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mé par leur nouveauté et le brillant tirage en couleur tout le clan des amateurs progressistes, et je me compte au nombre de ceux-ci. Ces jolis dessins moyen åge, délicieusement enluminés et tirés dans le texte, apparaissaient pour la première fois sur le vélin du papier avec un charme indiscutable. On pouvait s'attendre à un succès de très grand retentissement et à un empressement inaccoutumé du public dilettante. L'heureux imprimeur M. Lahure récolta, avant même l'apparition de l'ouvrage, une médaille d'or, hommage suprême du jury, et l'on pouvait croire que tout bibliophile d'Europe irait aussi de sa petite médaille d'or monnayée, et que le livre bijou serait épuisé le jour même de sa mise en vente. Il n'en est rien et, à parler franc, je le conçois. En feuilles exposées séparément l'ensemble était exquis; en ouvrage broché les illustrations paraissent trop clairsemées et mesquines. Le livre semble creux pour employer un mot courant; l'illustration coloriée ne foisonne pas suffisamment, et les petits sujets natures mortes sont réellement trop noyés dans le texte, alors qu'ils devraient l'enserrer davantage et surtout l'interpréter, ce qu'ils se gardent bien de faire. En outre, la justification du texte est trop carrée, quelques lignes de plus à la page eussent donné une heureuse harmonie. Si je critique aussi aisément, c'est que je crois refléter exactement le sentiment public plus ou moins net, précis ou accentué à ce sujet, mais néanmoins stationnant dans le vague de cette locution: « C'est charmant ét ce n'est pas encore cela. >>

Le texte du spirituel Armand Silvestre est emprunté à un conte à la manière de Villon et qu'il a su finement approprier au goût du jour avec sa belle allure de styliste et d'érudit. Le Conte de l'archer inaugure la Collection Lahure qui prend pour devise En avant avec une impétuosité de sanglier. Les libraires éditeurs Rouveyre et Blond se sont associés à cette heureuse entreprise, sous leur bannière Poco a Poco, car l'entreprise sera heureuse et fructueuse et l'on peut cueillir déjà des roses sans épines pour en enguirlander les ouvrages en préparation, lesquels seront mirifiques et de toute perfection, cela ne saurait faire doute.

0.

Hier, par ALEXANdre Piédagnel. Paris, Claude Motteroz, imprimeur-éditeur. MDCCCLXXXII. Un vol. in-8° de 108 pages; illustré d'un frontispice et de 110 dessins originaux de P. AVRIL; tiré à 500 exemplaires sur papier vélin, 100 sur papier teinté, 100 sur Japon et 50 sur Chine, tous numérotés à la presse (15, 40, 50 et 60 francs). En vente chez Rouquette, éditeur, passage Choiseul, 57.

M. A. Piédagnel, ancien secrétaire de Jules Janin, connu déjà par un volume de poésies (Avril, Paris, Liseux, 1877), par diverses courtes notices et introductions mises en tête de réimpressions récentes, et par quelques autres opuscules, a réuni sous ce titre : Hier, qui indique assez bien la pensée générale du recueil, une trentaine de sonnets et dix à douze petites pièces de vers d'une facture correcte et facile. Il n'y a certes pas lieu de s'étendre beaucoup ici sur ces

rimes, que Voltaire n'eût point hésité à comparer à ces honnêtes filles qui ne font point parler d'elles. Peut-être eût-il mieux valu que l'auteur se montrât plus difficile dans le choix des pièces de jeunesse qu'il a admises dans son nouveau livre; quelquesunes sont de simples vers de circonstance qui n'offrent pas grand intérêt pour les lecteurs; d'autres, encombrées d'épithètes, dénotent plus de recherche de la correction que de véritable sentiment poétique.

Faisons cependant une exception pour un sonnet : Noël, petit tableau vraiment empreint d'un charme délicat et triste.

Tel qu'il est, ce livre se recommande cependant à l'attention des bibliophiles et principalement des amateurs de beaux livres ilustrés, par la perfection remarquable de son exécution. Il sort, et c'est tout dire, des presses de M. C. Motteroz, qui a voulu en faire un type absolument nouveau de volume illustré et qui nous semble y avoir complètement réussi. Les dessins de M. Paul Avril, reproduits par l'héliographie et tirés en bistre, sont placés à côté même du texte qui les a inspirés et qui est imprimé en noir avec initiales et titres rouges. Ces dessins, fort gracieux et très originaux, encadrent souvent les quatrains et les tercets du poète; l'effet obtenu est des plus jolis ; il ne fallait rien moins que l'habileté et le grand goût de M. C. Motteroz pour triompher des difficultés que présente une pareille disposition typographique.

En somme, on ne saurait trop conseiller aux amateurs de livres à figures d'acquérir au plus vite ce charmant volume dont tous les exemplaires n'ont pas été mis dans le commerce. Les amateurs de vers feront bien de se presser aussi, car le libraire a soin de nous avertir dans son prospectus que « cet ouvrage ne sera jamais réimprimé... avec les dessins de M. P. Avril ». M. Motteroz qui a mis à préparer ce volume près de deux ans et qui a apporté à son exécution et à son charme exquis tous ses soins d'artiste, devait primitivement en être l'éditeur; mais depuis qu'il est à la tête de trois grandes imprimeries réunies sous la raison sociale Motteroz et Çe, il a dû céder à M. Rouquette la totalité de cette édition qui sera unique.

Cet ouvrage, avec les 110 dessins de Paul Avril, restera, sous son titre d'Hier, le livre de demain, car il possède cette goutte d'ambre qui conserve les plus délicats papillons : une admirable harmonie d'exécu tion typographique alliée à l'art prime-sautier et ingénieux de l'illustrateur de l'Éventail et de l'Ombrelle. On comptera bientôt Paul Avril parmi les meilleurs et les plus célèbres illustrateurs de ce temps.

Z.

Louis Machon, apologiste de Machiavel et de la politique du cardinal de Richelieu. Recherches sur sa vie et ses œuvres, par RAYMOND CÉLESTE, Sousbibliothécaire de la ville de Bordeaux. Bordeaux, imprimerie G. Gounouilhou, 1882, in-8° de 29 p., tirage à petit nombre sur beau papier vergé.

On consulterait vainement les grands recueils biographiques sur ce Louis Machon, que nous fait

si bien connaître la trop courte notice de M. Raymond; Céleste. Ce ne fut point cependant un homme sans importance dans son temps et, quoique toujours assez effacé, il joua un certain rôle en diverses grosses affaires. Ne en Lorraine, vers le commencement du XVIIe siècle, Louis Machon, déjà pourvu d'un canonicat au chapitre épiscopal de l'église de Toul, fut nommé archidiacre du Port le 27 septembre 1633. Élevé à Paris au collège de Boncourt, il avait reçu une instruction solide qui, jointe à un esprit pénétrant et actif, lui permit de se placer au premier rang entre tous ses collègues de Toul. Des différends survenus entre le roi Louis XIII et le pape Urbain VIII, au sujet des affaires de l'évêché, le firent choisir comme négociateur et le mirent en rapport avec le cardinal de Richelieu. Le grand ministre sut promptement l'apprécier et l'attacha à sa maison, sans doute comme l'un de ses secrétaires. Richelieu savait juger les hommes; aussi le choix qu'il fit de Machon, dont il employa souvent la plume, prouve assez la valeur de ce dernier. Après la mort du cardinal, Machon passa au service du chancelier Séguier, dont il ne paraît pas avoir eu à se louer. Accusé, à tort ou à raison, par le chancelier d'avoir appliqué les sceaux sur une fausse lettre, le malheureux Machon fut enfermé à la Bastille, où il se coupa une veine pour essayer d'échapper par la mort à la honte que son ancien protecteur voulait lui infliger. Mis en liberté pendant la Fronde, il écrivit contre Séguier et Mazarin. La Fronde vaincue, il réussit à se réfugier en Guyenne, où il trouva aide et protection auprès de l'archevêque de Bordeaux, qui lui donna la cure du Tourne. On n'est pas fixé sur l'époque de sa mort, mais tout porte à penser que Machon survécut de très peu à son persécuteur, le chancelier Séguier, qui mourut le 28 janvier 1672. Il pouvait être àgé de soixante à soixante-dix ans. Tel est en quelques mots le résumé d'une vie très agitée et très laborieuse, que M. Raymond Céleste a reconstituée, en grande partie, avec une patience admirable et une remarquable sagacité.

Machon a laissé de nombreux travaux manuscrits. Ses ouvrages imprimés sont peu nombreux; ce sont surtout des mazarinades qui, comme tous les pamphlets, font peu d'honneur à leur auteur, quelque persécution qu'il ait pu subir. Mais ses ouvrages inédits, dont les manuscrits sont déposés dans plusieurs de nos grandes bibliothèques, témoignent, chez leur auteur, de beaucoup de savoir et d'érudition. Le plus important de tous est son Apologie pour Machiavel, livre auquel on peut dire qu'il travailla toute sa vie, puisqu'il le revoyait encore quand la mort vint le surprendre.

En 1837, M. J.-A.-C. Buchon, publiant les œuvres de Machiavel dans sa collection du Panthéon littéraire, écrivait : « Un seul ouvrage m'a paru devoir être joint aux œuvres du célèbre politique: c'est un traité resté inédit parmi ces manuscrits de la Bibliothèque du roi, no 7109, et portant le titre d'Apologie pour Machiavel en faveur des princes et des ministres d'État; l'auteur est un écrivain habile et son ouvrage méritait d'être tiré de l'oubli. » Aussi M. Bu

chon a-t-il reproduit le manuscrit anonyme et incomplet, dont M. Artaud avait donné déjà des extraits en 1833, en disant qu'il pouvait bien être de Blaise Pascal. L'Apologie de Louis Machon est l'oeuvre d'un politique érudit et convaincu. L'auteur expose avec force des idées peu répandues en son temps. Le style est remarquable. Mais ce qui excite le plus l'intérêt, c'est que cette apologie n'est autre chose qu'une vigoureuse défense de la politique suivie par Riche lieu.

Un dernier mot sur Machon : c'était un excellent bibliophile, « un curieux de livres », comme disait son ennemi Séguier. Il avait créé une méthode bibliographique, bien préférable à celle de Gabriel Mandé, et qui fut appliquée dans diverses grandes bibliothèques du temps, notamment celles de Seguier, du garde des sceaux Molé, du premier président Ar naud de Pontac et dans plusieurs autres collections encore, dont Machon a lui-même dressé le catalogue. En résumé, la brochure de M. Raymond Céleste est du plus grand intérêt : il a complètement tiré de l'oubli un homme de grand mérite, à qui peut-être il n'a manqué que de la bonne fortune pour devenir un homme célèbre. Il serait fort désirable que M. Céleste, poursuivant ses travaux et ses recherches, nous donnât un jour, au moins par extraits, les œuvres restées inédites de l'infortuné Louis Machon.

PHIL. MIN.

La Morale des sens, ou l'Homme du siècle; Extrait des mémoires de M. le chevalier de Barville, rédigés par M... D. M., nouvelle édition, augmentée d'une notice bibliographique par M. P. L. (Bibliophile Jacob). Bruxelles, Gay et Doucé, 1882, in-12 de xv1-258 p., orné d'un frontispice à l'eauforte de J. Chauvet, tirage à 500 exemplaires numérotés sur papier de fil. - Prix: 10 francs,

La notice jointe à cet ouvrage curieux par M. Paul Lacroix n'est pas le moindre attrait de cette réimpression d'un livre devenu fort rare. Avec son érudition et sa sagacité ordinaires, l'éminent bibliophile démontre très solidement que ce chevalier de Barville n'est autre que le vicomte de Mirabeau, frère cadet de l'illustre orateur et fils de ce marquis de Mirabeau, qui s'intitulait modestement l'Ami des hommes, quoiqu'il ne fût pas d'une grande tendresse pour ses semblables et particulièrement pour messieurs ses fils. Toutes les circonstances de cette quasi auto-biographie se rapportent, en effet, assez exactement à la vie du vicomte de Mirabeau, surnommé Mirabeau-Tonneau, en raison de son obésité et aussi sans doute par suite de son penchant trop marqué à entonner le bon jus de la treille.

La Morale des sens parut d'abord, en 1781, sous la rubrique de Londres (in-12 de 244 p.) et fut réimprimée en 1792, sous la même rubrique (in-12 de 250 p.). « Ce livre, dit la Bibliographie Gay, aussi singulier par la manière dont il est écrit que par les galanteries qu'il contient, rappelle exactement le faire de l'auteur de Ma Conversion ou le Libertin de qua

lité. Chaque chapitre est une aventure galante et l'ouvrage en a cinquante! »

M. Paul Lacroix, toujours plein d'une bienveillance qui touche parfois à l'enthousiasme pour ces livrets du temps passé, n'hésite pas à enchérir sur ces appréciations. « Voilà, s'écrie-t-il dans sa notice, voilà un ouvrage charmant, plein de verve, de bonne humeur, de malice et d'originalité... Ce n'est pas, à vrai dire, un roman libre, c'est un roman galant ou plutôt une peinture très fine et très délicate des mœurs galantes de la fin du XVIIIe siècle! Nous ne demandons pas mieux que de souscrire au jugement d'un connaisseur aussi compétent que l'excellent Bibliophile Jacob, sur plusieurs points au moins; nous lui demanderons cependant la permission de faire quelques réserves en ce qui touche le caractère général de cet ouvrage. A notre humble avis, il y a là plus que de la galanterie; il y a bel et bien du libertinage, et les récits du chevalier de Barville, pour être assez réservés d'expressions, n'en sont pas moins fort licencieux par les peintures qu'ils contiennent. Pour n'en citer qu'un exemple, la chasse à la puce, qui fait le sujet du frontispice, nous semble être un chapitre passablement décolleté.

Ces réserves faites, nous conviendrons volontiers avec M. P. Lacroix que la Morale des sens (quel titre pour un pareil livre!) est un ouvrage assez amusant et suffisamment écrit: on y trouve des détails curieux sur les mœurs et les usages de l'époque et des portraits pris sur le vif, car Florval, Céladon, Sophie, etc., etc., ne sont assurément pas des personnages imaginaires. Il y a de la facilité, de l'entrain, parfois même de la passion, et, détail merveilleux, toutes ces aventures scabreuses se terminent par un mariage qui fait, pendant vingt ans, le bonheur de notre héros.

La réimpression que nous offrent MM. Gay et Doucé n'est tirée qu'à 500 exemplaires; c'est tout ce qu'il faut pour les curieux; l'exécution matérielle du livre est soignée; mais le frontispice de M. Chauvet, qui en a dessiné beaucoup, il est vrai, semble bien plus faible que ses autres compositions. En résumé, c'est encore un livre à avoir, mais à cacher derrière les rayons.

Amélie de Saint-Far ou la Fatale erreur, par Mme de C***, auteur de Julie ou J'ai sauvé ma rose. « Pour me lire, cachez-vous bien. » Bruxelles, Gay et Doucé, 1882, 2 tomes en 1 volume in-12 de IV-139 et 142 p., orné de deux fort jolis frontispices de J. Chauvet, tirage à 500 exemplaires numérotés à la presse, sur papier vergé. Prix: 10 francs.

Julie ou J'ai sauvé ma rose, par Mme GuYot. « La mère en defendra la lecture à sa fille. » Bruxelles, Gay et Doucé, 1882, 2 tomes en 1 volume in-12, 2 front. de Chauvet, le reste comme ci-dessus.

Réunissons dans un même paragraphe ces deux ouvrages d'un même auteur, sur lesquels d'ailleurs nous n'avons pas grand'chose à dire. Longtemps attri

bués à Mme de Choiseul-Meuse, qui du reste s'accommodait fort bien de cette attribution erronée, ces deux romans sont réellement, on le sait aujourd'hui, de Mme Guyot; ils ont été revus et publiés par les soins de Rougemont, qui s'est prêté là à une singulière besogne, publiés, sous la rubrique de Hambourg et Paris (Colin), le premier en 1802, le second, en 1808; ils sont devenus rares tous deux, malgré plusieurs réimpressions. Tous deux ont été mis à l'index par mesure de police, en 1825; le second a en outre été condamné à la destruction, le 12 juillet 1827. Ces circonstances ont certainement contribué à leur rareté et nous déclarons, pour notre part, que le besoin. d'une nouvelle édition ne se faisait guère sentir. Les épigraphes choisies par l'auteur indiquent ce que peuvent être ces ouvrages dont nous nous bornerons. à dire ceci Amélie est un roman invraisemblable, assez pauvrement écrit, rempli de fausse sentimentalité, de situations odieuses et de tableaux licencieux; et c'est encore le moins pernicieux des deux! Julie contient l'histoire d'une demoiselle, qui arrive à sa trentième année, après s'être livrée aux actes du plus odieux libertinage, et sans cesser d'être vierge dans l'acception physiologique du mot. En voilà assez. Nous nous demandons pourquoi les éditeurs. belges ont cru devoir réimprimer ces deux productions dans lesquelles il n'y a rien à apprendre que de mauvais et qui sont loin de racheter par leur mérite littéraire la pauvreté de leur composition et la licence de leurs sujets. Des ouvrages tels que les Sonnettes, l'Étourdi, la Morale des sens ou ma Tante Geneviève, ne sont certes point à mettre entre les mains de tout le monde; ce ne sont pas toutefois des livres entièrement mauvais ; ils sont plus ou moins gais, spirituels ou bien écrits; ils peuvent en tout cas être considérés comme des documents intéressants et parfois utiles pour l'histoire des mœurs. Mais Amélie et Julie ne seront jamais que de méchants écrits à tous les points de vue et de ces livres-là, on en a toujours assez. Messieurs Gay et Doucé, donnez-nous souvent des Tantes Geneviève; mais ne rééditez pas de pareilles inutilités.

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Louis Dorvigny, né à Versailles, vers 1734, mort à Paris, au commencement de 1812, est un curieux spécimen de ces irréguliers de la littérature, si communs au XVIIIe siècle et que l'on peut considérer comme les précurseurs des bohèmes de nos jours. A tort ou à raison, il passait ou se faisait passer pour un fils naturel de Louis XV; rien n'établit cette illustre origine qui ne lui servit pas à grand'chose, si ce n'est une ressemblance assez frappante avec son père supposé et, il faut le dire, un goût très prononcé

pour le libertinage, ou, pour parler plus exactement, pour la débauche. Tour à tour acteur, auteur comique et romancier, il passa sa vie à aller des succès aux revers, du théâtre au cabaret, d'une opulence passagère au dénuement le plus complet, toujours gai, toujours écrivant et toujours aussi propre à inspirer la pitié ou le mépris. Il n'y a pas lieu de refaire ici la biographie de Dorvigny; cela demanderait trop de temps et de place; il y aurait d'ailleurs quelque témérité à traiter ce sujet si heureusement développé par M. Charles Monselet dans son intéressant ouvrage les Oubliés et les Dédaignés, aussi nous borneronsnous à renvoyer les lecteurs curieux à ce volume (t. II, p. 89-113).

Les écrits de Dorvigny sont très nombreux : Quérard en cite près de cinquante (France littéraire, t. II, p. 582-583). La plupart sont relatifs au théâtre, où Dorvigny eut la gloire (?) de créer deux types longtemps fameux: Janot et Jocrisse. M. A. Beuchot, dans la Biographie universelle, se montre sévère pour notre auteur; il reconnaît cependant que dans ses productions théâtrales, il y a beaucoup de traits comiques et même d'esprit; en revanche, ajoute-t-il, il y en a fort peu dans ses romans. N'ayant point lu toute l'œuvre de Dorvigny, nous ne saurions dire si cette appréciation est bien fondée; il nous semble toutefois que M. Beuchot eût pu faire une exception pour Ma Tante Geneviève. Ce petit ouvrage, facilement écrit, comme toutes les productions de son auteur, est rempli de gaieté, de bonne humeur, de bonhomie et parfois de finesse. La donnée même du roman n'est pas banale: ce sont les aventures d'une jeune fille d'un tempérament ardent, qui se trouve l'objet d'étranges tentations et de tentations pressantes, et qui, à chaque nouveau danger, est sauvée par la surveillance et l'intervention providentielles d'une vieille tante qui veille sur elle comme sur sa fille. C'est, en un mot, mais traité plus lestement, le même sujet que celui de la Pucelle de Belleville, et il ne paraît point douteux que Paul de Kock ait puisé dans l'ouvrage de Dorvigny l'idée première de son célèbre roman. Il convient de dire que Suzon n'est pas la seule héroïne intéressante du livre; la Bonne Tante Geneviève, qui raconte, en sept chapitres, ses propres aventures n'est pas un personnage moins important que sa nièce. Le caractère de la pauvre femme, soutenu depuis le commencement jusqu'à la fin, est vraiment admirable de coloris et de gaieté; elle rappelle, de loin, il est vrai, mais par plus d'un trait ou d'un détail, la « vieille qui n'avait qu'une fesse » dont Voltaire a tiré si bon parti dans son merveilleux conte de Candide. Assurément Ma Tante Geneviève est un roman un peu libre; mais il faudrait être bien puritain pour le considérer comme un ouvrage immoral; ce qu'on peut y reprendre, c'est la gauloiserie de la forme et des situations; mais le fond n'en est point mauvais. Ce n'est certes pas un livre à laisser à portée de tout le monde et surtout entre les mains des jeunes gens : nous ne craindrons point de dire cependant qu'il ferait moins de mal aux jeunes imaginations que certains romans modernes très vantés, où, avec plus de retenue et de

correction dans le style, on trouve l'apologie déguisée des plus mauvais sentiments et une peinture séduisante des passions et du vice.

Malgré ses trois éditions (1800-1801-1803), le roman de Dorvigny est devenu rare; mis à l'index en 1825, condamné à la destruction en 1828 et en 1852, on ne le rencontrait plus que sur des catalogues spéciaux, coté assez cher et rarement en bon état. Les éditeurs bruxellois ont voulu en donner une belle et bonne édition à prix très abordable; ils ont parfaitement réussi. Les deux volumes qu'ils offrent au public sont fort jolis et les quatre gravures qu'ils y ont jointes ne sont pas sans mérite; il y a donc tout lieu de croire que cette nouvelle édition sera promptement enlevée par les amateurs de ces sortes d'ouvrages.

PHIL. MIN.

Olivier Goldsmith, par Mme A.-M. BLANCHEcotte. I vol. Paris, Bécus et Pyot, 1882.

Mme A.-M. Blanchecotte, qui n'est guère connue que des délicats, et qui se plaît à s'entourer du silence qui convient à sa modestie, vient d'écrire une charmante étude littéraire que nous voudrions voir dans les mains de tous ceux qui ont été intéressés par le Vicar of Wakefield. Jamais on n'avait mis en lumière avec autant de vérité et d'émotion cette figure sympathique et un peu oubliée de nos jours d'Olivier Goldsmith. Ce petit in-4° de 53 pages est un vrai bijou littéraire. Heureux les auteurs qui ont de tels biographes!

L'exécution typographique fait le plus grand honneur à l'éditeur de ce joli volume: elle est parfaite de tous points. Quant aux cadres en couleur, heu! heu! c'est une revanche à prendre!

MEMENTO

H. M.

La collection du Cabinet de vénerie, que MM. Paul Lacroix et Ernest Jullien publient concurremment à la Librairie des bibliophiles, vient de s'augmenter d'un volume dans lequel on a réuni deux très curieux poèmes : la Chasse royale, de H. Salel, et le Débat entre deux dames sur le passe-temps des chiens et des oiseaux, de G. Cretin (1 vol., prix: 7 fr. 50, sur hollande, 15 fr. chine et whatman). L'intéressante préface de M. Paul Lacroix, les notes érudites de M. Ernest Jullien et le grand soin apporté à l'exécution typographique due aux presses de D. Jouaust, rendront cette publication particulièrement précieuse aux chasseurs émérites et aux véritables bibliophiles.

Le Cabinet de vénerie, qui doit être la petite bibliothèque intime du chasseur bibliophile, ne comprend pas de gros volumes; il se compose spécialement des plus anciens ouvrages, en vers et en prose, qui remontent à l'origine de la littérature cynégétique, et de divers petits ouvrages du xvre et même du XVIIe siècle, qui concernent chacun une espèce de chasse particulière, et qui peuvent être considérés,

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