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dans les vastes corridors et sont nourris par la charité des pères.

Le collège occupe la partie orientale du couvent. Ses salles sont bien aménagées, d'une propreté minutieuse. Il dispose d'une riche collection de minéraux et d'un cabinet de physique. La bibliothèque renferme beaucoup de manuscrits sur parchemin, d'incunables, la légende de saint Meinrad, conservée dans des cadres en bois sculpté, de nombreuses curiosités d'archéologie ecclésiastique.

que l'abbaye a perdu il n'y a pas longtemps, était un véritable artiste, fort savant dans l'histoire de la musique ecclésiastique. Ses trente cantiques en l'honneur de Marie, sont vraiment remarquables. On apprécie fort son livre sur l'école de chant de Saint-Gall du VIII au XIe siècle. Le père Brandis a publié la bibliothèque des bénédictins; l'université de Vienne lui a envoyé le diplôme de docteur en théologie. Le même honneur a été accordé par celle de Fribourg en Brisgau, au prédécesseur de l'abbé actuel. Les pères Gall

Les appartements des religieux et le séminaire comprennent la partie occi-Morel, Kühne, Rohner ne sont pas des

dentale des constructions. Tout est là d'un confortable sans luxe, élégant à force de propreté. Nous rencontrons dans les corridors quelques pères, personnages graves, à l'air recueilli, aut regard fin, à la tenue digne, qui satisfont, du reste, notre curiosité, avec beaucoup d'obligeance. Ils nous conduisent dans la vaste salle de réception, où deux tableaux de grande dimension font pendant. Ils ont pour sujet : l'un, saint Meinrad prêchant sur l'Etzel, l'autre, la donation de la statue miraculeuse, faite au saint, par l'abbesse du Frauenmünster de Zurich. Cette salle est également or

hommes ordinaires.

Lorsqu'il rencontre ces hommes distingués, respectables, sincèrement amis du bien, après avoir assisté aux scènes qui se passent à l'entrée, ou sous les voûtes de leurs églises, tout protestant se posera cette question: comment ces prêtres peuvent-ils non seulement supporter, mais favoriser cette piété superstitieuse et grossière? La seule réponse possible est que, l'autorité de l'Eglise étant pour eux la pierre angulaire de la religion, tout ce qui la maintient et l'augmente, trouve à leurs yeux, par là

née de portraits donnés par les princi-même, sa raison d'être et sa justifica

paux souverains de l'Europe, ceux de Pie IX, de Napoléon III, des empereurs d'Autriche et d'Allemagne. Décidément, le roi de Prusse en tient pour les bénédictins, et l'on doit se souvenir qu'à son intervention et à celle de M. Gladstone, le berceau de l'ordre, le mont Cassin, doit d'avoir été, sinon officiellement, du moins officieusement conservé.

L'étude fleurit à Einsiedeln, comme au Mont-Cassin. Le maître de chapelle,

tion. La fin justifie les moyens, aucune parole n'est plus catholique.

Je reprends le chemin de fer; quelques-uns des cléricaux français que j'ai rencontrés s'en retournent, dans le même wagon. L'un d'eux avale des pastilles, avec la componction des gens que j'ai vus, à Cava dei Tirreni, absorber des bonbons d'édification, sur lesquels étaient écrites des prières. Un jeune

homme, à la grande jubilation d'une vieille dame qu'il accompagne, critique sévèrement un voisin de campagne lequel ne pratique pas. De temps en temps on lève les yeux au ciel, en proclamant les - mérites de la Vierge noire et le réussi de la solennité. Ce bavardage clérical m'ennuie, je descends avec plaisir à Rueschlikon pour remonter au Niedelbad.

Là, chaque dimanche, la cloche du village voisin appelle les fidèles dans une vieille église à vitraux. La parole du prédicateur, profondément chrétienne, chaleureuse et originale comme toute conviction personnelle, édifie l'auditoire et répand l'action bienfaisante de l'Evangile de vérité. Topographiquement, on se trouve à quelques lieues d'Einsiedeln: spirituellement, la distance est bien autrement grande.

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menu tout ce qu'on a fait pour devenir grand homme, et tout ce qu'on éprouve quand on l'est devenu. Pour Adolphe Monod, la curiosité était plus respectable que d'ordinaire. On savait que toute révélation à son sujet serait édifiante, et qu'il y aurait tout profit pour des chrétiens à méditer dans l'intimité d'un tel homme de Dieu. A ce point de vue, l'attente trop longue n'a pas été trompée, et ces volumes feront du bien.

Peut-être cependant aurait-il mieux valu qu'ils fussent autre chose qu'un recueil de lettres reliées ensemble par quelques notes. Adolphe Monod est mort en 1856; ceux qui l'ont vraiment connu sont peu nombreux maintenant; les idées, les émotions d'alors ne sont qu'à demi-comprises aujourd'hui; il aurait été bon qu'un fin lettré, comme celui qui a donné la Vie d'Alexandre Vinet, pût faire revivre Adolphe Monod. Mais non; cette exigence ne viendrait-elle pas de la paresse? Le lecteur fera mieux de relire les matériaux qu'on lui fournit si largement, et lui-même, en se recueillant, pourra évoquer ce passé si récent et pourtant si lointain. Nous nous contenterons, pour ce qui nous concerne, de signaler quelques points importants.

I

C'est la conversion d'Adolphe Monod qui nous a le plus intéressé. Car, on se convertissait en l'an de grâce 1827! « La Parole de l'Eternel était rare en ces jours-là, et les visions n'étaient pas communes. » Le nombre des pasteurs évangéliques était fort restreint; les Sociétés religieuses n'existaient pas; un comité pour la propagation de la Bible avait à se faire pardonner l'audace de

ses innovations; tout frémissement de

achevé de la perfection chrétienne.

vie religieuse passait pour de l'enthou-Adolphe Monod n'aurait eu qu'à se lais

siasme, et l'on croyait tout dit lorsqu'on avait qualifié de « méthodiste >> ou de << mômier » ces imprudents qui osaient parler de justification par la foi, ou changer en plaidoierie fanatique le calme divin d'une prédication académique et vide. Oui, certes, dans ce temps-là, pour être chrétien, il fallait se convertir; toute vie religieuse s'annonçait comme une rupture avec le passé. Aujourd'hui les nouveautés d'alors sont devenues quelque peu vieilles ; pour croire à la justification par la foi, à l'expiation par le sang de Christ, il suffit de conserver les souvenirs d'enfance, de répéter les formules convenues. La nécessité de la conversion s'impose sans doute à toute conscience réveillée, mais l'intelligence n'y a plus la large part qu'elle a nécessairement aux époques de réveil. Pour vivre intellectuellement, notre jeunesse académique serait plutôt tentée de se « déconvertir. »

La conversion d'Adolphe Monod fut donc intellectuelle pour une large part, c'est-à-dire qu'elle fut un changement de croyances autant qu'un changement de sentiment. Elevé dans la famille de son père, Jean Monod, pasteur à Paris, au milieu de l'austérité huguenote tout imprégnée pourtant de littérature et de bonté, il ne changea guère de milieu en se retrouvant à Genève sous les soins des Cellérier et des Duby.

L'académie de Genève cultivait alors le sermon élégant et la vie de bon ton ; ces vertus moyennes, aimables et utiles, que Topfer a célébrées dans son Presbytère, y apparaissaient, incarnées dans des hommes de bien, comme le modèle

ser faire pour être l'un de ces hommes aimables et accomplis. Par malheur pour son repos, il avait rencontré Louis Gaussen et Thomas Erskine. Il a le loisir de comparer, et la comparaison le trouble. Il écrit en octobre 1823 :

Si tu savais comme j'ai des dispositions à l'orthodoxie! Il y a chez ces gens-là un sérieux, un zèle, un dévouement, une convietion qui me frappe, me fait douter de ma piété, me fait honte de ma froideur, me fait

craindre d'être dans l'erreur. Je veux laisser de côté toute considération humaine, prendre l'Ecriture, mon cœur et ma conscience et i juger. (I, 37.)

En 1825, Monod est consacré; il est rentré à Paris, a fait un séjour en Angleterre, auprès de sa sœur, Mme Babut, auprès de son ami, Charles Scholl, alors pasteur de l'Eglise française à Londres. Dans cette société, son point de vue achève de se modifier; il veut « prendre le milieu entre l'orthodoxie rigoureuse et l'excès opposé. »

Par excès opposé, je n'entends pas le rationalisme, que la mauvaise foi toute seule ou une excessive prévention a pu croire trouver à Genève; mais j'entends le christianisme de la vieille Compagnie, pur et moral à un haut degré, mais si je l'ose dire, pas assez humble, pas assez spirituel, ne donnant pas assez de place à l'action du Saint-Esprit, c'està-dire de Dieu sur l'homme, ne mettant pas assez en avant cette règle fondamentale du devoir, de faire la volonté de Dieu, » n'insistant pas assez sur la corruption de l'homme, sur la nécessité d'un changement entier dans ses dispositions, sur l'autorité divine et infaillible de l'Ecriture sainte et surtout du Nouveau Testament, et enfin ne parlant pas assez de Jésus-Christ, de l'amour que nous lui devons, de son exemple, de la rédemption si incompréhensible, mais si clairement et si fréquemment enseignée dans le Nouveau Testament. En toutes ces choses, le christia

nisme du plus grand nombre des membres de la compagnie ne me satisfait pas entièrement; il est vrai que les pasteurs dont je parle traitent quelquefois ces sujets en chaire; mais, alors même, c'est plutôt comme une sorte de concession qu'ils font à l'orthodoxie que comme des choses qu'ils s'appliquent et qu'ils veulent appliquer à leurs auditeurs; et ils semblent avouer certains dogmes plutôt que de les sentir. (I, 66.)

On le voit, il se faisait chez Monod un travail parallèle de l'intelligence et du cœur. Il entrevoyait que la manière orthodoxe de comprendre les vérités chrétiennes est la seule manière de les sentir. Pendant son ministère à Naples, en 1827, il fait un pas de plus :

Vous seriez étonnée, si vous m'entendiez, de trouver ma prédication plus évangélique qu'autrefois. C'est que, dans l'incertitude de mes opinions, j'ai cru que le plus sûr était de me tenir le plus près possible de l'Evangile, et de consulter moins mes opinions que ses enseignements. (I, 90.)

Et plus tard :

Je crois que je finirai par être chrétien et même orthodoxe. Car aujourd'hui que, n'étant ni l'un ni l'autre, je juge avec impartiatialité, je trouve l'orthodoxie dans l'Evangile, sauf pour ce qui concerne la nature de JésusChrist. L'Evangile, sur ce point, n'est ni arien ni orthodoxe il ne décide point. (I, 94.)

C'est ainsi que son intelligence allait vers les vérités évangéliques, quoique avec quelque effort et des incertitudes. Enfermé entre l'incrédulité complète ou la soumission complète à la parole de Dieu, il ne peut trouver le repos dans aucun terme moyen.

Du reste, il était bien entouré. Longtemps après, pendant la dernière maladie, il écrivait ces lignes touchantes : 1er décembre 1855. Il y a trois amis dont j'aime à associer les noms pour la part considérable qu'ils ont eue tous trois, en des temps et à des titres divers, à la conversion

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de mon âme. Je veux leur rendre témoignage de ma reconnaissance, aujourd'hui que je m'attends à passer bientôt de ce monde au Père, et que je puise toutes mes consolations dans la foi qu'ils m'ont apprise. Ce sont Louis Gaussen, Charles Scholl et Thomas Erskine. (II, 438.)

Le lecteur qui désire plus d'éclaircissements sur ce point, trouvera de longs et intéressants détails sur les conversations théologiques de Thomas Erskine et d'Adolphe Monod dans le premier volume, pag. 96 à 117. Mais, à cette lecture, il verra qu'il s'agissait de bien autre chose que de théologie, et que les deux amis cherchaient seulement à comprendre leurs sentiments pieux, et à leur donner une direction vraie, en les formulant correctement.

II

C'est qu'en effet Adolphe Monod ne cherchait pas un utile amusement intellectuel il y allait de sa paix et, dans un sens plus poignant que pour d'autres, du salut de son âme, pour la vie présente, autant que pour l'éternité. Il écrit à Gaussen en 1826:

Tu sais peut-être que, depuis l'âge de dixhuit à dix-neuf ans, j'ai été sous l'empire d'une imagination triste et capricieuse, qui, plus ou moins active, selon mes occupations et l'état de mon esprit, a toujours plus ou moins paralysé mes facultés, troublé mon bonheur, et arrêté les progrès de l'Evangile et de la piété dans mon cœur.... Je crus surtout voir la main de Dieu, l'assurance de son secours et le commencement de ma conversion à la raison et à la piété, quand je trouvai au bout de mon voyage une place de pasteur: où? à Naples ! Mais, hélas! tout le contraire de ce que j'espérais est arrivé. Mon inexpérience, mon ignorance, la faiblesse de ma foi, la conversation des incrédules, et, plus que tout le reste, l'inquiétude originelle de mon esprit, tout cela a ébranlé ma croyance.... Je pris le

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saire, de prêcher ce que l'Evangile enseigne, sans considérer si je le croyais ou si je ne le croyais pas. Je crus que cette résolution était le terme de mes agitations. Je me trompais. C'était plutôt le commencement d'agitations plus cruelles. J'étais tombé de l'incrédulité de l'esprit dans celle du cœur....

...Ayant vainement tourné vers Dieu mes mains suppliantes et mes yeux en larmes, qui ne m'obtenaient ou ne me semblaient obtenir de lui aucun encouragement, aucune lumière, aucune consolation; et que sert d'énumérer toutes mes faiblesses, les connais-je seulement toutes ? En un mot, ma disposition noire et insensée m'a repris, m'a si bien subjugué, que j'ai fini par la croire irrésistible. J'ai céssé de croire à la force de ma volonté; j'ai même cessé de croire que Dieu m'aime, ne pouvant concilier avec la bonté cet irrésistible ascendant qui étouffe mon bonheur, mes facultés, ma conscience elle-même et ma piété, sous le fanatisme de mon imagination. Je sais que cette position, à l'horreur de laquelle je ne m'accoutumerai jamais, ne peut durer toujours, et j'entrevois dans l'avenir, loin dans l'avenir, ma conversion à l'Evangile. Je sais que j'ai une volonté, que Dieu ne repousse personne de ceux qui veulent venir à lui; je le sais, mais je ne le crois pas, je ne le sens pas; et si, dans les connaissances humaines, savoir est plus que croire et que sentir, en religion, croire et sentir est plus que savoir. (II, 8-11.)

Pour quiconque s'est occupé des âmes mélancoliques comme celle d'Adolphe Monod, parlons mieux, pour quiconque a connu les heures de découragement et de fatigue morale, il est évident qu'à ces états maladifs et douloureux il n'y a qu'un remède la foi en une promesse divine.

Puisque je sens le bonheur et l'ordre, et qu'ainsi ils doivent être quelque part, que je ne puis les trouver hors de la Bible, et que tant de gens les trouvent dans la Bible, je les chercherai dans la Bible. Il n'y a qu'une influence extérieure qui puisse me changer. La réflexion n'y peut rien; car pour débrouiller mes pensées, il me faudrait des siècles... Et

quand je pourrais les éclaircir, je puis douter de la réflexion même. Il faut donc une action extérieure pour me changer. (I, 97.)

C'est bien cela; enlizée dans les bourbiers de la vie, ne trouvant aucun point d'appui solide en soi-même ou chez les hommes, non plus que dans les objets d'ici-bas, l'âme désolée reconnait un point d'appui suffisant dans une vérité révélée en dehors d'elle-même; elle s'y attache par l'intelligence et puis s'en saisit par le cœur. Il est de mode de nos jours de réduire à rien ce rôle de l'intelligence; mais, en fait, toute expérience chrétienne contient ce double élément, et le plus souvent dans ce même ordre: : la croyance précède et prépare la confiance et l'amour. Comme aussi, plus tard, la confiance sentira le besoin de se formuler en une croyance objective et précise.

Mais laissons parler encore Adolphe Monod dans une lettre à sa sœur, le 14 août 1827.

Je me ressouvins de la promesse du SaintEsprit; et ce que les déclarations si positives de l'Evangile n'avaient pu me persuader, l'apprenant de la nécessité, je crus, pour la première fois de ma vie, à cette promesse, dans le seul sens selon lequel elle pouvait répondre le mieux aux besoins de mon âme, dans celui d'une action réelle, extérieure, surnaturelle, capable et de me donner et de m'ôter des sentiments et des pensées, et exer. cée sur moi par un Dieu maître de mon cœur, aussi véritablement qu'il l'est de la nature.... Renonçant à tout mérite, à toute force, à toute ressource personnelle, et ne me reconnaissant de titre à la miséricorde que ma misère, je lui ai demandé son esprit, pour changer le mien. Depuis ce jour, dont il y a plus de trois semaines, je n'ai point eu de retour à la mélancolie; c'est qu'auparavant j'étais sans Dieu, et chargé moi-même de mon bonheur, et maintenant j'ai un Dieu qui s'en est chargé pour moi. Cela me suffit. (I, 119, 120.)

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