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cienne alliance, on ne peut les assimiler a des chrétiens régénérés. Bien qu'il y ait une étroite correspondance entre les bénédictions accordées aux uns et aux autres, il manque aux premiers un don sans lequel tous les autres n'ont qu'une valeur temporaire, le Saint-Esprit. Il agissait, sans doute, il faisait sentir son influence dans toute la théocratie, pour préparer la venue du libérateur, il reposait sur les prophètes pour les illuminer. Mais il ne pouvait franchir les limites de cette activité préparatoire, il ne pouvait s'établir à demeure dans aucun homme. Car il y avait incompatibilité entre la nature humaine telle que le péché l'avait faite, et l'Esprit de sainteté. L'âme de l'homme était fatalement soumise à la chair, et tant que cette union existait, elle rendait impossible l'union avec l'Esprit d'en haut. Celui-ci était réduit à de simples influences, à des interventions plus ou moins violentes, plus ou moins prolongées. Mais quant à une pénétration telle qu'il eût fallu pour vivifier, sauver, unir à Dieu, il n'en était pas question. « L'Esprit n'était pas encore, » dit saint Jean (VII, 39) dans un passage que nous reverrons bientôt, et qui est d'une importance décisive dans le sujet qui nous occupe.

II

Pour que l'Esprit pût entrer dans une relation nouvelle avec notre humanité, et la ramener à sa destination première, il fallait une création nouvelle. Elle eut lieu en Jésus-Christ.

Nous ne nous étonnerons pas de retrouver ici le Saint-Esprit agissant avec une intensité particulière, et préludant au nouvel ordre de choses. Il s'agissait

d'une communication de la vie et de l'être de Dieu. Le Saint-Esprit reparaît avec une puissance créatrice. C'est de lui que procède la naissance du Sauveur (Luc I, 25). C'est lui qui descend sur Jésus au moment de son baptême, et l'oint ainsi de la vertu d'en haut. C'est par l'Esprit de Dieu qu'il chasse les démons (Math. XII, 28), par l'Esprit qu'il donne ses instructions aux apôtres (Act. I, 2). C'est par l'Esprit éternel que Christ, dans sa mort, s'est offert lui-même sans tache à Dieu (Héb. IX, 14), et dans sa résurrection éclate l'action de l'Esprit de sainteté qui a présidé à sa vie tout entière. (Rom. I, 4.)

Il est évident que l'Esprit apparaît ici avec une énergie exceptionnelle, qui surpasse infiniment ce que nous avons vu chez les prophètes de l'Ancien Testament. Il suffit de relever spécialement son rôle dans la naissance miraculeuse, et la plénitude avec laquelle il descend au baptême, et qui, rendue en quelque sorte sensible par l'apparition symbolique de la colombe, permet à JeanBaptiste de déclarer que « ce n'est pas par mesure que Dieu donne son Esprit, » à Jésus (Jean III, 34). Et ce SaintEsprit que le Christ a reçu pendant son ministère, à peine est-il rentré dans la gloire du Père, qu'il le fait descendre sur ses disciples, et qu'il les remplit par là de la vie divine.

Cette effusion du Saint-Esprit n'est point quelque chose d'accessoire dans l'œuvre de Jésus-Christ; elle n'est pas un acte quelconque de puissance venant s'ajouter à tous les autres miracles qu'il a accomplis. Elle est le couronnement de toute son œuvre, le terme vers lequel

gravite sa mission tout entière. Toute sa vie, toute son activité n'ont pas d'autre but que d'enlever les obstacles qui s'opposent à l'entrée du Saint-Esprit dans l'humanité, de préparer les cœurs à le recevoir, et de l'envoyer aux siens dès que cette communication est devenue possible. Comme on ne connaît un arbre que par son fruit, de même, si nous voulons comprendre l'essence la plus intime de l'œuvre rédemptrice, il faut la considérer dans son but, le don de l'Esprit aux croyants. La Pentecôte et la vie nouvelle qui en découle peuvent seules nous donner la clef du problème que la rédemption soulève devant

nous.

L'œuvre que Christ devait accomplir pour nous sauver était double: il fallait d'abord démolir et détruire, il y avait toute une puissance ennemie à renverser, des chaînes à briser, des forteresses à abattre; le péché, en un mot, devait être chassé de la création de Dieu qu'il avait ravagée et corrompue. Mais ce n'était encore là qu'une œuvre négative, et, si immense qu'elle soit d'ailleurs, elle ne peut suffire aux desseins de Dieu. Celui qui possède la vie en lui-même ne se contente pas de supprimer le mal; il ne le renverse que pour faire règner l'ordre et la sainteté. Et pour le Dieu Sauveur, ces deux phases ne sont pas successives. Il n'a pas besoin de faire table rase d'abord, pour rebâtir ensuite; il porte le coup de mort, puis il établit la grâce qui triomphe du péché, il fait jaillir la lumière qui absorbe les ténèbres, il crée la vie qui engloutit la mort.

Mais cette œuvre double ne pouvait pas s'accomplir par un simple déploiement de la toute-puissance de Dieu,

comme s'il ne se fût agi que de faire rentrer un monde dans le néant pour er appeler un autre à l'existence. C'étaient des êtres moraux qui devaient être rachetés et rendus à la vie; un tel ouvrage ne pouvait se réaliser que sur une voie morale, et non par une transformation magique et une sorte de coup de théâtre. Mais comment cela était-il possible, puisque les pécheurs eux-mêmes étaient incapables de mourir au péché et de renaître à la sainteté ? Le problème a été résolu par l'amour du Père, qui a donné son propre Fils, afin que, dans une vie d'homme et sur la voie d'une pleine obéissance, il détruisît le péché et réalisât la sainteté parfaite. La rédemption git ainsi dans la personne de Christ bien plus encore que dans son œuvre ou dans telle partie de cette œuvre. C'est dans sa personne que le Sauveur a rompu avec le péché et a brisé son pouvoir; c'est dans sa personne qu'il a consommé l'union de l'homme avec Dieu, et par là même, opéré la réconciliation.

La partie négative de cette œuvre s'appelle l'expiation. Le péché qui s'était infiltré dans les veines de tout être humain, et qui était devenu une seconde nature pour les fils d'Adam, Jésus, pur et saint, le prend sur lui, et, entrant dans une complète solidarité avec ses frères pécheurs, il en accepte toutes les conséquences. Alors, pour la première fois dans notre humanité, le péché est reconnu dans toute sa hideuse laideur, et réprouvé par une âme d'homme avec la même répulsion que par Dieu lui-même, el dès lors, il a reçu la sentence de condamnation et le coup de mort.

Mais, si immense que soit l'œuvre ex

piatoire, elle n'était pas encore la rédemption parfaite. Il ne suffit pas que la source de la mort soit tarie, il faut que celle de la vie soit ouverte.

La nécessité de mettre tout d'abord en lumière l'expiation accomplie par Jésus-Christ, comme aussi le fait que, cette première délivrance une fois reçue par la foi, tout le reste s'ensuit, font trop souvent perdre de vue le point central, le côté positif et essentiel de la mission du Sauveur. Il a réalisé dans une vie d'homme une union parfaite avec Dieu. Cette chair qui, dans tous les individus de la race humaine, avait été livrée à la convoitise et était devenu la citadelle du péché, cette chair qu'un lien indissoluble semblait avoir inféodé a tout jamais à la concupiscence et à la revolte contre Dieu, cette chair qui, dans ses appétits désordonnés était soustraite à toute influence de l'Esprit saint, et lui opposait sur toute la ligne une résistance opiniâtre, Christ l'a prise, il l'a arrachée à ce péché auquel elle était assujettie, et l'a consacrée à Dieu en la livrant au service de l'Esprit. Par sa vie sainte, il a prononcé la condamnation du péché d'une manière bien plus effective encore que par sa mort expiatoire (Rom. VIII, 3); car il l'a dépossédé et l'a exclu de ce boulevard de notre chair dans lequel il s'était installé d'une façon qui semblait définitive. Alors s'est vu, dans notre humanité, ce qui ne s'y était jamais vu auparavant : une âme humaine, un corps humain, complètement soumis à la volonté de Dieu et pleinement sanctifiés. La créature, créée à l'image de Dieu, venait enfin d'atteindre son but: Celui qui s'est appelé le Fils de l'homme a réalisé la parfaite ressem

blance avec Dieu, en reproduisant la vie divine dans une existence humaine. Pour la première fois sur notre terre, la vie de l'Esprit était une réalité; le SaintEsprit avait pris corps dans un homme, os de nos os, chair de notre chair; enfin il avait trouvé ce domicile qui lui avait été destiné dès la création, mais qui jusqu'alors avait été confisqué par un usurpateur.

Une ère nouvelle commence dans l'histoire de notre race; le Saint-Esprit est sorti de la forme transcendentale de l'être divin, pour entrer dans la vie humaine, et devenir l'un des facteurs de son développement. Il est devenu un élément constitutif de notre nature restaurée, il fait désormais partie intégrante de notre être; ce fait est considérable pour nous montrer jusqu'où va la parenté originelle de l'homme avec Dieu.

C'est à ce point de vue qu'il faut nous placer si nous voulons comprendre une parole énigmatique, mais capitale, de l'Evangile selon saint Jean (VII, 39). « L'Esprit n'était pas encore,» y lisonsnous, et tel est bien le texte original, << parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié. » Comment faut-il entendre cela? Bien que le mot saint que lit le texte reçu ne soit pas authentique, il s'agit bien évidemment du Saint-Esprit, comme le montre le verset précédent; ici la glose est juste. Mais comment saint Jean peut-il dire que le Saint-Esprit n'existait pas encore? Impossible de l'entendre de l'existence du Saint-Esprit comme essence divine, puisqu'elle n'a jamais pu être mise en question, et qu'il est à plusieurs reprises expressément mentionné dans l'Evangile de saint Jean, en

particulier avant notre passage. (Com- { jusqu'à la gloire. Par l'Esprit, la vie

parez I, 32, 33; III, 34, etc.)

Le sens qui paraît le plus simple au premier abord, c'est que l'Esprit ne pouvait pas habiter dans les hommes aussi longtemps que leurs cœurs étaient souillés. Il fallait tout d'abord que les péchés fussent expiés et les pécheurs purifiés par le sang de Christ, pour que l'Esprit pût descendre1. Cette pensée est rigoureusement vraie. Mais ce n'est précisément pas celle qui est exprimée dans notre passage par saint Jean, ou du moins, si elle s'y trouve implicitement contenue, elle est tout à fait à l'arrièreplan, et ne ressort pas des expressions employées par l'apôtre. D'abord il ne dit pas «l'Esprit n'avait pas encore été donné, » comme traduisent nos anciennes versions, et comme on lit dans le manuscrit du Vatican; mais il « n'était pas encore. » Et puis, avec cette interprétation, on attendrait : « Parce que Jésus n'était pas encore mort >> ou << n'avait pas encore versé son sang; » au lieu de « Parce qu'il n'était pas encore glorifié. » Il nous faut donc aller plus avant pour expliquer cette parole si profonde et d'une portée si large.

Jusqu'alors l'Esprit saint n'avait jamais encore obtenu la place qui lui revient comme partie constitutive de la véritable humanité; il n'avait pas encore été réalisé, vécu, dans le cadre d'une vie humaine. Avec Jésus, ce qui n'avait pas encore existé se réalise. L'esprit trouve en lui une pleine docilité, et peut se déployer dans tout son être avec l'énergie sanctifiante qui lui est propre; il le pénètre de part en part et l'élève

1 C'est entre autres l'interprétation de Hengstenberg.

divine a été, dans sa personne, assimilée à la nature humaine, de telle sorte que l'union entre Dieu et l'homme est complète. Car nous ne saurions trop insister sur ce point, cette union devait se consommer sur une voie morale: la vie divine, que Jésus possédait par nature, il a dù l'élaborer, la réaliser sur le chemin de l'obéissance, dans la forme de sa vie humaine; et voilà comment le fils de l'homme est devenu l'«Esprit vivifiant,»le« second Adam (I Cor. XV, 45) qui, possédant la vie de l'Esprit dans sa plénitude, peut désormais la communiquer à ses frères. Seulement Jésus ne peut répandre cette vie sur les autres hommes, que lorsqu'elle est réalisée en lui dans toute sa perfection. Voilà pourquoi il fallait qu'il fût « glorifié. Il devait être pleinement achevé dans sa personnalité humaine et divine; l'Esprit devait l'avoir pénétré dans tout son être, corps et âme, depuis la nais sance jusqu'à la résurrection et l'ascension. Quand il entre dans la gloire comme fils de l'homme, la pénétration est complète, la vie de l'Esprit est achevée en lui; il est Esprit, l'Esprit est.

Ainsi s'explique aussi une parole de saint Paul, qui n'est pas sans obscurité: «Le Seigneur est l'Esprit.» (2 Cor. III, 17) Paul exprima par là, mais en d'autres termes, la même pensée que Jean dans le passage que nous venons d'examiner. Il caractérise par ces mots la nouvelle économie, en opposition à l'ancienne alliance où l'Esprit agissait sans doute, mais où il n'était pas encore réalisé, assimilé à la nature humaine, de façon à pouvoir se communiquer aux hommes et les introduire dans la vie de la liberté

et de la gloire. C'est ce qu'il dit encore ailleurs (1 Cor. XV, 45): « Le premier Adam fut fait en âme vivante, le dernier Adam a été fait esprit vivifiant. » Voilà le but glorieux auquel le Seigneur a abouti à travers son obéissance, sa mort, sa résurrection. Par l'Ascension, ila atteint le terme; en lui, notre nature humaine est achevée, puisqu'elle est tout entière, le corps compris, élevée dans la sphère de l'Esprit. Et par le fait de la position unique qu'il occupe en tant que fils de Dieu et Parole éternelle, il n'est pas seulement vivant, mais vivifiant. La vie de l'Esprit peut dorénavant rayonner de lui dans les autres hommes, et se reproduire chez tous ceux qui doivent porter l'image du céleste comme ils ont porté l'image du terrestre. (I Cor. XV, 49.)

Christ élevé dans la gloire répand son Esprit sur les siens, et devient ainsi la Source jaillissante de la vie pour tout homme qui vient à lui. Le Saint-Esprit est dès lors indissolublement uni à la personne de Christ. Il n'a pas une œuvre indépendante, séparée de celle du Fils; toute son activité tend à nous communiquer la personne et la vie de JésusChrist. Il prend à l'égard du Fils la position que celui-ci a prise vis-à-vis du Père; il ne dit rien de lui-même (Jean XVI, 13), il n'a pas d'autre objet que de glorifier Christ (Jean XVI, 14), et de le faire vivre en nous. Et que pourrions-nous avoir de plus? Christ n'est-il pas la plénitude de la vie? Ne contient-il pas tous les trésors de la vérité, de la sainteté et de l'amour? Nous avons tout en lui, et il est impossible de concevoir un but plus élevé pour une vie d'homme que d'avoir à

reproduire la personne de Christ, puisqu'en lui, nous sommes faits participants de la nature divine. Aussi le Saint-Esprit ne fait-il autre chose que de prendre de ce qui est à Christ et de nous le communiquer; et c'est pourquoi il s'appelle l'Esprit de Christ aussi bien que l'Esprit de Dieu.

Il se donne donc à nous dans la forme qu'il a prise en Jésus-Christ. C'est l'esprit divino-humain réalisé en Christ, qui doit devenir la propriété des croyants. Il est maintenant établi au point central de notre humanité d'où il peut rayonner; il a une substance à nous communiquer et qui est assimilable pour nous, parce qu'elle a été élaborée par notre frère aîné. (A suivre.)

CH. PORRET.

REVUE CRITIQUE

VIE

LUTHER, SA ET SON OEUVRE, par Félix Kuhn. 3 vol. in-8°. Paris 1883 à 1884, P. Robert.

Le quatrième centenaire de la naissance de Luther a donné lieu en Allemagne, en France et ailleurs, à la publication d'un grand nombre d'écrits sur le réformateur. Quelques-uns ne sont que des brochures de circonstance, des biographies populaires, des discours; d'autres, au contraire, ont une valeur durable. Il faut citer, à côté de la publication commencée des œuvres complètes du moine de Wittemberg, l'édition revue de la grande Vie de Luther par Koestlin, et le beau livre que nous annonçons ici. Pour être venu à son heure, l'ouvrage de M. Kuhn n'est point un travail improvisé. Il est le fruit de plusieurs années

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