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Dès que son éducation fut terminée, il se mit dans les troupes que la ville de Mégalopolis envoyoit dans la Laconie, pour piller et pour en amener des troupeaux et des esclaves. Dans toutes ces courses, il étoit toujours le premier quand on sortoit, et le dernier quand on rentroit.

Dans ses momens de loisir, il s'exerçoit à la chasse, ou bien il labouroit la terre. Le soir, il se jetoit un moment sur un mauvais lit, comme l'un de ses esclaves, et passoit ainsi la nuit. Le lendemain, à la pointe du jour, il alloit avec ses vignerons travailler à la vigne, ou avec ses laboureurs mener la charrue, après quoi il s'en retournoit à la ville, où il s'occupoit des affaires publiques avec ses amis et les magistrats.

Tout ce qu'il gagnoit à la guerre, il le dépensoit en chevaux et en armes, ou bien il l'employoit à payer la rançon de ceux de ses concitoyens qui avoient été faits prisonniers.

Il étoit dans sa trentième année, lorsque Cléomène, roi de Lacédémone, tombant tout d'un coup, et pendant la nuit, sur Mégalopolis, força les gardes, pénétra jusqu'au milieu de la ville, et s'empara de la place publique, où il se mit en bataille. Philopoemen accourut au secours de ses concitoyens, mais il ne put chasser les ennemis, quoiqu'il combattît avec la dernière valeur, en exposant sa vie sans aucun ménagement; mais par sa longue et vigoureuse résistance, et en attirant à lui Cléomène, il donna le temps aux Mégalopolitains de se sauver et de sortir de la ville: il sortit le dernier avec beaucoup de peine, ayant eu son cheval tué sous lui et étant lui-même blessé.

Quelques mois après, le roi Antigonus marcha à la

tête des Achéens contre Cléomène. Dans la bataille qui fut livrée, seul avec les Mégalopolitains, et malgré les ordres d'Antigonus, il enfonça l'infanterie légère des Lacédémoniens, et en fit un grand carnage.

Non content de ce succès, et voulant encourager encore davantage les troupes d'Antigonus et pénétrer jusqu'aux ennemis qui occupoient le haut de la montagne, sans leur donner le temps de se remettre da trouble où la défaité de cette infanterie les avoit jetés, il quitta son cheval ; et s'avançant à pied, chargé d'une lourde cuirasse de cavalier et d'une pesante armure, par des chèmins tortueux et pleins de torrens et d'abîmes, il combattoit courageusement avec des peines et des difficultés infinies.

En cet état, il reçut un coup de javelot qui lui perça les deux cuisses. La blessure né fut pas mortelle; mais elle étoit très-profonde, le fer du javelot traversant les deux cuisses de part en part. Arrêté par ce coup, il ne savõît à quoi se résoudre ; eaf la courroie du javelot lui causoit de si grandes douleurs, quand on tâchoit de lè retirer par la plaie, que ceux qui étoient autour de lui n'osofent y toucher. Au désespoir de se voir ainsi retenu, et plein d'impatience de retourner dans la mêlée, le dépit et l'honneur le portèrent à remuer si violemment les cuisses, qu'en les avançant et retirant alternativement, malgré les douleurs insupportables qu'il ressentoit, il fit taħt, qu'il rompit le javelot par le milieu, et ordonna qu'on retirat les tronçons de chaque côté. Se voyant dégagé par ce moyen, il se présente l'épée à là main à la tête de ses troupes, sé jette au milieu des ennemis; et par cette action, il enflamma tellement le courage et l'émulation des siens,

qu'ils renversèrent tout et gagnèrent le haut de la montagne.

Antigonus, après la victoire, voulant savoir la vérité sur ce qu'on racontoit de la conduite de Philopomen, feignit d'être irrité de ce que ses ordres n'avoient pas été suivis ; il demanda à Alexandre qui commandoit sa cavalerie : « Pourquoi il avoit chargé avant le signal, contre » l'ordre qu'il avoit donné. » Alexandre lui répondit: « Qu'il avoit été forcé malgré lui d'en venir aux mains, » parce qu'un jeune cavalier Mégalopolitain s'étoit hâté » d'attaquer sans attendre d'ordre.» Alors Antigonus, en riant, lui dit : « Ce jeune cavalier dont tu parles, a fait » l'action d'un grand capitaine ; et toi, tu as fait l'action » d'un jeune cavalier. »

Depuis cette époque, Philopoemen jouit d'une grande réputation. Antigonus voulant se l'attacher, lui offroit de grands biens, avec un commandement considérable dans ses troupes, s'il vouloit entrer à son service. Philopoemen le refusa, parce qu'il se connoissoit d'un naturel trop impétueux et trop difficile pour obéir à un prince étranger. Mais ne voulant pas non plus demeurer oisif, et pour s'exercer davantage au métier des armes, il s'embarqua et passa en Crète, qui étoit devenue le théâtre de la guerre.

Après avoir servi assez long-temps dans ce pays, il s'en retourna chez les Achéens avec un si grand nom, qu'à son arrivée il fut fait général de la cavalerie.

Dans un grand combat que ce peuple eut à soutenir près la rivière de Larisse, contre les Etoliens et les Eléens, le général de la cavalerie des Eléens, nommé Damophante, s'avança hors des rangs et courut impétueusement

contre Philopomen. Celui-ci l'attendoit de pied ferme ; et le prévenant, il le renversa d'un coup de pique aux pieds de son cheval. Damophante tombé, tous les ennemis prirent la fuite, et la victoire demeura aux Achéens.

Jusqu'alors ce peuple n'avoit tenu qu'un rang secondaire dans la Grèce; il étoit réservé à Philopomen de l'élever au comble de la gloire et de la puissance. Tout ce qu'il tenta à cet egard, soit pour réformer les mœurs des Achéens, soit pour en faire des guerriers endurcis aux fatigues et disciplinés, lui réussit.

Son ouvrage étoit achevé, lorsque Machanidas, tyran de Lacédémone, qui, avec une puissante armée, épioit l'occasion d'assujétir tous les Péloponésiens, déclara la guerre aux Achéens. Dès qu'on sut qu'il étoit déjà arrivé sur les terres de Mantinée, Philopoemen se mit en campagne à la tête de ses troupes. Les deux armées se rencontrèrent près de la ville de Mantinée.

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Dès le premier choc, Machanidas avec ses troupes étrangères, mit en fuite les gens de trait, et les Tarentins qui formoient l'aile gauche et couvroient les Achéens; au lieu d'aller tout de suite attaquer les Achéens, il se laissa emporter à poursuivre les fuyards, en laissant sa phalange découverte pendant que les Achéens gårdoient tous leurs rangs. Philopoemen, s'étant aperçu de la: faute que les ennemis faisoient en s'abandonnant ainsi à poursuivre son aile gauche, en s'éloignant de leur phalange, et en laissant dans leur bataille un endroit vide, ne se mit nullement en devoir de s'y opposer et de les arrêter ; au contraire, il les laissa aller; et quand ils furent assez éloignés, il alla attaquer l'infanterie des Lacédémoniens, qu'il voyoit privée de son aile droite.

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Après qu'il l'eût taillée en pièces, il marcha contre Machanidas. Entre ces deux généraux, il se trouva un fossé fort profond qui les séparoit. Ils le parcouroient l'un et l'autre, cherchant un lieu commode pour le passer; l'un à dessein de prendre la fuite, et l'autre dans l'intention de s'y opposer. A les voir, on eût dit que c'étoient, non deux généraux animés au combat, mais deux bêtes féroces que l'extrême nécessité réduit à se défendre, ou plutôt Philopoemen ressembloit à un veneur acharné qui ne veut pas laisser échapper sa proie. Le cheval du tyran, qui étoit fort et courageux, et que les éperons de son maître irritoient, se hasarda à franchir le fossé; et avançant le poitrail au-delà du bord, il s'efforçoit de s'élancer de l'autre côté.

Dans ce moment, Simmias et Polyénus, qui accompagnoient Philopomen dans tous les combats, et qui se tenoient auprès de sa personne, pour le défendre et pour le couvrir de leurs boucliers, accoururent tous deux les piques baissées. Mais Philopoemen fut encore plus diligent, il les prévint; et s'avançant contre Machanidas, au moment où son cheval déjà dressé pour s'élancer, le couvroit tout entier, il détourna un peu le sien, et prenant sa javeline, il la poussa de toute sa force et l'enfonça dans le corps du tyran, qu'il renversa mort dans le fossé.

Les Achéens, remplis d'admiration pour cette action

de leur général et pour la prudence qu'il avoit témoignée dans cette bataille, dont le gain etoit dû à sa bonne conduite, lui érigèrent une statue de bronze, où ils le représentèrent dans l'attitude que nous venons de décrire, et qu'ils placèrent à Delphes, dans le temple d'Apollon.

Philippe, roi de Macédoine, persuadé que s'il pouvoit

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