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LE CHRÉTIEN ÉVANGÉLIQUE

ÉTUDE BIBLIQUE

La philanthropie de Dieu.

Tite III, 4.

Dans l'espace infini, peuplé de milliards de mondes, il est un monde, grain de poussière dans la poussière, «< atomne dans l'immensité, » et, sur cet atome, d'autres atomes doués de vie, des infiniment petits, sur lesquels l'amour de Dieu projette incessamment un rayon aussi intense, aussi chaud que s'ils étaient ses seules créatures; et, comme ces infiniment petits s'appellent des hommes, ce rayon d'amour, qui les enveloppe, a pu être appelé par saint Paul la philanthropie de Dieu1. Sans nous laisser arrêter par l'abus qu'on a fait de ce magnifique terme, essayons de dire tout ce qu'il comprend.

I

Cette philanthropie, ou cet amour de Dieu pour l'homme, s'est montrée tout d'abord en ce que Dieu l'a fait un homme; un homme, c'est-à-dire, selon la définition de Gratry, la raison et la liberté incarnées dans l'animalité; un homme, c'est-à-dire un être qui, placé sur les confins de la matière et de l'esprit, a reçu le pouvoir de s'affirmer dans

1 Traduction littérale de Tite III, 4.

SEPTEMBRE 1885.

l'un ou l'autre sens, pour s'élever ainsi, s'il choisit bien, jusqu'à être « capable de Dieu,» rempli de sa vie, participant de sa gloire, c'est-à-dire de sa sainteté.

<< Soyez saints, parce que je suis saint! Avons-nous essayé de sonder tout ce que ce mot comporte? Ce « parce que» est véritablement sublime!

<< Soyez saints, parce que je suis saint,... » y a-t-il donc une relation tellement intime, tellement substantielle entre le Créateur de toutes choses et nous autres atomes, que la sainteté de Dieu devienne ainsi, tout naturellement, la raison de la nôtre?

Cependant, la sainteté de Dieu, c'est son essence même. Nulle part, que je sache, Dieu ne dit : « Je suis la toutepuissance; je suis la sagesse ; je suis la toute science. » Quand il se nomme du nom auquel il tient le plus, du nom qui révèle son caractère distinctif, du moins dans le monde moral, Dieu dit : « Je suis saint!» et c'est immédiatement après qu'il veut bien ajouter : « Par conséquent soyez saints!... » Oh! dans ce fait seul, quel amour de mon Dieu, quelle philanthropie! dirons-nous avec saint Paul, surtout quand nous aurons rappelé ce que comporte cette glorieuse

destination.

Car, créé innocent pour devenir saint, il faudra que l'homme traverse une

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crise où, de l'accomplissement instinctif, il s'élèvera à l'accomplissement volontaire du bien; et si, dans cette crise solennelle, tout est dans le sens de la bonne alternative, il en reste cependant une autre qui, pour improbable qu'elle soit, n'en pourrait pas moins se réaliser l'alternative de la transgression!

Et, dans ce cas, quelles conséquences épouvantables, pour l'homme d'abord, mais aussi pour Dieu ! Quelle perturba- { tion dans son œuvre, quelle dissonance dans l'harmonie universelle, quel péril pour les autres créatures, quel labeur et quelle douleur s'il doit y avoir relèvement!

Une telle éventualité qui, hélas ! n'en était pas une pour la toute science divine, aurait pu faire reculer tout autre que le divin philanthrope! Ne pas faire l'homme un homme, c'est-à-dire, après tout, ne pas le créer, cela eût été tellement plus facile ! Mais, parce que Dieu est amour, et qu'il sait de quelle félicité l'homme sera possesseur s'il est homme, un vrai homme, non, Dieu ne reculera pas ! Il le créera, après lui avoir préparé, à travers de gigantesques évolutions cosmiques, une terre où tout, le fond et la forme, le beau et le bon, a été prévu et disposé pour ses besoins.

C'est ici qu'il faudrait être tout ensemble un naturaliste, et quel naturaliste, un peintre, et quel peintre, un poète, surtout, et quel poète, pour décrire les merveilles, petites et grandes, de l'habitation préparée pour nous par Dieu. Oh! quand je pense au seul coin de terre que nous occupons; quand, devant mon patriotique enthousiasme, se dressent nos Alpes étincelantes, avec

leurs formes tantôt gracieuses et tantôt indiciblement hardies, avec leurs tapis de gazon ras tout émaillés des plus ravissantes fleurs, avec leurs lacs profonds qui dorment au fond des vallées et les torrents qui déroulent et y précipitent leur parure de diamants, il m'arrive alors de m'écrier souvent: Mon Dieu, si c'est là une terre maudite, qu'était-ce donc quand elle ne l'était pas!

Je ne redirai pas ce qu'ailleurs j'ai déjà raconté1 de la sollicitude de Dieu pour préparer, avec une extrême prudence, cette crise où l'homme devait réaliser sa destination d'homme en s'associant libremeut à la volonté de Dieu.

Ce jardin dans lequel tout, sauf un fruit, était à sa disposition; ces joies ineffables de la famille, qui décuplent les forces pour le combat; cette loi du travail et cette loi du repos, également bienfaisantes toutes deux, et glorieuses, parce que ce travail et ce repos sont la copie de ceux de Dieu; ces sublimes préoccupations de la science, à laquelle Dieu initie l'homme en l'invitant à faire la nomenclature, c'est-à-dire, par conséquent, l'étude approfondie de tous les êtres animés; les mystères de la parole qui lui permet de se révéler à lui-même et à ses semblables; la salutaire responsabilité d'une domination sur les animaux; jusque dans la tentation même, cet avertissement discrètement insinué dans ce mot « garder le jardin ; » enfin, la limitation stricte du pouvoir tentateur à la seule faculté de se présenter à l'homme dans un être inférieur, le serpent;... toutes ces précautions et toutes ces tendresses de Dieu, jointes à ce que la nature d'Adam était vierge de prédis1 Etudes et discours: Etudes sur Satan.

positions mauvaises, tout faisait présumer que, dans cette épreuve, il demeurerait aisément victorieux.

temps d'expériences redoutables, quelle épreuve pour la patience de Dieu !

Puis il faudra remettre sous les yeux de l'homme le type d'une vie humaine normale, c'est-à-dire sainte par la communion incessante de tous ses éléments avec Dieu.

Hélas! l'homme, à qui Dieu avait donné une volonté pour qu'il eût la joie de vouloir les volontés de Dieu, la pensée pour penser les pensers de Dieu, un cœur pour qu'il pût sentir les sentiments mêmes de Dieu; l'homme qui, avec toutes les créatures morales aurait dû trouver son bonheur à graviter autour de son Dieu, foyer de toute vie et de toute félicité, l'homme a, par un mys-puissance surnaturelle le saisisse dans tere insondable, préféré se dégager de ce concert universel pour se constituer, a part, une existence propre, criminelement solitaire, dépendante par conséquent d'elle-même, c'est-à-dire condamnée à rouler d'abîmes en abîmes pendant l'éternité.

En même temps que cette vie, parfaitement humaine, fera cette démonstra{tion, il faudra qu'elle communique à l'homme déchu le désir et la force de la réaliser à son tour. Il faudra qu'une

Que fera le Dieu créateur?

li n'a pas à considérer ce seul atome en révolte sur un atome. Gardien de "'ordre universel, trois fois saint luimême par essence, il faudrait qu'il vouat l'homme à une irrémédiable perdition.

Mais voilà que, dans le concert et la consultation intime des perfections divines, la charité de Dieu pour l'homme s'émeut, intervient, intercède, en demandant un sursis pour une tentative de salut dont elle assumera toute la responsabilité et les indicibles souffrances.

II

Pour sauver l'homme, il faudra d'abord lui faire sentir, par les conséquences multiples et prolongées de sa aute, à quel point sa révolte est un acte de folie, non moins qu'un crime. Or ce

son égoïsme, l'entraîne hors de luimême, le remette dans l'orbite d'où il est sorti, l'y maintienne et l'y affermisse jusqu'à ce que, les derniers vestiges de sa folie ayant disparu, il soit ramené à son point de départ et élevé, de là, à la sainteté absolue pour laquelle il a été créé.

Enfin, tant dans son intérêt que dans celui des autres créatures morales, et pour la nature de Dieu, il faudra qu'une réparation soit faite à la loi de sainteté violée; et c'est même par cette réparation infiniment douloureuse que le salut de l'homme devra commencer.

Mais où est l'être qui veuille et qui puisse remplir ce programme d'inexprimable dévouement? l'être capable de s'incorporer à la race déchue sans partiper à sa déchéance, et d'attirer à soi les hommes sans les détourner, par là même et plus que jamais, de Dieu ?

Seul le Verbe éternel, le Fils unique du Père, l'objet de sa dilection, pouvait réaliser ces conditions en apparence inconciliables; seul il pouvait être Dieu et homme, homme et Dieu tout ensemble, l'organe de la philanthropie divine et le Sauveur des hommes.

Mais à quel prix ! Ce que cette œuvre réclamait d'amour et de souffrance, nul ne le saura jamais.

Qu'est-ce, en effet, que naître dans une étable plutôt que dans un palais quand on vient du ciel? C'est de naitre, d'avoir à naitre qui, pour l'incréé, était l'inexprimable sacrifice.

Avoir à emprisonner, ne fût-ce que momentanément, l'infini dans le fini d'un organisme humain, d'un organisme embryonnaire, où les perfections divines seront réduites à l'inconscience, comme le génie peut l'être dans le cerveau d'un petit être qui sera plus tard un Newton ou un Pascal!...

Avoir à devenir quand on est Celui qui s'appelle « Je suis » à se restreindre en un point de l'espace quand on remplit les cieux, et du temps, quand on est l'éternité! dans une chair semblable à la chair de péché subir le contact immédiat de la corruption et du corrupteur, et pour en souffrir d'autant plus que le sens moral est plus parfait! Quand on est « la vérité » avoir à la forcer d'entrer dans les moules étroits d'un langage humain et même détérioré! Enfin, au bout de toutes ces souffrances, quand on est le Prince de la vie, la vie elle-même, avoir à subir la mort, salaire du péché, avec tout le poids de la malédiction que la loi sainte tient en réserve contre ses contempteurs, oh! quelle perspective, et pour le Fils qui accomplira ce sacrifice, et pour le Père qui, dans son Fils, souffre et souffrira avec lui!

Eh bien, la philanthropie du Père et du Fils n'a reculé ni devant l'incarnation, ni devant l'œuvre de propitiation. Après s'être montrée pour l'homme en le faisant

homme par la création, elle s'est faite homme elle-même pour sauver l'homme par la rédemption.

Annoncé par les anges, qui, d'avance, ont publié le programme du divin Philanthrope, Celui qui est l'empreinte de Dieu le Père, la splendeur de sa gloire, le Dieu mis à la portée des pauvres pé cheurs, « le Dieu qu'on voit, le Dieu qu'on aime, Dieu par qui l'homme à Dieu s'unit», Jésus-Christ est né d'une vierge à Bethleem. Il a grandi; à trente ans, par son baptême, il a définitivement fait cause commune avec les hommes, pour être non plus seulement l'homme, mais aussi le Sauveur des hommes. Au desert il a affronté et vaincu leur ennemi. Dès lors, et jour après jour, il est allé de lieu en lieu en faisant du bien par sa parole, par ses innombrables miracles et par sa vie elle-même.

Oh! sa personne, qui pourra dire jamais ce qu'elle fut pour manifester la philanthropie de notre Dieu! Parfaite en sainteté et parfaite en bonté, réalisa tion de la loi morale et de l'idéal esthé tique, elle réunit tout ce qu'il faut non seulement pour révéler à l'homme la vie normale d'un homme, mais encore pour la lui faire aimer.

Car, résister à cet irrésistible attrait de la sainteté et de la charité divines indissolublement unies, ne pas se convertir à Celui qui s'est écrié sous mille formes: «Venez à moi, » comment étaitce possible?

Et pourtant la plupart des hommes ont méconnu cette philanthropie, parce que c'était la vraie, celle qui entend rendre l'homme heureux en l'affranchis sant du péché. Oui, on l'a méconnu, l'Ami des hommes, on l'a haï, on l'a

rejeté, on l'a crucifié comme le plus vil malfaiteur. Voilà ce qu'a fait le cœur de l'homme déchu, notre cœur naturel.

Eh bien, du haut du bois infâme où il expie nos crimes, ce bienfaiteur des hommes les aime encore et veut les sauver. Jamais même, autant qu'à la croix, il n'a été philanthrope. Un tressaillement d'allégresse ne le saisissait-il pas quand, prévoyant ce genre de mort, il s'écriait : « Lorsque je serai élevé de la terre, j'attirerai tous les hommes à moi?>

Oh! oui, il nous attire à lui. De làhaut où, pour nous, il répand son sang, plus que jamais Jésus s'écrie: Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués de vivre pour vous-mêmes. Apprenez de moi combien douce est la vie véritable; approchez, et contre mon cœur, percé pour Vous, laissez crucifier votre vieille nature. Voyez avec moi il doit maintenant Vous être facile et doux de mourir pour ressusciter à la gloire du Père. Venez donc et apprenez de moi.

Tous ceux qui, depuis dix-neuf siècles, ont répondu à cet appel, ont trouvé, en effet, que l'instrument de mort élevé pour priver l'homme du salut en est devenu l'instrument le plus efficace; car non seulement, à cette croix, crucifiés avee Christ ils ont pu mourir à euxmêmes, mais, en échange de cette vie propre qui leur faisait horreur, ils ont éprouvé en eux « la puissance de la résurrection de Christ, » c'est-à-dire une substitution de sa nature à la leur qui, graduellement, les a pénétrés de la vie de Dieu.

Ainsi ont surgi d'innombrables organes de la divine philanthropie autant qu'il y a eu de chrétiens véri

tables. Transformés par elle, ils se sont mis à son service; de leur cœur elle rayonne partout. Du Calvaire s'est répandu à pleins bords, sur l'humanité coupable, un fleuve sans cesse grossissant qui cherche à couvrir la terre de ses bienfaits, comme le Nil l'Egypte d'un limon fertile. Que de problèmes déjà résolus, que de misères soulagées, que de vices combattus et vaincus, que de jougs brisés, que de plaies sondées, que de haines éteintes, que de progrès réalisés !

Oui, mais combien n'en verrait-on pas davantage encore si tous les hommes que sollicite l'amour de Dieu étaient devenus ou devenaient des chrétiens véritables, et si tous ceux qui en ont le titre en possédaient mieux les vertus ! Les inconséquences d'une multitude de chrétiens n'expliqueraient-elles pas cette opposition qu'on a trop longtemps établie entre leur nom et celui de philanthropes? comme si le chrétien pouvait n'être pas un ami des hommes, et le véritable ami des hommes, un enfant de Dieu! Le moment est venu de rendre à ces termes leur signification authentique, en montrant par des faits que les hommes animés de l'Esprit de Dieu sont les seuls vrais amis de l'humanité déchue, parce que seuls ils l'aiment d'un amour désintéressé et que seuls ils possèdent le remède de ses maux.

Chrétiens, la réputation de Dieu dépend donc beaucoup de nous. Ministres de ses miséricordes, selon que nous serons fidèles ou indociles à notre sublime mission, nous glorifierons ou nous compromettrons Dieu auprès de nos semblables. Si nous avons compris

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