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de rire en regardant les autres enfants, mais ceux-ci, à ma grande joie, le regardèrent avec sérieux et d'un air de pitié, sur quoi il resta longtemps les yeux baissés; je ne savais si c'était par honte ou par mutinerie. Lorsque l'un des enfants s'adressa à moi pour me demander quelque chose, je lui dis qu'il devait plutôt s'adresser à celui qui prétendait être le maître. Naturellement il ne le fit pas; mais à cet instant l'entêtement du petit désobéissant cessa et il se mit à pleurer. Je le laissai pleurer jusqu'à ce que je pus conclure de son attitude qu'il était réellement humilié et qu'il ferait volontiers ce qu'on exigerait de lui pour le sortir de sa pénible situation. Mais comme il n'avait pas su jusque-là ce que c'était que de s'humi

fut consacré au saint ministère, le 25 février 1825.

II

Le futur missionnaire avait reçu de son Maître le don des langues et une application peu commune à l'étude. A Paris, où il séjourna quelques mois, il prit du célèbre de Sacy des leçons d'arabe et fut bientôt en état de lire le Coran, voire d'en réciter par cœur des chapitres entiers. A Londres, on le mit à l'éthiopien.

« Lorsqu'on me donna, raconte-t-il, la grammaire ethiopienne avec ses deux cent neuf caractères, dont pas un ne m'était connu, je me souvins avec confusion qu'un an et demi auparavant, quand je commençais l'arabe, j'avais mis plusieurs jours à apprendre l'alpha

lier, il ne savait comment s'y prendre.bet, et je résolus qu'il n'en serait pas

Remarquant son embarras, je quittai la salle et fis signe à ma mère, qui venait justement d'y entrer, de lui conseiller ce qu'il devait faire. Après quelques minutes je rentrai. L'enfant alors se leva, s'approcha lentement de moi, tomba sur ses genoux et me pria avec larmes de lui pardonner. De ce moment, il fut l'un des meilleurs agneaux de mon petit troupeau. >>

Au bout de trois mois, on pria Samuel Gobat d'accepter définitivement la place d'instituteur. Bien que résolu, depuis quelque temps déjà, à consacrer sa vie à l'évangélisation des païens, il hésitait à refuser. Ce fut l'inspecteur scolaire du district qui se chargea de la décision; il déclara qu'il ne ratifierait jamais la nomination d'un... piétiste!

Dès lors le chemin de Samuel Gobat était tracé; il partit pour Bàle où, après un stage à la maison des missions, il

ainsi pour l'éthiopien. J'entrai dans ma chambre, et sur la porte que je venais de fermer, j'écrivis ces mots : Je ne t'ouvrirai pas que je ne sache lire. - J'avais calculé que cela me prendrait un jour entier. Mais voici, à force d'application. mais d'une application telle que j'en ressentis les deux jours suivants de forts maux de tête, je pouvais lire d'une manière passable au bout de deux heures. Cinq mois plus tard, j'étais en état, dans un examen, de traduire de l'éthiopien en latin, sans le secours d'un dictionnaire, les cantiques de Marie et de Zacharie, avec deux chapitres du prophète Osée. »

Il serait très beau sans doute de recevoir directement d'en haut la connaissance des langues étrangères; plus d'un étudiant voudrait qu'au service de Dieu le don dispensåt de l'étude. Gobat n'avait pas cette prétention.

Cependant l'heure du départ allait sonner. La société missionnaire de l'Eglise anglicane avait agréé les services du jeune candidat et décidé de l'envoyer en Abyssinie pour y explorer le pays, en vue d'une mission au sein de l'Eglise éthiopienne dégénérée. Trois années s'écoulèrent avant que ce projet se réalisât. Arrivé à Alexandrie le 20 août 1826, Gobat se rendit au Caire, comptant bien n'y faire qu'une courte halte; mais l'entrée en Abyssinie par Massou a était interdite aux Européens; l'agitation des tribus arabes rendait la voie du Nil impraticable. Force fut au voyageur de prendre patience; il se mit à étudier l'amharique, langue sacrée des Abyssins, et, pour trouver à qui parler dans cette langue, se rendit à Jérusalem.

C'est ainsi que les circonstances le conduisirent à faire connaissance avec cette ville, où il devait fournir plus tard une longue carrière.

Après six mois de séjour en Palestine, Gobat était retourné au Caire, espérant que la route d'Abyssinie se serait ouverte pendant son absence. Il n'en était rien; on lui assura au contraire que ce pays, dans lequel aucun Européen excepté Bruce n'avait pu pénétrer depuis l'expulsion des jésuites au XVIe siècle, demeurerait fermé longtemps encore.

Sur ces entrefaites, il rencontra dans ses visites au quartier arabe un Abyssin, nommé Ali, malade et presque désespéré. Ce

pauvre homme, qui dans son pays n'était pas le premier venu, avait été envoyé au Caire comme ambassadeur par Saba Gadis, souverain du Tigré. Le pacha d'Egypte avait refusé de le recevoir, par simple malentendu, et Ali, qui

n'osait pas retourner auprès de son maître sans avoir accompli sa mission, était demeuré seul au Caire, sans protections, volé par ceux qui l'entouraient. Bientôt tombé dans la misère, malade de tristesse, il s'en allait mourant.

Gobat était connu à la cour; il fit présenter Ali au pacha, qui reconnut son erreur et, de la meilleure grâce du monde, accorda à l'ambassadeur tout ce qu'il demandait. Ali n'était pas un ingrat; il écrivit à Saba Gadis, et le prince dans sa réponse lui recommanda de tout employer pour décider son bienfaiteur à l'accompagner en Abyssinie. Gobat ne demandait pas mieux, et c'est ainsi que lui fut ouverte, toute grande, cette porte si longtemps fermée.

III

En l'an de grâce 1829, on ne voyageait pas avec la même rapidité, ni avec le même confort qu'aujourd'hui. Gobat mit quatre jours pour atteindre Suez à dos de chameau. A Suez, il dut attendre quatorze jours qu'un navire fût en partance pour Djeddah. Enfin, un moyen de transport se présenta c'était un bateau arabe, chargé de pèlerins à destination de la Mecque. Entassés sur le pont comme du bétail, sales, pleins de vermine, on se représente l'agrément d'une pareille compagnie, surtout par une température de trente-cinq à quarante degrés. On ne buvait que de l'eau de pluie, tiède, corrompue, remplie d'animalcules. Et ce supplice dura vingt jours!

De Djeddah à Massoua, la traversée se fit plus rapidement et dans de meilleures conditions. Néanmoins, quand notre voyageur mit le pied sur le rivage abyssin, il y avait deux mois qu'il était en

route; deux mois, il n'en faut guère davantage en 1885 pour faire le tour du monde.

Le souverain du Tigré reçut Gobat à bras ouverts. Malheureusement il mourut quelques mois plus tard, laissant son hôte mêlé à toutes les agitations d'une guerre civile. Le journal de ce premier séjour en Abyssinie a été publié à Ge

circonstance, Gobat fut peut-être trop docile aux instructions données par le comité, ce ne fut pas manque de foi. Il y a, au contraire, dans son journal des exemples admirables de hardiesse et de confiance en Dieu; témoin ce voyage qu'il entreprit à travers des régions désertes, ravagées par la guerre, avec quatorze personnes à nourrir et un écu en

nève, en 1834. On sait donc depuis long-poche. Pure imprudence, dira-t-on. Non temps l'accueil que notre missionnaire trouva à Gondar, capitale de l'Abyssinie; l'influence qu'il exerça sur le clergé ignorant mais sincère de l'Eglise éthiopienne, la popularité que lui acquirent quelques guérisons vraiment miraculeuses dont il fut l'instrument, si bien que, lorsqu'il annonça au bout de trois ans son dessein de retourner en Europe, ce fut dans le pays un deuil général.

Pourquoi donc quittait-il si tôt l'Abyssinie? N'eût-il pas mieux fait de s'y fixer tout de suite, puisque ses enseignements étaient chaque jour plus appréciés, et que déjà des réformes importantes avaient été opérées sous sa direction dans le culte et les pratiques de l'Eglise? Il nous le semble. Mais quoi? Le comité l'avait envoyé pour préparer les voies à la mission, non pour la fonder; sa tâche était accomplie, il crut devoir s'en tenir à la lettre de ses instructions. Au surplus, il n'était pas marié : la vie de garçon lui pesait.

Quoi qu'il en soit des motifs de son brusque départ, lorsqu'il revint, après deux ans, les circonstances politiques avaient changé, l'impression produite par ses discours s'était en partie dissipée. Pour comble, la seconde traversée de la mer Rouge fut fatale à sa santé. Hàtons-nous d'ajouter que si, en cette

pas, car ici les circonstances avaient été plus fortes que toute la sagesse humaine; mais Gobat savait que Celui qui avait nourri Elie au désert ne le laisserait pas manquer du nécessaire; et ce fut, en effet, par une série de miracles que Dieu pourvut à la subsistance de la petite caravane. Nous ne résisterions pas au désir de raconter ce merveilleux épisode, si nous ne savions que les journaux religieux s'en sont déjà emparés, ainsi que de bien d'autres que nous aurions aimé à citer.

Le second séjour que Gobat fit en Abyssinie fut désastreux. C'était en 1836; il était à la fleur de l'âge et avait espéré fournir une longue carrière dans la mission. Cette joie ne lui fut pas accordée. Des attaques répétées de fièvre et de dyssenterie le conduisirent à plusieurs reprises aux portes du tombeau ; et sans la présence et les soins assidus de l'excellente compagne qu'il avait amenée avec lui, il est probable qu'il y aurait succombé.

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Son Maître lui réservait une compensation à cette rude épreuve, et le privilège de travailler de loin à l'évangélisation de l'Abyssinie, avec plus d'autorité et de succès qu'il n'eût pu en espérer dans le pays même. On sait, en effet, qu'il fut appelé, par la confiance des

Eglises épiscopales d'Allemagne et d'Angleterre, à occuper le poste éminent d'évêque anglican à Jérusalem, qu'il honora de son activité apostolique pendant trente-trois ans.

Cette seconde partie de sa carrière est trop connue pour que nous nous y arrê

vingt ans, le docteur Rosen, consul d'Allemagne à Jérusalem, disait à ce sujet :

« L'évêque Gobat n'a pas été seulement pour les protestants, mais pour tous les habitants de Jérusalem, pendant son séjour de plus de trente ans, un lumineux

tions. Elle offre d'ailleurs moins d'inté-exemple d'une vie véritablement chré

rêt, n'ayant pas été, comme la première, racontée par Gobat lui-même.

tienne. Il était dans les choses matérielles d'une probité parfaite, doux envers tout le monde, d'une bonté paternelle, surtout envers les pauvres, d'une prudente et entière véracité dans ses paroles, hospitalier, simple de mœurs, foncièrement éloigné de toute vanité, père et époux fidèle et dévoué. Au premier abord, et avant de le bien connaître, on pouvait le juger un peu froid et trop peut enthousiaste. C'est que Gobat craignait d'éveiller des espérances dont la réalisation pouvait être douteuse, et qu'il était de nature pensif et réfléchi, tout entier à l'accomplissement scrupuleux du devoir et ne prenant feu facilement ni pour les personnes ni pour les entreprises.... Si l'on ajoute que Gobat unissait à une foi enfantine une riche mesure de connaissances théologiques; qu'il parlait avec une égale facilité les trois langues pal-principales des nations civilisées, l'alle

Ce n'est pas à dire qu'elle n'ait été bien remplie et féconde en résultats. Des lecteurs bibliques et des colporteurs parcourant sans cesse le pays, des écoles disséminées un peu partout, à Jérusalem, à Naplouse, à Nazareth, à Tibériade et ailleurs, des hôpitaux pour les Juifs et d'autres pour les lépreux, une maison de diaconesses, un atelier pour les travaux manuels, plus de deux cents Israéätes adultes convertis au christianisme et baptisés par l'évêque lui-même, des missionnaires envoyés en Afrique après un stage à Jérusalem pour y apprendre l'amharique, et par-dessus tout une grande œuvre d'alliance évangélique poursuivie sans relâche jusqu'à la fin, malgré d'infinis obstacles, tels sont les fruits de ce beau ministère.

Nous parlons des fruits visibles, pables, que tout le monde a pu constater; ily faudrait ajouter, si cela était possible, tout le bien que cet homme de Dieu fit autour de lui, l'influence bénie qu'il exerça sur ses alentours, le témoignage éclatant qu'il rendit à son Sauveur, jour après jour, par sa simplicité de vie au sein de l'opulence, par sa bonté et son humilité, par ce parfum de sainteté qui se dégageait de sa manière d'être en toute circonstance. Un homme qui l'a vu à l'œuvre pendant plus de

mand, l'anglais et le français, et cela avec un organe harmonieux et sonore; que sa majestueuse stature et la sereine. dignité empreinte sur son visage avait quelque chose d'imposant, on conviendra qu'à tous égards il était éminemment qualifié pour traverser les difficultés inhérentes à sa haute mission. >>

Gobat s'endormit du dernier sommeil le dimanche 11 mai 1879, après une courte maladie et sans souffrances. Ses dernières paroles sont bien belles; comme

l'un de ses fils lui redisait qu'il n'avait rien à craindre en traversant « la sombre vallée de l'ombre de la mort, » il répondit avec un doux sourire - Il n'y fait pas sombre.

Il avait eu bien des heures ténébreuses

pendant sa longue carrière, si agitée; son Maître lui avait réservé le privilège de la terminer en pleine lumière.

Que je meure de la mort des justes
Et que ma fin soit semblable à la leur !

AUG. GLARDON.

NOUVELLES

Berne.

Echos du tir fédéral. Les anarchistes et l'enquête de l'avocat Muller. Le nouvel évêque de Bâle, Mgr. Fiala, et sa lettre pastorale.

On est heureux, à Berne, que le tir fédéral se soit passé avec ordre et d'une manière généralement très convenable; tout le monde en a admiré l'organisation. Si j'en parle, ce n'est pas pour répéter ce qu'en ont dit les journaux durant une bonne quinzaine : cela suffit satis superque. Je me plais seulement à constater que les orateurs les plus marquants ont parlé en vrais patriotes et non en hommes de parti un esprit de concorde semblait les animer. Jusqu'ici M. Schenk, président actuel du Conseil fédéral, ne nous était connu que comme un radical passionné. Son discours nous a révélé des sentiments nouveaux que nous sommes heureux de constater. Il a reconnu que ses adversaires politiques n'étaient pas des ennemis de la patrie, que dans notre beau pays devaient régner la bienveillance mutuelle et la liberté. Puis il a trouvé des accents måles pour flétrir les principes et les crimes des anarchistes. C'est la première fois que je l'entends se prononcer résolument contre le mal moral : c'est sa première réaction.» Aussi est-ce, à ma connaissance, la première fois qu'un

journal radical s'attaque à lui. Jusqu'ici toute la presse de son parti le soutenait contre vents et marée. Il a suffi de quelques paroles raisonnables et consciencieuses pour commencer à le démonétiser. Ce fait ne laisse pas que d'être instructif.

Le premier dimanche du tir, le culte public a été dérangé, ayant dû avoir lieu à huit heures. J'estime que le comité aurait pu, sans inconvénient, renvoyer à une heure la marche du cortège et nous laisser célébrer sans trouble le service divin.

Le second dimanche, un culte fut célébré sur la place du tir par M. Thellung, pasteur de la cathédrale. On dit qu'environ deux mille personnes des deux sexes se groupèrent autour de l'orateur, dont la voix douce et sonore se fit entendre jusqu'aux derniers rangs. Prenant pour texte le Psaume C, il invita ses auditeurs à se réjouir en Dieu, sous ce beau ciel, en face de ces montagnes sublimes, embrassant dans un sincère amour toutes les peuplades si diverses dont la Providence a composé notre heureuse patrie. Puis il exhorta l'auditoire à une humble reconnaissance envers Dieu qui de siècle en siècle a veillé sur la Suisse : Non point à nous, Seigneur, mais à ton nom donne gloire Loin de nous la vanité nationale; nous ne méconnaissons point les avantages d'autres nations; cependant nous avons bien des sujets particuliers d'actions de gråce. Enfin, dans sa troisième partie, il adresse un appel très sérieux à servir l'Eternel avec fidélité, chacun dans sa maison et dans sa vocation, à se soumettre à sa parole, la lampe de nos pieds, à combattre résolument les ennemis de notre prospérité individuelle et nationale. Bannissons ces ennemis par une piété sincère. Un peuple n'est fort, libre et moral que par la crainte de Dieu. Voyez où l'on en vient, quand on a abandonné Dieu! Entendez-vous les cris de ces forcenés qui ne rêvent que meurtre et pillage! Tenonsnous fermes à l'Evangile de notre Seigneur Jésus-Christ et nous aurons la force de servir

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