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principale. N'importe ! il aurait été dans son rôle, et nous ajouterons dans son droit et dans son devoir. Car enfin ce n'est pas un livre sur Jésus qu'il a offert à ses lecteurs reconnaissants, c'est un livre sur l'époque de Jésus, sur le milieu dans lequel il a vécu.

siècles de notre ère soit déjà applicable au Ier siècle? Et quant à l'historien Josephe, il faut avouer que cette qualification « d'historien » qui accompagne son nom d'une façon quasi-stéréotype, est presque une ironie. Nous n'avons pas l'habitude d'accoler toujours au nom de Thucydide ou de Tacite l'épithète « d'historien. » Pourquoi donc cet excès d'honneur quand il s'agit de Flavius Josèphe? Est-il donc l'historien par excellence? Certes non ! mais sa bonne étoile a voulu que, pour le distinguer d'autres personnages de même nom, à commencer sans doute par Joseph, fils de Jacob, on lui infligeàt ce titre hono

Avant nous déjà, plusieurs critiques ont fait leurs réserves au sujet de ce dernier chapitre et y ont signalé une conception contestable et défectueuse, et d'importantes lacunes que nous regrettons. Nous pensons toutefois que, moins limité par l'espace, M. Stapfer n'eût pas au même degré prêté le flanc à ces reproches. On lui a fait observer, avec raison selon nous, qu'il est impossiblerable un peu lourd à porter. M. Stapfer

de définir simplement l'œuvre de Jésus une réaction, une protestation. Ici encore nous supposons que, dans son désir d'être bref, l'auteur a employé une expression trop exclusive. Il n'a sans doute pas voulu dire que l'enseignement de Jésus a été seulement une réaction, et que ce terme puisse le définir complètement. Selon toute apparence, il a cherché à faire ressortir qu'étant donné le milieu ambiant Jésus a dû réagir fortement contre le formalisme, le particularisme du peuple juif, et ceci, pensonsnous, lui sera facilement accordé.

Les sources dont a usé M. Stapfer sont, comme on devait s'y attendre, outre le Nouveau Testament, le Talmud d'une part et l'historien Josèphe d'autre part. Le Talmud n'est pas une source facile à consulter, et son emploi exige de grandes précautions vu sa composition graduelle, lente et successive, toute impersonnelle et sans date précise. Comment garantir que telle indication talmudique, vraie quant aux IIIe et IVe

va même une fois jusqu'à l'appeler le « grand » historien juif. (Pag. 4.) Il est vrai qu'ailleurs, il ne lui ménage pas les critiques : « Il n'a pas assez de talent pour peindre les événements sous leur vrai jour.» (Pag. 13.) « Il se montre médiocre historien.» (Pag. 13.) « Il est certainement peu intéressant; vaniteux et prétentieux, il a le tort de se prendre sérieusement pour un grand écrivain. » (Pag. 18.) M. Stapfer parle encore de «sa grande bonne foi et de son étonnante crédulité, de son universelle et inépuisable indulgence. » (Pag. 353.)

Nous n'avons point l'intention de faire ici une analyse de l'ouvrage de M. Stapfer, pas plus que nous ne voulons relever avec éloge tout ce qui nous paraîtrait mériter une mention flatteuse. Nous pensons que beaucoup de nos lecteurs, si ce n'est tous, savent déjà à quoi s'en tenir à ce sujet, soit qu'ils aient étudié le livre même, soit qu'ils en aient lu quelque compte rendu. Nous désirerions consacrer la fin de cet article à mettre

en relief une des grandes utilités d'un ouvrage comme celui qui vient d'enrichir notre littérature théologique. Il sert à faire ressortir d'une façon frappante la distinction profonde qu'il faut établir entre le peuple israélite et le peuple juif, entre les contemporains des prophètes et les contemporains du Christ, entre la nation de l'ancienne Alliance et ses descenlants du premier siècle de notre ère. Sans doute, la réflexion peut conduire out lecteur attentif de la Bible à faire cerlaines remarques et à formuler certaines conclusions dans ce sens; sans doute, il est des modifications tellement évilentes qu'elles sautent aux yeux de chacun. Et pourtant nous ne croyons pas nous tromper, en affirmant qu'on ne réalise pas assez généralement la transformation radicale qui s'était opérée en Israël entre le temps d'Esdras et l'époque de Jésus-Christ.

Donnons-en quelques exemples. Dans les anciens âges, en Israël, la division en tribus joue un rôle prépondérant. La période des Juges serait inintelligible si on ne tenait compte de ces diversités, qui entraînent des rivalités et qui finissent par favoriser, après la mort de Salomon, le schisme définitif, la séparation d'Israël en deux royaumes. Cette distinction s'efface ensuite : déjà à peu près oubliée au retour de l'exil, elle s'atténue et disparaît tout à fait. C'est un pur effet du hasard qui nous apprend que saint Paul était benjamite et Anne la prophétesse de la tribu d'Aser. Nous ignorons la tribu de saint Pierre. Mais ceci n'est rien encore au sein de l'ancien peuple d'Israël, il y a un roi, il y a des princes, il y a les anciens du peuple, il y a les prêtres et les lévites, il y a les prophètes.

Que sont devenues ces diverses catégories sociales? elles se sont profondément modifiées au temps de Jésus-Christ, non pas seulement sous l'influence des événements politiques, mais aussi sous celle de l'évolution religieuse. Le souverain sacerdoce est devenu une fonction éphémère, parfois acquise à prix d'argent. Il est curieux de noter que la mention d'un lévite ne se trouve que deux fois dans tout le Nouveau Testament (Luc X, 32; Actes IV, 36). En revanche, les scribes et les docteurs de la loi occupent la place d'honneur et jouent un rôle prépondérant. C'est à peine si les scribes sont nommés dans l'Ancien Testament, car si le mot sopher est employé dans 2 Sam. VIII, 17; XX, 25; 2 Rois XII, 10; XIX, 2; XXII, 3, c'est pour désigner de hauts fonctionnaires politiques. Reste donc uniquement l'exemple d'Esdras le scribe, et, en effet, c'est bien de ce personnage qu'il faut faire dater la première apparition du nouvel ordre de choses qui ressemble si peu à l'Israël d'avant l'exil. C'est aussi de la restauration que date l'usage des synagogues, qui bientôt couvrent toute la Palestine et s'étendent dans le monde entier, partout où a pénétré une colonie judaïque. Bientôt leur influence contre-balance celle du temple, et peu à peu on peut dire que le centre de gravité du culte juif s'est déplacé. << Dans quelques années, dit M. Stapfer, après la catastrophe de l'an 70, il n'y aura plus ni temple, ni saducéens, mais il y aura encore des synagogues et des pharisiens, cela suffira. Le judaïsme subsistera tout entier. » (Pag. 384.)

Nous avons nommé les pharisiens et les saducéens. Voilà encore un de ces faits nouveaux, qui tiennent une si

grande place dans l'histoire de Jésus et de ses contemporains. On chercherait vainement dans l'Israël antique l'analogie de cette division du peuple en deux partis, ayant chacun son programme, ses principes et ses aspirations. Les pages que M. Stapfer consacre à décrire ces deux grandes fractions du peuple juif sont parmi les plus instructives et les plus intéressantes de son volume. Ce qui ne manquera pas non plus de rendre service, c'est l'indication des dissensions qui se produisaient entre pharisiens et pharisiens, ce parti ayant sa droite et sa gauche, ses opportunistes et ses intransigeants. « Les Hillélistes et les Schammaïstes furent entre eux plus acharnés encore que les pharisiens et les saducéens.... Les simples nuances qui séparaient les partisans d'Hillel de ceux de Schammaï créaient entre eux des scissions beaucoup plus profondes que s'ils avaient en toutes choses pensé différemment. L'Hilléliste méprisait le saducéen, devenu presque infidèle. Il ne lui semblait plus même mériter d'être discuté; mais le Schammaïste qui, à ses yeux, était encore fidèle, mais égaré, lui paraissait bien autrement dangereux. >> (Pag. 289-290.) Ces divisions intestines du parti pharisien peuvent servir à expliquer certains traits de l'histoire évan gélique et apostolique; tous les pharisiens n'étaient pas coulés sur le même moule. Quant à leur animadversion réciproque, elle s'explique aisément, et c'est là un fait de psychologie expérimentale dont l'histoire de l'Eglise offre de nombreux échantillons.

L'influence des pharisiens sur l'ensemble de leurs compatriotes marche de pair avec l'importance excessive

donnée, au temps de Jésus-Christ, aux rites et aux observances. Il n'est pas un lecteur du Nouveau Testament qui n'ait présent à l'esprit ces occasions multiples dans lesquelles le Seigneur se trouve en conflit avec ses concitoyens a propos de quelque forme de pureté légale, de quelque ablution négligée ou de quelque prescription relative au sabbat on au Jeûne. Eh bien ! l'Ancien Testament se montre en tous ces points d'une so briété étonnante, et à laquelle on ne rend pas suffisamment justice d'ordinaire. En fait d'ablutions, l'ancienne Alliance connaît certainement quelques rites de purification, mais qui ne constituaient pas la monnaie courante de l'existence. Prenez, au contraire, le juif contemporain de Jésus, prenez surtout le pharisien strict! sa vie n'est qu'une ablution sans cesse renouvelée. L'Ancien Testament parle parfois du jeune comme d'un acte pieux purement volontaire, revêtant même un caractère d'exception; dans les pages du Nouveau Testament, nous voyons constamment la mention du jeûne, devenu institution régulière et pour ainsi dire constante. (Le seul cas déterminé de jeûne prévu par la loi était celui du jour des expiations.)

Enfin, quant au sabbat, l'Ecriture sainte de l'ancienne Alliance avait, il est vrai, énoncé fortement le principe essentiel, fondamental. Mais de là à cette multiplicité d'ordonnances méticuleuses, prévoyant les cas les plus invraisemblables, il y a un abime. Voyez ce que dit M. Stapfer (pag. 335), des trenteneuf espèces de travaux interdits par le Talmud pour le jour du sabbat. Vous y lirez, entre autres, avec un certain étonnement, que, ce jour-là, il était in

terdit de saler une pièce de gibier et d'effacer deux lettres de l'alphabet. Pour arriver à un semblable degré de minutie, il faut être imbu d'un formalisme qu'on peut bien qualifier de désespéré.

compte-rendu, tant nous trouvons de plaisir à passer en revue successivement, sous la direction d'un guide si compétent, les nombreux traits caractéristiques de la vie des Juifs au temps de notre Sauveur. Il n'est pas de chapitre dans le volume de M. Stapfer qui n'ait son intérêt, quelque divers que soient les sujets traités. Qu'il s'agisse des habitations ou des idées philosophiques des pharisiens et des saducéens, de la synagogue ou d'Hillel et de Schammaï, toujours il y a abondamment à glaner, et sans cesse surgissent des aperçus qui éclairent pour le lecteur attentif telle ou telle partie des écrits du Nouveau Testament.

Ce mot de formalisme ou de légalisme nous semble caractériser en somme de la façon la plus juste et la plus complète l'état religieux des Juifs au temps du Sauveur. «Chaque cas particulier donne lui-même naissance à une foule de cas plus spéciaux encore, et ceux-ci à leur tour sont l'origine de nouveaux détails. Ici, comme partout, c'est le même principe judaïque qui est appliqué : la loi est commentée, et ce commentaire est expliqué à son tour, en attendant que l'explication donnée ait elle-même besoin d'être développée et précisée, et ainsi de suite à l'infini. L'origine de toutes ces prescriptions est le désir de faire ce que la loi ordonne. Peu importe le bien ou le mal considérés en eux-mêmes; la question est toujours: Qu'est-il permis? Qu'est-il défendu ? » (Pag. 358.) Et ail-national, d'une couleur nettement mar

:

leurs « Les Juifs ne savaient ce que c'était que le péché. Pécher, c'était retenir une partie de la dime, c'était écrire plus de deux lettres le jour du sabbat, c'était ne pas réciter exactement les prières prescrites, car toutes ces minuties devaient être observées aussi scrupuleusement que les préceptes les plus sacrés de la morale éternelle. » (Pag. 356.) On comprend que M. Stapfer se sente pressé de rappeler la parole de saint Paul (Rom. X, 2): « Ils ont du zèle pour Dieu, mais ils n'ont pas de Connaissance.» (Pag. 350.)

Si nous écoutions nos propres, désirs, nous allongerions indéfiniment ce

C'est là, en somme, la grande utilité de cet ouvrage il aide à comprendre l'Evangile; non pas que l'Evangile, dans ses vérités fondamentales, ait besoin du livre de M. Stapfer ou d'un manuel analogue pour être compréhensible et pour être compris, mais l'Evangile se présente à nous revêtu d'un certain cachet

quée, avec des détails qui ont leur raison d'être locale et temporelle: voilà ce que la Palestine au temps de JésusChrist nous aide à apprécier et à saisir. Remercions-en M. Stapfer, souhaitonslui bon courage et persévérance dans ses savants travaux, et persuadons-nous qu'en étudiant plus attentivement le cadre qui entoure la figure du Sauveur, nous verrons le portrait du Maître nous apparaître aussi plus nettement et nous attirer toujours davantage.

Ajoutons, en terminant, que le livre de M. Stapfer est d'une lecture agréable et même captivante; il n'a rien de la lourdeur de certains manuels, pleins d'érudition peut-être, mais qu'on se

contente de feuilleter comme des dictionnaires. Rendons-lui aussi le témoignage qu'il n'y a chez lui aucun parti pris, ni pour ni contre le judaïsme. L'antisémitisme n'y laissé aucune trace, ni positive ni négative. En revanche on peut dire que c'est dans son ensemble un ouvrage apologétique, dans le sens le plus large et le meilleur de ce terme (voir pag. 25).

LUCIEN GAUTIER.

NOUVELLES

Vaud.

Le synode de l'Eglise évangélique libre.
26-28 mai 1885.

La quarante-cinquième session du synode de l'Eglise évangélique libre du canton de Vaud s'est ouverte à Lausanne, le mardi 26 mai, dans la chapelle des Terreaux, par une remarquable prédication de M. Budry, pasteur à Cully, sur Actes IV, 23-31.

Notre époque est, à bien des égards, une époque de réveil religieux, dit le prédicateur, mais plus l'Eglise sera fidèle, plus la lutte entre la lumière et les ténèbres s'accusera avec force et åpreté. En présence des temps sérieux qui se préparent, prenons exemple sur l'Eglise apostolique. Les disciples du Christ, en face de la persécution, ont prié : c'est quand les chambres hautes prient que l'esprit de Dieu souffle; la prière des disciples n'a rien d'égoïste, ils ne réclament pas de Dieu qu'il fasse cesser la persécution, mais ils intercèdent en faveur de l'avancement de son règne; par le fait que les disciples ne recherchent pas leur intérêt propre, mais les intérêts supérieurs de la cause divine, ils peuvent prier d'un commun accord. Dieu leur a aussitôt répondu en répandant son Esprit sur eux tous et en leur donnant cet Esprit, non par mesure mais avec abon

dance. La conduite des apôtres est un salutaire exemple; la réponse divine, un puissant encouragement pour l'Eglise de tous les temps.

Le synode est entré en fonctions en nommant son bureau pour les années 1885-1887. M. le professeur Lucien Gautier a été élu président du synode, MM. Auguste Bonnard, pasteur, et de Saint-George, vice-présidents. Avant d'ouvrir les débats, le président a rappelé en termes émus les noms des pasteurs et anciens de notre Eglise entrés dans le repos du ciel durant l'année dernière: MM. Michel Ruchonnet, le doyen des pasteurs de l'Eglise, Ls Monastier, Ls Germond, La Leresche, L Exchaquet, ancien de l'Eglise d'Aubonne, et d'autres encore.

Avant de passer à l'audition et à la discussion des rapports des diverses commissions administratives, le synode devait trancher une question préliminaire. Conserveraiton, pour la nomination des membres de nos commissions, le vote à main levée, pratiqué de tout temps dans nos synodes, ou bien voulait-on lui substituer le scrutin secret, proposé l'an dernier dans le but de donner aux votants plus de liberté? La Commission synodale, chargée par le synode précédent d'étudier la question, a présenté un rapport à ce sujet par l'organe de M. le professeur Porret. Ce rapport, après avoir fait ressortir avec impartialité les avantages et les inconvé nients des deux systèmes, concluait à l'adoption du scrutin secret pour un an, à titre d'essai. Après une courte discussion où personne ne soutint le principe même de l'innovation, le synode, à la presque unanimité, a décidé de ne point tenter cet essai et de conserver le vote à main levée, plus pratique parce qu'il est plus expéditif, et préférable parce qu'il force chacun à manifester ouvertement son opinion.

C'est la Commission synodale qui, suivant l'usage, a fait entendre son rapport la première. La marche de notre Eglise, durant l'année dernière, laisse l'impression qu'il y

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