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XIV.

IMPUISSANCE de l'attaque que livre Regius aux preuves de l'existence de Dieu, inventées par Descartes.

(Tom. Ier., Lett. XCIX.)

Je ne puis qu'admirer la grande confiance ou présomption de ce personnage (Regius), de croire qu'il puisse avec tant de facilité, et en si peu de paroles, renverser tout ce que j'ai composé après une longue et sérieuse méditation, et que je n'ai pu expliquer que dans un livre entier. Toutes les raisons que j'ai apportées pour cette preuve se rap. portent à deux. La première est, que nous avons une connoissance de Dieu, ou une idée, qui est telle que si nous faisons bien réflexion sur ce qu'elle contient, si nous l'examinons avec soin, en la manière que j'ai montré qu'il falloit faire, la seule considération que nous en ferons, nous fera connoître qu'il ne se peut pas faire que Dieu n'existe, parce que sa notion ou son idée ne contient pas seulement une existence possible ou contingente, ainsi que celles de toutes les autres choses, mais bien une existence absolument nécessaire et actuelle. Cependant l'auteur dont il s'agit, pour réfuter cette preuve, que plusieurs grands personnages éminens par-dessus les autres en esprit et en science, après l'avoir diligemment examinée,

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tiennent aussi bien que moi, pour une certaine et très-évidente démonstration, emploie ce peu de paroles. La notion que nous avons de Dieu, ou cette idée de Dieu qui est existante en notre esprit, n'est pas un argument assez fort et convaincant pour prouver que Dieu existe, puisqu'il est certain que toutes les choses dont nous avons en nous les idées n'existent pas actuellement. Par où il fait voir à la vérité qu'il a lu mes écrits, mais en même temps il témoigne qu'il n'a pu en aucune façon les entendre, ou du moins qu'il ne l'a pas voulu; car la force de mon argument n'est pas prise de la nature de cette idée considérée en général, mais d'une propriété particulière qui lui convient, laquelle est très-évidente dans l'idée que nous avons de Dieu, et qui ne se peut rencontrer dans l'idée de quelque autre chose que ce soit; c'est à savoir, de la nécessité de l'existence, qui est requise pour le comble et l'accomplissement des perfections, sans lequel nous ne saurions concevoir Dieu.or

L'autre argument, par lequel j'ai démontré qu'il y a un Dieu, est pris de ce que j'ai évidemment prouvé que nous n'aurions point eu la faculté de connoître et de concevoir toutes ces perfections que nous reconnoissons en Dieu, s'il n'étoit vrai que Dieu existe, et que nous avons été créés par lui. Mais notre auteur pense l'avoir abondamment réfuté en disant, que l'idée que nous avons

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de Dieu de ce que je voyois, que, dans les choses sensibles, il y avoit un ordre, ou une certaine suite des causes efficientes; partie parce que j'ai pensé que l'existence de Dieu étoit beaucoup plus évidente que celle d'aucune chose sensible, et partie aussi parce ce que je ne voyois pas que cette suite de causes me pût conduire ailleurs qu'à me faire connoître l'imperfection de mon esprit, en ce que je ne puis comprendre comment une infinité de telles causes ont tellement succédé les unes aux autres de toute éternité, qu'il n'y en ait point eu de première : car certainement de ce que je ne puis comprendre cela, il ne s'ensuit pas qu'il y en doive avoir une première ; non plus que de ce que je ne puis comprendre une infinité de divisions en une quantité finie, il ne s'ensuit pas que l'on puisse venir à une dernière, après laquelle cette quantité ne puisse plus être divisée; mais il suit seulement que mon entendement, qui est fini, ne peut comprendre l'infini. C'est pourquoi j'ai mieux aimé appuyer mon raisonnement sur l'existence de moi-même, laquelle ne dépend d'aucune suite de causes, et qui m'est si connue que rien ne le peut être davantage et m'interrogeant sur cela

s'agit de remonter à une première cause. Nous pensons seulement qu'il a cru la route qu'il prenoit plus courte et plus simple.

moi-même, je n'ai pas tant cherché par quelle cause j'ai autrefois été produit, que j'ai cherché quelle est la cause qui à présent me conserve, afin de me délivrer par ce moyen de toute suite et succession de causes.

Outre cela, je n'ai pas cherché quelle est la cause de mon être, en tant que je suis composé de corps et d'ame, mais seulement et précisément en tant que je suis une chose qui pense, ce que je crois ne servir pas peu à ce sujet : car ainsi j'ai pu beaucoup mieux me délivrer des préjugés, considérer ce que dicte la lumière naturelle, m'interroger moi-même, et tenir pour certain que rien ne peut être en moi, dont je n'aie quelque connoissance : ce qui en effet est tout autre chose, que si de ce que je vois que je suis né de mon père, je considérois que mon père vient aussi de mon aïeul, et si, voyant qu'en recherchant ainsi les pères de mes pères je ne pourrois pas continuer ce progrès à l'infini, pour mettre fin à cette recherche, je concluois qu'il y a une première cause.

De plus je n'ai pas seulement recherché quelle est la cause de mon être, en tant que je suis une chose qui pense; mais je l'ai principalement et précisément recherchée, en tant que je suis une chose qui pense, qui entre plusieurs autres pensées reconnois avoir en moi l'idée d'un être souverainement parfait. Car c'est de cela seul que

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