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où il est dit, que leur ignorance n'est point pardonnable car si leur esprit a pénétré si avant dans la connoissance des choses du monde, comment est-il possible qu'ils n'en aient point reconnu plus facilement le souverain Seigneur? Et aux Romains, chapitre I., il est dit qu'ils sont inexcusables; et encore au même endroit, par ces paroles, ce qui est connu de Dieu est manifeste dans eux. Il semble donc que nous soyons avertis, que tout ce qui peut se savoir de Dieu, peut être prouvé par des raisons qu'il n'est pas besoin de tirer d'ailleurs que de nous-mêmes, et de la simple considération de la nature de notre esprit. Aussi ai-je cru que je n'agirois pas contre le devoir d'un philosophe, si je faisois voir comment, et par quelle voie, nous pouvons, sans sortir de nous-mêmes, connoître Dieu plus facilement et plus certainement que nous ne connoissons les choses du monde.

Et quant à ce qui regarde l'ame, quoique plusieurs aient cru qu'il n'est pas aisé d'en connoître la nature, et que quelques-uns aient même osé dire que des raisons humaines nous persuadoient qu'elle mouroit avec le corps, et qu'il n'y avoit que la seule foi qui nous enseignât le contraire, néanmoins, puisque le concile de Latran, tenu sous Léon X, en la session 8, les condamne, et qu'il ordonne expressément aux philosophes chrétiens de répondre à leurs argumens, et d'em

ployer toutes les forces de leur esprit pour faire connoître la vérité, j'ai osé l'entreprendre dans mes écrits.

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De plus, sachant que la principale raison qui fait que plusieurs impies ne veulent point croire qu'il y a un Dieu, et que l'ame humaine est distincte du corps, c'est, disent-ils, que personne, jusqu'ici, n'a pu démontrer ces deux choses; quoique je ne sois point de leur opinion, et qu'au contraire je tienne que la plupart des raisons qui ont été apportées par tant de grands personnages, touchant ces deux questions, sont autant de démonstrations quand elles sont bien entendues, et qu'il soit presque impossible d'en inventer de nouvelles cependant je crois qu'on ne sauroit rien faire de plus utile dans la philosophie, que de rechercher une fois avec soin quelles sont les meilleures, et de les disposer dans un ordre si clair et si exact, qu'il soit constant désormais à tout le monde que ce sont de véritables démonstrations. Et enfin, sollicité par plusieurs personnes, qui savent que j'ai cultivé une certaine méthode pour résoudre toutes sortes de difficultés dans les sciences, méthode qui, dans le vrai, n'est pas nouvelle, n'y ayant rien de plus ancien que la vérité, j'ai pensé qu'il étoit de mon devoir d'en faire l'épreuve sur une matière si importante.

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J'ai donc fait mon possible pour renfermer dans mes Méditations tout ce que j'ai pu découvrir par

le moyen de cette méthode. Ce n'est pas que j'aie ici rassemblé toutes les diverses raisons qu'on pourroit alléguer pour servir de preuve à un si grand sujet; je n'ai jamais cru que cela fût nécessaire, sinon lorsqu'il n'y en a aucune qui soit certaine j'ai seulement traité les premières et principales d'une telle manière, que j'ose bien les proposer pour de très-évidentes et très-certaines démonstrations.

Je dirai de plus qu'elles sont telles, que je ne pense pas qu'il y ait aucune voie par où l'esprit humain puisse jamais en découvrir de meilleures: L'importance du sujet, et la gloire de Dieu à laquelle tout ceci se rapporte, me contraignent de parler ici un peu plus librement de moi que je n'ai coutume de faire.

Cependant, quelque certitude et quelque évidence que je trouve dans mes raisons, je ne puis pas me persuader que tout le monde soit capable de les entendre. Dans la géométrie, il y a beaucoup de propositions d'Archimède, d'Apollonius, de Papus, et de plusieurs autres géomètres, qui sont reçues de tout le monde comnie très-certaines et très-évidentes, parce qu'elles ne contiennent rien qui, considéré séparément, ne soit très-facile à connoître, et que partout les choses qui suivent ont une exacte liaison et dépendance avec celles qui les précèdent; cependant, parce qu'elles sont un peu longues, et qu'elles demandent un esprit

tout entier, elles ne sont comprises et entendues que de fort peu de personnes. Il en est de même des raisons que j'emploie; quoiqu'elles égalent, ou même surpassent en certitude et en évidence les démonstrations de géométrie, j'appréhende qu'elles ne puissent pas être assez suffisamment entendues de plusieurs, soit parce qu'elles sont un peu longues et dépendantes les unes des autres, soit principalement parce qu'elles demandent un esprit entièrement libre de tous préjugés, et qui puisse aisément se détacher du commerce des sens.

II.

CONSEIL de Descartes à l'égard des athées, et son indignation contre eux.

(Lett. CIII, tom. II.)

Le moyen le plus court de répondre aux raisons que l'athée, dont on m'a montré le manuscrit, apporte contre la divinité, et en même temps à toutes celles des autres athées, c'est de trouver une démonstration évidente, qui fasse croire à tout le monde que Dieu est. Pour moi, j'ose bien me vanter d'en avoir trouvé une qui me satisfait entièrement, et qui me fait savoir plus certainement que Dieu est, que je ne sais la vérité d'aucune proposition de géométrie; mais je ne sais pas si je serois capable de la faire entendre à tout

le

le monde de la même manière dont je l'entends. Le consentement universel de tous les peuples est assez suffisant pour maintenir la divinité contre les injures des athées, et un particulier ne doit jamais entrer en dispute contre eux, s'il n'est trèsassuré de les convaincre....

J'espère achever quelque jour un traité de Métaphysique que j'ai commencé, et dont les principaux points sont de prouver l'existence de Dieu, et celle de nos ames lorsqu'elles sont séparées du corps, d'où suit leur immortalité; car j'avoue que j'entre en colère, quand je vois qu'il y a dans ce monde des gens assez audacieux et assez impudens pour oser combattre contre Dieu.

III.

IDEE DE DIEU.

(Lett. CXVII et CXVIII, tom. Ier.)

Quoique l'idée de Dieu soit tellement empreinte en l'esprit humain, qu'il n'y ait personne qui n'ait en soi la faculté de le connoître, cela n'empêche pas que plusieurs personnes n'aient pu passer toute leur vie sans jamais se représenter distinctement cette idée. Et en effet, ceux qui pensent avoir l'idée de plusieurs dieux, ne l'ont point du tout; car il implique contradiction d'en concevoir plusieurs souverainement parfaits, et quand les

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