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toutes les anciennes religions et se rattache aux croyances naïves des premiers åges, celles-ci prétendant toutes s'appuyer sur quelque révélation miraculeuse et immédiate du ciel. L'idée fut partagée par le peuple juif et, de lui, passa à l'Eglise chrétienne. Ce point de vue réapparaît souvent dans les jugements portés par notre auteur sur les divers systèmes en présence, et parfois la sereine impartialité de l'historien en souffre. Il suffira de noter, par exemple, sa sévérité constante envers les partisans de toute théorie mitigée et sa sympathie

développement de notre esprit. L'inspiration véritable, c'est tout ce qui en nous est bon, saint, juste et vrai, tout souffle intérieur qui élève, qui porte au bien, et que notre conscience attribue nettement à Dieu, invisible foyer de toute vie supérieure. Au sein de cette permanente et grandiose manifestation du divin sur la terre, la Bible apparaît comme un point culminant. Elle est le livre religieux par excellence, l'expression incomparable de cette vie spirituelle qui pénètre l'humanité et qui a trouvé en Jésus son organe sublime. Ce que l'àme

explicite pour l'école radicale de Stras-pieuse et intelligente trouve dans la bourg, non seulement à ses débuts, trop modestes selon lui, mais dans la phase hardie et révolutionnaire qu'elle a fournie dès lors.

Les vues de M. Rabaud sont donc celles, bien accentuées, de la gauche française d'aujourd'hui. A quoi se réduisent-elles ?

D'après lui-même, elles consistent à nier l'inspiration biblique proprement dite, et cela sur la base de deux autres négations, celle de la divinité essentielle de Jésus-Christ (voy. pag. 290 et 291), et celle du surnaturel. La pensée contemporaine, dit-il dans les dernières pages de son livre, répugne toujours plus à limiter, à cantonner l'action de Dieu dans un petit coin de l'immensité, dans un petit peuple, dans un court laps de temps, à enfermer les infinies perfections de Dieu dans l'enceinte d'une révélation dite positive. Le vrai et profond surnaturel, c'est la présence active de Dieu dans l'univers entier et dans toute conscience pure. La vérité ne descend pas du ciel, elle s'acquiert peu à peu, elle devient, elle se proportionne au

Bible, c'est donc l'homme dans ses éléments les plus divins, l'homme pénétrant dans la communion du saint et du vrai à des hauteurs qu'il parait difficile de dépasser, l'homme exprimant, en des accents antiques mais toujours jeunes, les impérissables besoins spirituels de l'humanité. Là se trouve la véritable autorité religieuse de la Bible, et, telle qu'elle est, elle suffit à l'édification des

âmes.

Que dirons-nous de cette théorie ? Nous ne nous arrêterons pas à mainte observation de détail que nous suggérerait telle page, telle affirmation de détail dans l'ouvrage qui nous occupe. Nous irons droit à ce qui nous paraît le point capital, en fait de critique à formuler. Au fond de tout le système de M. Rabaud, il est facile de dénoncer, malgré qu'il en ait, un flagrant a priori, savoir la négation du surnaturel, auquel il substitue une notion décidément panthéiste (pag. 338 à 339) de l'action de Dieu dans l'univers1. Il y a là un prin

1 Ce ne sera pas un jugement trop sévère que de voir également une tendance sceptique dans la

littérature évangélique, ces témoignages dont un grand nombre, et des plus forts, n'ont pas encore été convaincus d'inauthenticité par la critique moderne ? N'y a-t-il pas un curieux parti pris à passer, sans autre, par-dessus tout le surnaturel

cipe originel dont il part comme de son seul terrain ferme, ou soi-disant ferme, et comme d'une pensée-mère d'où dérive tout le reste. C'est ce principe que nous avons vu percer dans le cours de l'ouvrage, pour s'afficher enfin dans la conclusion, comme un point fondamen-historique de nos documents, par-dessus

tal acquis pour la pensée moderne. Quelle que soit la prétention de notre auteur à se mettre au bénéfice d'une position désintéressée et purement scientifique, quelque insistance qu'il mette à trouver de l'a priori chez beaucoup d'autres, il paraît impossible que luimême réussisse à se défendre du même reproche. Lui aussi a son idée préconçue; il l'étale s'il ne l'avoue, et nous devons la signaler, comme un vice initial qui, d'avance, menace tout l'édifice d'une grave imperfection, pour ne pas dire d'une irrémédiable caducité.

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Au fond, comme toute théorie préconçue, celle-ci néglige les indispensables matériaux d'une vérité quelconque les faits. Ici encore nous croyons devoir renvoyer à l'honorable pasteur de Montauban l'accusation qu'il adresse aux évangéliques de se contenter d'une nuageuse abstraction et de méconnaître les faits. (Pag. 296, 317 et 318). Lui-même en tient-il compte quand il proclame qu'il n'y a pas de révélation surnaturelle au sens propre ? Respectet-il les faits historiques relatifs à l'établissement du christianisme, et tout au moins la substance des récits, des témoignages considérables et réitérés de la

complaisance avec laquelle on nous parle des « aspirations humaines » s'exprimant dans la Bible, sans jamais donner clairement à entendre s'il existe, oui ou non, une réponse à ces aspirations, une vérité objective qui y corresponde et les satisfasse.

tant de renseignements respectables fort gênants sans doute pour un obser vateur prévenu, mais dont il y a une vraie légèreté à ne pas se soucier davan tage? Il faudrait au moins établir la fausseté des récits en question; mais alors que devient la sainteté de la Bible, si abondamment exaltée dans la défini tion qu'on nous en a faite? Après cela il est commode de tailler en plein drap un système fort radical et fort beau, mais qui pèche par contradiction à des faits patents, qu'on n'a pas même discutés.

Une autre catégorie de faits dont M. Rabaud tient trop peu compte, ce sont les expériences de l'Eglise à l'en droit du surnaturel et de la Bible, le témoignage imposant et imprescriptible de la conscience chrétienne, qui, indépendamment des diverses nuances théo logiques, est certes moins favorable à la thèse proposée qu'à l'idée antique d'une intervention de Dieu dans le christianisme et dans ses documents. Voilà des faits aussi, qu'il serait téméraire de laisser dans l'ombre. Notre auteur n'entend pas les ignorer, mais la manière dont il en use n'est ni aussi impartiale ni aussi complète qu'on serait en droit de l'attendre. Au reste, des aveux lui échappent ici et là sur l'assentiment de la conscience devant une Bible inspirée au sens traditionnel, sur les remar quables effets moraux de cette croyance,

qu'il appelle le parti du juste milieu, ou de la conciliation. Les paragraphes consacrés à M. Astié, à M. de Pressensé et à tel autre écrivain de même tendance (Pag. 187 à 190, 275, 309, etc.) sont caractéristiques sous ce rapport. Invariablement leurs définitions seront, à ses yeux, boiteuses ou obscures. Toujours il finira par les taxer d'inconséquence, de subtilité ou d'intellectualisme. (Pag. 151, 299.)

sur la forte trempe de piété dont elle a été souvent accompagnée (Voy. pag. 182). Involontaires hommages rendus au dogme que l'on combat, ces aveux isolés et assez inconséquents suffiraient à montrer que les vues de l'auteur, loin de concorder avec les besoins religieux de l'Eglise, viennent plutôt les heurter de front. Comment donc prétendra-t-on inculquer ces vues à la masse des simples chrétiens, des âmes pieuses sans culture, des affligés? Se les représente-t-on abandonnant la foi à une Bible émanée de Dieu pour n'y plus voir qu'un livre exprimant les infinies « aspirations de l'humanité, » ou se mettant en devoir d'y distinguer, sans peine aucune, les éléments passagers des éléments permanents?»(Pag. 343.) Tout cela indique, dans le point de vue qu'on nous prêche, une lacune fort grave, mais fort compréhensible aussi, puisque la construction tout entière repose sur un alléguétion spéciale de Dieu à l'origine de la gratuit et abstrait.

Cela étant, nous ne nous étonnerons pas non plus si, dans sa formule de l'inspiration (Pag. 340 à 341), notre théologien ne réussit guère à être moins vague que tant d'autres, ni s'il est entrainé parfois à des exagérations ou à des jugements hasardés, comme celui que nous lisons à la dernière page et d'après lequel le point de vue de la gauche ne serait que le développement fidèle de la pure tradition de la réforme. En réalité quelle distance entre la saine largeur, même d'un Zwingli, et le subjectivisme outré de nos libéraux ! C'est aussi à la présence du même axiome arbitraire qu'on peut attribuer la campagne infatigable que poursuit M. Rabaud contre tous les représentants de ce

JUIN 1885.

Cette attitude est injuste, dans la plupart des cas. M. Rabaud est de ceux qui s'en tiennent au mot d'ordre tout ou rien. Il ne comprend pas de position intermédiaire entre les impossibilités de la droite extrême et les bardiesses non moins absolues de la gauche. Il nous déclare que l'abandon de l'inspiration mécanique et plénière devait logiquement, infailliblement, conduire au parti qu'il préconise et qui nie toute interven

Bible. (Pag. 296, 301.) Eh bien, nous réclamons contre ce jugement sommaire, et cela au nom même de la liberté théologique. Nous voulons conserver le droit de respecter les grands faits inséparables de toute question religieuse : la révélation historique d'une part, et d'autre part le besoin qu'éprouvent nos consciences d'une communication personnelle avec Dieu, disons plus, d'une autorité, toute morale et intime bien entendu, mais réelle et adorable.

Et nous persistons à croire que la vérité sur l'inspiration, vérité qui n'a pas encore trouvé sa forme satisfaisante, mais qui la trouvera sans doute tôt ou tard, doit être cherchée précisément dans cette voie moyenne, à la fois indépendante et soumise à l'Evangile positif,

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Lorsque, au sein de notre protestantisme de langue française, un ouvrage théologique atteint en quelques mois sa troisième édition, il peut paraître superflu de venir encore le recommander aux lecteurs d'une revue. Le livre de M. Stapfer sur la Palestine est de ceux qui font leur chemin tout seul, comme on a pu s'en assurer. Mais il nous sera permis d'entretenir les lecteurs du Chrétien Evangélique des traits caractéristiques de ce volume, que plusieurs d'entre eux possèdent déjà sans doute; à tous les autres nous conseillons de l'acquérir et de le lire sans plus tarder. Ils s'en trouveront bien, et nous n'adressons pas ce conseil seulement aux pasteurs ou aux étudiants en théologie, mais à la généralité des chrétiens, et spécialement aux moniteurs et monitrices d'écoles du dimanche.

Quelle est la raison d'être de cette publication traitant de la Palestine au temps de Jésus-Christ? L'auteur lui-même nous le dit : « il essaie de combler une lacune

de notre littérature théologique. Les Allemands ont des manuels destinés à retracer l'histoire contemporaine du Nouveau Testament. Jusqu'ici un travail de ce genre faisait défaut en français. Décrire le pays dans lequel a vécu JésusChrist, ses habitants, ses institutions, ses mœurs, en d'autres termes replacer l'histoire évangélique dans son cadre naturel, voilà ce que M. Stapfer s'est proposé pour tâche, et assurément ses lecteurs attesteront qu'il y a largement réussi. On peut dire légitimement que le livre qui nous occupe est tout entier un hommage rendu à la personne de notre Sauveur. On sait de reste que, de nos jours, l'une des manies innocentes des fouilleurs, des chercheurs, des érudits, consiste à explorer minutieusement la vie des grands hommes el même de certains personnages insignifiants, pour renseigner la postérité sur leurs moindres faits et gestes, sur leur entourage, sur leurs habitudes, etc. Parfois puériles, parfois aussi superflues, parce que l'homme en cause ne vant pas la peine d'être ainsi étudié à la loupe, ces investigations patientes et circonstanciées retrouvent toute leur importance quand il s'agit de quelque grand penseur, de quelque écrivain hors ligne, bref, d'un homme ayant marqué ici-bas d'une façon durable. A combien plus forte raison en sera-t-il ainsi quand il s'agit de Jésus-Christ! C'est lui qui est le centre du tableau; c'est sa vie qu'il s'agit de remettre dans son atmosphère naturelle; ici, il n'y a pas de détails superflus, pas de minuties exagérées. Tout ce qui, de près ou de loin, peut jeter quelque lumière, si faible soit-elle, sur la carrière de notre Sei

gneur mérite d'être soigneusement relevé et enregistré.

Nous pourrions chicaner M. Stapfer sur ce qu'il nous donne à la fois trop et trop peu. Il nous donne trop peu, en ce sens qu'il s'attache à peu près exclusivement dans son livre aux mœurs et coutumes des Juifs contemporains de Christ, et qu'il laisse leurs idées religieuses dans une ombre relative. Nous savons bien ce qu'il nous répondra : il nous renverra à son ouvrage antérieur, les Idées religieuses en Palestine à l'époque de Jésus-Christ (2me édition, 1877), et nous admettons que la réplique a sa valeur. Mais pourtant, notre impression première subsiste. Les descriptions de M. Stapfer sont incomplètes, et luimême reconnaîtra que son premier ouvrage est indispensable comme auxiliaire du second. Malheureusement les lecteurs de la Palestine ne liront pas tous les Idées religieuses, et leur éducation sur ce point important restera ainsi forcément imparfaite. De plus, M. Stapfer lui-même nous apprend qu'au cours de ses recherches et de ses études, ses idées personnelles se sont plus d'une fois modifiées. Il se corrige luimême à mainte reprise. Le fond de notre pensée, c'est que M. Stapfer ferait bien de songer à une fusion ou combinaison de ses deux ouvrages. De leur union naîtrait un travail vraiment complet et faisant autorité sur toute la ligne, et nous aurions réellement en français une Neutestamentliche Zeitgeschichte.

D'autre part, avons-nous dit, M. Stapfer nous donne trop. Il avait comme mission de nous donner un cadre, dans lequel pût se placer le portrait de JésusChrist. Il est sans doute plus modeste

de prétendre seulement faire un cadre, mais c'est utile aussi, et même nécessaire. Tel était donc le mandat de notre auteur, et il y a travaillé con amore. Mais pourquoi, arrivé au terme de sa tàche, et ayant achevé son cadre, n'at-il pas su résister au désir de donner quelques coups de pinceau sur la toile du portrait? Ceux de nos lecteurs qui ont lu l'ouvrage de M. Stapfer comprendront que nous faisons ici allusion aux deux chapitres qui terminent le volume: Les Dates principales de la vie de Jésus et Jésus et la prédication de l'Evangile. Passe encore pour le premier des deux, quoique, à notre avis, il soit superflu dans un ouvrage comme celui de M. Stapfer, et qu'il y constitue un hors-d'œuvre. Mais c'est surtout le dernier chapitre qui est décidément de trop, parce qu'il imprime à un livre essentiellement objectif en lui-même et destiné à être acceptable pour tous, un caractère terminal très personnel, et qui ne peut satisfaire les lecteurs qui ont d'autres vues christologiques que M. Stapfer.

Ce chapitre a d'ailleurs le grand défaut d'être tout à fait insuffisant. Nous avons vu surgir assez de Vies de Jésus dans ces dernières années, pour savoir quelle tàche complexe et quel problème délicat c'est de vouloir retracer ou même simplement esquisser un portrait de Jésus et une caractéristique de son œuvre. Les douze pages que M. Stapfer consacre à cette entreprise sont donc loin de suffire, et le portrait de Jésus qui s'en dégage ne répond pas à l'attente des lecteurs. Peut-être bien que, si l'auteur avait résolument supprimé cette conclusion, on lui aurait reproché d'avoir tout donné dans son livre sauf la figure

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