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às, le resta ou se changea en s, suivant les scribes. Appast présentait donc au pluriel une forme régulière: appas. On la trouve dans les textes: Quelquefois, aux appas d'un hameçon perfide, J'amorce en badinant le poisson trop avide (Boil., Ép., VI, v. 29-30); Que c'est pour Alcidor qu'elle tend ses appas (Racan, I, 52). Et Richelet suit cette orthographe.

L'analogie pouvait normalement avoir deux effets assimiler le singulier au pluriel, un appas, d'après des appas, ou faire disparaitre le vieux pluriel au profit d'un nouveau un appast : des appasts. En vérité le premier résultat était déjà presque obtenu. Corneille se servait couramment d'appas : Je m'y trouve forcé par un secret appas (III, 569, Pol., v. 1769); le Lexique de M.-L. donne de nombreux exemples'. Cf. dans Boileau: A cet unique appas l'âme est vraiment sensible (Sat., XI, v. 97); Mais dans tous mes écrits jamais aucun appas Ne m'a fait anoblir ce qui ne l'étoit pas (Poiss., Com. s. tit., act. V, sc. 2).

Mais on ne l'entendit pas ainsi. Comme appas était loin de la forme du singulier, et que ce nom s'employait au figuré, avec un sens voisin de attraits, charmes, un peu moins fréquent au singulier, l'occasion était bonne pour les faiseurs de distinctions. On la mit à profit. On fit donc. deux mots. Furetière, après avoir donné pour exemple: La vie solitaire a ses appasts et ses charmes, avait ajouté : <«< En ce sens on a accourci le mot et dit appas au lieu d'appasts ». Cette malheureuse indication: en ce sens, fut prise à la lettre 2.

L'Académie, qui avait oublié le mot, l'introduisit dans ses additions. Il n'y est plus question du pluriel de appast, dont on mentionne pourtant le sens figuré. A la suite, article spécial pour appas : «< Au pluriel se dit particulierement en Poësie, et signifie charmes, attraits... Il se dit plus particulierement des attraits et de la beauté des femmes ». Ainsi fut consacrée une distinction dont aucun grammairien, à ma connaissance, n'avait eu l'idée auparavant.

1. Mais perdez cette erreur dont l'appas vous amorce (Boil., Ép, X, v. 13) ; Quittez ces vains plaisirs dont l'appas vous abuse (Id., Sat., IX, v. 247); Au bien qu'il (Dicu) nous promet ne trouve aucun appas (Id., Ép., XII, v. 25); l'esprit humain qui depuis qu'il a goûté une fois l'appas de la nouveauté, ne cesse de rechercher avec un appétit déréglé cette trompeuse douceur (Boss., Hist. des Var.. I, préf., § VII); L'appas le plus ordinaire dont ils se servirent pour attirer les ames infirmes dans leurs lacets, estoit la haine qu'ils leur inspiroient pour les Pasteurs de l'Église (Id., Ib.. I, 8); un homme qui s'est engagé dans un parti pour dire son sentiment avec liberté, el que cet appas trompeur l'a fait renoncer au gouvernement établi (Id., Ib. ‚I, 255).

2. Il est curieux de constater que Sorel avait, lui, distingué appast de appeaux : « vous demandez des amorces ou apasts pour les poissons, mais nous n'en vendons point... Quat aux apasts, c'est pour attirer les oyseaux. Mais il y a A; eaux, et Apasts. s'il vous plaist. Ce sont deux... L'un est pour les apeller, l'autre pour les attirer à la mangeaille» (Polyand., I, 531).

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PLURIEL DES NOMS TIRÉS DE MOTS INVARIABLES. Les mots invariables pris substantivement n'ont en général pas d's: Que le diable t'emporte avec tes si et tes mais (Regn., Ret. impr., sc. 15); De vos Si mal placés la suite est inutile (Montfl., Fille cap., act. I, sc. 7).

L'analogie entraîne pourtant certains d'entre eux à prendre s; la rime fait écrire des demains: Un delay de plusieurs demains (Mayn., Euv., 338).

Pluriel des NOMS EMPRUNTÉS. Les noms empruntés au latin sont considérés comme invariables par Ménage : les Ave, les Pater (0., I,374-372;cf. les Cah.de VA., 89-90).

On dit donc : les et cetera, les alibi, les commititur, les subrogatur, les acacia, les errata, les te deum. L'Académie prend opera pour un mot latin: elle écrit donc les opera'. De plus, elle joint à la liste les mots terminés en o, qu'ils soient latins ou non : les vertigo, les infolio, les dabo, les ergo de Logique, les haro.

On écrit néanmoins, dit-elle, les échos, les recepissez, les recipez, les debets; quelques-uns écrivent : les vertigos. Ménage admet que factum fait factons, comme dictons, rogatons (O., I, 371)2.

Pour impromptus, mot devenu usuel dans le monde, il y eut une forte résistance. Il devait suivre l'analogie. Ménage citait divers textes, tout en concluant contre eux; d'abord: Les Madrigaux polis, les légers impromptus (O., I, 371). Bouhours aussi mettrait unes Ces Messieurs les Beaux-Esprits auroient beau faire valoir leurs Madrigaux, leurs Bout-rimez, et leurs Impromptus. D'Aisy, abandonnant ici Bouhours, préfère le singulier (Gén., 93). Les Cahiers de l'Académie également (89) 3.

PLURIEL DES NOMS COMPOSÉS. Vaugelas avait observé que cela <«< estoit assez ordinaire en nostre langue aux mots composez, soit noms ou verbes, de ne suivre pas la nature des simples qui les composent » (II, 202). Quelle portée faut-il attribuer à cette doctrine? On ne sait trop. Elle est assez nette, puisqu'elle amène Vaugelas à traiter arc-en-ciel de façon spéciale, et à repousser arcs-en-ciels,

1. C'était l'usage: Les Balets, Opéra et Mascarades (Liv. des adr., I, 272). Dans les Lettres patentes du roi du 28 juin 1669 « pour establir des Académies d'opera », le mot est partout au singulier: chanter en public de pareils opera. De même dans le Recueil general des Opera. Paris, Ballard, 1703, in-12. Cf. Fur., Fact., 1, 46; Perrault, Rec., 304; Palaprat, Concert rid., 36; Menagiana, II, 152, etc.

2. A la vérité, on rencontre plusieurs de ces mots avec s: En faveur de ce roy, non moins fort non moins brave Que les Davids, et que les Gedeons, Tout retentit de Tedeums (Benss., OEnv., I, 252); Sans alléguer de propos vains, D'excuzes, d'alibis forains (Loret, 27 Mars 1661, v. 1-2); Pour punir vos vieux alibis (Id., 17 may 1653, v. 131).

3. Un certain folastre... avoit toûjours des inpromptu de poche (Fur., Rom. bourg.. 1, 128).

arcs-en-cieux, et même arcs-en-ciel en faveur d'arc-en-ciels. Mais peut-on généraliser, et jusqu'où? Th. Corneille, l'Académie, et aussi les Cahiers (89) approuvent la remarque, ils n'en dégagent pas une doctrine. Ménage, Bouhours sont muets à ce sujet. Andry prononce laconiquement qu'il faut écrire des Sage-femmes, sage femme étant considéré comme un seul mot' (Refl., 626). Les Cahiers ne parlent pas du pluriel des mots où il y a « division » ; ils écrivent francs-fiefs, on n'en peut rien conclure (107).

Tout ce que je crois pouvoir tirer de mon enquête auprès des théoriciens, dont les résultats sont négatifs, c'est que vraisemblablement la question n'avait pas encore été posée d'ensemble. On inclinait à traiter les composés comme les simples. Heureuse sagesse que l'âge suivant eût bien dù imiter!

Les textes doivent être consultés avec précaution. Il faut prendre garde surtout aux rajeunissements, la plupart des imprimeurs modernes ayant imposé leur orthographe aux auteurs. Même quand on se reporte aux originaux, on ne doit prendre les exemples que pour ce qu'ils valent. Ils sont souvent contradictoires.

Ceci dit, j'examinerai quatre types principaux:

1er TYPE. Un nom et un nom: Loup-garou. On trouve s aux deux termes, mais aussi au second seulement: ces maris incommodes

qui veulent que leurs femmes vivent comme des loups-garous (Mol.,

IV, 27, Mar. forcé, sc. 2, note). Livet, dans son Lexique, a donné des exemples nombreux de cette orthographe. On rencontre quelquefois lougaroux, en un mot, ainsi dans le P. Carneau (Stimmimachie, 115; cf. Breb., Luc. trav., 1656, 108); Les choux fleurs (Del. de la Camp., 126; cf. La Quint., Instruct. p. les jard., II, 405); les Capres-Capucines (La Quint., Instruct. p. les jard., II, 367 et 368); les Choux raves s'apprestent comme les Choux fleurs (Del. de la Camp., 128); (elle) se fricasse comme les Bettes-Raves (Ib., 104); Des Jurez-Vendeurs de Bestiaux (Delamare, Pol., Liv. V, titre XIX, p. 1185); Les Bete-raves sont plantes annuelles (La Quint., Instruct. p. les jard., II, 373; cf. Id. Ib., 367).

2o TYPE. Un nom et un adjectif. A. L'adjectif est devant : vert galant. On trouve d'abord s au dernier terme seulement Et

4. Cf. Chauves souris (Regn. et Dufresn., Foire St-Germ., act. I, sc. 8). 2. Par exemple, dans un livre comme celui de La Quintinie que je cite souvent plus loin, l'auteur (ou le prote) a pu considérer des noms de fruits comme des noms d'espèce, construits avec l'article par abréviation : des Cuisse-Madame = des poires de Cuisse-M. (Instruct. p. les jard.. I, 338, 360 et suiv.); en outre, mème là où par les noms voisins on voit qu'il les traite en noms directement construits avec l'article, dans quelle mesure ces noms sont-ils assimilables à des sortes de noms propres ? Ces raisons ne doivent pas empêcher, bien entendu, d'alléguer le texte, mais en l'examinant de près.

nous étions, ma foi! tous deux de vert-galans (Mol., IX, 83, Fem. Sav., v. 346, éd. de 1672 et 1682); des platebandes d'affust (Th. Corn., Dict.); les Crasanes, Petit-oins (La Quint., Instruct. p. les jard., II, 350; cf. I, 328); maints haut-bois (Richer, Ov. bouff., 443); des clairvoies (Huetiana, chap. LXXI); loudiers, courtepointes (Tarif de sortie, 18 sept. 1664); les Sieurs Beaumavielle, et Rossignol, Bassetailles; Clediere et Tholet, Haute-contres (Rec. des Opera, I, Pref., à iij.).

Mais on trouvé aussi s aux deux termes : au son des hauts-bois (Segr., Nouv. fr., 6o nouv., 146); l'agreable son des musettes et des hauts-bois (Id., Ib., 5o nouv., 278); Plattes-formes (Félib., Archit., 699); on vous aura mandé la retraite de du Ludre dans les SaintesMaries du faubourg Saint-Germain (Bussy-Rab., Corr., IV, 21); les Sages-Femmes se saississent de la coëffe naturelle des enfans (Bayle, Nouv. de la Rep., Juillet 1685); les Bonnes-Dames (La Quint., Instruct. p. les jard., II, 405).

J'ai même rencontré : les biens faits (Chap., Lett., 1665, II, 421). On trouve aussi quelques pluriels sans s nulle part : les Doublefleur (La Quint., Instruct. p. les jard., I, 254).

B. L'adjectif est derrière: bout-rimé. On trouve s au dernier terme sçavent faire des Sonnets, des Rondeaux, des Bout-rimés, des Madrigaux et des Vers de Coqueterie (Fur., Fact., I, 187); les Laitues Crépe-blondes... qui sont plus grosses, et moins frisées que les Crépe-blondes (La Quint., Instruct. p. les jard., II, 390); les Crépevertes (Id., Ib., II, 390); les Laurier-roses (Id., Ib., II, 349; cf. même page des Lauriers-roses); Il y a un grand temple qui est appuyé sur une colonne entourée de douze villes, chacune desquelles a trente arcboutants (La Font., I, 50)1.

Mais on trouve aussi s aux deux termes : les Bouts-rimés (La Font., IV, 9, et note 2; cf. Mol., IX, 582); on en met sur les ... pots pourris (Del. de la Camp., 128); en forme d'arcs-boutants (Boil., Corr., 184, 1704); ponts-levis (Félib., Archit., 704); que les bourgeois et faiseurs de bouts-rimés (Fur., Fact., 1, 228).

3o TYPE. Passe-port. C'est le seul type dont l'orthographe soit un peu régulière.

Les noms composés de porte un substantif se trouvent sur

1. Chevau-leger est dans un cas particulier. Ménage blame un cheval-léger (O., I, 270). Le pluriel réagit sur le singulier, et on n'écrit ni cheval, ni chevaux, mais chevau. La Rochefoucauld écrit chevaur légers (II, 169); l'Académie et Th. Corneille également. Racine écrit: capitaine des chevau-légers (VII, 63, Lett., 5 Oct. 1692 ; cf. Reg. de l'A., I, 329).

Dans les Mémoires de Bussy l'imprimeur a mis une r: Je tiray les chevaux-legers du Prince (1, 213; cf. I, 506 et 426).

tout chez les burlesques. En général porte est invariable, le substantif est mis au pluriel: quatre porte-masses (Mol., VIII, 383, Psy., Livret de 1671); ce qu'on doit aux porte-couronnes (Loret, 14 avr. 1652, v. 176; cf. 21 aoust 1660, v. 46); Quantité de porterapiéres (Id., 22 oct. 1651, v. 11; cf. 8 janv. 1656, v. 213); les Muletiers et porte-étrilles (7 juil. 1657, v. 70); deur puissans portechaises (Scarr., Œuv., I, 294); Les porte-faits ont les reins forts (Bary, Secrets de nostre Lang., 444).

Cf. avec d'autres verbes : Des boute-feux (Loret, 10 mars 1652, v. 128); cf. Ces brillans Boute-feux d'Amour (La Mesn., Po., 175); deux bátons de saule pour garde-fous (La Font., VIII, 140); cf. Faites donc mettre au moins des garde-fous là-haut (Rac., II, 153, Plaid., v. 114); Avec des Conseillers surnommez Gardenottes (Bours., Com. s. tit., act. V, sc. 5); des Passe-velous (La Quint., Instruct. p. les jard., II, 349); Cinq ou six Poussecus (Bours., Ment. qui ne m. p., act. IV, sc. 2; cf. act. I, sc. 9); Vous et vos Grippechairs vous pouvez disparoître (Id., Mots à la m.,sc. 15); les Marchands Forains ou Chassemarées (Delam., Pol., liv. V, tit. XXIX, ch. 3, p. 74) ; Eurent leur part des baise-mains (Scarr., Virg., I, 68); Nos baisemains au Ture (Montfl., Ec. des Jal., act. III, sc. 9); Faites-lui bien mes baise-mains (Boil., Lett. à Rac., 26 Mai 1687, éd. B. S. P., IV, 155); perdreaux, valent mieux que cassemuseaux (Martin, Ec. de Sal., 49); les coignefestus... s'appelloient jadis lanarij (P. Gar., Rech. des Rech., 239-240); ces coupe-jarets (Scarr., Virg.,I, 195); avec leurs hausse-cous (Loret, 28 aoust 1660, v. 81).

On trouve aussi des exemples du pluriel aux deux termes: Hapeschairs de mon ame (Bours., Ment. qui ne m. p., act. III, sc. 11). Parfois les deux mots sont au singulier: Des vrais porte-guignon le pire (Scarr., Dern. Œuv., I, 206).

L'Académie, consultée, refusa de se prononcer: « On a proposé si portelettre, portefeuille et autres ont une s au pluriel et on a remis à en decider jusqu'à une plus nombreuse assemblée » (Reg., I, 361).

4 TYPE. Juste-au-corps, chef-d'auvre. Tout ici est contradiction d'amples juste-au-corps (Fur., Rom. bourg., I, 194); Ils avoient tous des juste-au-corps de toile blanche (Araspe et Sim., II, 62); C'est-à-dire des Just-au-corps (Loret, 14 avr. 1657, v. 143).

Au contraire : Il a beaucoup de noblesse avec de beaux justes-aucorps (Sév., III, 285, Autogr.); cf. des téte à tête (Vaumorière, Art de plaire, 403).

L'orthographe de chef-d'œuvre est de même très hésitante: Je les vois effacer ces chef-d'œuvres antiques (Corn., X, 120, note 1);

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