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velles (Lausanne, chez Mignot, 10 cent. la lettre, avec rabais aux acheteurs en gros). Le but est excellent et l'exécution satisfaisante, le genre admis; nous n'y reviendrons pas. (Voy. nos numéros de décembre 1883 et 1884.) Une seule remarque: ces lettres imprimées sont trop longues, surtout en vue des malades; pour eux, un feuillet de deux pages serait préférable, et la qualité en bénéficierait probablement.

Marshall, traduit de l'anglais par Mm. Dussaud-Roman. Tous deux sortent de chez Grassart, à Paris, et sont des volumes à 3 fr. 50 cent. Tous d'eux s'inspirent d'une donnée religieuse et retracent les avant-coureurs de la réforme et naturellement aussi les persécutions qui cherchèrent à l'étouffer; l'un nous transporte en Italie et dans les Vallées vaudoises, vers la fin du XVe siècle, l'autre en Angleterre et aux Pays-Bas, dans le premier tiers du XVI•.

Karina Montjoie a une réelle supériorité, comme roman historique, c'est d'avoir pour centre un personnage qui vécu William Tyndale, successeur de Wiclef, précurseur de la réforme, traducteur infatigable des saints livres, exilé pour sa foi et mort luimême sur le bûcher, à Anvers, en 1536. Le roman de Mme Marshall reste fidèle, en somme, à ce qu'on connait de la vie de Tyndale, mais il entrelace sa destinée avec celle de beaucoup d'autres contemporains, person

Le Calendrier illustré des écoles du dimanche (Lausanne, Agence, 15 cent.) est une innovation heureuse. Sauf quelques détails, l'exécution est bien réussie; ne pourrait-on, par exemple, substituer à l'annonce des nombreuses publications éditées par la même agence quelque chose qui sente moins la librairie? Les gravures de ce placard grand in-folio sont variées, parlantes, surtout les deux lions de la planche centrale; leur expression est certes plus vivante que celle de Daniel. Dans les textes bibliques qui accompagnent le calendrier, il faut signalernages historiques ou fictifs; au premier rang

la prédominance louable des sujets du Nouveau Testament sur ceux de l'Ancien.

Deux lignes encore pour mentionner le Calendrier évangélique à effeuiller (Lausanne, Payot, 60 cent.). Il n'est point surchargé, comme le sont parfois ses congénères un seul texte emprunté, tantôt à la version de Segond, tantôt à celle d'Osterwald, sans doute pour satisfaire les adhérents de chacune des deux versions.

IV

figure la captivante héroïne du livre, Karina Montjoie, Espagnole d'origine, gagnée à l'Evangile par Tyndale et, comme lui, persécutée et exilée. Le mal est que l'intérêt et l'attention du lecteur s'éparpillent d'un groupe à l'autre ; ce n'est qu'à la fin que se réunissent en un seul faisceau les fils du récit.

Dans Rome et les Vallées vaudoises, il n'y a pas de personnalité historique saillante, mais l'unité d'inspiration n'en est que plus visible c'est la lutte contre le despotisme de l'Eglise catholique, d'abord dans un couvent de Sainte-Thérèse, puis au sein de l'aristocratie et du clergé de Rome, enfin dans les Vallées vaudoises dévastées par le fer et le feu. La principale héroïne, Elisabeth, échap

Et maintenant, il ne reste plus qu'à passer rapidement en revue les récits fictifs et mélanges, soit une quinzaine de publications. Lecteurs, il n'y a pas là de quoi vous alarmer, puisque nous nous sommes déjà frayé un chemin à travers une trentaine d'autres,pée au couvent de Sainte-Thérèse, est natuassurément moins aisées à parcourir et à apprécier.

Commençons par deux romans historiques : Rome et les Vallées vaudoises de Mme E.- S. Gallot, et Karina Montjoie de Mme Emma

rellement Vaudoise d'origine.

Mme Marshall et Mme Gallot ne sont point des talents de même famille. Dans Karina Montjoie, la mise en scène est variée, les tableaux sont vrais et nuancés (sauf quelques

scènes pathétiques, où l'on sent l'effort); les personnages ont du relief, de la couleur : ils vivent et se font aimer du lecteur. Dans le livre de Mme Gallot, la pensée religieuse est supérieure à la mise en scène; les personnages sont, presque tous, des caractères de convention, discourant à perte de vue. N'importe quand, ils sont toujours en mesure de vous faire un petit cours d'histoire ecclésiastique. Puis l'uniformité des scènes douloureuses ou poignantes est trop rarement interrompue, sauf lors du séjour à Rome d'un des frères d'Elisabeth. Bref, s'il fallait classer ce livre, on pourrait l'appeler un roman religieux didactico-lyrique, mais d'où il est facile de détacher de fort belles pages, toutes vibrantes de poésie chrétienne.

Geneviève, par Mme E. de Pressensé, date d'il y a deux ou trois mois et en est bientôt à sa troisième édition (Paris, Fischbacher ;3 fr. 50). Chacun des derniers volumes du sympathique auteur a été une fête pour le goût, le cœur et l'esprit, une fête à laquelle pouvaient prendre part jeunes et vieux, riches et pauvres. D'où vient que Geneviève n'a pas provoqué la même unanimité d'éloges? que de fois, lecteurs, vous en aurez entendu parler avec de prudentes réserves, à demi-voix ou à haute voix ! Eh bien, il faut en féliciter l'intrépide auteur. Ce qu'elle a voulu elle l'a obtenu : elle a rudement secoué ceux qui sommeillent tout doucement dans leur optimisme soidisant chrétien, car Geneviève, c'est la vieille. et importune histoire de la souffrance du corps et de l'àme, étreignant les classes pauvres, et de la noble mais infructueuse douleur poursuivant ceux qui souffrent de voir souffrir. Ce livre éloquent pourrait déployer comme devise: « Il y a un grand abime entre eux et nous! »

Maintenant, que cette lecture soit salutaire pour chacun, c'est une autre question; mais ceux qu'elle pourrait aigrir contre la société ignoreront sans doute ce volume. Restent les âmes tendres qu'il pourrait décourager: restent surtout les esprits raisonneurs qui se

heurteront à l'invraisemblance de la donnée, aux exagérations évidentes de tel caractère. D'autres encore allègueront que le monde où vit Geneviève n'est pas leur milieu protestant, et que tout cela n'est point à leur adresse. N'importe, il en demeurera quelque chose. Courage donc et merci à la main vaillante et délicate qui a écrit Geneviève !

Un jeune homme à marier, nouvelle, par U. Olivier (Lausanne, G. Bridel, 3 fr.), nous ramène au pied du Jura, loin de Paris et de l'abime qui sépare les heureux de ce monde de ceux qui ne le sont pas. Ici, en pleine campagne vaudoise, riches et pauvres se coudoient, influent les uns sur les autres, et la nouvelle d'U. Olivier en est la preuve, puisque le riche héritier des Legrand finit par donner la préférence à l'aimable et pieuse Alice Brunel sur la belle et altière Ida Rénier. Le dernier volume de notre conteur national ne me semble pas avoir la portée de ses deux précédentes nouvelles, non pas que le talent d'U. Olivier ait vieilli, — il a certes encore toute sa précision et sa fécondité dès qu'il touche à la vie des champs, — mais parce que, forcément, le roman d'un jeune homme riche qui cherche femme en même temps qu'il cherche sa voie, ne soulève pas des problèmes aussi vastes que l'hérédité de la race, dans la Famille Boccart, ou le rôle d'un médecin de campagne, dans la Servante du docteur. Ce qui reste inépuisable, d'un volume à l'autre, c'est le trésor d'observations et de renseignements sur les travaux agricoles et les secrets de la nature : après trente-deux volumes, nous trouvons encore de l'inédit, et beaucoup.

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quelque chose de la part d'un infortuné appelé à apprécier plus de quarante publications en trois semaines. Mais enfin, ce n'est qu'un début, et l'histoire est encore plus romanesque que le titre. Que l'auteur se mette en garde à l'avenir contre les caractères et les situations invraisemblables, les dialogues prolongés et surtout les conversions foudroyantes, motivées ou non par une chute de cheval, suivie d'une prière s'échappant d'une mélodieuse voix de femme! Qu'elle s'en défie, et, le talent étant là, l'expérience aidant, le reste ira de soi.

Passons aux publications pour l'enfance et la jeunesse, ce qui ne veut pas dire qu'elles n'intéressent pas les parents tout autant que les enfants. Tel sera le cas de cette gentille Flossette, qui parvient à devenir la petite servante du Maitre. Elle en est à sa troisième édition (Vevey, Caille; 3 fr.), grâce à la plume alerte de Mile Tabarié qui sait donner à une imitation de l'anglais (de miss Agnès Giberne) les vives allures d'un récit original. Un livre qui met en scène des enfants n'est pas toujours un livre pour enfants; celui-ci leur sera profitable autant qu'il les divertira par son entrain et sa bonne humeur. Un seul doute : il y a là beaucoup d'esprit et beaucoup de sensibilité, il y en a tant que cela dépassera peut-être la portée de la plupart des garçons, sinon des fillettes, de douze à quinze ans.

On n'aura pas les mêmes scrupules à propos des Lectures Illustrées. (Lausanne, Agence du journal; 2 fr.) A peu près tout peut y être compris par des enfants d'un développement normal. Une chose qui préoccupera fort peu les jeunes lecteurs, mais que je renonce à comprendre, c'est qu'il soit possible de livrer pour 2 francs douze cahiers ornés de si nombreuses gravures, dont plusieurs sont de vrais chefs-d'œuvre dans leur genre. (Non pas celle du frontispice, par exemple!)

A cet égard, il semble que chaque année la rédaction des Lectures réalise de nouveaux progrès. En voici un autre à lui recomman

DÉCEMBRE 1885.

der les articles sur les sciences naturelles sont nombreux, mais presque tous (sauf celui sur le renard) écrits dans un langage trop scientifique, et par là même trop sec pour des enfants. Puis les scènes historiques, les fragments biographiques sont très clairssemés les nouvelles et les variétés étouffent un peu trop le reste, et l'on comprend que les enfants ne s'en plaignent pas. Il faut donc que les parents le fassent à leur place!

Les Nouvelles scènes et aventures de voyages, recueillies et publiées par A. Vulliet, (Lausanne, G. Bridel; 2 fr.) sont à l'adresse de la jeunesse plus que de l'enfance. Dans ces seize récits, il y a de l'inédit, mais aussi bon nombre de scènes plus ou moins connues. Dire qu'elles sont dramatiques, ce serait rester en deçà de la vérité : elles le sont trop, et elles supposent chez le lecteur, comme chez le narrateur, des nerfs aguerris par les cruels souvenirs de la révocation de l'édit de Nantes. Fort à propos, il s'est introduit quelque variété dans ce défilé de pages émouvantes, par le fait même de la diversité des conteurs. M. Vulliet a soin, en effet, d'indiquer habituellement ses sources, ce qui n'est pas de trop avec des aventures parfois aussi extraordinaires.

Le volume qui précède fait transition aux mélanges, aux récits de voyages, etc. Les Esquisses italiennes, par Mme M. Duvillard (Paris, Fischbacher; 3 fr. 50) suivent, ou peu s'en faut, l'itinéraire traditionnel, moins Naples et le Vésuve. Mais si Mme Duvillard raconte ce que tant d'autres ont vu et narré avant elle, elle le fait à sa façon. La sincérité, voilà ce qui fera lire ses Esquisses italiennes. Première garantie de sincérité: ses impressions sont transcrites jour après jour, un peu trop au courant de la plume, - plume exercée, mais très féminine. Puis, qualité rare, l'auteur ne se croit point tenue d'admirer aux bons endroits si Rome lui cause des déceptions, elle le dit; si une galerie de statues la laisse froide, elle ne s'en cache pas; si Raphaël et le Titien ne répondent pas à son idéal, elle

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en montre le pourquoi en fort bons termes, et certes, qui a contemplé à Florence les fresques de Fra Angelico, et à Venise les toiles rayonnantes de piété de Jean Bellini, comprendra les préférences de Mme Duvillard. Son originalité, c'est de juger les œuvres d'art d'après leur portée morale ou religieuse.

A titre de contraste, quelques mots sur un fort amusant petit volume, qui proprement ne rentre pas dans le cadre de la presse religieuse Tribulations d'un précepteur en Russie et ailleurs, par Th. Nicolet. (Liège, chez l'auteur; Lausanne, H. Mignot; 2 fr.) A titre de contraste, ai-je dit: au lieu de l'Italie, la Russie; au lieu d'une femme de goût voyageant pour s'instruire, un précepteur, homme d'esprit, obligé de rester où il est attaché; en lieu et place de la vie et de l'art italiens jugés au point de vue moral, la vie russe, non pas jugée, mais racontée avec un relief étonnant, et avec un sans-gêne qui ne l'est pas moins, mais qui parfois va trop loin. Si ses convictions religieuses empêchaient çà et là l'auteur des Esquisses italiennes de rendre justice à l'Italie, il n'en est absolument pas de même de M. Nicolet à l'endroit des Russes.

Avant de clore par un brin de poésie ce laborieux défilé de volumes et de brochures, voici deux ouvrages qui, s'ils sont en prose, sont pleins de poésie. L'un raconte la vie d'un digne alsacien, l'autre celle d'un poète et penseur genevois. Malgré les apparences, ils ne font point disparate. Les plumes alsaciennes, en effet, quand elles savent manier la langue française, ont un charme de poésie très particulier. Preuve en soit ce petit volume: Souvenirs d'un grand père, fragment d'autobiographie, par Mme Ernest Roerich. (Paris, Fischbacher; 2 fr.) Il retrace les souvenirs d'enfance et de jeunesse d'un industriel alsacien, recueillis et rédigés par sa fille. La vie de cet excellent homme n'a rien offert de saillant; son caractère ni son développement religieux n'ont rien d'exceptionnel, et cependant cette lecture vous entraîne par un charme indéfinissable.

Il y a beaucoup de charme également dans l'étude biographique de Me Berthe Vadier sur Henri-Frédéric Amiel (Paris, Fischbacher; 3 fr. 50), mais ici il est plus aisé d'en dire le pourquoi. Amiel a eu une vie psychologique très mouvementée, et jusqu'à la pu

blication posthume de son Journal intime, s'il était méconnu du grand public, il était une énigme pour ses amis. Or le Journal ne nous livre pas tout Amiel, mais de préférence le moraliste occupé à s'analyser, et qui, à force de peser et de soupeser les motifs d'agir ou de ne pas agir, se condamnait à la rêverie ou aux raffinements. Encore une fois, ce n'est point là le véritable Amiel, et la plume si sympathique, si bien informée de Mile Berthe Vadier était particulièrement apte à compléter, sans en avoir l'air, ce qui manquait à l'Amiel du Journal intime.

Ici, comme souvent en ce monde, la poésie se trouve réduite à sa portion congrue. Aussi se fait-elle modeste, et comme pour mieux capter l'attention, elle affirme ne chanter qu'à demi-voix. Ecoutez plutôt; voici deux volumes de poésie venant, l'un de Paris, l'autre de Lausanne, avec un titre à peu près identique: A demi-voix, poésies, par R. Saillens (Paris, Monnerat; 2 fr. 50); A mivoix, poésies, par Ernest Bussy (Lausanne, Imer; 3 fr. 50).

A part la similitude du titre et une sincérité d'inspiration également communicative, ces deux jolis volumes ne se ressemblent guère. M. Saillens a l'imagination brillante et souple d'un talent déjà mùri, M. Bussy la sensibilité intense et un peu maladive de la jeunesse. Le poète français chante sa foi au Christ; elle rayonne d'un bout à l'autre du vovolume. Le poète vaudois est tout le contraire d'un sceptique ou d'un railleur; il n'est pas davantage un désespéré, mais ses aspirations religieuses rappellent les lueurs crépusculaires qu'affectionne la mélancolie. M. Saillens est poète lyrique, et sa strophe a parfois les éclats d'une fanfare vengeresse, mais il a acquis la variété, la grâce, la familiarité; que de progrès entre ses plus anciennes et ses plus récentes poésies, telles que Eden et Résistez! M. Bussy en est encore à cette phase du lyrisme où le souvenir ému, les adieux, les teintes d'arrière-saison, les morts prématurées semblent seules dignes d'inspirer le poète. Il fera peu à peu l'expé rience ne l'a-t-il pas faite déjà dans ses plus belles poésies? que, même littérairement parlant, s'oublier et vivre en autrui est le meilleur secret pour se renouveler.

EUG. SECRETAN.

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