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Le Saint-Esprit,

principe de la vie nouvelle1.

L'Eglise contemporaine me semble travaillée par un douloureux contraste : d'un côté, elle voit se dresser devant elle une tâche plus immense et plus ardue que jamais; de l'autre, elle n'a pas la conscience de disposer de moyens qui soient à la hauteur d'une telle mission.

La tâche est grande, disons-nous d'abord. Cela est incontestable. Soit que nous regardions au flot montant de l'hostilité qui menace de tout emporter, s'il ne rencontre à temps une digue efficace, soit que nous arrêtions nos yeux sur les portes qui partout s'ouvrent et d'où sort, pressant et redoublé, le cri du Macédonien « Viens nous secourir!» partout l'Eglise chrétienne se trouve en présence d'une œuvre grandissante, qui s'impose impérieusement à elle, et à laquelle elle ne peut se soustraire sans se renier elle-même.

1 Ce travail a été lu comme discours d'ouverture des cours, dans la faculté de théologie de l'Eglise libre du canton de Vaud, le 8 octobre dernier. Vu son étendue, plusieurs passages ont dû être omis à la lecture; les chapitres I et II en particulier, qui forment le présent article, ont été simplement résumés.

A ces adversaires toujours plus nombreux qui poussent contre elle leurs clameurs bruyantes et leurs chants de mort, il faut qu'elle ait à opposer une réponse victorieuse. Qu'elle laisse de côté, si l'on veut, les apologies et les expositions scientifiques, le mal n'en sera pas grand; mais qu'elle se dresse au moins dans sa majesté souveraine et royale devant ses contempteurs, et qu'elle leur offre le spectacle d'une vitalité toujours nouvelle et d'une puissance qui se rit des oppositions; voilà le minimum qu'on puisse exiger d'une Eglise qui se dit fondée sur Jésus-Christ. Si elle ne fait que végéter au milieu du monde, comme une plante à qui l'on mesure parcimonieusement la lumière et l'eau fécondante, ou qui est étouffée par des végétaux plus vigoureux, elle est au-dessous de sa mission, elle dément, par là même, l'origine divine à laquelle elle prétend.

Ce n'est pas tout. A côté d'un monde profane et incrédule, il y a toute une humanité souffrante et gémissante: les petits, les délaissés, tous ceux que la grande bataille de l'existence et l'inexorable engrenage de la vie sociale ont blessés et meurtris, font entendre des soupirs de douleur et des cris de détresse. Ils sont nombreux encore, ceux que les carouges de la servitude ne peuvent rassasier, nombreux ceux qui n'attendent que le message du Crucifié pour se relever et reprendre courage. Les victimes du vice et de la séduction nous appellent. Le monde païen s'ouvre de toutes parts, et réclame des messagers de salut toujours plus nombreux. Comment rester sourd à tant d'appels? L'Eglise pourrait-elle se croiser les bras

lever, n'est sans doute pas perçu d'une façon très distincte par l'Eglise dans son ensemble. Mais, sans avoir conscience du pourquoi, elle n'en souffre pas moins, et le sentiment de son impuissance pèse lourdement sur elle. De

médier par les moyens les plus divers; de là, cette recherche de l'extraordinaire, qui n'est que l'indice d'une aspiration vers quelque chose de plus que ce qu'on a possédé jusqu'ici. Le moment est grave, en effet. Il s'agit de savoir si le vieil Evangile est suffisant encore pour répondre aux besoins de notre siècle, ou s'il faut un nouveau facteur pour nous mettre au niveau de notre époque. Cela revient à demander si l'Evangile de Jésus-Christ est bien, oui ou non, l'éternelle vérité, le don de Dieu pour le salut des hommes. Car nous savons que, s'il vient de Dieu, il porte en lui une puissance de vie capable de le rajeunir incessamment, et de l'élever toujours au-dessus des besoins de notre humanité perdue.

en présence de tant de misères ? Peutelle passer son chemin en laissant le malheureux gisant dans son sang? Impossible; ce que le Maître a fait, elle le fera. C'est le Seigneur qui lui montre sa voie; il faut marcher. Mais de quelles ressources dispose-là, ce malaise auquel on cherche à ret-elle pour engager cette lutte qu'on peut appeler formidable? Ce n'est pas sans appréhension qu'on passe en revue les forces qu'elle peut mettre en campagne. Si le champ de bataille s'est considérablement agrandi, il semble que les forces vives, au lieu d'aller en croissant, se soient réduites et affaiblies. Nous sommes bien éloignés de cette virilité qui distinguait nos pères : les caractères se sont amollis; pour être moins rudes, plus conciliants, ils sont aussi devenus plus lâches et plus accommodants. La recherche du confort ne fait pas sentir ses délétères effets chez les enfants du monde seulement. On chercherait en vain l'âpre énergie des huguenots, ou même des chrétiens du Réveil. Les convictions sont moins fermes aussi : en devenant plus larges, nous sommes devenus moins absolus, mais aussi moins décidés et moins héroïques. La couleur grise tend à tout envahir. Aussi, plus de ces saintes indignations, de ces puissantes persuasions qui entraînaient nos pères à l'action et au sacrifice. Avec tout cela, le morcellement se poursuit et va parfois jusqu'à l'émiettement. Les chrétiens que devraient unir une pensée commune et un but unique, se divisent et sont partagés par des intérêts divergents. Chacun tirant de son côté, l'esprit de clocher paralyse le travail collectif qu'exigent des temps si graves.

Le contraste que nous venons de re

Or, cette puissance de rajeunissement et de rénovation, elle se trouve, en effet, dans l'Evangile, et elle s'exprime en un seul mot: le Saint-Esprit. C'est dans ce don que se concentre toute l'œuvre de Dieu pour le salut des hommes. Le Saint-Esprit n'a pas encore abdiqué. Les miracles qu'il a faits dans le passé, il est prêt à les répéter encore. Mais il faut que l'Eglise, ayant nettement conscience des besoins nouveaux, comprenne aussi toujours mieux toutes les énergies latentes qui n'attendent que l'occasion propice pour se déployer, et qu'elle s'en empare avec une sainte

hardiesse. Il faut que l'antique déclaration de l'Eglise chrétienne : « Je crois au Saint-Esprit, » prenne une vérité toute nouvelle. C'est par la foi au SaintEsprit que l'Eglise ressaisira, comme tout à nouveau, la plénitude inépuisable qui lui est ouverte en Jésus-Christ, et pourra, sans effroi, s'élancer dans la carrière.

Vous comprenez dès lors, qu'avec cette conviction, je veuille aujourd'hui attirer votre attention sur ce sujet. Je ne prétends pas vous apporter une étude complète. Ici, beaucoup plus qu'ailleurs, et dans une mesure unique, il faut avoir vécu avant de donner la vraie théorie. C'est du sein de l'expérience que doit jaillir la complète intelligence de la doctrine du Saint-Esprit. Et puis, la matière est trop vaste; j'ai vu ses limites reculer toujours plus à mesure que je l'ai sondée. Rien ne prouve mieux qu'une telle étude la divine inspiration de nos saints livres. Voilà des siècles qu'on les sonde, et ils n'ont jamais dit leur dernier mot. Leurs cimes se dressent toujours devant nous, sans que jamais nous puissions les avoir sous nos pieds. Surpassant toujours les expériences de tous les fidèles, ils nous révèlent, à mesure que nous nous élevons, un idéal toujours supérieur à celui que nous avions soupçonné c'est l'infini de la vie divine qu'ils proposent à notre ambition. Devant un tel horizon, il est plus facile de contempler que de parler; ce sera là mon excuse, si je reste infiniment audessous de mon objet.

Force nous est de circonscrire notre sujet; nous n'entrerons pas dès lors dans l'examen de la question trinitaire. Laissant de côté l'essence intime du Saint

Esprit et les recherches sur sa nature, nous nous attacherons plutôt à ses rapports avec l'homme, pour en venir essentiellement à son action dans les croyants.

I

L'Esprit de Dieu nous apparaît, dans la révélation biblique, comme l'agent de la vie à tous ses degrés; car il est Dieu se communiquant lui-même à sa créature. Dieu seul possédant la vie en lui-même, l'être créé ne vit que pour autant que Dieu se donne à lui; il ne subsiste que par l'action constante du Dieu créateur. Cela est vrai déjà du monde matériel, et voilà pourquoi nous voyons l'Esprit de Dieu planer sur le chaos, pour y faire pénétrer la vie et animer la matière. L'univers n'existe et ne subsiste que parce que Dieu vit en lui. C'est ce qu'il y a de vrai dans le panthéisme, et ce qu'il faut maintenir contre tout déisme qui sépare superficiellement Dieu de sa création; seulement ce Dieu, qui vit ainsi dans son œuvre, bien loin de se perdre en elle, la domine, et tout en la pénétrant de son influence, demeure souverainement libre et indépendant. « C'est lui qui donne à tout la vie, la respiration et toutes choses.» (Actes. XVII, 25.) « Il tient dans sa main l'âme de tout ce qui vit, le souffle de toute chair d'homme. » (Job XII, 10.) « Tu caches ta face, les animaux sont tout tremblants, tu retires leur souffle, ils expirent et retournent dans leur poussière. Tu envoies ton souffle, ils sont créés, et tu renouvelles la face de la terre.» (Ps. CIV, 28-30.)

Ce qui est vrai déjà dans l'ordre matériel se réalise dans une bien plus

grande mesure, quand nous nous élevons dans le domaine de la vie spirituelle et morale. Dans la création de

la capacité de lui devenir semblable. C'est là le grand mystère de la vie que, selon l'expression d'OEtinger, «< chaque

l'homme, l'Esprit prend une place pré-partie puisse à son tour devenir un tout. >>

pondérante. « Dieu souffla dans ses narines un souffle de vie, et l'homme devint une âme vivante. » L'homme ne sort pas de la terre seulement, comme les animaux ; outre son origine terrestre, il a une origine céleste. L'esprit qui le distingue des autres êtres de la création terrestre 1, et qui le met en communication directe avec le monde invisible, procède de l'Esprit de Dieu, et c'est par lui que l'homme est de race divine. Grâce à l'esprit qui l'anime, il est créé à l'image de Dieu. Cette expression, sublime dans sa simplicité, a donné lieu à bien des malentendus on y a vu une sorte de perfection originelle, de sainteté effective, qui est pourtant absolument inconcevable au point de départ d'un développement moral. Il y a là une méconnaissance complète des conditions les plus élémentaires de la vie spirituelle; la perfection morale, pour une créature, ne peut être que le terme, et non pas l'origine de son activité. La sainteté ne peut être un état de nature, elle n'est réelle qu'à la condition d'être conquise; elle doit être le fruit de l'obéissance et du don de nous-mêmes à Dieu. L'image divine consistait, non pas tant dans une ressemblance immédiate et achevée avec Dieu, que dans

1 Il est essentiel, au point de vue biblique, de distinguer entre l'âme et l'esprit. L'âme est commune à l'homme et à l'animal. Mais chez l'homme, elle se trouve placée entre deux mondes, et elle possède deux organes pour communiquer avec eux l'esprit, par lequel elle entre en rapport avec Dieu et le monde d'en haut; le corps, par lequel elle agit sur la terre et reçoit les impressions du monde visible.

Cet esprit que, de son propre Esprit, Dieu a soufflé dans l'homme, était destiné à s'affirmer, à se développer dans une personnalité indépendante, et à reproduire, dans les limites d'une vie indi{viduelle, la vie même de Dieu. L'homme était appelé à se tourner résolument du côté du ciel, à accepter joyeusement et de franc vouloir sa dépendance de Dieu, et à la réaliser librement dans une obéissance spontanée. Alors son esprit aurait puisé des forces toujours renouvelées en Dieu, il aurait été rempli des vertus d'en haut, de telle sorte que la vie divine l'aurait pénétré, et aurait dominé son être tout entier. Ainsi, l'Esprit de Dieu se serait établi dans l'âme pour la consacrer à Dieu et l'élever de la vie naturelle à la vie de la sainteté ; le corps luimême, devenu le docile organe de l'esprit, aurait été spiritualisé, et l'homme, dans son entier, se serait élevé graduellement à la gloire, qui n'est pas autre chose que le reflet au dehors de la vie de Dieu. Alors l'image de Dieu eût été pleinement réalisée en l'homme. A travers la vie naturelle, celui-ci serait devenu un être tout spirituel, rempli du Saint-Esprit, et par là même participant à la nature divine. C'est ainsi que, sur le chemin de la dépendance volontairement acceptée et de l'obéissance à l'ordre établi de Dieu, l'homme se serait élevé à la glorieuse liberté de la ressemblance avec Dieu.

Mais il pouvait aussi (et c'était là le péril qui résultait de la grandeur de sa position), vouloir conquérir son indé

pendance en s'isolant de Dieu, en secouant le joug, en n'acceptant d'autre. loi que sa propre volonté. C'était se condamner à la mort, se fermer les sources de la vie. Mais ce suicide, l'homme l'a consommé dès le premier péché, qui fut bien, selon l'énergique expression de Vinet « une nouvelle naissance1. » Il s'est précipité tête baissée dans le monde d'en bas en s'arrachant à la vie d'en haut, vers laquelle tout le portait.

Au lieu de se livrer à l'Esprit de Dieu pour recevoir de lui la sainteté, la vie et la gloire, l'homme a voulu être son propre maître, vivre de son propre fonds, et dans cette folle indépendance, il n'a rencontré que la plus triste des servitudes. La partie inférieure de son être, qui devait obéir, a pris le dessus ; il a été à la merci de toutes les influences d'en bas, et de toutes les sollicitations de la terre. Son esprit n'étant pas fécondé par l'Esprit divin, a perdu toute force propre, et n'a plus été qu'une simple virtualité, une aspiration impuissante toujours étouffée par les instincts inférieurs. L'âme a été dominée par le corps qui, de serviteur devenant tyran, est devenu le siège de la convoitise. Cette union de l'âme et du corps, dans laquelle la première est asservie au second, est ce que le Nouveau Testament appelle la chair. L'homme est donc devenu charnel, esclave de la jouissance, se prenant lui-même pour centre et pour but de son existence. C'est la négation même de la vie de l'esprit.

A partir de ce moment l'homme, qui était primitivement destiné à devenir le domicile du Saint-Esprit, a été fermé pour lui. L'Esprit de Dieu qui seul pou1 Chrétien évangélique, XXI, pag. 58.

vait vivifier l'âme humaine, n'a plus été que comme un étranger sur notre terre. Il ressemble à la colombe de l'arche, qui ne trouve pas un lieu où poser son pied. Et cependant il ne se retire pas définitivement; sa retraite serait la ruine de notre humanité, et Dieu veut la sauver. Aussi le Saint-Esprit, bien qu'il n'ait ni demeure, ni entrée parmi les hommes, plane comme au premier jour sur ce nouveau chaos, bien plus sombre encore que celui du monde physique, pour y faire descendre la vie. Il est à l'œuvre dans l'humanité, et spécialement au sein d'Israël. Il travaille à préparer les temps nouveaux dans lesquels l'homme se rouvrira à son souffle vivifiant.

Il importe fort d'insister sur ce point que, jusqu'à l'Evangile, le Saint-Esprit ne pouvait habiter sur la terre, ni dans aucun homme, et qu'ainsi, lorsqu'il nous est parlé de son action sur les prophètes ou sur les croyants de l'ancienne alliance, il ne peut être question que d'une œuvre préparatoire, et non d'une habitation définitive. On met souvent les Israélites pieux sur le même pied que les chrétiens; on les traite comme de vrais enfants de Dieu, on parle de l'Eglise de l'Ancien Testament; il semble que la seule différence qui existe entre les fidèles du peuple juif et ceux de l'économie évangélique, c'est que les uns vivaient avant et les autres après la venue du Sauveur; mais les premiers jouissaient par anticipation des mêmes grâces que les derniers. Rien de plus contraire au point de vue biblique qu'une telle manière de voir. Quelles que soient les grâces qui furent accordées aux hommes de Dieu de l'an

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