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dépend toute la force de ma démonstration. Premièrement, parce que cette idée me fait connoître ce que c'est que Dieu, au moins autant que je suis capable de le connoître; et selon les lois de la vraie logique, on ne doit jamais demander d'aucune chose si elle est, qu'on ne sache premièrement ce qu'elle est en second lieu, parce que c'est cette même idée qui me donne occasion d'examiner si je suis par moi ou par autrui, et de reconnoître mes défauts: et en dernier lieu, c'est elle qui m'apprend que non-seulement il y a une cause de mon être, mais de plus aussi, que cette cause contient toutes sortes de perfections, et partant qu'elle est Dieu.

XVI.

LA MÉTHODE du doute, à l'égard même de l'existence de Dieu, employée par Descartes, justifiée contre ses calomniateurs.

(Tom. Ier., Lett. XCIX.)

Quelques calomniateurs ignorans m'ont objecté que j'avois supposé qu'il n'y avoit point de Dieu, que Dieu, s'il existoit, pouvoit nous tromper, qu'il ne falloit donner aucune créance aux sens, que le sommeil ne pouvoit se distinguer de la veille; mais n'ont-ils pas vu que j'avois rejeté toutes ces choses en paroles très-expresses, que je les ai

même réfutées par des argumens très-forts, et j'ose même dire plus forts qu'aucun autre qui ait été employé avant moi. Et afin de le pouvoir faire plus commodément et plus efficacement, j'ai proposé toutes ces choses comme douteuses au commencement de mes Méditations.... Mais qu'y a-t-il de plus inique, que d'attribuer à un auteur des opinions qu'il ne propose que pour les réfuter? Qu'y a-t-il de plus impertinent que de feindre qu'on les propose, et qu'elles ne sont pas encore réfutées, et par conséquent que celui qui rapporte les argumens dont se servent les athées, est lui-même un athée pour un temps? Qu'y a-t-il de plus puéril, que de dire, que s'il vient à mourir avant que d'avoir écrit ou inventé la démonstration qu'il espère, il meurt comme un athée; et qu'il a enseigné par avance une pernicieuse doctrine, contre la maxime communément reçue, qui dit, qu'il n'est pas permis de faire du mal pour en tirer du bien, et choses semblables? Quelqu'un dira peut-être que je n'ai pas rapporté ces fausses opinions comme venant d'autrui, mais comme venant de moi; mais qu'importe? puisque dans le même livre où je les ai rapportées, je les ai aussi toutes réfutées; et même qu'on peut voir aisément, par le titre du livre, que j'étois fort éloigné de les croire, puisque j'y promettois des démonstrations touchant l'existence de Dieu. Peut-on s'imaginer qu'il y ait des hommes assez

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sots, ou assez simples, pour se persuader que celui qui compose un livre qui porte ce titre, ignore, quand il trace les premières pages, ce qu'il a entrepris de démontrer dans les suivan tes? De plus, la façon d'écrire que je m'étois proposée, qui étoit en forme de méditations, et que j'avois choisie comme fort propre pour expli quer plus clairement les raisons que j'avois à déduire, m'obligeoit de ne pas proposer ces objections autrement que comme miennes. Que si cette raison ne satisfait pas ceux qui se mêlent de censurer mes écrits, je voudrois bien savoir ce qu'ils disent des Ecritures saintes, avec lesquelles nuls autres écrits qui viennent de la main des hommes ne doivent être comparés, lorsqu'ils voient certaines choses qui ne se peuvent bien entendre, si l'on ne suppose qu'elles sont rapportées comme étant dites par des impies, ou du moins par d'autres que par le Saint-Esprit ou les prophètes; telles que sont ces paroles de l'Ecclésiaste, chapitre second: Ne vaut-il pas mieux boire et manger, et faire goûter à son ame des fruits de son travail? et cela vient de la main de Dieu. Qui est-ce qui en pourra dévorer autant, ou qui pourra se gorger de plaisirs autant que moi? Et au chapitre suivant : J'ai souhaité en mon cœur, pensant aux enfans des hommes, que Dieu les éprouvát, et fit connoitre qu'ils sont semblables aux bêtes. C'est pourquoi l'homme et les chevaux

périssent

périssent de même façon, leur condition est pareille; comme l'homme meurt, ceux-ci meurent, ils ont tous une pareille respiration, et l'homme n'a rien de plus que le cheval, etc. Pensent-ils que le Saint-Esprit nous enseigne en ce lieu-là, qu'il faut faire bonne chère, qu'il n'y a qu'à se donner du bon temps, et que nos ames ne sont pas plus immortelles que celles des chevaux? Je ne pense pas qu'ils soient enragés et perdus à ce point; mais aussi ne doivent-ils pas me calomnier, si je n'ai pas gardé, en écrivant, des précautions qui n'ont jamais été observées par aucun autre qui ait écrit, non pas même par le SaintEsprit.

XVII.

POURQUOI Descartes n'a point répondu à certains argumens des athées.

I

(Préface des Méditations.)

J'ai vu deux écrits assez amples contre mon traité de l'existence de Dieu, mais qui ne combattoient pas tant mes raisons que mes conclusions, et cela par des argumens tirés des lieux communs des athées. Ces sortes d'argumens ne peuvent faire aucune impression sur l'esprit de ceux qui entendront bien mes raisons, et je ne

T

veux point ici y répondre, de peur d'être obligé de les rapporter.

Je dirai seulement en général que tout ce que 'disent les athées, pour combattre l'existence de Dieu, dépend toujours ou de ce que l'on imaginė. dans Dieu des affections humaines, ou de ce que nous avons la présomption de vouloir déterminer et comprendre ce que Dieu peut et doit faire en sorte que tout ce qu'ils objectent ne nous donnera aucune difficulté, pourvu seulement que nous nous ressouvenions que nous devons considérer nos esprits comme des choses finies et limitées, et Dieu comme un être infini et incompréhensible.

XVIII.

Nous avons une connoissance de l'infini assez distincte pour raisonner sur l'existence de l'être infini.

(

(MEDIT, Rep. aux prem. objections, p. 124.)

J'ai supposé dans mes preuves de l'existence de Dieu la connoissance de l'infini : sur cela on me demande avec beaucoup de raison si je le connois clairement et distinctement.

Cette question ou objection se présente si facilement à un chacun, qu'il est nécessaire que j'y réponde un peu amplement. C'est pourquoi je dirai ici premièrement que l'infini, en tant

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