ceci :

« André était garçon: l'aube de son trente-cinquième été avait lui sur son célibat. »

Puis: « Après l'orage de 1871, le vaisseau de la vieille Lutèce fendait enfin des eaux clémentes. »

Son héros, fort bizarre, presque autant que le style du livre, fond sur les cafés, assaille les gares de chemins de fer, franchit des départements sur la croupe du monstre d'airain. Nous arrêtons ici ces premières citations qui pourraient se prolonger à l'infini, lassantes, sans arrêt. De plus, est-ce par coquetterie pour notre siècle scientifique, le siècle de la vapeur et de l'électricité? l'auteur de Léonie Chambard a adopté un style que nous n'avions encore vu employer que pour les télégrammes. Les phrases ont rarement plus d'une ligne, souvent moins, et ne se composent que

de substantifs munis d'adjectifs, fort peu de verbes, pas d'articles on croirait à quelque fantaisiste gageure. Constamment se présentent des phrases ainsi construites :

« Existence régulière, mathématique. » Ennui résigné, sans phrases. »

« Flánerie longue, intelligente. »

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Température écœurante, ombrage brûlé, absence de courses et de cafés-concerts. »

« Donc, ménages détraqués, appel aux services de la portiere pour le lit et les eaux sales, la pâtée impossible, le bouillon ineluctable. »

Nous pourrions encore citer à l'infini, comme dans le premier cas, mais nous croyons qu'un pareil échantillon suffit. Il nous devient, par suite, impossible de faire entrer le lecteur plus avant dans cette histoire d'amours, aussi étrange que le style, et de le mettre plus longtemps en tête à tête avec Léonie Chambard.

L'Amour qui saigne, par RENÉ MAIZEROY. Bruxelles, H. Kistemaeckers, 1882, in-16.

M. le baron Toussaint a rassemblé là une dizaine d'articles publiés d'abord dans le Gil Blas et qui se terminent tous d'une façon lugubre. On n'y voit guère que des victimes de la galanterie ou de l'amour, Après avoir quelquefois débuté sur un ton plaisant, comme dans la Victoire de Ninoche, le conteur rembrunit ses couleurs et tourne brusquement au noir. Est-ce parti pris ou penchant naturel? En tout cas, cela devient monotone en diable et peu récréatif, malgré les visibles efforts de l'auteur pour communiquer à la froide nudité du fond un peu de chaleur artificielle. Il y a une de ces nouvelles, la Vierge à la chaise, où s'exhibent des vices bien ignobles. Quand on a écrit de pareilles choses, on n'a plus le droit, ce me semble, de s'ériger en austère censeur et de tonner, même contre les androgynes, du haut des colonnes du Figaro. Un peu de pudeur, s'il vous plait; sinon vous laisseriez croire que ces feintes indignations sous le masque n'ont d'autre but que de ruiner plus facilement la concurrence.

P.

Macha, par PAUL D'Orcières. Paris, Rouff, 1882, in-12. Prix: 3 francs.

Avons-nous achevé de descendre les degrés de l'abjection? Sommes-nous enfin tombés au fond de la sentine sociale? On a quelque droit de l'espérer quand on a lu Macha, à moins qu'un nouveau romancier-feuilletonniste à l'imagination plus frelatée encore n'invente des turpitudes auxquelles M. d'Orcières n'aurait pas songé. Il est étrangement sale, son roman, et les individus qu'il y met en scène auraient pu, sans inconvénient d'aucune sorte, rester dans la coulisse fangeuse où ils se plaisent. Pour se faire une idée de leurs mœurs, qui défieraient, dit l'auteur, les inventions d'un sadisme encore inédit, il suffit de lire ce qui suit : « Il y a des jours où l'on ne peut faire un pas dans cette maison sans marcher sur un

amant de Mme Fauconnet. Un soir que vous aviez eu le front d'en réunir jusqu'à six dans votre salon bleu, je vous ai surprise quittant par intervalles cette compagnie de gâteux et courant d'étage en étage pour en consoler alternativement quatre autres, des préférés, ceux-là, des exigeants, ou de gros créanciers, que vous combliez tour à tour de vos ardeurs renouvelées. >>>

Ne croyez pas être au bout; Mme Fauconnet, outre ses débordements personnels, sert de proxénète à de vieilles femmes lubriques et séparées de leurs maris. Lorsqu'elle n'a plus d'autre ressource, elle vend sa propre fille Andrée, une enfant de quinze ans; à des banquiers peu délicats. Sa maison tient de la forêt de Bondy, de l'église et du sérail. Espèce de FamilyHouse interlope, d'hôtel garni transformé en lupanar, elle abrite indistinctement des femmes du monde, des étrangers de distinction, des moines, des clercs d'huissier rompus à toutes les infamies. Le seul être un peu moins répugnant qu'on y rencontre serait le mari de la matrone, M. Fauconnet, timide employé de ministère; mais le romancier l'a rendu ridicule et n'a fait de lui qu'une mauvaise contrefaçon du Marneffe de Balzac. On ne peut estimer l'homme qui a subi pendant quinze ans la cohabitation d'une telle chienne et qui ne se résout à la tuer froidement qu'après lui avoir laissé prostituer leur fille à plusieurs reprises. Tout ce monde se livre à des actes si ignobles que M. d'Orcières en est réduit, pour ne pas nous révolter en les racontant, à remplir ses phrases de termes abstraits ou mythologiques. La précaution juge son œuvre.

P.

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Dans le monde si vaguement esquissé par M. Claudin, l'union conjugale se contracte, paraît-il, bien à l'étourdie, à l'aveuglette, puisque la riche héritière Iseult de Marigny, guidée par son oncle le colonel et par une douairière des plus expérimentées, finit par épouser, entre les nombreux prétendants accourus à son château de la Jarretière, le moins estimable de tous, Louis de Fernay, sorte de loup caché sous la peau d'un mouton, qui a séduit une jeunesse, lui a fait deux enfants et l'a abandonnée à son triste sort! Au moment même où le mariage vient d'être béni par le prêtre, la fille séduite apparaît, comme dans M. de Pourceaugnac, avec ses deux mioches. Indignation générale, ainsi que vous le pensez. Louis de Fernay, provoqué par le colonel, se dérobe et part pour l'Amérique. Voilà donc Iseult épouse vierge et veuve d'un mari vivant, dont elle doit porter le nom; que va-t-elle devenir? Élevée au Sacré-Cœur, où elle a reçu une instruction sérieuse et puisé des sentiments religieux, elle ne saurait faillir. Elle retournera donc pleurer au couvent, comme la fille de Jephté sur la montagne, une virginité qui lui pèse, cherchant dans la prière, dans la lecture de l'Imitation quelque réconfort à l'amertune de sa douleur. Hélas! ni oraisons ni livres pieux ne

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