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CHAPITRE VII

DEGRÉS DES ADJECTIFS ET DES NOMS

ADJECTIFS SANS COMPARATIFS NI SUPERLATIFS.

En ce qui concerne

les comparatifs et superlatifs de voisin et de prochain, Ménage était encore << assez de l'avis de Vaugelas. Pour une plus grande perfection, il en useroit toujours ainsi » (cf. t. III, 283). Toutefois il connait des exemples de Malherbe, de Chapelain. Il se rappelle que les coutumes disent le plus prochain héritier (O., I, 519).

:

Je n'ai pas pu me rendre un compte exact de l'usage. J'ai trouvé plus voisin, plus prochain, mais non les superlatifs. N'étaient-ils réellement pas employés'? En tous cas, l'Académie débarrassa la langue de cette entrave, et rendit à ces adjectifs les formes qu'on leur discutait (dans Vaug., I, 175).

Il est à remarquer que d'autres adjectifs prêtent à des observations analogues, en raison de leur sens; ainsi inébranlable. On ne peut pas dire plus ou moins inébranlable, de même qu'on ne peut pas dire plus ou moins impossible, estime l'auteur de l'Enterrement (189-190). L'expression les Déesses toutes belles et toutes parfaites ne vaut rien non plus, « parce que le mot parfait ne recoit ny le plus ny le moins » (Bary, Secrets, 79-80 et 118); certain est dans le même cas (Id., Ib., 139).

Suffisant est souvent accompagné de assez. C'est un pléonasme que commettent les bonnes gens, et qui s'est même communiqué à quelques personnes qui se piquent de politesse, par exemple Furetière. Il ne faut pas les imiter (A. de B., Refl., 67).

1. Les Auteurs sacrez plus voisins par les temps et par les lieux des Royaumes d'Orient (Boss., Hist. Univ., 47); Pour rendre vos Etats plus voisins l'un de l'autre (Rac., II, 407, Bérén., v. 763); une tentation d'orgueil plus délicate et plus prochaine (La Bruy., II, 233, De la Chaire).

On trouve aussi constamment des adjectifs avec trop: la chute des idoles, et la conversion du monde... la destinée de Rome et de son Empire, estoient de trop grands et tout ensemble de trop prochains objets pour estre cachez au Prophète de la nouvelle aliance (Boss., Apoc., Pref., 14); Je me croirois encor trop voisin d'un perfide (Rac., III, 369, Phed., v. 1142).

2. Il est tems de fournir à Messieurs les Ministres des memoires assez suffisans pour prendre connoissance de la manière (Fur., Fact., I, 165); cf. Je croy que mes discours

Bary est féru de cette règle: « L'obligation que je vous ay, vient si immediatement de vous, que je n'ay pas mesme contribué mes desirs. Il ne faloit pas vser de la particule si, parce que l'immediat ne peut estre plus ou moins immediat » (Secrets, 118).

« Comment s'est-il pú faire qu'vne victoire civile remportée de vive force sur une sedition la plus enragée qui ait jamais esté, n'ait rien produit de sanglant ny de lugubre; et que pour faire revivre l'obeïssance et le bon ordre dans une Ville qui étoit si pleine de mutins et de broüillons.... Il ne faloit pas user du si, parce que le mot de plein, ne reçoit ny le moins ny le plus. Comment s'est-il pú faire, que pour remporter une victoire sur une populace la plus enragée qui ait jamais esté, l'on ait poussé tant de seditieux sans les perdre; et que pour faire revivre la police dans une Ville remplie de mutins... » (Id., Ib., 118-119).

Mais en réalité cette prétendue logique n'a pas encore exercé son action sur les écrivains. On trouve jusque chez La Bruyère des exemples d'expressions analogues: les chambres assemblées pour une affaire très-capitale (1, 268, Des biens de fort.)1.

J'ai dit au tome III, 284-285, que les grammairiens avaient laissé passer les plus gens de bien. A la fin du siècle, ils acceptent explicitement cette expression et la justifient par le fait que bien tient ieu d'un adjectif (Al., Nouv. Rem., 516; Regnier-Desm., 199).

FORMES DES COMPARATIFS ET DES SUPERLATIFS. Le peuple continuait probablement à réduire les vieux comparatifs pire, mieux, à des adjectifs ordinaires. On voit les grammairiens s'efforcer de les maintenir dans leur rôle primitif, et interdire plus pire, plus pis, plus mieux (Bér., Nouv. Rem., 15)2.

LES SUPERLATIFS EN ISSIME. On a vu au tome III, 284, quelles résistances avaient rencontrées les superlatifs en issime, considérés comme titres. Cependant généralissime était acquis. Les autres s'imposèrent. Ce sont, dit Bouhours des « termes établis »>, mais <« pour marquer les qualitez des personnes, et non pas pour exagerer les choses » (Entr., 2e éd., 1671, 51). Il y a sur ces superlatifs un très solide mémoire de Ménage, plein de faits et d'observations historiques (O., II, 121-135)3. Il en ressort que la modę

sont assez suffisans Pour forcer cette humeur qui s'attache aux vieux ans (Pichou, Fol. de Card., act. I, sc. 2).

1. Cf. en trois mois elle fera assaut de vertu avec les plus vestales (Regn., Desc. d'Arl.. sc. 2). L'auteur plaisante, naturellement.

2. Ce qu'on trouve assez souvent, c'est pire pour pis: et qui pire est, c'est que (Merc. reprouvé, 37).

3. Cf. A. de B., Refl., 245.

italienne avait fait recevoir récemment éminentissime, accordé aux cardinaux en juin 1630, et sérénissime appliqué à la reine Christine, depuis au prince de Condé'. Quant à généralissime, illustré par Richelieu, Renaud dit qu'on ne l'employait qu'à l'égard des princes qui commandent une armée où il y a des maréchaux de France (Man. de parl., 16). La question est donc une question de protocole2, et non plus de grammaire.

Comme superlatifs, les mots en issime ne servent plus que dans le style familier, dit Bouhours (Rem., 312; cf. Ren., Man. de parl., 15). Et Andry reprend d'Ablancourt d'avoir dit : dans la Gaule de César, il y avoit un grandissime nombre de Villes (Refl., 245). Ils étaient à peu près exclusivement employés à des effets comiques : Celle qui sur le cuir vilain, De son pedantissime sein (Scarr., Dern. Euv., I, 175); quelle raison as-tu eue de sortir de la maison paternelle, carogne, carognissime (Regn., Fill. err., act. I, sc. 7)".

RÉPÉTITION DE L'ADVERBE DANS LES COMPARATIFS ET SUPERLATIFS. Avec chacun des comparatifs et superlatifs, quand il y en a plusieurs, il faut répéter l'adverbe et dire: La plus inexcusable et la plus insupportable de toutes les Censures, est celle qu'il a faite du Traité de Morale.... L'obeïssance étant un devoir et un moyen de plaire plus seur et plus honneste pour eux (A. de B., Suit., 307-308).

QUE APRÈS MOINS, PLUS. Ils se font désormais suivre de que, saut le cas où « on exprime une quantité discréte, c'est-à-dire, une quantité dont les parties ne sont pas unies ensemble, comme le nombre... dans moins de trois jours » (Bér., Nouv. Rem., 242-243 et 107)*.

1. Voir la dédicace d'Amphitryon (Mol., VI, 354-355).

2. Voir dans l'édition des Grands Écrivains, La Fontaine, t. VI, p. 275-276, une discussion sur la dédicace du poème de la captivité de Saint-Malc, où se pose une question au sujet du titre d'Altesse Sérénissime. Saint-Simon la discutera. Cf. Littré, qui cite Bossuet. Boursault ne parle jamais autrement de son protecteur: Votre Altesse Sérénissime (Lett. now, I, 44; cf. 68, 176, 186, etc.).

3. Socrate, homme savantissime (Montfl., Mar. de rien, sc 3); Ah je tiens votre quêne, Doctissime (Bours., Méd. vol.. sc. 24); Enfin, un Scélératissime, Soüillé des plus noires horreurs (Id., Lett. nouv., I, 247); Je sçai que vous éles fort gueux, Fort fourbe. Fourbe! Fourbissime (Poiss., Le zig-zag, sc. 6); Comment la trouves tu, Conte? Admirable.

Et vous? Admirabilissime (Bours., Port. du peint., sc. 7); Ton maître est Astrologue! Astrologogissime (Th. Corn., Feint Astrol., act. II, sc. 2).

II y a dans les œuvres de Chapelle, édition Tenant de Latour, 109 et suiv., une Lettre au Duc de Nevers, dont les rimes sont faites de superlatifs en ime, alternant avec des ors. C'est une réponse à une lettre en vers construite déjà sur les mêmes rimes.

4. « Il ne faut néanmoins pas écrire Il y a moins de dir mois, il y a moins de dix ans, mais il faut dire: il n'y a pas dix mois » (Id., Ib., 243).

CHAPITRE VIII

LES NOMS DE NOMBRE

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PLURIEL DE CERTAINES FORMES. Mil et mille. Ménage pose en règle l'observation d'Oudin, négligée par Vaugelas, que mil ne doit plus s'écrire, si ce n'est en datant les années du jour de la Nativité (0., I, 478). Bouhours copie cette remarque (Rem., 287; cf. Mén., O., II, 116), Richelet l'admet. Elle passe de là dans le Dictionnaire de l'Académie et chez Buffier (176). Elle fait encore loi.

Mille, vingt, cent étant susceptibles de multiplication, la question de savoir s'ils allaient prendre tous l's du pluriel se posait. Pour mille (millia), la tradition se conserva de le garder invariable ; depuis Vaugelas, personne ne toucha à la règle '. Pour vingt et cent, au contraire, qui avaient toujours été déclinables, l'usage de l's se maintint, mais avec des restrictions. Chifflet admet qu'ils prennent I's « devant les substantifs » (23). C'est la première allusion que je trouve chez les théoriciens aux différences qui vont s'établir suivant que ces nombres seront ou non suivis d'un autre nom de nombre. En 1694, l'Académie ne traite pas la question de cent, mais elle écrit vingt de trois façons: 1° quatre-vingt, six vingt; 2o cent quatrevingts pistolles; 3o quatre-vingt-deux. Le premier exemple est une inadvertance, vingt prend l's, sauf quand il précède un autre nombre auquel il est joint3.

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ET ENTRE LE nombre deS DIZAINES et celui des UNITÉS. II ne restait plus pour rompre avec l'ancien usage qu'à éliminer et des nombres composés où un suivait le chiffre des dizaines. Ménage

1. Dans les textes, il arrive de trouver milles : je trouvay environ deux milles Soldats (Ambass. de Siam, 55).

2. Inutile donc de citer beaucoup d'exemples de vingts et de cents. Ils fourmillent : Le Marquis de Leyde... en sortit avec douze cens hommes de pied et deux cens cinquante checaur (Bussy-Rab., Mem., I, 453); Qu'est-ce, de bonne foi, que deux cens mille francs (Id., Ib., II, 4).

3. A dire vrai, on trouve dans les textes quelques exemples de vingt au singulier devant un autre nombre: En l'an six cens quatre-vingt deur (Bours., Com. s. tit., act.V, sc. 7). Et il est à remarquer qu'en 1667 Kolhans notait la prononciation katr vingt ün (37), en écrivant quatre vingts un (123) On ne faisait donc pas entendre l's. Tout n'est pas imagination dans cette règle si incommode.

accepte encore et après trente, quarante, mais non après quatre vingts, et ses semblables. Il veut aussi cent un. Suivant lui mille-un est controversé (O., I, 482). Richelet, docile aux ordres «< de M. l'Usage », garde dans son Dictionnaire vingt et un. De soixante à quatre vingts il mettrait et partout soixante et deux, soixante et dix, ou soixante dix. En réalité une grande confusion règne, et Chifflet se contredit; il écrit: quatre vingts et deux, mais vingt-deux, plus loin, il n'admet la conjonction que devant un et encore pas après cent (24)1.

Quantième. Il souffrait de la décadence de quant (cf. t. III, 294). A vrai dire, il s'est conservé jusqu'à nos jours, mais dans la langue savante; le peuple dit : le combien sommes-nous ? Je verrais volontiers un prodrome de cette décadence dans les questions que se posent les grammairiens à ce propos. Suivant Ménage, il faut dire : quantiéme sommes-nous? (O., II, 50). Suivant Andry : quel quantiéme avons nous? (Refl., 521).

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1. Dans les textes, il n'est pas rare de trouver encore et, non seulement devant un, mais devant deux, trois. Je donnerai ici quelques exemples des contradictions que j'ai constatées Enfin, quoique ignorante à vingt et trois carats (La Font., II, 180, v. 19); il est vint-trois heures et demie (Menagiana, I, 208); soixante et trois livres (Mol., IX, 283, Mal. imag.. act. I, sc. 1); Il faut pardonner à son prochain, non seulement sept fois, mais mesme septante et sept fois, c'est à dire à l'infini (Fur., Par. de l'Evang., 104); nonante et neuf brebis (Id., Ib., 89); En contant vos appas, belle d'Indreuille, J'en contay trois cent Quatre-vingts tant; Mais y regardant mieux, j'en trouvay deux mille Deux cent vingt et deux Dedans vos beaux yeux (Airs et Vaud. de Cour, II, 23). Seulement, il y a lieu d'observer que les textes où et se rencontre surtout ne sont pas classiques.

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