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qu'infini, n'est point à la vérité compris, mais que néanmoins il est entendu; car entendre clairement et distinctement qu'une chose est telle qu'on ne peut point du tout y rencontrer de li mites, c'est clairement entendre qu'elle est infi÷ nie. Et je mets ici de la distinction entre l'indér fini et l'infini, et il n'y a rien que je nomme proprement infini, sinon ce en quoi de toutes parts je ne rencontre point de limites, auquel sens Dieu seul est infini; mais pour les choses où sous quelque considération seulement je ne vois point de fin, comme l'étendue des espaces imaginaires, la multitude des nombres, la divisibilité des parties de la quantité, et autres choses semblables, je les appelle indéfinies, et non pas infinies, parce que de toutes parts elle ne sont pas sans fin ni sans limites.

De plus, je mets une distinction entre la raison formelle de l'infini, ou l'infinité, et la chose qui est infinie. Car, quant à l'infinité, quoique nous la concevions être très-positive, nous ne l'entendons néanmoins que d'une façon négative, dans le sens que nous ne remarquons en la chose aucune limitation; et quant à la chose qui est infinie, nous la concevons à la vérité positivement, mais non pas selon toute son étendue, c'est-àdire que nous ne comprenons pas tout ce qui est intelligible en elle. Mais comme ainsi que lorsque nous jetons les yeux sur la mer, on ne laisse

pas de dire que nous la voyons, quoique notre vue n'en atteigne pas toutes les parties, et n'en mesure pas la vaste étendue; et de vrai, lorsque nous ne la regardons que de loin, comme si nous la voulions embrasser toute avec les yeux, nous ne la voyons que confusément; comme aussi n'imaginons-nous que confusément un chiliogone (figure de mille côtés), lorsque nous tâchons d'imaginer tous ses côtés ensemble: mais lorsque notre vue s'arrête sur une partie de la mer seulement, cette vision alors peut être fort claire et fort distincte, comme aussi l'imagination d'un chiliogone, lorsqu'elle s'étend seulement sur un ou deux de ses côtés; de même j'avoue, avec tous les théologiens, que Dieu ne peut être compris par l'esprit humain, et même qu'il ne peut être distinctement connu par ceux qui tâchent de l'embrasser tout entier et tout à la fois par la pensée, et qui le regardent comme de loin; auquel sens saint Thomas a dit que la connoissance de Dieu est en nous sous une espèce de confusion seulement, et comme sous une image obscure; mais ceux qui considèrent attentivement chacune de ses perfections, et qui appliquent toutes les forces de leur esprit à les contempler, non point à dessein de les comprendre, mais plutôt de les admirer et de reconnoître combien elles sont au-delà de toute compréhension, ceux-là, dis-je, trouvent en lui incomparablement plus de choses,

qui peuvent être clairement et distinctement connues, et avec plus de facilité, qu'il ne s'en trouve en aucune des choses créées. Ce que saint Thomas a fort bien reconnu lui-même, comme il est aisé de voir de ce qu'en un autre endroit il assure que l'existence de Dieu peut être démontrée. Pour moi, toutes les fois que j'ai dit que Dieu pouvoit être connu clairement et distinctement, je n'ai jamais entendu parler que de cette connoissance finie, et accommodée à la petite capacité de nos esprits : aussi n'a-t-il pas été nécessaire de l'entendre autrement, pour la vérité des choses que j'ai avancées.... Ainsi, quand j'ai soutenu que l'existence n'appartenoit pas moins à la nature de l'être souverainement parfait, que trois côtés appartiennent à la nature d'un triangle, on peut facilement s'entendre, sans qu'on ait une connoissance de Dieu si étendue qu'elle comprenne tout ce qui

est en lui.

XIX.

REFUTATION de l'argument d'un athée, tiré de l'idée de l'infini.

(MEDIT. Rép. aux secondes object., pag. 161.)

Si Dieu existoit, dit cet athée, il y auroit un souverain être, un souverain bien, c'est-à-dire, un infini or ce qui est infini en tout genre de perfection exclut toute autre sorte d'êtres et de

biens, et cependant il y a plusieurs êtres dans le monde et plusieurs biens: donc, etc.

Je réponds 1°. Si on demande à cet athée d'où il a pris que cette exclusion de tous les autres êtres appartient à la nature de l'infini, il n'aura rien qu'il puisse répondre pertinemment; d'autant que par le nom d'infini, on n'a pas coutuine d'entendre ce qui exclut l'existence des choses finies, et qu'il ne peut rien savoir de la nature d'une chose qu'il pense n'être rien du tout, et par conséquent n'avoir point de nature, sinon ce qui est contenu dans la seule et ordinaire signification du nom de cette chose.

2o. A quoi serviroit l'infinie puissance de cet infini. imaginaire, puisqu'il ne pourroit jamais rien créer?

5. Puisque nous expérimentons avoir en nousmêmes quelque puissance de penser, nous concevons facilement qu'une telle puissance peut être en quelque autre, et même plus grande qu'en nous; mais quoique nous pensions que celle-là s'augmente à l'infini, nous ne craindrons pas pour cela que la nôtre devienne moindre. Il en est de même de tous les autres attributs de Dieu, même de la puissance de produire quelques effets hors de soi, pourvu que nous supposions qu'il n'y en a point en nous qui ne soit soumise à la volonté de Dieu donc il peut être conçu tout-à-fait infini sans aucune exclusion des choses créées.

:

XX.

ON ne sauroit se former une trop haute idée des œuvres de Dieu, et on présumeroit trop de soi-même, si on entreprenoit de connoître toutes les fins que Dieu s'est proposées en créant le monde.

(Princip, de la Philos., III. part., pag. 113.)

Dans l'explication que nous avons donnée, à l'aide de nos seuls principes, de tous les phénomènes, c'est-à-dire des effets qui sont dans la nature, et que nous apercevons par l'entremise de nos sens, nous avons commencé par ceux qui sont les plus généraux et dont tous les autres dépendent, à savoir par l'admirable structure de ce monde visible. Mais pour ne point se tromper en les examinant, il me semble qu'on doit soigneusement observer deux choses.

La première est, que nous ayons toujours devant les yeux que la puissance et la bonté de Dieu sont infinies, afin que cela nous fasse connoître que nous ne devons point craindre de nous tromper en imaginant ses ouvrages trop grands, trop beaux ou trop parfaits; mais que nous pouvons bien nous tromper, au contraire, si nous supposons en eux quelques bornes ou quelques limites, dont nous n'ayons aucune connoissance certaine.

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