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de systématique, elles sont toutes de détail, et, se rapportant à des objets particuliers, elles ont l'expérience pour source principale et immédiate. Suivant Aristote, il servirait fort peu à un médecin de savoir que les viandes légères sont saines et faciles à digérer, s'il ignorait quelles sont les viandes légères; il lui vaudrait bien mieux ignorer le principe général, qui est du ressort de la science, et savoir ce que l'expérience personnelle peut apprendre à chacun, c'est-à-dire que la volaille, par exemple, est une viande légère et saine 1. Or l'homme vertueux est continuellement dans la position d'un médecin, il recherche les moyens à employer en vue d'un but donné, tel que la gloire; réussir dans cette recherche n'est pas chose facile, ni à la portée du premier venu. Cela suppose, au contraire, à défaut d'une grande expérience personnelle, beaucoup d'attention aux conseils des hommes expérimentés et surtout une observation pénétrante de leur conduite; car les hommes les plus prudents, n'étant pas toujours les plus habiles à formuler les règles qui ont dirigé leur conduite, peuvent égarer les novices qui ne soumettraient pas les préceptes les plus élevés et les plus séduisants au contrôle des faits 2. (A suivre.)

1 Eth. Nic. VI, 8.

H. LECOULTRE.

Il vaut peut-être la peine de remarquer que cette règle d'Aristote est justement l'inverse du précepte de Jésus-Christ relatif à l'autorité des Pharisiens Faites et observez tout ce qu'ils vous disent, mais n'agissez pas selon leurs œuvres. » (Math. XXIII, 3.)

ACTUALITÉ

Un « Manuel du démagogue 1. »

Quelle vérité dans les jugements de l'auteur sur notre état social ! Il écrit en France et pour la France, mais que d'appréciations fines et justes des pouvoirs qui nous gouvernent, des influences que nous subissons! Que de fois, en lisant ce volume, nous nous sommes dit il faudrait que tout citoyen l'eût entre les mains pour être en garde contre les faux amis du bien public!

Ces lignes n'ont, du reste, d'autre but que de présenter quelques remarques sur la préface qui, elle-même, mérite une attention particulière.

M. Raoul Frary n'en est pas à son coup d'essai comme littérateur. Dans son écrit, le Péril social, couronné par l'Académie française, il a déjà signalé les dangers que courent la république et la prospérité nationale. Ici, dans sa préface, il indique à un jeune ambitieux les moyens par lesquels il peut capter la faveur populaire, et devenir un « démagogue conducteur du peuple. >>

On sait que Machiavel, dans son Prince, a rédigé en faveur de Laurent de Médicis des instructions propres à le diriger pour devenir et demeurer le maitre du peuple. Une voix unanime a flétri ce procédé; on l'a même stigmatisé en nommant machiavélique toute diplomatie perfide. Plus tard, on s'est demandé si l'auteur n'a pas voulu dévoiler les secrets d'une telle politique, afin que le peuple, une fois averti et mis sur ses

1 Manuel du démagogue, par Raoul Frary. Paris, 1884.

connaître, et lui et toute une classe de personnes respectables d'ailleurs, qui parlent et agissent de même.

« Le choix d'une opinion ne m'intéresse pas. Il ne s'agit que de trouver le

gardes, parvint à la déjouer. Quoi qu'il en ait été des intentions de Machiavel, nous ne sommes pas dans le doute sur celles de M. R. Frary. Pour nous ouvrir les yeux comme citoyens, sur les pièges qui peuvent nous être tendus, il se pré-chemin le plus court pour arriver à la tend chargé par un ami habitant la province, d'introduire son fils, jeune ambitieux, dans le monde politique. C'est à ce débutant provincial que l'auteur adresse une série d'études : 1° sur le caractère du peuple, le vrai souverain actuel; 2° sur l'art de lui plaire, par le dévouement, par la louange, par l'espérance, et en flattant ses passions mauvaises, surtout la haine et l'envie; 3° sur la doctrine démagogique; 4o sur l'entrée dans la carrière, par la presse, les réunions publiques et les élections.

Il y a donc là un travail complet dont l'ambition peut profiter, mais dont le citoyen circonvenu tirera parti pour échapper aux trompeurs et aux flatteurs. Le dernier mot du livre nous en donne la clef s'adressant à son jeune ami, l'auteur lui dit : « Si l'ambitieux s'obstine à rester toujours sincère, à dire ce qu'il croit vrai, à conseiller tout ce qu'il croit utile, il doit se résigner à tous les déboires et notamment au pire de tous : personne presque ne lui rendra justice, et c'est quand il fera le plus de sacrifices à sa conscience, qu'il sera le plus calomnié. Il n'y a pas là de quoi vous tenter.» (Pag. 308.)

Dégoûter les ambitieux et instruire le peuple des ruses employées pour s'emparer du pouvoir, tel est le but du livre.

La préface nous expose la tendre sollicitude d'un homme qui, peu ambitieux pour lui-même, l'est pour son fils; quelques lignes de sa main le feront

célébrité, et à ce genre de célébrité qui conduit à la puissance.... Je sais que mon fils ne fera rien de déshonorant. Je sais de plus qu'en politique, il est impossible de se déshonorer; épargnez-lui toute démarche dont il pourrait avoir à se repentir. Le repentir sauve les chrétiens, mais pas les ambitieux. Orientez ce novice dans le sens d'un avenir prochain. Il ne doit pas languir dans une opposition stérile. » (Pag. 2.)

En retour, le Parisien écrit : « Je vais me mettre à votre place et oublier mes préférences pour ne penser qu'à votre intérêt. >>

Il explique alors au fils dans quels sens il employe le terme de démagogue. Pour lui c'est quelqu'un qui sert le peuple, dans des vues intéressées, afin de le conduire, de le mener. Un démagogue joue, dans une République, à peu près le même rôle qu'un courtisan dans une monarchie.

<< Nous nous moquons, dit-il, des chambellans d'autrefois, c'est que le souverain est changé, mais la nature humaine est restée la même. De tout temps les Français (ils ne sont pas seuls) ont considéré la disgrâce comme la plus cruelle des infortunes, et la faveur comme le plus bel objet de l'ambition humaine. De tout temps, ils ont recherché le sourire du prince et l'applaudissement du peuple. Or le prince et le peuple sont aujourd'hui confondus. »

L'auteur examine ensuite comment se forment les convictions politiques. Avec une grande vérité, il établit que, chez la plupart des jeunes gens, elles ne tiennent guère à la force des arguments. Rarement aussi elles procèdent de l'éducation. Un instinct de révolte fait repousser aux enfants ce que parents et maîtres ont voulu leur inculquer, tandis qu'il leur fait adopter ce qu'un camarade vicieux et adroit leur conseille.

Plus tard, l'intérêt vient occuper la place et dominer même la conscience; alors toutes les questions se jugent pour l'homme du monde sous le point de vue du luxe, ou, comme disent les Anglais, au travers d'une guinée.

Cette préoccupation fausse le jugement sur tous les points, faisant en politique appeler mal ce qui est bien, et bien ce qui est mal. Ainsi l'industriel, qui profite d'un tarif protecteur, croit de bonne foi que sa prospérité est essentielle à la prospérité de l'Etat. S'il existe dans le rouage administratif des pièces inutiles, ce ne seront pas les fonctionnaires faisant partie de ce corps qui les indiqueront. Le fraudeur des droits de l'Etat, rend, dit-il, des services à la société, puisqu'il peut vendre à meilleur marché. La pire des causes trouve toujours un défenseur et une apologie, bonne ou mauvaise. « L'intérêt est un avocat retors qui, dans la masse des arguments, choisit avec un tact infaillible les plus propres à nous persuader et nous les souffle incessamment à l'oreille. » (Pag. 7.)

D'accord, en général, avec l'auteur, jusqu'à ce point, et déplorant avec lui l'envahissement de nos républiques par des passions de bas étage, nous ne le

sommes plus lorsqu'il ajoute : « Il y a de l'intérêt jusque dans la foi chrétienne. Et ceux qui ont beaucoup fait pour gagner le ciel trouveraient absurde que le ciel n'existât pas. Combattre leur croyance, c'est vouloir anéantir le domaine qu'ils ont acquis par tant de labeurs et de privations, c'est déchaîner la grêle sur leurs récoltes. » (Pag. 7.)

Sans nous avancer au delà de ce qui convient, nous dirons que M. R. Frary n'a pas compris l'Evangile et ne sait pas ce que c'est qu'un chrétien selon l'alliance de grâce. Il rabaisse la foi au Sauveur, au mercantilisme, à un simple échange de bons procédés. Partageant l'erreur, malheureusement trop générale, de ceux qui ne voient dans l'œuvre du Christ que la délivrance de l'enfer et le don du paradis pour quiconque remplit certaines conditions, il est demeuré étranger à cette œuvre de réconciliation et de sanctification accomplie par le Sauveur, en nous ramenant à notre Père céleste, dont il nous a manifesté l'amour et les tendres compassions.

Et comme si notre esprit était semblable au paysan ivre qui, dit Luther, ne peut tenir sur la selle de son cheval, se jetant tantôt à droite, tantôt à gauche, nous flottons par rapport au salut entre ce pelagianisme qui ne voit qu'un marché dans le salut procuré par Jésus, et ce mysticisme, ce molinisme, selon lequel Dieu doit être aimé, sans avoir aucun égard à ce qu'il a été et à ce qu'il a fait pour nous: amour qui se vaporise et se perd dans les nuages du boudhisme.

S'il y a une doctrine vraiment désintéressée, c'est assurément celle que Jésus nous a enseignée. Car c'est lui qui nous

prévient, qui nous sauve gratuitement et nous prépare pour l'éternité bienheureuse, ne demandant de nous qu'une chose nous confier en lui. « Ecoutez, et votre àme vivra, nous dit-il. » (Esa. LV, 3.) C'est donc une grâce toute gratuite, offerte à l'homme. Ce que Dieu demande en retour, c'est la reconnaissance et l'amour. « Nous l'aimons, dit l'apôtre, parce qu'il nous a aimés le premier. >> Alors nos affections sont portées et concentrées en Celui qui est la suprême justice et la suprême bonté, en Celui qui est amour. Notre être moral est élevé à sa plus haute puissance, vivant en Christ, le bien-aimé du Père, qui est lumière, vérité, sainteté et charité. Ce n'est pas uniquement de l'admiration que la connaissance de Christ produit en nous, mais une communion avec lui d'esprit et de cœur. Qui dira qu'il y avait une foi religieuse intéressée et calculée chez le disciple que Jésus aimait, ou chez l'apôtre des Gentils, lorsqu'il écrivait aux Philippiens: « Que tout ce qui esi vrai, tout ce qui est honorable, tout ce qui est juste, tout ce qui est pur, tout ce qui est aimable et digne de louange occupe vos pensées, selon ce que vous avez appris de moi, vu et entendu en moi. (Phil. IV, 8.) « La foi en l'Evangile, a dit notre Vinet, sauve parce qu'elle régénère. »

D'autre part, nous nous joignons de cœur à M. R. Frary, lorsqu'il stigmatise la théorie des deux morales, l'une pour la vie privée, l'autre pour la place publique. Il montre tout l'odieux de ce système selon lequel un homme, en toute bonne conscience, peut être au milieu de sa famille et de ses relations sociales, véridique, humain, doux, charitable,

puis à la tribune tout le contraire. « Et encore, ajoute l'écrivain, remarquez qu'un homme plein de zèle pour le triomphe de sa cause, croit rester sincère et honnête, en la soutenant par des moyens peu sincères et peu honnêtes. L'homme de parti conserve une conscience calme et un front serein, quand il viole la justice et arrange à sa guise la vérité pour assurer, dit-il, le triomphe de la justice et de la vérité. Cette théorie des deux morales est constamment pra{tiquée depuis qu'on se dispute le pouvoir.» (Passim, pag. 8 et 9.)

En terminant ce court aperçu de la préface, transcrivons encore ces nobles et sévères paroles de l'auteur, au sujet de la liberté. Elles sont tirées du corps de l'ouvrage : « Si vous ne vous préoccupez que de la liberté, vous serez contraint de renoncer à la rancune et à la haine, deux passions qui rendent tant de services à la démagogie. Vous devrez prêcher le respect des droits d'autrui : ce n'est pas le moyen de plaire. Vous perdrez ainsi tous les avantages que nous assurent nos longues révolutions.

» Le peuple est un souverain : c'est manquer d'habileté que de lui rappeler trop souvent les limites de son droit. Les minorités sont des collections de sujets en disgrâce à plaider leur cause, on se rend aisément suspect.

» Le culte de la liberté est donc une religion gênante, quand il est trop sincère. » (Pag. 184, 185.)

Malgré la défaveur dont est entourée, dans certains milieux, la vraie liberté, celle qui respecte les droits d'autrui aussi bien que les siens propres, et protège les minorités contre l'oppression

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Aux derniers jours de l'an passé, soit le 26 décembre 1884, le Conseil d'Etat a nommé M. Ziegler, à Morat, pasteur de la paroisse allemande de Lausanne. Personne n'ignore que le successeur du regretté Wagner appartient à l'extrême gauche du rationalisme. Il ne s'en cache pas. Le 11 janvier dernier, il a été installé dans ses fonctions, et cette installation, accompagnée de chants de circonstance, a été suivie d'un banquet où les discours les plus accentués se sont fait entendre à la louange du rationalisme. Plusieurs des pasteurs de l'Eglise nationale assistaient à cette fête de famille et ils ont estimé l'occasion favorable pour exprimer des vues qui n'étaient, du reste, un mystère pour personne. Nous n'avons pas à nous y arrêter. La nomination de M. Ziegler, comme pasteur de la paroisse allemande, a provoqué de la part des journaux religieux de l'Eglise nationale des témoignages de tristesse auxquels se sont associés tous les amis de l'Evangile dans le canton de Vaud. Quelles seront les conséquences d'un pareil fait? La question a été posée et discutée. On peut se livrer

sur ce point à des hypothèses dont quelquesunes paraissent fondées, tant elles découlent logiquement du fait lui-même. Il manque a la prédication négative ce qui peut seul nourrir les âmes; elle ne les attire pas. D'autre part, les esprits, les intelligences peuvent trouver quelque charme dans des dissertations morales ou religieuses, mais à la condition que celles-ci présentent autre chose que des for mules vides et froides. Un grand talent oratoire fait passer sur la pauvreté du fond. Le titulaire actuel de la chaire pastorale de la Mercerie possède-t-il ce grand talent? Nous l'ignorons.

Nous ne nous aventurerons pas à prophétiser l'avenir qui est réservé à l'Eglise allemande officielle, mais nous pensons que si des bénédictions spirituelles sont réservées à quelqu'un, c'est à la congrégation qui se réu nit actuellement au Musée Industriel. Il ne paraît pas qu'elle voie encore bien clairement son chemin; elle le cherche. Une réunion de ses membres a eu lieu le 8 de ce mois, mais nous n'avons pas à dire quelles décisions ont été prises. Attendons.

La première semaine de janvier est déjà bien loin de nous, et nous ne la mentionnerions pas si nous n'avions à constater que, cette année encore, elle a été remplie par les réunions habituelles de prières. Qu'il se fasse du bien parmi nous de cette manière, cela est certain, et s'il ne se fait pas encore tout le bien désirable, ce n'est pas une raison pour cesser de soutenir tout ce qui peut contribuer à rapprocher les chrétiens des diverses dénominations.

La grande préoccupation du pays, durant ces dernières semaines, a été, sans contredit, l'œuvre de l'assemblée constituante. Nommée il y a une année, cette dernière a eu un premier débat en automne. Le 12 janvier 1885 elle a abordé, en second débat, le projet qui lui était soumis par sa Commission. Nous n'avons pas à nous occuper ici des questions

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