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cune façon; mais comme la volonté est absolument nécessaire, afin que nous donnions notre consentement à ce que nous avons aperçu en quelque manière, et qu'il n'est pas nécessaire pour faire un jugement tel quel, que nous ayons une connoissance entière et parfaite, de là vient que bien souvent nous donnons notre consentement à des choses dont nous n'avons jamais eu qu'une connoissance fort confuse.

De plus, l'entendement ne s'étend qu'à ce peu d'objets qui se présentent à lui, et sa connoissance est toujours fort limitée au lieu que la volonté en quelque sens peut sembler infinie; parce que nous n'apercevons rien qui puisse être l'objet de quelque autre volonté, même de cette volonté immense qui est en Dieu, à quoi la nôtre ne puisse aussi s'étendre; ce qui est cause que nous la portons ordinairement au-delà de ce que nous connoissons clairement et distinctement; et lorsque nous en abusons de la sorte, il n'est pas étonnant s'il nous arrive de nous méprendre.

Or, quoique Dieu ne nous ait pas donné un entendement tout-connoissant, nous ne devons pas croire pour cela qu'il soit l'auteur de nos erreurs; parce que tout entendement créé est fini, et qu'il est de la nature de l'entendement fini de n'être pas tout-connoissant.

Au contraire, la volonté étant de sa nature très-étendue, ce nous est un avantage très-grand

de pouvoir agir par son moyen, c'est-à-dire librement; en sorte que nous soyons tellement les maîtres de nos actions, que nous sommes dignes de louange lorsque nous les conduisons bien. Car ainsi qu'on ne donne point aux machines qu'on voit se mouvoir en plusieurs façons diverses, aussi justement qu'on sauroit désirer, des louanges qui se rapportent véritablement à elles, parce que ces machines ne représentent aucune action qu'elles ne doivent faire par le moyen de leurs ressorts, et qu'on en donne à l'ouvrier qui les a faites, parce qu'il a eu le pouvoir et la volonté de les composer avec tant d'artifice; de même on doit nous attribuer quelque chose de plus, de ce que nous choisissons ce qui est vrai, lorsque nous le distinguons d'avec le faux par une détermination de notre volonté, que si nous y étions déterminés et contraints par un principe étranger.

Il est bien vrai que toutes les fois que nous nous trompons, il y a du défaut en notre façon d'agir, ou en l'usage de notre liberté; mais il n'y a point pour cela de défaut en notre nature, parce qu'elle est toujours la même, quoique nos jugemens soient vrais ou faux. Et quand Dieu auroit pu nous donner une connoissance si grande, que nous n'eussions jamais été sujets à faillir, nous n'avons aucun droit pour cela de nous plaindre de lui. Car quoique parmi nous celui qui a pu

empêcher un mal, et ne l'a pas empêché, en soit blâme et jugé comme coupable, il n'en est pas de même à l'égard de Dieu; parce que le pouvoir que les hommes ont les uns sur les autres est institué afin qu'ils empêchent de mal faire ceux qui leur sont inférieurs, et que la toutepuissance que Dieu a sur l'univers est très-absolue et très-libre. C'est pourquoi nous devons le remercier des biens qu'il nous a faits, et non point nous plaindre de ce qu'il ne nous, a pas avantagés de ceux que nous connoissons qui nous manquent, et qu'il auroit peut-être pu nous dé-. partir....

Mais parce que nous savons que l'erreur dépend de notre volonté, et que personne n'a la volonté de se tromper, on s'étonnera peut-être qu'il y ait de l'erreur en nos jugemens. Mais il faut remarquer qu'il y a bien de la différence entre vouloir être trompé, et vouloir donner son consentement à des opinions qui sont causé que nous nous trompons quelquefois. Il n'y a personne, il est vrai, qui veuille expressément se méprendre, mais il ne s'en trouve presque pas une qui ne veuille donner son consentement à des choses qu'elle ne connoît pas distinctement: et il arrive même souvent que c'est le désir de connoître la vérité, qui fait que ceux qui ne savent pas l'ordre qu'il faut tenir pour la rechercher, manquent de la trouver, et se trompent,

à cause qu'il les incite à précipiter leurs jugemens, et à prendre pour vraies des choses dont ils n'ont pas assez de connoissance.

XXIII.

CONTINUATION du même sujet : Dieu ne peut vouloir nous tromper.

(MEDIT. Rép. aux secondes object., pag. 162.)

Lorsque je dis que Dieu ne peut mentir, ni être trompeur, je crois être d'accord avec tous les théologiens qui ont jamais été, et qui seront à l'avenir. Et tout ce qu'on allègue de l'Ecriture sainte, pour prouver le contraire, n'a pas plus de force que si ayant nié que Dieu se mît en colère, ou qu'il fût sujet aux autres passions de l'ame, on m'objectoit les lieux de l'Ecriture où il semble que quelques passions humaines lui sont attribuées.

Car tout le monde connoît assez la distinction qui est entre ces façons de parler de Dieu, dont l'Ecriture se sert ordinairement, qui sont accommodées à la capacité du vulgaire, et qui contiennent bien quelque vérité, mais seulement en tant qu'elle est rapportée aux hommes; et celles qui expriment une vérité plus simple et plus pure, et qui ne change point de nature, quoiqu'elle ne leur soit point rapportée....

Je n'ai point parlé du mensonge qui s'exprime par des paroles, mais seulement de la malice interne et formelle qui se rencontre dans la tromperie; quoique néanmoins ces paroles du Prophète qu'on m'oppose : Encore quarante jours, et Ninive sera renversée, ne soient pas même un mensonge verbal, mais une simple menace, dont l'événement dépendoit d'une condition: et lorsqu'il est dit que Dieu a endurci le cœur de Pharaon, ou quelque chose de semblable, il ne faut pas penser qu'il ait fait cela positivement, mais seulement négativement, c'est-à-dire, en ne donnant pas à Pharaon une grâce efficace pour se convertir.

Je ne voudrois pas néanmoins condamner les scolastiques, tels que Gabriel, Ariminensis, qui disent que Dieu peut proférer par ses prophètes quelque mensonge verbal, tels que sont ceux dont se servent les médecins quand ils trompent leurs malades pour les guérir, c'est-à-dire, qui fût exempt de toute la malice qui se rencontre ordinairement dans la tromperie......

Mais dans les choses qui ne peuvent pas être ainsi expliquées, à savoir, dans nos jugemens très-clairs et très-exacts, lesquels s'ils étoient faux ne pourroient être corrigés par d'autres plus clairs, ni par l'aide d'aucune autre faculté naturelle, je soutiens hardiment que nous ne pouvons être trompés. Car Dieu étant le souverain

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