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se défaire de Philopomen, tous les Achéens lui seroien soumis, envoya secrètement à Argos des hommes pour l'assassiner. Mais ce complot fut découvert, et Philippe devint l'objet de la haine et du mépris de tous les Grecs. Une autre fois les Béotiens assiégeoient Mégare, et étoient sur le point de se rendre maîtres de la place; tout d'un coup il se répandit un bruit dans leur armée, que Philopomen venoit au secours des assiégés et qu'il approchoit. A cette nouvelle, quoique fausse, les Béotiens abandonnent leurs échelles, déjà plantées contre les murs, et prennent la fuite.

Après la bataille de Mantinée, Philopoemen fit un' second voyage dans la Crète, où la guerre se continuoit avec chaleur; pendant son absence, Nabis, tyran de Lacédémone, après Machanidas, déclara la guerre aux Achéens.

Les Mégalopolitains qui souffroient le plus de cette guerre, irrités de son absence, qu'ils prenoient pour une désertion ou pour une trahison, vouloient le bannir par un décret public et le priver du droit de citoyen. Mais les Achéens les en empêchèrent, en envoyant à Mégalopolis le général Aristenète qui, quoiqu'il eût eu quelques démêlés avec Philopoemen sur le gouvernement de la république, empêcha qu'on ne prononçât contre lui cette condamnation.

Après s'être fait admirer en Crète par ses exploits, Philopomen s'en retourna couvert de gloire dans le Peloponèse. En y arrivant, il trouva que Philippe, roi de Macédoine, venoit d'être défait en bataille par Titus Flaminius, et que les Achéens et les Romains faisoient la guerre à Nabis. Il fut d'abord élu général de cette

ligue; et ayant donné un combat naval, il eut le même sort qu'avoit eu Epaminondas dans un cas pareil, il vit diminuer sa réputation, et la grande idée que l'on avoit de son courage et de sa prudence, pour avoir malheureusement combattu par mer; car il ne fut pas seulement vaincu dans ce combat naval à cause de son peu d'expérience, mais il commit encore une très-grande faute en se servant d'un vaisseau qui avoit beaucoup de réputation, mais qui étoit fort vieux et qui n'avoit pas servi depuis quarante ans, et où il pensa périr avec tous ceux qui étoient avec lui.

Ce mauvais succès ne le découragea point, et profitant de l'imprudence de ses ennemis qui le dédaignoient, et qui, sans alarmes, faisoient le siége de la ville de Gythium, il s'embarqua promptement, alla à eux lorsqu'ils s'y attendoient le moins, et arrivant la nuit, il mit ses gens à terre, brûla entièrement leur camp, et fit un grand carnage de leurs troupes.

Quelques jours après, Nabis s'étant présenté tout-àcoup devant lui, comme il avoit à passer des défilés trèsdangereux, dont l'aspect avoit plongé les Achéens dans le découragement, il s'arrêta peu de temps, et après avoir considéré la nature du pays, il fit voir en cette occasion combien la connoissance de la tactique est utile dans l'art militaire, car il surmonta toutes ces difficultés et mit les ennemis en fuite.

Ces grandes actions avoient acquis à Philopoemen l'estime et la considération de tous les Grecs. Dès qu'il se montroit aux assemblées ou au théâtre, on le combloit d'honneurs. Nabis ayant été tué par les Etoliens, et sa mort ayant causé des séditions à Sparte, il y marcha avec une puissante armée, et fit si bien que, gagnant les uns

par ses raisons, et entraînant les autres par la force, il

obligea cette ville d'entrer dans la ligue des Achéens.

En reconnoissance de ce service, les Lacédémoniens,

qui avoient pendant si long-temps gémi sous le joug de leurs tyrans, portèrent un décret par lequel tout l'argent qu'on avoit retiré de la vente de la maison et de tous les biens de Nabis, lui seroit adjugé, et qu'il lui seroit envoyé une ambassade pour le prier d'accepter ce présent. Un de ses hôtes, nommé Timolaüs, fut chargé de cette mission.

Ce Timolaüs étant arrivé à Mégalopolis, alla loger chez Philopoemen, qui le reçut avec beaucoup de marques de bonté; mais après avoir considéré la gravité de sa conversation, la frugalité de sa vie et la sévérité de ses mœurs qui le rendoient inaccessible à l'argent, il fut si étonné de tout ce qu'il vit, qu'il n'osa jamais lui parler du présent qu'il venoit lui offrir; et ayant donné quelqu'autre prétexte à son voyage, il s'en retourna sans avoir rien fait. Envoyé une seconde fois, il ne fut pas plus hardi. Enfin, au troisième voyage, il se hasarda, quoiqu'avec peine, à déclarer à Philopoemen l'intention de Sparte.

Philopomen l'écouta avec plaisir; mais sur l'heure même il partit pour Sparte, où il conseilla aux Lacédémoniens de ne pas dépenser leur argent à gagner et à corrompre leurs amis, gens de bien, parce qu'ils pourroient toujours user et jouir de leur vertu et de leur sagesse sans rien donner, mais de le garder pour acheter et gagner les méchans, et ceux qui dans les conseils divisoient la ville. par leurs discours séditieux, afin que l'argent les obligeant à se taire, ils leur fussent moins nuisibles dans le gouvernement : « Car il vaut beaucoup mieux, ajouta-t-il, » fermer la bouche à ses ennemis qu'à ses amis.»

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Philopoemen avoit soixante-dix ans lorsqu'il fut élu pour la huitième fois général des Achéens. Il espéroit non-seulement qu'il passeroit le temps de sa charge sans faire la guerre, mais encore que les affaires lui permettroient d'achever en repos le peu de temps qu'il avoit encore à vivre ; mais les dieux, qui ont soin de punir l'orgueil immodéré des hommes, le firent tomber au bout de sa course, comme un athlète qui, ayant fourni sa carrière très-heureusement, tombe au pied de la borne. Car on dit que dans une assemblée quelqu'un étant venu à louer un certain personnage, comme un grand général, Philopoemen dit : « Comment peut-on faire cas d'un homme » qui, les armes à la main, s'est laissé prendre en vie par > les ennemis. »

Peu de jours après il arriva que Dinocrate le Messénien, qui en particulier étoit ennemi de Philopomen, détacha Messène de la ligue des Achéens; et en même temps on apprit qu'il étoit sur le point de s'emparer d'un bourg appelé Colonis, poste considérable. Philopomen étoit alors malade de la fièvre à Argos. Dès qu'il eut appris cette nouvelle, il partit pour se rendre à Mégalopolis, et fit tant de diligence qu'il y arriva le jour même, ayant fait plus de quatre cents stades. Il ne s'y arrêta point; mais prenant avec lui les plus considérables des citoyens, tous jeunes gens qui, autant par l'affection qu'ils lui portoient, que pour l'amour de la gloire, le suivirent volontairement, il marcha contre Messène.

A moitié chemin, sur la colline appelée la colline d'Evandre, il trouva Dinocrate venant à sa rencontre; il le chargea et le mit en fuite. Mais cinq cents cavaliers, qui gardoient le plat pays de Messène, étant survenus,

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et ceux qui avoient été poussés, s'étant ralliés et joints à ces derniers, Philopoemen, qui craignoit d'être enveloppé, et qui vouloit sauver les jeunes cavaliers qui l'avoient suivi, prit le parti de la retraite par des lieux difficiles.

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Pour donner le temps aux jeunes Mégalopolitains de faire leur retraite, il se trouva seul au milieu d'un grand nombre d'ennemis. Aucun n'eut l'audace d'en venir aux mains avec lui; mais en l'accablant de traits, ils le poussèrent dans des lieux pleins de rochers et de précipices où il ne pouvoit faire passer son cheval. Malheureusement il étoit affoibli par la maladie et extrêmement fatigué du chemin qu'il avoit fait. En cet état, son cheval ayant bronché le jeta par terre, et il se blessa si rudement à la tête, qu'il demeura long-temps étendu sur la place sans voix et sans mouvement.

Les ennemis, le croyant mort, s'approchèrent, et commençoient à le dépouiller. Dans ce moment il levâ la tête et ouvrit les yeux les ennemis, voyant qu'il étoit en vie, se jetèrent en foule sur lui, lui lièrent les mains derrière le dos, et l'accablant de chaînes, ils le menèrent en cet état à Messène, en l'accablant d'outrages.

A la première nouvelle, qui fut portée à Messène, que Philopoemen étoit pris et qu'on l'amenoit, les Messéniens furent si transportés de joie, qu'ils coururent tous aux portes de la ville. Mais quand ils le virent ainsi lié et garotté, la plupart furent touchés de pitié; mais Dinoerate et ses courtisans parvinrent bientôt à détruire ce sentiment d'humanité. On conduisit Philopomen dans un lieu appelé le Trésor. C'est un caveau sous terre qui ne reçoit ni air ni jour du dehors, et qui se bouche avec une grosse pierre qu'on roule à l'entrée. Ils l'enfermèrent dans

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