Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]

Nos voisins et amis de Genève, - j'entends ici les écrivains religieux, se prodiguent moins, dans la presse hebdomadaire ou les revues mensuelles, qu'on ne le fait à Neuchâtel et dans le canton de Vaud. En quoi, ils ont grandement raison: en concentrant leurs forces, ils aboutissent à composer des volumes. Voici trente-six ans, par exemple, que paraissent les Etrennes religieuses, œuvre collective, mais animée d'un même souffle chrétien, et qui, à en juger par ces dernières années, est en pleine maturité.

En 1884, à pareille époque, on a signalé la richesse et la variété de ce recueil. Au lieu de revenir sur ce qui a déjà été dit (voy. le numéro de janvier 1884), qu'il me soit permis d'appuyer cette fois sur deux points spéciaux, ce qui n'empêche pas que je n'aie lu avec un vif intérêt le volume tout entier.

Les articles dans le genre sérieux sont supérieurs, dans les Etrennes, à ceux qui vealent être populaires, familiers. Cela ne tiendrait-il pas à ce que, cette année, tous les JANVIER 1885.

collaborateurs, sauf une seule exception, sont pasteurs ou anciens pasteurs? or, on peut être bon exégète, moraliste pénétrant, conférencier très apprécié, et ne pas être outillé, si l'on peut dire ainsi, pour passer de la morale théorique à la morale pratique, pour faire revivre des scènes de la vie de chaque jour on croit peindre avec un pinceau populaire, et il se trouve qu'on charge outre mesure les couleurs, que le croquis tourne involontairement à la caricature. Ceci n'empêche pas qu'il n'y ait des pages fort bien observées et très pénétrantes dans les Griefs de M. Vaché et surtout dans les Prétextes, mais un pasteur, par le fait même de ses nombreuses expériences dans la cure d'âme, est-il qualifié pour raconter ces choses-là ?

Les Etrennes religieuses sont essentiellement genevoises : c'est même là leur raison d'être. Ne soyons donc pas surpris si, dans la chronique ecclésiastique, la Genève religieuse en 1884 occupe, à elle seule, plus de pages que Vaud, Neuchâtel, Fribourg et le Jura Bernois réunis. Seulement, ne vaudrait-il pas mieux rédiger à Genève même, et avec l'indépendance que facilite l'éloignement, les chroniques de ces quatre cantons : on éviterait ainsi certains manques de proportion ou d'harmonie. Cette année, par exemple, à force d'être uniformément bienveillante, la chronique vaudoise en est devenue pâle.

Tel qu'il est, et quel est l'ouvrage collectif qui n'ait ses points faibles? ce volume fait honneur au clergé national évangélique de Genève. On ne se bornera pas à feuilleter, on lira attentivement ces pages d'intime édification, telles que la Prière d'intercession par le regretté pasteur Fréd. Siordet, ces pensées substantielles et ingénieuses sur L'imagination dans la vie morale, par M. Marc Doret, cette conférence chaleureuse et originale sur Zwingli, par M. Alex. Guillot, cette solide et patriotique étude sur les Protestants dauphinois et la Suisse romande, par M. Th. Claparède.

Jusqu'à ce que Neuchâtel et Vaud sachent

4

[blocks in formation]

Pas n'est besoin d'avoir la mémoire bien

longue pour se rappeler les débuts poétiques de M. Philippe Godet. Ce fut il y a quinze ans environ. On n'était pas encore habitué à voir l'étoile de la poésie briller au-dessus du Jura neuchatelois; elle eût peut-être passé inaperçue, hors de Neuchâtel, sans le signal donné par un œil exercé, qui, des rives de la Limmat, salua son apparition. Dès lors, M. Godet a fait son chemin : il est resté poète neuchâtelois, mais il est devenu un des rares poètes populaires dans nos cantons romands.

Et pourtant, son talent est de ceux qui sont une cause de trouble pour le gros des lecteurs. Non pas que ses poésies ne puissent être laissées sur toutes les tables, non, dans ses vers si libres d'allures, il n'y a aucune liberté mauvaise ou douteuse, mais l'embarras, pour le bon public, c'est de savoir dans quelle catégorie classer ce poète ondoyant et quelque peu caméléon. Parfois il a l'élégie ou l'amertume des vingt ans voir, entre autres, les Poissons d'avril, qui sont de 1870, et même la Douleur native, poésie sans date mais évidemment plus récente. Tournez le feuillet et voilà Trente ans (1880), c'est-à-dire la seconde jeunesse, celle du foyer domestique. Et même, plus du tiers du volume roule sur cette antithèse des Deux jeunesses. Nouvel

embarras le poète, qui a de l'esprit et qui ne l'ignore pas, le prodigue parfois hors de propos, de là, certaines notes un peu moqueuses, un peu narquoises, comme pour bien établir qu'il n'est dupe de rien, et je sais des femmes qui ne le lui pardonnent pas, mais bientôt après, dans ses Choses d'enfants, par exemple, brille un de ces bons sourires attendris qui redonne confiance aux mères!

Poète de circonstance, M. Godet est d'ordinaire fort bien servi par l'imprévu : lisez plutôt et relisez son charmant Tableau rustique, (1879) souvenir d'une course dans l'Oberland, ou son allégorie de l'Ane, un de ses chefsd'œuvre, ou telle autre de ses nombreuses pièces inspirées par n'importe quoi qui en valait la peine. Mais souvent aussi, notre poète souple et ondoyant devient le jouet des circonstances, et le voilà contant avec beaucoup de verve et d'entrain des bluettes qui n'ont guère d'autre mérite que celui d'être joliment tournées; voir, par exemple, la plupart des douze premiers Croquis neuchâte lois. C'est déjà quelque chose, surtout dans notre Suisse romande où l'art de bien dire

s'acquiert laborieusement; ce n'est pas assez pour qui est l'auteur de la Voix du berger et du Page de Henri 11.

Y a-t-il, dans le Cœur et les yeux, des poésies religieuses proprement dites? A peine deux ou trois le Printemps au cimetière, (1869) dédié à son père, et le vigoureux sonnet des Deux spectres (1873). La note nettement chrétienne résonne rarement, mais une préoccupation sincèrement religieuse se devine maintes fois. Pour notre génération, qui a été saturée des chants de désespoir ou des soupirs d'un scepticisme pleureur, c'est un vrai soulagement de rencontrer un poète qui n'étale pas ses doutes, et ne photographie pas ses larmes!

Néanmoins, dans le domaine religieux comme dans les autres, on se sent en face d'une individualité riche, mais en formation: il faudrait, pour parler le langage allégorique

du titre, que le cœur se mit d'accord avec les yeux. Vienne une de ces crises douloureuses où la main paternelle de la Providence nous pousse à notre corps défendant, et sans doute l'individualité du jeune poète se dégagera plus virile et plus définitive. Voyez plutôt combien a déjà été fécond le contact momentané avec les souffrances d'autrui dans le Départ, le Vieux Maître, l'Aieul, le Souvenir de février 1871.

La nacelle du poète est prête; elle a tout ce qui est nécessaire pour cingler vers de Douveaux rivages; mais qu'il ne permette plus au vent de faire flotter son embarcation de çà et de là: le temps est venu pour lui de saisir le gouvernail d'une main virile.

EUG. SECRETAN.

L'EGLISE DE LA CONFESSION D'AUGSBOURG, A PARIS. Exposé historique et critique de ses rapports avec les autorités civiles depuis sa fondation, par H. Lambert. Paris, Fischbacher, 1884.

Tandis que la démocratie française tend de plus en plus à restreindre la sphère d'action de l'Etat au domaine civil, nos démocrates suisses ne rêvent que de tout absorber dans l'Etat. De là en France les doléances des Eglises jusqu'ici privilégiées, et chez nous, les appréhensions des esprits libéraux en face des progrès des idées socialistes. M. Lambert retrace, non sans quelques regrets, l'histoire de l'Eglise de la confession d'Augsbourg, à Paris, aux jours où l'Etat se faisait son patron bienveillant; il signale les manques d'égards dont, aujourd'hui, le Conseil municipal use envers cette Eglise, sans que le gouvernement s'y oppose; faisant de nécessité vertu, il finit même par accepter avec courage et espérance la séparation que tout fait prévoir prochaine et complète, et trace aux membres de son Eglise les devoirs que leur impose déjà cette nouvelle situation.

Est-ce donc l'idéal d'une Eglise chrétienne, demande M. Lambert, que de constituer l'un des rouages de l'administration

gouvernementale et de fonctionner sous la tutelle plus ou moins paternelle de l'Etat? Est-il bon, est-il salutaire pour la vie spirituelle d'une Eglise, de se complaire dans ce rôle subordonné et de n'en pas rêver d'autre? La liberté avec ses difficultés, ses périls, ses misères même, ne vaut-elle pas infiniment mieux pour elle qu'un patronage qui ne va guère sans humiliation et sans froissements pénibles, qui méconnaît forcément et ses besoins et ses aspirations, qui la tient enserrée dans les liens d'une réglementation, nécessaire sans doute, mais imposée et trop souvent méticuleuse, dcfiante et tracassière ? »

Nous sympathisons bien cordialement aux froissements et aux perplexités de nos frères des Eglises protestantes officielles de France; tous nos vœux sont pour une solution sage et équitable de cette question. Mais comment veut-on qu'il en soit ainsi, si les Eglises qui sont au bénéfice d'un privilège incompatible avec les principes légitimes de l'Etat moderne ne veulent jamais prendre l'initiative du règlement amiable de cette affaire? L'Etat, se sentant fort de son droit, et ne se souciant guère de discuter avec des gens peu disposés à renoncer à des privilèges abusifs, va de l'avant sans trop se mettre en peine de faciliter la transition à un nouvel état de choses. En tout cas il est intéressant de constater combien les écailles tombent vite des yeux dès que l'Etat malmène l'Eglise; l'on proclame alors que l'union de l'Eglise avec l'Etat n'est ni de la dignité de l'Eglise ni favorable à son développement spirituel.

J. AD.

DIEU VOIT TOUT. Souvenirs tirés de la vie de feu le pasteur J.-M. Ludwig, à Davos, par E. de Engelhardt. Traduit de l'allemand. · Bâle, librairie des missions, 1884.

Des faits! donnez-nous des faits! entend-on dire sans cesse; on ne veut plus croire aujourd'hui qu'aux faits. La science ne connaît d'autre méthode que la méthode expérimentale. Il y a là pour beaucoup de personnes un argument tout trouvé contre le christianisme ici, à les entendre, on nage en plein

dans les théories, les hypothèses; la religion est bonne pour les gens d'imagination ou d'intelligence faible, mais ceux qui veulent des faits certains et dûment constatés, ne sauraient plus s'en accommoder.

Dans un intéressant et récent ouvrage, M. Ch. Lagrange, de Bruxelles, a montré que la méthode expérimentale peut et doit être appliquée au christianisme; pour lui le chrétien est un homme qui a fait des expériences dans le domaine moral; celles-ci, bien que d'une autre nature, sont aussi réelles et aussi certaines que celle du physicien et du chimiste. M. Lagrange a établi la théorie et relevé le caractère scientifique et expérimental du christianisme; le livre que nous annonçons en est comme le complément : c'est la pratique basée sur les faits.

Dieu voit tout! telle est bien l'idée centrale de ces quelques pages. Dieu voit tout et s'inquiète de tout; il sait compter et rendre exactement le double de ce qui a été donné au pauvre en son nom. Il voit le danger de ses enfants et les délivre au moment opportun, souvent d'une manière miraculeuse. Il voit tout, et l'action la plus petite aux yeux des hommes, mais faite par amour pour lui et pour sa gloire, ne lui échappe pas. Il voit tout les ruses de l'ennemi lui sont connues et il les déjoue en se servant des hommes comme d'instruments. Que de fois le pasteur Ludwig n'a-t-il pas constaté, comme à l'œil nu, la fidélité de Dieu! Qu'il fait bon l'entendre raconter ses expériences pour la gloire de son Maitre!

Nous n'avons qu'un regret, c'est que le nombre des exemples cités ne soit pas plus grand. Mais, tel qu'il est, nous recommandons ce petit ouvrage à l'attention de tous les lecteurs sérieux : ils y trouveront des récits simples, attachants, empreints d'une saisissante réalité et bien propres à fortifier leur foi.

J. M.

EMMANUEL. Pain quotidien, avec poésies, par Ch. Chatelanat, pasteur. 6° édition, revue avec soin. Lausanne, Georges Bridel.

Les pains quotidiens ont leurs partisans et leurs adversaires; mais il est impossible de contester qu'ils répondent à un besoin. C'est en 1864 qu'a paru la première édition de celui de M. Chatelanat : six éditions en vingt

ans, c'est un succès incontestable; car Emmanuel, à l'inverse du livre de textes des Frères Moraves, qui n'est disposé que pour une année déterminée, peut être utilisé indéfiniment. Emmanuel offre, pour chaque jour, deux passages bibliques et une poésie en rapport direct avec le contenu de ceux-ci. Ici encore, il nous parait l'emporter sur le recueil de textes, dont la poésie est empruntée à des cantiques, et à des cantiques où la forme ne répond pas toujours à l'excellence de la pensée. Dans cette nouvelle édition, M. Ch. Chatelanat s'est affranchi avec raison du scrupule qui jusqu'ici l'avait empêché de retrancher, du commencement des textes choisis, les et, les car, les c'est pourquoi, en un mot les conjonctions qui établissaient la liaison des textes choisis avec les passages d'où ils sont tirés. Cette amélioration et d'autres encore contribueront au succès croissant d'Emmanuel.

Note de la rédaction.

J. AD.

Sur notre demande et pour ne pas prolonger le débat, notre correspondant de Genève, M. le professeur Ruffet, a bien voul retirer la lettre qu'il nous avait adressée en réponse à la réclamation de M. le professeur Cramer, lettre à laquelle celui-ci se réservait de répliquer, ce qui eût amené probablement une nouvelle réponse de notre correspondant. M. Ruffet se bornera donc à constater qu'il maintient ses appréciations (voir entre autres le numéro de mars 1884). Il reconnait volontiers avoir fait erreur dans la traduction d'une phrase du New-York Observer (« l'Esprit d'un plus grand que Calvin, etc. ») mais il proteste contre ces mots : On raille le « pauvre pasteur dissident, mots mis entre guillemets par M. Cramer, et qui ne sont le fait ni de M. Ruffet, ni de la Semaine religieuse, dans le sens où ils ont été cités.

[ocr errors]

D'autre part, il résulte du post-scriptum de M. Cramer lui-même, parlant de son

[ocr errors][merged small]

LE CHRÉTIEN EVANGÉLIQUE

[merged small][ocr errors][merged small]

sacrificateur fit de lui-même la suprême victime; et dans ce moment qui terminait et couronnait sa vie, arrivé devant le mur de ce jardin plein d'effroi où son âme devait être saisie d'une tristesse mortelle, alors que tout autre héros du devoir n'eût plus pensé qu'à son propre lendemain, voyez celui-ci envelopper dans les plis de sa charité les onze qui l'entourent, les cinq cents qui formaient la première communauté de ses disciples, et tous ceux qui, dans tous les âges et dans toutes les races de la terre, croiraient un jour à sa parole! (Jean

Les échos de la semaine de prières de 1885 viennent à peine de s'éteindre : sainte veille d'armes ajoutée à celles que depuis un quart de siècle déjà l'Eglise chrétienne de tout pays, langue, peuple et dénomination, renouvelle au commencement de chaque année. Prières d'humiliation, prières d'actions de grâce, prières de requêtes, prières d'interces-XVII, 20.) Puis, de la terre où il était

sion, toutes trouvent leur place légitime dans ce concert universel; mais il semble que celles de la quatrième catégorie y occupent de droit un rang prédominant; que dis-je, c'est un appel à l'intercession parti du fond de l'Inde qui a rassemblé la chrétienté tout entière au pied du trône de la grâce dès la première fois.

C'est que le peuple de Dieu est le peuple de l'intercession. Tous les grands hommes de Dieu, des temps passés et des plus anciens, ont été de grands intercesseurs: Jésus-Christ le maître de tous, le centre de la Bible et de l'histoire; écoutez-le la veille de sa mort prononcer la prière si bien appelée sacerdotale, parce qu'alors le souverain.

FÉVRIER 1885.

venu pour intercéder, souffrir et mourir, étant remonté dans le lieu très saint de ses éternelles origines, c'est de là encore que le céleste Jardinier, redevenu tout puissant, règne, agit et prie, mais de plus haut, osons-nous dire, et avec une plus grande efficace, pour son Eglise et pour le monde. Tel fut et tel est encore Jésus-Christ, l'intercesseur modèle, notre sacrificateur parfait.

Et je vois les intercesseurs de tous les temps, comme groupés autour de lui, les uns portant leurs regards en avant et attendant son jour, les autres se nourrissant de son souvenir, vivant de sa communion et certains de son retour.

C'est Luther qui, selon un témoignage digne de foi, passait trois heures chaque

5

« PreviousContinue »