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ACCORD DES REPRÉSENTANTS. - Par syllepse les relatifs représentaient parfois des antécédents grammaticalement différents d'eux, comme le montrent ces deux exemples de Nicole : Je crois donc que la lecture de ce livre pourrait être plus utile à ceux qui instruisent les enfants qu'aux enfants méme, et qu'ils s'en pourroient servir avantageusement pour leur apprendre dans l'entretien et dans les occasions tous les mots particuliers de chaque art, de chaque profession que la lecture de ce livre lui rendra présents, sans les obliger de l'apprendre en particulier par une étude pénible et ennuyeuse (IIe part., C, XXVIII, 55); C'est un avis general et qui est d'une très grande importance pour les maîtres, d'avoir extrêmement present tout ce qu'ils doivent montrer aux enfants, et de ne se contenter pas de les trouver simplement dans leur memoire lorsqu'on les en fait souvenir (ib., C, XXIX, 55); Notre faible imagination, ne pouvant soutenir une idée si pure, lui présente toujours quelque petit corps pour la revétir. Mais après qu'elle a fait son dernier effort pour les rendre bien subtils (Boss., Serm. s. la Mort, éd. Rébell., 300).

On montra une certaine tolérance: Elle a perdu un œil, c'est dommage, elle les avoit beaux; on avoit peine à luy voir mettre la main au plat, parce qu'il les avoit sales, furent qualifiées de constructions bizarres, mais autorisées (Tall., Décis., 13); cf. Un Juge fit lever la main à un Teinturier; et comme les Teinturiers les ont ordinairement noires... (Chois., Journ., 298). En revanche on voit des grammairiens aller jusqu'à prétendre que il, lui, au singulier, ne peuvent pas représenter les noms collectifs Assemblée, Conclave, etc.: le Roy d'Angleterre, aprés avoir fait assembler son Parlement, dépécha un Seigneur pour luy dire de sa part; comme néanmoins on ne peut pas mettre le pluriel, il faut tourner autrement pour dire, de sa part, à cette grande Assemblée (Apoth., 145-146).

L'ANTÉCÉDENT Des possessifs. — Le possessif doit, lui, avoir un antécédent avec lequel il soit rigoureusement en accord grammatical. A. Emploi du possessif à plusieurs possesseurs. — La règle générale était facile à appliquer; il n'y avait que des Gascons pour dire : avoir tous les vices en son extrémité (Al., Nouv. Rem., 421).

Mais des questions délicates se posaient. D'abord deux antécédents au singulier auraient-ils, le cas échéant, le possessif de la pluralité: Un Ministre renonce pour vous à sa politique, un Philosophe à sa morale, sans interesser leur réputation? Ce leur faisait de la peine à Bellegarde (Eleg., 402).

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B. Accord. Quand le possessif était incontestablement celui de la pluralité, restait à savoir s'il fallait ou non le mettre, ainsi que le substantif qui l'accompagnait, au pluriel: Ils aimèrent mieux

sacrifier leurs arbres signifie que chacun avait au moins un arbre, mais pas nécessairement qu'il en avait plusieurs. Leur arbre n'est pas absurde. Et, si je remplace arbre par maison, c'est le singulier qui convient, chacun n'en ayant probablement qu'une.

Cela ne veut pas dire que le singulier s'impose sans conteste ; il est certain que chacun n'a qu'une vie, et que, si l'on peut dire : ils sacrifièrent leur vie, rien n'empêche de considérer d'ensemble le sacrifice fait par tous et de mettre le pluriel: ils sacrifièrent leurs vies.

En somme, il s'agit dans ces cas-là de choisir entre deux façons de regarder et d'exprimer les faits, l'une où l'on s'attache à chaque acte individuel, l'autre où on regarde l'ensemble. Peut-être eût-il convenu de laisser le libre choix. On eût sans hésiter mis le nombre qu'il fallait dans: Après la révocation de l'édit de Nantes, les protestants abandonnèrent leurs biens et leur patrie, plutôt que de renoncer à leur foi. Là où il y avait doute, une s de plus ou de moins n'eût rien gâté. Mais les grammairiens ne pensèrent pas ainsi.

Bérain donne déjà une règle : Ils sacrifiérent tous leur vie, et non leurs vies. On ne peut attribuer la chose en question à une seule personne qu'au singulier (Nouv. Rem., 126-127). L'homme compte peu, mais j'ai voulu signaler son observation : c'est la première d'une longue série'.

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ACCORD DE LE REPRÉSENTANT UN ADJECTIF. Après Vaugelas, la règle qui concernait le représentant un adjectif fit fortune (cf. t. III, 483). Marg. Buffet enseignait déjà qu'alors il demeurait invariable Etes-vous malade? Je le suis (N. O., 59). Alcide de St-Maurice (83), Bérain (Nouv. Rem., 85) ne sont pas moins formels. Malgré cela, nous savons que certains puristes (Patru, parait-il, était du nombre) y trouvaient trop de raffinement, et on a souvent cité à ce propos, d'après le Menagiana, un mot plaisant de Madame de Sévigné disant qu'elle croirait avoir de la barbe, si elle disait: je le suis. Mais Bouhours (Rem., 580), Th. Corneille et l'Académie considérèrent la règle comme indispensable (dans Vaug., I, 88-89)3. On la trouve désormais partout (L. de Templ., Entret. à Madonte, 180; Regnier-Desm.,, Gram., 311-312).

4. Il faut comparer ce qu'on dit dans des cas analogues, quand il s'agit de l'article: Decider des vies et des fortunes paraît moins en usage que de la vie et de la fortune (Sent. crit. s. les Caract., 469; cf. 398).

2. « Mme de Sévigny s'informant de ma santé, je lui dis: Madame, je suis enrhumé. Je la suis aussi, me dit-elle. Il me semble, Madame, que selon les regles de nostre langue, il faudroit dire: Je le suis. Vous direz comme il vous plaira, ajoûta-t-elle, mais pour moy je croirois avoir de la barbe si je disois autrement » (Menagiana, I, 27-28). 3. Voir à ce sujet Lex. de Corneille, II, 10, et Zischft. f. nfr. Sprache u. L., III,

Les exemples du féminin se rencontrent encore en plein xviu® siècle. Godefroy (Lex. de Corn.) en a réuni un assez grand nombre, auxquels il serait facile d'en joindre de nouveaux: Mon étoille est d'étre malheureuse; j'ai commencé à l'étre dés l'enfance, je le serai toujours. Vous ne la seriez plus, Zaïde, si vous daigniez approuver (Palaprat, Muet, act. IV, sc. 2); Elle est fille! Il est vrai, je la suis (Bours., Ment. qui ne ment. point, act. I, sc. 5); Mais l'amour est aveugle, et je la suis aussi (Id., Ib., act. I, sc. 6); L'on se moqua fort de moi, de m'étre fait malade par la crainte de la devenir un jour (Me de Montp., Mém., 348).

Le conflit était curieux. L'analyse la plus simple portait à accorder le. Il tenait en effet la place d'un adjectif, c'est-à-dire du mot essentiellement variable et d'habitude accordé Je suis quoi? affligée. Je la suis.

Toutefois les grammairiens entendaient marquer que le pronom tenait dans ces propositions la place non pas d'un nom, mais d'un adjectif. Quand il remplaçait un nom, il changeait comme lui. On imagina que, lorsqu'il remplacerait un adjectif devenu « proadjectif », il resterait invariable pour marquer la différence de fonetion. Singulière invention, qui a eu pourtant une belle fortune!

REPRÉSENTATION De l'idée verbale. — C'était l'usage d'employer le dans des phrases telles que: Si nous établissons la confiance, comme elle l'est déjà de mon côté. Le représentait là l'idée attributive contenue dans le verbe. Les grammairiens, logiciens ou non, se déclarèrent unanimement contre ce tour illogique, où on passait sans scrupule de l'actif au passif. Bouhours, dans les Doutes, soumit à la censure une phrase de M. de Sacy: Il ne voulut pas enveloper ce Prince comme l'avoit esté Pharaon. Il fallait dire : Il ne voulut pas que ce Prince fút envelope (146; cf. Ross., o. c., 151). Andry de Bois-Regard a une théorie analogue : « Il ne faut point que cela vous gesne, car on ne doit point l'estre en ces occasions. Il faut dire: on ne doit point estre gesné. La raison en est que le verbe qui précede estant à l'actif, ne sçauroit se sous-entendre aprés pour un infinitif passif » (Refl., 550). Th. Corneille revint à la charge et condamna: je le traiterai comme il mérite de l'estre ; Cette femme est belle, et j'aurois un grand penchant à l'aimer, si ce qu'on m'a dit de son inconstance ne la rendoit indigne de l'estre (dans Vaug., I, 88-89). La règle parut juste en général. Des grammairiens de second ordre la reproduisent (Belleg., Eleg., 102). Cependant Regnier-Desmarais protesta et accepta la phrase blàmée par Th. Corneille. Il accepta de même: il n'est pas permis de con

damner aprés leur mort ceux qui ne l'ont pas esté pendant leur vie (Gram., 315)'.

On en vint même à discuter les malheureux ne le sont pas toujours. Th. Corneille s'en prend à: S'il est libéral, nous le sommes comme lui (dans Vaug., I, 88). Cf. « Cette expression ne paroit pas réguliere, il falloit dire, les malheureux ne sont pas toûjours malheureux, ou ne sont pas toûjours dans le malheur,... le ne se peut pas rapporter exactement à malheureux, parce qu'on est accoûtumé à le rapporter ailleurs, comme en cét exemple: Les méchants sont toújours dignes de pitié, mais les malheureux ne le sont pas toujours » (Sent. de Cléarque, 99)3.

EN. Il exprimait

LIBERTÉ DANS L'EMPLOI DE EN ET DE Y. souvent la cause, et aussi le moyen: Je crois que j'en suis brouillée avec le Coadjuteur (Sév., IV, 158); après la pluie vient la pluie. Tous nos ouvriers en ont été dispersés (Ead., II, 250); les nuages qui avaient paru au commencement en furent bientôt dissipés (Boss., Or. fun. Henr. de Fr., éd. Leb., V, 524, var.); La compagnie ne se put tenir de rire de cette naïfveté, surtout Hyppolite en éclatta (Fur., Rom. bourg., I, 130-131). Ces tours ne sont nullement discutés, mais Bouhours entend les régulariser. On dira bien: J'avois de l'argent et j'en ay acheté une maison, parce qu'on dit acheter quelque chose de son argent, mais il est incorrect d'écrire: il avoit de bonnes troupes et il en a gagné la bataille, parce qu'on dit: gagner la bataille avec des troupes (Rem., 266). Cela revient à dire que en remplace un complément précédé de la préposition de. Bary raffine sur Bouhours. Voici une mauvaise phrase: Il ne fait estat que de l'argent; et tous ses soins ne tendent qu'à en avoir. On ne dit pasavoir d'argent. Ce serait bien s'il y avait qu'à s'en fournir (Secrets, 172).

Les écrivains vont beaucoup plus loin dans la liberté : Il aime le Comte d'Estrées, et dit qu'il a bien voulu étre son ami, mais que le maréchal a refusé d'en étre (Sév., IX, 153); je vous donne les conseils d'une vraie amie; et ceux qui vous parlent autrement

1. L'Académie se montra aussi assez libérale. Si tost qu'il fut arrivé, il fit fortifier les lieux qui y avoient le plus de disposition lui parut une phrase peu régulière, qu'il fallait éviter en écrivant, mais pourtant élégante (Tall., Décis., 60).

2. Saint-Simon, qui ne se souciait guère des règles, représentait par un le ayant valeur d'adjectif un substantif antérieur: il ne voulut voir que peu d'amis. Il l'étoit fort de mon père (III, 154).

3. Cf. Le Latin, l'Italien et l'Espagnol sont riches en diminutifs, si c'est richesse à une Langue d'en avoir (Mén., O., II, 388); Vous n'avez qu'à aller puiser de l'eau à la fontaine, et, quand une pauvre femme vous demandera à boire, lui en donner bien honnêtement (Perrault, Cont., 118):

n'en sont point (Ead., III, 8); Il n'est pas besoin de dire qu'il y venoit aussi des muguets et des galans, car la consequence en est assez naturelle (Fur., Rom. bourg., I, 9); Nous aimons... et comme on lui en eut demandé la raison (Menagiana, II, 356); Je voudrois... qu'il fist des vers de commande pour les filles de la reyne, et sur toutes les avantures du cabinet; qu'il en contrefist mesme l'amoureux (Fur., Rom. bourg., I, 121).

Y. — Ce mot doit, d'après les grammairiens, se référer à un antécédent au datif. Voici qui est incorrect: Quoy qu'il ait le caractere de Prestre, il n'est pas ce semble, homme d'Eglise, il n'y va point. Ce serait bien, si on avait dit: Il semble qu'il n'appartienne pas à l'Eglise (Bary, Secrets, 176).

En réalité, c'est donner à ce pronom un emploi bien trop restreint. Y se rencontre, même là où l'analyse moderne obligerait à mettre le Recommandez tous mes desseins à Dieu et me croyez autant à vous que j'y suis (Mme de Maint., Lett., 1, 53); On ne peut pas étre mieux ensemble que nous y sommes (Sév., V, 289 ; cf. VI, 58; VII, 346). Ailleurs il serait impossible de le remplacer par quoi que ce soit : La raison qu'il en apporte, c'est qu'il juge selon la justice, ce n'est pas qu'il y juge toujours, c'est qu'il est réputé y juger (Boss., Pol., 4, 1, 2, L.); Je proms avecque vous, et j'y romps pour jamais (Mol., I, 487, Dép. am., v. 1320).

Andry de Bois-Regard a blàmé ces hardiesses et s'en est pris à la phrase: Il y a des gens qui sont au desespoir, quand on les appelle Marquis ou Comtes, et d'autres quand on ne les y appelle pas. 11 accepte: On peut s'accommoder avec les hommes de la plus mauvaise humeur, mais avec une femme querelleuse, on n'y sçauroit vivre (Suit., 405-406). La langue populaire seule conserva ces tours.

LE MOT REPRÉSENTÉ DOIT AVOIR LE MÊME SENS OÙ IL EST REPRÉSENTÉ QUE LA OÙ IL EST EXPRIMÉ. On avait trop la haine des équivoques et des jeux de mots pour ne pas apercevoir la nécessité de légiférer sur ce point.

C'est une grave

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faute que d'écrire: Il n'y a pas dans le Parlement une meilleure teste que celle de Monsieur mais que Monsieur. Et d'Aisy répétera qu'un pronom ne convient pas pour représenter les mots Ames et Esprits, quand ils sont pris personnellement. Il blame : Les beaux Esprits ne sont pas si sombres, ny si tristes que le vostre; dire que vous estes (Gến., 103).

Il est bien entendu aussi qu'un mot, qui doit être représenté, ne peut être pris la seconde fois dans une signification différente de la première. Il faut qu'il y ait au moins un grand rapport entre les deux

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