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la suite, le participe n'a plus le même accent: la lettre que j'ay receu de vous. Cette observation, toute phonétique, est de premier ordre; elle correspondait à une différence réelle de prononciation, constatée chez des Français de Paris et du Centre.

Elle a malheureusement été sacrifiée à d'autres, de caractère purement grammatical et logique, justes aussi, mais dont on s'est trop exclusivement inspiré. Il était bon de considérer si rendre puissante formait ou non une seule expression composée. Pour tirer de cette étude des conclusions applicables à l'orthographe, il eût fallu se demander aussi, comme Bouhours, si à la synthèse sémantique, résultant de la composition, ne correspondait pas une synthèse phonétique. Plusieurs cas se présentent où cette « exception » est à faire.

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LE PARTICIPE EST SUIVI DU SUJET.

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La

EXCEPTIONS. peine que m'a donné cette affaire. L'invariabilité, prescrite par Vaugelas, l'est aussi par Ménage (O., I, 53) et par Andry de Bois-Regard (Refl., 353). Regnier esitme que c'est une faute d'y manquer (195).

Les exemples de participes sans accord sont fort nombreux: Mandez-moi bien quelle réception vous aura fait cette belle reine de Suède (Sév., I, 416); l'émotion que vous a donné le gain d'une bataille (Ead., X, 122); la troisiéme chose qu'a promis l'Auteur de l'Exposition (Boss., Doctr. cath., 87); je ne puis contempler sans admirations ces merveilleuses découvertes qu'a fait la science pour pénétrer la nature (Id., Serm. s. la m., 2o p., éd. Rébell., 296); les périls extrémes et continuels qu'a couru cette princesse (Id., Or. fun. Henr. de Fr., éd. Leb., V, 544); la pieuse pensée qu'ont eu quelques Peres (Fur., Par. de l'Evang., 90); les vers tendres et excellens qu'aura fait un honneste homme (Id., Rom. bourg., II, 74).

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On trouve aussi bien souvent l'accord fait les chagrins et la fatigue que m'ont causés les persecutions (Fur., Fact., II, 99).

Il faut ajouter que Th. Corneille corrige longuement la fausseté de la doctrine de Bouhours, qui lui parait trop générale. Elle ne saurait s'appliquer à des phrases autres que celles où le complément est que. On ne saurait dire en parlant d'une femme l'erreur où l'a retenu le malheur de sa naissance (Vaug., II, 272). C'est un premier pas vers la suppression de cette réserve.

B. LE PARTICIPE est suivi DE COMPLÉMENTS DIVERS. Les lettres que j'ay reçu depuis deux jours. Patru et le P. Rapin étaient d'avis qu'il demeurât invariable. Ménage refuse de se ranger à cette opinion (O., I, 53). Le P. Bouhours ne s'exprime pas formellement, mais cite: la peine qu'il dit qu'il a eú à se déterminer (Rem., 521). Regnier lui conteste toute la théorie qu'il a édifiée,

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et demande l'accord: Les Livres que j'ay achetez depuis deux jours (197). Les textes fournissent des exemples assez nombreux de participes invariables: Si lorsque mes amants sont devenus les vôtres, Un seul m'eût consolé de la perte des autres (Mol., I, 231, Et., v. 1903); la grande idée qu'il nous a donné de votre économie (Rac., VII, 265, Lett.); deux de ses laquais,... les ayant produit sous un autre habit (Fur., Rom. bourg., II, 37-38); les Procez qu'il a eu avec l'Academie (Id., Fact., Préf., LVII); les outrages qu'il a souffert de ses ennemis (Id., I, 173); ceux que l'usage a rebuté mal propos (Lamy, Rhétor., 69); les differens jugemens que le Public a fait du Grondeur (Palaprat, Le Grond., Préf., 5); Nous sommes tout à fait hors de l'Italie, que M. le duc de Bourbon a vu fort en détail et sait par cœur (La Bruy., II, 486, Lett. autogr.); M. Costar m'a su autrefois bon gré de ceux que j'avois employé à son sujet (Menagiana, I, 103; cf. I, 79; II, 261, 336); chacun rapportoit les découvertes qu'il avoit fait dans les sciences (Ib., I, 297); (Ils) en usèrent avec la même affectation d'indécence qu'on avoit marqué aux visites de la mort de Monsieur le Prince (S'-Sim., XIX, 89; cf. Id. ib., 192). C. ATTRIBUT.

LE PARTICIPE EST SUIVI D'UN ADJECTIF OU D'UN NOM

Cette ville que le commerce a rendu puissante. On est en général d'accord avec Vaugelas pour laisser le participe invariable. C'est l'avis d'Andry de Bois-Regard (Refl., 356) comme de Bouhours (Rem., 520). Toutefois Ménage, après Dupleix et La Mothe le Vayer, est pour rendue; de même : Les habitants nous ont rendus maistres de la ville. Ce qui a trompé Vaugelas, c'est que I's ne se prononce pas (O., I, 55-56). Th. Corneille soutient vigoureusement la même opinion (dans Vaug., I, 291-298). Mais l'autorité de Vaugelas l'emporta à l'Académie. Et Regnier formula la règle suivante, qui s'étend aussi aux cas Det B: «< Toutes les fois que le Participe estend son regime ou à un autre Accusatif que le premier terme de sa relation, comme dans cette phrase: Le commerce l'a rendu puissante, ou à un Verbe qui suit; comme Je les ay veu partir; une fortification qu'il a appris à faire, le Participe s'employe... indéclinablement » (498).

Les exemples où se trouve rendu sont peu concluants, puisque la prononciation distingue mal les diverses formes. Bouhours cite: Vous l'avez rendu (l'âme) capable de pouvoir contenir vostre Majesté infinie (Suit., 349). Cf. ils ont dégradé plusieurs grands hommes qu'ils ont rendus si méconnaissables (Fur., Fact., I, 216). Et Regnier explique avec beaucoup de justesse que rendu puissante n'est qu'un seul verbe (498).

Avec fait l'invariabilité est bien plus significative: Combien de

fois a-t-elle en ce lieu remercié Dieu humblement de deux grandes gráces: l'une, de l'avoir fait Chrétienne, l'autre... de l'avoir fait Reine malheureuse (Boss., Or. fun. Reine d'Angl., éd. Rébell., 119120); Baron écrit de même : Celui dont il s'agit, l'auroit fait grande Dame (Ec. des Pères, act. II, sc. )'.

Avec croire, on trouve aussi des participes invariables: éloquence qu'on a crú divine (Boss., Hist. Univ., 364); véritez... crú dignes (Id., Rec. Or. fun., Madame, 100). A l'Académie, d'après Tallemant, on hésitait à écrire: Je les ai crú ou crús incapables (Décis., 98). Il est fort important de noter que le participe n'a pas besoin d'être un attribut proprement dit. Lors même qu'il appartient à l'objet autrement que par l'effet de l'action du verbe, il peut rester invariable. Les Veritables principes de la langue citent comme exemple: Je vous ai aimé modestes, après vous avoir détesté volages (186): Cf. Je leur veux persuader qu'elle (la pièce d'Andromaque) les a trompez quand ils l'ont crú si achevée (Subl., La Folle Quer., Préf., 9); sans doute vous les avez connu tels (Sent. crit. s. les Caract, 381).

D.

LE PARTICIPE EST SUIVI D'UN INFINITIF. Quand on emploie la locution: je l'ai fait peindre, en parlant d'une fille, de façon générale on accepte, d'après Vaugelas, l'invariabilité du participe. Dupleix corrige chez de Morgues: ceux qui les ont faits garnir, en fait (Lum., 315) et donne la règle (Ib., 316).

Les exemples sont communs, soit avec laisser, soit avec voir comme verbe principal. Quoique le complément y soit, suivant l'analyse qu'on fait ordinairement, sujet de l'infinitif, le participe reste invariable: Je vous demande encore un coup de grace pour tous les défauts que mon insuffisance a laissé couler jusqu'ici dans cette traduction (Corn., VIII, 27, Au lecteur de l'Imitation); C'est ainsi que la Providence nous a laissé tomber (Sév., VII, 178-179); Monsieur, assurément, je l'aurai laissé cheoir (une lettre) (Quin., I, 281, Am. ind., act. II, sc. 7); beaucoup de pièces que nous avons çu réussir sur nos théâtres (Corn., I, 63, Discours de la Tragédie); L'air dont je lui ai vu jeter cette pierre (Arn. à Agnès) (Mol., III, 210, Ec. des Fem., v. 660); (Elmire) Aurois-je pris la chose ainsi qu'on m'a vu faire? (Id., IV, 493, Tart., v. 1429); D'aussi loin qu'il nous a vu paraître (Rac., II, 558, Baj., v. 1681, var.); (Léonore) M'at'on vu de Carlos rejetter la poursuite ?... M'avez-vous vu jamais différer d'un moment? (Montfl., II, 115, Ec. des Filles, act. V, sc. 2); Les sujets ont cessé d'en révérer les maximes, quand ils les ont vu

1. Cf. On a bien veu des gens qui se sont faits Auteurs par des pillages (Parn. ref., 40).

céder aux passions et aux intérêts de leurs princes (Boss., Or. fun. Henr. de Fr., éd. Leb., V, 535). Racine se contredit: Cette nuit je l'ai vue arriver (Junie) (II, 273, Brit., v. 386), et: Je l'ai laissé passer dans son appartement (II, 274, lb., v. 398).

Voici des exemples d'invariabilité avec faire:

On prétendoit qu'elle étoit fille du Roi et de la Reine, que sa couleur l'avoit fait cacher et disparoître (S'-Sim., IV, 356); une loupe, qu'elle s'étoit fait ôter de dessus un œil (Id., III, 275) ; la grandeur des Livres qu'ils ont fait imprimer (Menagiana, II, 165); une magnifique collation que l'ogre avoit fait préparer pour ses amis (Perrault, Contes, 114).

Cependant l'accord se fait aussi. Citons d'abord des exemples où le complément est en même temps le complément de l'infinitif: Cependant on doit avertir le Lecteur, que ceux qui ne l'ont jamais quë representer ne doivent pas s'attendre d'étre autant divertis en la lisant (Palaprat, Le Grond., Préf., 8); ils connoissent... ces défauts sans les avoir jamais oüis nommer (Sent crit. s. les Caract., 373) ; des plantes rares et de belles fleurs qu'il auroit envoyées rechercher dans des lieux fort éloignés (Fur., Fact., I, 213).

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En voici d'autres : (les) autres Poëtes Italiens et Espagnols, qui se sont laissez gáter l'esprit aux Romans (Refl. s. la Poet. d'Arist., 56); depuis qu'à travers de ces vitres je les ay veus se parler avec toute l'action des amans (Subl., La Folle Quer., 56, act. II, sc. 5); Mais Messieurs les Basques,... ne l'eurent (une Balene) pas plutost veuë paroistre aupres de leurs Costes (Le Pays, Am., am. et amour., 7); de beaux endroits où ils ne les ont point vus croître (des arbres) (La Bruy., I, 233, Des biens de fort.)'.

Bouhours acceptait encore l'invariabilité (Rem., 520); l'Académie également, s'il faut en croire Tallemant (Décis., 98); Regnier opinait à son tour en ce sens (499).

Mais Thomas Corneille s'est chargé de faire de nouvelles distinctions, et il a fondé la doctrine adoptée depuis: « Je l'ai fait peindre, en parlant d'une fille, et je les ai fait peindre, sont des exemples qui ne reçoivent point de difficulté. Il faut mettre fait en l'un et l'autre, et non pas faite au premier, et faits au second; mais ce n'est pas à cause que le participe fait est indéclinable, c'est seulement parce que les relatifs la et les qui précèdent le préterit j'ai fait, n'en sont pas régis, et que c'est l'infinitif peindre qui les gouverne. Je l'ai fait peindre, je les ai fait peindre, veut dire, j'ai fait peindre

1. Cf. On ne les a jamais vus assis... qui même les a vus marcher ? Ici le participe vu est au singulier dans toutes les éditions; à la ligne précédente, les éditions 5 et 6 sont les seules qui le fassent accorder (La Bruy., I, 304, De la cour, et note 1).

elle, j'ai fait peindre eux. On peut opposer que les verbes neutres n'ont point de régime, et que cependant on dit fort bien en parlant d'une femme, je l'ai fait tomber dans le piége, je les ai fait venir, ce qui donne sujet de conclure que puisque tomber et venir ne régissent point les relatifs la et les, il faut que ce soit le préterit j'ai fait, qui les gouverne, et que par conséquent il faudroit dire sur ce principe, je l'ai faite tomber, je les ai faits venir. On répond à cela que le verbe faire influë son action et son régime sur l'infinitif qui le suit, soit que ce verbe soit actif ou neutre: ainsi on dit, faire mourir quelqu'un, faire venir quelqu'un, faire tomber quelqu'un, ce n'est pas mourir, venir et tomber qui gouverne quelqu'un, puisque ce sont des verbes neutres. Ce n'est pas non plus le verbe faire qui le gouverne, puisqu'on ne peut dire, faire quelqu'un mourir, mais il influe son action sur les verbes neutres, qui se résolvent par la terminaison active, si on tourne, faire mourir quelqu'un par faire que quelqu'un meure, vienne, tombe. Si l'infinitif qui suit faire est l'infinitif d'un verbe actif, il se résoudra par le passif, faire peindre quelqu'un, faire que quelqu'un soit peint. Pour faire voir que le participe fait n'est pas indéclinable, je n'ai qu'à apporter deux exemples; l'un du féminin, et l'autre du pluriel: on dit : Je l'ai faite religieuse, je les ai faits à mon humeur; parce qu'en ces deux exemples les relatifs la et les sont gouvernez par les préterits actifs qui les précedent. Il me semble que les mesmes raisons doivent valoir pour ces exemples, elle s'est fait peindre, ils se sont fait peindre; c'est l'infinitif peindre qui gouverne le pronom possessif se, ce qui est cause que le participe fait ne prend ni le genre ni le nombre de ce pronom » (dans Vaug., éd. Amsterd., 1690, I, 178-179). Tout le monde reconnaît là les origines de la règle subtile encore en vigueur.

DONNER A RECEVOIR. AVOIR A COMBATTRE. - II y eut à l'Académie une discussion approfondie sur la phrase: J'ai été payé des sommes qu'on m'avoit données ou donné à recevoir. L'avis prévalut que l'objet dépendait de l'infinitif recevoir et non du verbe donner (Choisy, Journ., 310).

A l'exemple de Vaugelas : une fortification que j'ai appris à faire, comparez: Voilà les ennemis que la reine a eu à combattre (Boss., Or. fun. Henr. de Fr., éd. Leb., V, 533). Regnier traita la question de ces constructions et apporta divers exemples, tous invariables: Les choses que je luy ay donné à entendre, la maison que j'ay commencé à bastir, et au contraire la resolution que j'ay prise d'aller, des Soldats qu'on a contraints de marcher (499 et 506).

Ces quatre restrictions à la règle générale devaient être groupées; elles montrent que le sentiment général n'imposait point l'accord,

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