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lentes, qui se suivent sans interruption, non seulement ne nous paraissent pas propres à éclairer et à convaincre, mais risquent plutôt de repousser le lecteur. Passe encore si elles s'échappaient des lèvres d'un puissant orateur dans une improvisation passionnée ! Mais imprimer une brochure d'un style pareil nous parait une erreur, dont nous ne saurions attendre aucun bien. Il s'agit, en effet, ne l'oublions pas, d'une étude sur la famille chrétienne, sujet magnifique et d'une importance capitale, mais qui, par conséquent, ne doit pas être traité sous forme de déclamation. Maudire le mal qui ronge la société moderne n'est pas apporter le remède pour le guérir, ni même inspirer le désir de le chercher.

Nous ne voudrions pas abuser du droit de citation; mais il importe de justifier notre sévérité en reproduisant les dernières lignes de cet écrit:

Hélas! tu es seule, ô France, à fouler le pressoir de la colère des siècles! Personne, non, personne d'entre les peuples n'est avec toi! On t'isole du concert des nations. On a

prononcé le ban de l'Europe sur tes fils!

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Non, non, tes frères aînés, plus austères

et plus prudents, ne commettront pas les folies qui t'abaissent; mais pratiquent-ils les vertus qui te relèvent? Et en se tenant à distance de tes égarements, ne seront-ils pas bientôt las et déçus dans leur attente de voir tomber le feu du ciel sur tes fils? Ne finirontils pas par bouder le Dieu des nations qui pardonne et qui veut que nul ne périsse?

› Les premiers seront les derniers : ce jugement divin tu l'as expié par tes fautes! Les derniers seront les premiers: rends-toi digne de cette promesse par la grandeur de ton repentir!

Il te sera beaucoup pardonné, car tu as beaucoup aimé. Et en posant la droite de sa force sur ton front de cadet, l'Eternel sait ce qu'il fait il bénit celui qui veut. Que sa grace te suffise, ô France ! »

P. V.

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Ce volume est principalement destiné aux femmes qui, n'ayant pas de servante, sont appelées à vaquer elles-mêmes aux soins de leur ménage et à payer de leur personne dans toute la conduite de la maison. Ce n'est pas chose facile; mais voici précisément un maître qui les instruira : « Si vous êtes embarrassées sur quelque point concernant l'appartement ou les meubles, la meilleure manière de les nettoyer et de les tenir propres, le chauffage, l'organisation de la chambre du ménage ou de la chambre à coucher, consultez la première partie de ce volume. Si vous n'êtes pas au clair sur les denrées alimentaires, la manière de les préparer ou les ustensiles de la cuisine, cherchez dans la deuxième partie. Enfin, si vous ne savez pas comment vous y prendre pour la lessive ou le soin des vêtements, adressez-vous à la troisième partie. (Introduction, page 7.) N'oublions pas de mentionner l'appendice intitulé : « Hygiène et éducation de l'en

fance. »

La seconde partie, qui est la plus étendue, contient environ cent cinquante recettes de cuisine. Une table des matières très détaillée facilite l'emploi de ce livre, dans lequel tout ce qui concerne la bonne tenue d'une maison est passé en revue de la manière la plus minutieuse.

Nous ne doutons pas que tous les maris qui jetteront un coup d'oeil sur ce volume, n'en soient extrêmement satisfaits; en effet, rien n'y est oublié de ce qui peut contribuer à leur confort et à leur bien-être, non seulement dans le domaine culinaire et matériel, mais dans tout ce qui a rapport à la manière de rendre un intérieur heureux. Nous regrettons seulement qu'il n'y ait pas quelques pages au moins à leur adresse : qui dit mariage dit association, et si le bonheur do

il

mestique dépend avant tout de la femme, ne dépend pas d'elle uniquement. Dans un chapitre, du reste excellent, où il est question des devoirs de la femme, nous lisons entre autres ces lignes : « Si vous êtes indisposée, et que vous voyiez que votre mari se fâche... dites-lui ouvertement ce qu'il en est sans vous plaindre. Tout son mécontentement disparaîtra bien vite.» (Page 13.) Hélas! si c'était vrai! Que d'hommes (et pas les plus mauvais), qui ne peuvent supporter que leurs femmes se permettent d'être malades! Et comment fera la pauvre mère pour tenir son chez-soi en ordre, pour ne pas contracter de dettes, pour que toute la maison marche sur des roulettes, si le père ne travaille pas ou bien dépense tout son gain pour ses propres jouissances, et si chaque demande légitime d'argent, faite en tremblant, devient l'occasion d'une scène?

Ce livre est certainement destiné à rendre de grands services aux jeunes femmes ; mais il est à craindre que celles, trop nombreuses hélas! dont le mari ne remplit pas les devoirs d'un chef de famille, ne posent le volume avec quelque découragement, en se disant qu'elles ne peuvent atteindre seules à l'idéal qu'on leur fait entrevoir.

P. H.

LE PRÉ AUX SAULES, par Mme E. de Pressensé. Seconde édition.- Paris, Fischbacher, 1885. De tout temps, les dames ont excellé à faire de jolis ouvrages de broderie avec rien. Elles portent aisément dans la littérature cet art qui leur est familier. Il faut bien peu de chose à Mme de Pressensé pour nous intéresser et nous captiver. Il lui suffit du journal d'une enfant, et encore d'une enfant vivant à la campagne, dans une presque parfaite solitude, auprès de vieux parents, avec une amie malade, avec la mère de celle-ci, et un gros chien. Dans ce thème fort simple, comme on voit, Mme de Pressensé a trouvé une foule d'incidents. Rien de plus varié que le Pré aux saules, qui semblerait devoir être monotone. C'est que Seulette, car

c'est elle qui écrit son journal et que nous retrouvons ici, a toujours de l'imagination, qu'elle sait tirer parti de tout, c'est-à-dire de rien.

Au reste le roman n'est nullement absent de cette histoire; elle en a deux, le roman du facteur rural qui se termine par une déception, et le roman à peine esquissé de Seulette avec son cousin Paul, grand garçon de quinze ans et demi, qui veut absolument être le fiancé de sa cousine.

Nous avions entendu dire qu'il y a quel que risque à reprendre et à continuer un récit, surtout quand celui-ci a réussi. Seulette a eu de nombreux amis; plus d'un, en voyant annoncer Le pré aux saules, s'est demandé la continuation de l'histoire vaudra-t-elle son commencement? Mme de Pressensé a bien vite rassuré le lecteur.

Après cela, la forme du journal, comme le genre épistolaire, n'est pas sans inconvénient. On a beau y déployer une étonnante habileté, il s'y mêle presque toujours, soit au début soit à la fin, un peu d'effort. Nous répéterons aussi que le caractère de Seulette, toujours mobile et impressionnable, nous cause quelque souci pour l'avenir de la jeune fille. C'est un beau don que la sensibilité, mais il est facile à surexciter chez l'enfant. A la vérité, cette qualité donne au caractère une partie de sa poésie, mais c'est souvent aux dépens de la volonté. Je conviens que Seulette est en voie de s'amender sur ce point, néanmoins je voudrais ses progrès un peu plus marqués. Si donc Mme de Pressensé avait plus tard l'intention ce qui serait fort bien accueilli de ses lecteurs de nous présenter une troisième fois sa jeune amie, nous oserions adresser un vœu à l'auteur; nous lui demanderions de nous montrer cette amie, non point parfaite sans doute, mais en voie de se posséder et de conquérir un esprit plus ferme, grandissant non seulement en charité et en grâce, mais en sagesse aussi.

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J. GINDRAUX.

LE CHRÉTIEN ÉVANGÉLIQUE

ÉTUDES HISTORIQUES

Le monastère de Saint-Gall.

PREMIER ARTICLE

I

Il y a treize siècles, la verdoyante vallée au fond de laquelle s'étale aujourd'hui la ville de Saint-Gall était couverte d'une épaisse forêt, impénétrable aux rayons du soleil. Un torrent s'y creusait violemment un lit, laissant sur son passage ici des marais, là de petits lacs où la truite grise à points rouges aimait à déposer ses œufs. C'était une contrée inhospitalière, ne recélant que des ours, des hordes de loups, de sangliers et autres hôtes incommodes: nulle trace d'habitations humaines. Dans le voisinage, entre le lac de Constance et celui de Zurich, habitaient les Tigurins, proches parents des Alamans. Grands, pâles, blonds, aux yeux bleus très doux, ils vivaient de la chasse et de l'élève du bétail. Leurs vêtements étaient des peaux de bête brutes, la tête d'un animal cornu leur servait de coiffure; ils vivaient dans des huttes faites de jeunes arbres non écorcés, reliés par des lianes et des roseaux; leurs forêts profondes les protégeaient contre les incursions étrangères. Elles ne parvinrent

MARS 1885.

cependant pas à arrêter les Romains. En l'an 16 avant Jésus-Christ, les Tigurins furent battus, sur terre et sur eau, par Tibérius et Drusus. Brégenz et Lindau devinrent le centre d'un vaste réseau de fortifications et de routes militaires courant, les unes au nord, les autres au sud, vers l'Italie. Avec les Romains, arriva une civilisation relative et le christianisme, mais l'invasion des Alamans compromit fortement l'une et l'autre. Ces envahisseurs, dont le cri de guerre ressemblait au bruit des vagues de la mer se brisant contre les rochers, imposèrent aux vaincus leur dieu Tsiou (dont le souvenir est encore vivant aujourd'hui dans le mot de Tsichtig 1), leur langue et leurs mœurs, après leur avoir ravi leurs biens et leur liberté. Les libres Tigurins devinrent des serfs; des haines violentes éclatèrent entre les aborigènes et les intrus; longtemps ils vécurent côte à côte sans se mêler, puis le temps fit son œuvre, Tigurins et Alamans se confondirent en un seul peuple, qui, sous la domination franque, fut incorporé à l'Austrasie.

Dans la lointaine Irlande, le christianisme avait pénétré dès avant le IVe siècle. Patrick, élève des monastères de Marmoutiers et de Lérins, y avait fait,

1 C'est-à-dire mardi, le Dinstag du haut allemand, le jour de l'ancien dieu de la guerre.

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après plusieurs missionnaires obscurs, une fort belle œuvre d'évangélisation. Eglises et monastères avaient surgi, et l'Irlande, avec sa civilisation celtique, devint une nouvelle et féconde Thébaïde. Dans ces clans religieux, on menait une vie de travail, d'étude et de piété. A côté de l'agriculture, on y cultivait les lettres, la musique, la calligraphie, l'ornementation, la miniature. Des étudiants de tous pays y affluaient, et des phalanges de missionnaires en partaient dans toutes les directions. De ces monastères, il en est un qui nous intéresse spécialement, c'est celui de Bangor. Il ne comptait pas moins de trois mille moines; c'était un foyer intense de vie missionnaire; on y brûlait de la passion du Christ et de l'évangélisation. C'est de là que partit Columba avec ses douze compagnons, munis de la bénédiction de l'abbé Komogell, à la conquête des Gaules et de la Germanie. Mince était leur bagage, comme Jésus l'avait recommandé : un bâton, une besace, une paire de souliers de rechange, suspendus sur le cou, un étui à reliques, quelques ustensiles d'église: c'était tout. Prédécesseurs de Moody et de Sankey, ils chantaient de doux cantiques, des fragments bibliques pour gagner les frustes natures de ces hommes des bois, auxquels ils allaient annoncer l'an de grâce de l'Eternel. Ils parlaient couramment le latin et lisaient le grec; ils savaient bâtir une maison, orner une église, manier à l'égal la plume, la truelle, la bêche et la parole humaine. Des douze compagnons de Columba, le plus distingué était Kallech, soit Gallus; c'était son Timothée. Dès l'âge le plus tendre, sa vocation missionnaire parut irrésis

tible; il se fit ordonner prêtre, prêt à aller où l'Esprit le conduirait.

En Gaule, nos évangélistes, tantôt bien, tantôt mal accueillis, étonnèrent par leur audace et leur supériorité morale. Dans les Vosges, ils fondèrent trois monastères : Annagrais, Luxeuil, Fontaines, destinés à être des foyers de lumière pour la contrée. De là, la petite bande se sépara les uns restèrent; les autres s'engagèrent dans les forêts de l'Helvétie; ils visitèrent Zurich, fortifiée à la romaine, longèrent la Limmat et, après diverses épreuves, se fixèrent à Tuggen, au sud du lac de Zurich. Leurs succès étaient lents. Gallus, bouillant d'impatience, passant de la parole aux actes, s'empara un jour des idoles et les jeta au lac. Furieux, les païens voulurent le tuer. Les missionnaires s'enfuirent et se réfugièrent à Arbon, petite oasis chrétienne au milieu du néo-paganisme alaman. Willimar, chef de la communauté, les accueillit par la salutation évangélique: « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur!» puis les envoya en mission à Brégenz. Ce site délicieux plut d'emblée aux Irlandais; comme un nid d'oiseau, Bregenz disparaît sous la feuillée. Du haut de la colline, on surplombe le Rhin, le lac de Constance, le plateau suisse; au loin, moutonnent les collines appenzelloises qui, ne jaunissant pas, rappelent la verte Erin.

Comme le psalmiste, ils virent en imagination les collines ceintes d'allégresse, les pâturages couverts de brebis, les vallées revêtues de froment; leurs cris de joie et leurs chants retentirent au loin, éveillant les échos étonnés de ces accents de paix.

Lors d'une grande fête populaire, Gal

lus renouvela ses exploits de Tuggen; après un ardent discours, en guise de péroraison, il prit les idoles nationales, les jeta à l'eau, et, d'un coup de pied, renversa une jarre de bière sacrée. Le peuple fut atterré, puis il éclata de colère, mais il eut à compter avec de nombreuses sympathies acquises au missionnaire. Une minorité se convertit; en peu de temps, elle devint majorité. Les anciennes traditions chrétiennes étouffées par les Alamans se reveillèrent. Un vieux temple romain fut transformé en basilique, des chapelles s'élevèrent sur les collines, au fond des vallées; les cloches de fer carrées apportées d'Irlande mêlèrent leurs sons joyeux aux beuglements des troupeaux. Rapidement christianisé, le pays changea d'aspect, la forêt céda la place aux champs cultivés; mais les cœurs restèrent grossiers, les passions mauvaises subsistaient, on n'avait guère que changé de coutume religieuse.

A la suite de sanglants démêlés, qui coutèrent la vie à deux de ses disciples, Columba découragé partit pour l'Italie. Gallus, miné par la fièvre, ne pouvait Songer à passer les Alpes; son maître le laissa en arrière. Le malade se retira à Arbon, où le repos et des soins attentifs lui rendirent la santé. Maintenant que faire? Ses yeux se portaient sans cesse sur le splendide panorama qu'offre la chaine du Sentis, vue de la grève du Bodensee. Les sombres forêts l'attiraient; il y trouverait cette solitude dont il prétendait avoir besoin pour le salut de son âme. Il s'élança au-devant de l'inconnu avec le diacre Hiltebolden, chasseur passionné. Arrivé à la chute mugissante de la Steinach, la robe de

Gallus s'embarrasse dans un roncier, il tombe et, en chrétien fataliste qu'il était, il vit dans cette chute une indiscutable indication de la Providence: c'est là qu'il s'établira, au plus fort de la forêt, vierge de pas humains, au milieu des ours et des loups. Il prie et jeûne plusieurs jours, à genoux dans les ronces; puis, de deux baguettes de coudrier, il fait une croix, la fixe en terre, partage son pain avec un ours qui lui avait rendu visite, et rentre à Arbon, d'où il repartit tout de suite muni d'une hache. « Bientôt, dit Ekkehardt, la forêt résonne de ses coups, les troncs s'entassent, Pélion sur Ossa. » Il se fit une hutte de pieux et de branchages. L'abbaye de SaintGall était fondée. Soir et matin on entendait la traditionnelle cloche de fer appelant à la prière. Trois jeunes gens, Maginold, Théodore et Jean le Rhétien rejoignirent le solitaire. Leur vie était celle des pionniers du Far-West, ils vivaient de chasse, de pêche, de racines et des baies variées dont la forêt était prodigue. Calmes, heureux, ils persévéraient dans la prière et l'étude. Seuls, les fauves leur rendaient visite; la légende a fait de Gallus un nouvel Orphée, chassant les esprits mauvais, charmant la férocité des bêtes par la douceur de son chant.

Un jour, cependant, un homme se présente à l'ermitage. C'était un envoyé du féroce Gunzo, le persécuteur de Columba << Friedeburg, la fille de Gunzo est malade à la mort; Gallus voudrait-il pardonner à Gunzo et venir voir sa fille Friedeburg! Gunzo a chassé les missionnaires; cette maladie, il le reconnaît, est un châtiment du ciel. » Le solitaire se met en marche, arrive à la

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