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qui assure à l'individu sa nourriture sans dépense de travail, est nuisible, et accompagné par la dégénérescence et la perte des organes.

Les exemples de l'application de cette loi dans le domaine politique et social sont nombreux. Toutes les nations qui ont prématurément passé, ensevelies dans le tombeau creusé par leur propre mollesse; tous ces hommes qui se sont donné des richesses hâtives par des coups de bourse; tous les enfants gâtés de la fortune; toutes les victimes de gros héritages; tous les satellites des rois; tous les mendiants des rues sont de vivants et véridiques témoins des infaillibles rétributions que s'attire le parasitisme.

Mais c'est dans le monde religieux que nous découvrons dans toute leur étendue les ravages causés dans l'âme par les habitudes parasites. Une des choses qui fait éclore celles-ci, c'est la fréquentation du culte.

Aller à l'église est un privilège, un devoir, une grâce. Il est bien entendu que c'est, non cela, mais un abus, que nous attaquons. Voici où nous le voyons.

Le danger d'aller à l'église dépend en grande partie de la forme du culte, mais on peut affirmer que même l'église la plus parfaite met devant tous les adorateurs une plus ou moins grande tentation au parasitisme. Elle consiste essentiellement dans le travail par délégation ou le culte par délégation, inséparable de tout culte d'Eglise. Un homme est mis à part pour préparer une certaine somme de vérité spirituelle à l'usage des autres hommes. Pour lui, s'il est sincère, il recueillera le bénéfice d'un travail original. Il trouve la vérité, la

digère, en est nourri et enrichi, avant de la distribuer à son troupeau. Il nourrira certainement un grand nombre de ses auditeurs. Cependant ils souffriront d'une lacune. La faculté de choisir de première main la vérité et de se l'ap-· proprier est le droit de tout chrétien. Convenablement exercée, elle lui apporte la vérité dans sa fraîcheur; lui donne l'occasion de vérifier les doctrines par lui-même; rend sa religion personnelle; approfondit et fortifie ces convictions honnêtes, qui seules valent la peine d'être approfondies; elle fournit à l'esprit une base certaine en religion. Mais si tout ce que vous avez de vérité, vous en avez été imbibé par l'Eglise, non seulement vos facultés destinées à recevoir la vérité ne se sont pas développées, mais votre notion de la vérité est faussée du tout au tout. Quiconque abandonne la recherche personnelle de la vérité, sous quelque prétexte que ce soit, abandonne la vérité. Le mot même de vérité, devenu la propriété particulière d'une corporation, cesse d'avoir un sens; et la foi, qui ne peut être fondée que sur la vérité, cède la place à la crédulité, qui ne repose que sur une simple opinion.

Cette sorte de parasitisme trouve des encouragements surtout dans les Eglises où toutes les parties du culte sont subordonnées au sermon. Ce qui devrait être un stimulant pour la pensée, en devient le remplaçant. L'auditeur n'apprend pas en réalité, il ne fait qu'écouter. Tandis que la vérité et la connaissance semblent s'accroître, la vie et le caractère sont laissés en arrière. Cette vérité et cette connaissance ne sont qu'un semblant. N'ayant rien coûté,

elles n'aboutissent à rien. L'organisme en arrive à une immobilité croissante, et finalement tombe dans un état de complète dépendance et d'inertie intellectuelle. Le parasite, membre de l'Eglise, << adhérent à la lettre, n'en vient pas seulement à ne plus vivre que dans le cercle des idées de son pasteur, mais à se contenter de ce que son pasteur a ces idées.

D'autre part, lorsque le culte est très liturgique, le danger est plus grave encore. Sans doute un adorateur sincère, l'âme pleine d'une vie jeune et riche, se proposera d'abord de profiter de tout son culte pour développer ses forces spirituelles. Mais il est difficile de rester spirituel, surtout quand l'aide même qu'on croit trouver hors de soi, vous détourne de l'être, et est de connivence avec la chair. Vous êtes intéressé et surpris par toutes les ressources que l'Eglise possède pour tous les besoins de votre nature spirituelle. Deux fois, trois fois par semaine, vous êtes invité à ce banquet. Les pensées sont plus profondes que les vôtres, la foi est plus ardente que la vôtre; le culte, plus solennel; les rites sont plus respectueux et pompeux que votre adoration. Il est tout naturel que vous échangiez peu à peu votre religion personnelle contre celle de l'ensemble; que la religion de tous supplante peu à peu votre religion individuelle; que vous vous contentiez de la chaleur d'âme des autres; que vous soyez tenté de renoncer à la prière en particulier pour la prière publique, plus commode. Le parasite du banc d'église, suspendu avec admiration ou enthousiasme à des lèvres éloquentes, tantôt intéressé par les cérémonies, tantôt calmé

par la musique, jouit de son culte hebdomadaire; et son caractère reste sans changement et sa volonté n'est pas redressée, et son âme informe n'est ni réveillée, ni travaillée.

Nos églises débordent de membres qui ne sont que des consommateurs. Leur seul exercice spirituel est une succion automatique, le clergyman étant le fidèle crabe-ermite sur lequel on compte chaque dimanche pour sa provision hebdomadaire. Un physiologiste signalerait dans l'organisme soumis à ce procédé un « arrêt de développement. » Au lieu d'apprendre à prier, le parasite d'église a assez qu'on prie pour lui. Ses transactions avec l'Eternel sont effectuées par commission. Son travail pour Christ est fait par un délégué payé.

D'autres conséquences de cette sorte de parasitisme ne tardent pas à se montrer. Quand une Eglise se nourrit mal, elle travaille mal. C'est ce qui explique ces centaines de congrégations qui, semaine après semaine, sont prêchées par des hommes de talents et de convictions, et qui cependant font peu ou ne font presque rien dans les différents domaines où doit s'exercer l'activité de l'Eglise. Elles ont une trop bonne nourriture à trop facile compte. C'est une bonté de la Providence qu'elle ait épargné à l'Eglise un trop grand nombre de grands hommes dans ses chaires, mais il n'y a que trop de pasteurs dans les campagnes, tout disposés à se faire les hôtes de beaucoup de chrétiens fort bien constitués du reste, et qui livrés à leurs propres ressources pourraient non seulement se nourrir grassement, mais nourrir leur prochain. Il y a après tout des compensations à un pauvre prédicateur. Lorsque

la pitance est maigre, ceux qui ont vraiment faim se donneront du mal pour trouver eux-mêmes à manger.

La piété parasite a une autre conséquence fâcheuse. On a remarqué que les enfants de parents qui vont à l'Eglise rompent très souvent, dès qu'ils deviennent grands, non seulement avec toute Eglise, mais avec toute religion. Dans certains cas, cela provient assurément d'une perversité naturelle; dans d'autres, c'est, sans nul doute, le résultat du vide des formes extérieures qui passent pour le vrai christianisme. Ces formes men songères se trahissent bientôt. Le peu qu'il y a en elles ne tarde pas à s'apercevoir. Plutôt que de conserver des fictions, notre sceptique en herbe rejette d'abord la forme, puis, neuf fois sur dix, ne prend nul souci de la remplacer. Une religion qui n'est qu'une forme, ne tiendra pas dans notre XIXe siècle. La religion sera vraie, ou ne sera pas. Nous devons renoncer ou à notre parasitisme ou à nos fils.

Passons à la considération du parasitisme produit par certains abus des systèmes théologiques.

Nous ne pouvons pas plus nous passer de la théologie que de l'Eglise. Seulement il la faut à sa place. L'abus que nous avons en vue consiste dans la tendance des communautés orthodoxes, premièrement à placer l'orthodoxie audessus de tous les autres éléments de la religion, et secondement à faire de la possession des saines doctrines l'équivalent de la possession de la vérité.

Les sermons de doctrine ne sont plus, par bonheur, en vogue comme dans le siècle passé, mais ils sont encore nombreux ceux qui n'ont de contact avec

la religion que par l'intermédiaire de formules théologiques. Il ne manque pas de raisons plausibles pour défendre cette manière de faire. Qu'est-ce que la doctrine, si ce n'est la vérité comprimée, systématisée par des hommes capables et pieux? Pourquoi les humbles croyants n'accepteraient-ils pas avec reconnaissance le résultat des réflexions des plus grands? Pourquoi recommencer le travail de ceux-ci? Est-ce que la théologie ne nous donne pas la vérité biblique, sous forme de propositions logiques, certaines, toutes prêtes, toutes coupées et séchées, garanties saines et véritables? Pourquoi ne pas s'en servir?

Précisément parce que c'est tout coupé et séché, tout prêt, mis en propositions certaines, commodes, logiques. Du moment que c'est ainsi que vous vous appropriez la vérité, vous ne vous appropriez qu'une forme. Vous ne pouvez pas couper et sécher la vérité. Vous ne pouvez pas accepter la vérité toute préparée, sans qu'elle cesse de nourrir l'àme à titre de vérité. Vous ne pouvez pas vivre de formules théologiques sans devenir un parasite et sans cesser d'être un homme.

Une Eglise vivante n'a pas de pire ennemi qu'une théologie réduite en formules, celle-ci contrôlant celle-là en vertu d'une autorité traditionnelle. Car alors on n'accepte pas la vérité pour soi, on l'accepte avec la masse. On commence la vie chrétienne, pourvu par son Eglise d'un fonds qui ne vous a rien coûté, et qui, bien que pouvant être conservé une vie durant, a juste autant de valeur que votre foi dans votre Eglise. De plus, on vous donne cette possession de la vérité, si facilement acquise, comme

infaillible. C'est un système. Rien à y ajouter. Prenez garde de ne pas le discuter ou d'en rien retrancher. Lancer un converti dans la vie avec ces principes est dégradant au dernier chef. Toute sa vie, au lieu de marcher du côté de la vérité, il s'en éloignera. Un formulaire infaillible pousse à une foi machinale. Il donne du repos; mais c'est le repos de ce qui est stagnant. On a fait un grand acte de foi au début de sa vie, et on en a fini pour toujours. C'est fait de tout effort intellectuel et spirituel ; et une théologie à bon compte finit par une vie au rabais.

Le motif qui pousse les hommes à chercher un refuge dans l'Eglise romaine, est le même qui les pousse à chercher un refuge dans un chapelet de dogmes. L'infaillibilité répond aux plus intimes désirs de l'homme, mais y répond de la manière la plus désastreuse. Les hommes traitent la faim de la vérité de deux manières premièrement par l'incrédulité, qui tue la faim par la force brutale; ou secondement, en recourant à quelque aliment réputé infaillible, lequel assoupit cette faim en la berçant dans une aveugle foi. Une théologie tout en dogmes produit le même effet que l'infaillibilité. Et la foi massive en un système de cette sorte, quelqu'exact qu'il soit et fût-il même infaillible, n'est pas la foi, quoi qu'on en pense toujours. Ce n'est que de la crédulité. C'est un complaisant et paresseux repos dans l'autorité, et non une acquisition faite avec peine, personnellement. La responsabilité morale est anéantie. Ils avaient leur responsabilité, ceux qui ont composé les trente-neuf articles ou la Confession de Westminster. Et tout ce qui détruit ou déplace la res

ponsabilité, ne peut être que dangereux dans sa tendance morale, et inutile en soi.

On pourrait peut-être objecter que cette description de la paralysie spirituelle et mentale amenée par l'infaillibilité englobe la Bible. Nous répondons que l'infaillibilité de la Bible n'est pas de nature à nous être en tentation. Il y a un abîme entre la forme de la vérité dans la Bible et sa forme dans la théologie.

Dans la théologie, la vérité est sous forme de proposition, ficelée en jolis paquets, systématisée, et arrangée en ordre logique. La trinité est un problème dogmatique compliqué. L'Etre Suprême est discuté dans les termes de la philosophie. L'expiation est une formule qui doit être démontrée comme un théorème d'Euclide. Et la justification doit être traitée comme une question de jurisprudence. Il n'y a pas de lien nécessaire entre ces doctrines et la vie de celui qui les professe. Elles font de lui un ortho{doxe, pas nécessairement un juste. Elles satisfont l'intelligence, mais n'ont pas à toucher le cœur. En deux mots, il n'y a pas besoin qu'un homme, pour être un théologien, soit un homme religieux 1. Il n'y faut qu'un homme sachant raisonner convenablement. Il se met à appliquer sa faculté de raisonner à des sujets théologiques, de la même manière qu'il pourrait les appliquer à l'astronomie ou à la physique.

La vérité dans la Bible est une source. C'est un aliment délayé, délayé de telle

1 Nous nous permettons d'en douter fort. M. Drummond paraît ici subir, beaucoup plus qu'il ne pense, les effets fâcheux de ce sec intellectualisme qu'il combat si bien. (H. M.)

Cela n'est pas exact du vrai théologien. (H. M.)

manière qu'on n'en est pas quitte pour n'en prendre que l'enveloppe. On y arrive non en pensant, mais en agissant. On la voit, on la discerne, on ne la démontre pas. On ne peut l'avaler par un seul acte de déglutition, elle doit être peu à peu absorbée dans l'organisme. Ce que cette vérité a de vague pour la raison pure, ses résistances à être empaquetée dans des phrases portatives, les satisfactions et les regrets qu'elle nous donne à la fois, son atmosphère si vaste, ses rencontres avec nos besoins, la prise qu'elle a sur nous, voilà tout autant de gages de son infinité.

La nature ne pourvoit jamais ni aux besoins matériels ni aux besoins spirituels de l'homme, de façon à ce qu'il puisse simplement accepter automatiquement ses dons. Elle lui donne le blé, mais il doit le moudre. Elle élabore le charbon, mais il doit l'extraire. Le blé est parfait, tous les produits de la nature sont parfaits, mais l'homme a tout à faire à leur égard avant de pouvoir s'en servir. Il en est de même de la vérité; elle est parfaite, infaillible. Mais nous ne pouvons pas l'utiliser telle quelle. Nous devons travailler, penser, séparer, dissoudre, absorber, digérer; et la plupart de ces choses doivent se faire par nousmêmes et en nous-mêmes. On va nous dire que c'est précisément ce que fait la théologie. Nous répondons que c'est précisément ce qu'elle ne fait pas. Elle ne fait que ce que fait le marchand de fruits quand il range ses pommes et ses prunes à sa vitrine. Il me dira la différence entre un « magnum bonum et une Victoria; entre une Baldwin et une Newtown Pippin. » Mais il ne m'aidera pas à les manger. Ses renseignements

sont utiles, et essentiels pour l'horticulture scientifique. Nous serions bien aise de pouvoir lui renvoyer le pomologue sceptique qui nierait l'existence d'une << Baldwin » ou la prendrait pour une << Newtown Pippin ; » mais si nous avions faim, et qu'un verger fût à notre disposition, nous n'irions pas déranger notre homme. La vérité dans la Bible est un verger plutôt qu'un musée. La dogmatique nous sera d'un grand prix, quand les nécessités scientifiques nous conduiront au musée. La critique nous servira à veiller à ce que seuls des arbres fruitiers poussent dans le verger. Mais la vérité sous la forme de doctrine n'est pas l'aliment naturel, propre, assimilable pour l'âme humaine.

Est-ce que nous plaidons en faveur du doute? Oui, de ce doute philosophique, qui prouve qu'une faculté est à son ouvrage. Il est plus nécessaire pour nous d'être laborieux que d'être orthodoxes. Nous voulons certes être orthodoxes, mais nous n'y pouvons vraiment atteindre qu'en étant honnêtes, nousmêmes, en voyant par nos propres yeux, en croyant de notre cœur à nous. Mieux vaut être brûlé sur le bûcher de l'opinion publique que de vivre la mort vivante du parasitisme. Mieux vaut une théologie erronée qu'un organisme atrophié. Mieux vaut une petite foi chèrement gagnée, mieux vaut être lancé seul sur les méandres infinis de la vérité, que de périr dans la luxurieuse abondance de plus riches credo. Un tel doute n'est pas une présomption capricieuse. Et, bien employé, il ne sera point le synonyme de tristesse, comme l'est souvent le doute. Il tend à une étude aussi longue que la vie, prête à tous les sacrifices de

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