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nom Dieu, on entend une chose telle que rien de plus grand ne peut être conçu: mais c'est une chose plus grande d'être en effet et dans l'entendement, que d'être seulement dans l'entendement donc, lorsqu'on comprend et on entend ce que signifie ce nom Dieu, on entend que Dieu est en effet et dans l'entendement. Il y a dáns cet argument une faute manifeste en la forme; car on devoit seulement conclure: Donc, lors qu'on comprend et on entend ce que signifie ce nom Dieu, on entend qu'il signifie une chose qui est en effet, et dans l'entendement. Or ce qui est signifié par un mot, ne paroît pas pour cela être vrai.

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Mais mon argument a été tel. Ce que nous concevons clairement et distinctement appartenir à la nature ou à l'essence, ou à la forme immuable et vraie de quelque chose, peut être dit ou affirmé avec vérité de cette chose : mais après que nous avons assez soigneusement recherché ce que c'est que Dieu, nous concevons clairement et distinctement qu'il appartient à sa vraie et immuable nature qu'il existe: donc alors nous pouvons affirmer avec vérité qu'il existe. Ici du moins la conclusion est légitime. La majeure ne 52 peut aussi nier, parce qu'on est déja demeuré d'accord ci-devant, que tout ce que nous entendons on concevons clairement et distinctement est vrai. Il ne reste plus que la mineure, où je

confesse que la difficulté n'est pas petite; parce que nous sommes tellement accoutumés, dans toutes les autres choses, à distinguer l'existence de l'essence, que nous ne prenons pas assez garde comment elle appartient à l'essence de Dieu, plutôt qu'à celle des autres choses......

Pour lever cette difficulté, il faut distinguer entre l'existence possible et l'existence nécessaire; et remarquer que l'existence possible est contenue dans la notion ou dans l'idée de toutes les choses que nous concevons clairement et distinctement, mais que l'existence nécessaire n'est contenue qué dans l'idée seule de Dieu. Car je ne doute point que ceux qui considéreront avec altention cette différence qui est entre l'idée de Dieu et toutes les autres idées, n'aperçoivent fort bien que quoique nous ne concevions jamais les autres choses, sinon comme existantes, il ne s'ensuit pas néanmoins de là qu'elles existent, mais seulement qu'elles peuvent exister; parce que nous ne concevons pas qu'il soit nécessaire que l'existence actuelle soit conjointe avec leurs autres propriétés: mais que de ce que nous concevons clairement que l'existence actuelle est nécessairement et toujours conjointe avec les autres attributs de Dieu, il suit de-là nécessairement que Dieu existe......

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Si nous examinons soigneusement si l'existence convient à l'être souverainement puissant,

et quelle sorte d'existence, nous pourrons clairement et distinctement connoître, premièrement qu'au moins l'existence possible lui convient, comme à toutes les autres choses dont nous avons en nous quelque idée distincte, même à celles qui sont composées par les fictions de notre esprit. Ensuite parce que nous ne pouvons penser que son existence est possible, qu'en même temps, prenant garde à sa puissance infinie, nous ne connoissions qu'il peut exister par sa propre force, nous conclurons de-là que réellement il existe, et qu'il a été de toute éternité; car il est très-manifeste, par la lumière naturelle, que ce qui peut exister par sa propre force, existe toujours; et ainsi nous connoîtrons que l'existence nécessaire est contenue dans l'idée d'un être souverainement puissant, non par une fiction de l'entendement, mais parce qu'il appartient à la vraie et immuable nature d'un tel être, d'exister et il nous sera aussi aisé de connoître qu'il est impossible que cet être souverainement puissant n'ait point en soi toutes les autres perfections qui sont contenues dans l'idée de Dieu, ensorte que de leur propre nature, et sans aucune fiction de l'entendement, elles soient toutes jointes ensemble, et existent dans Dieu.

XI.

ABRÉGÉ de la même Démonstration de l'existence de Dieu, tirée de ce que la nécessité d'exister est comprise dans la notion que nous avons de lui.

(Principes de Philos., pag. 9.)

L'ame, en examinant les diverses idées ou notions qui sont en elle, y trouve celle d'un être toutconnoissant, tout-puissant, et extrêmement parfait; elle juge facilement, par ce qu'elle aperçoit en cette idée, que Dieu, qui est cet être tout parfait, est, ou existe : car, quoiqu'elle ait des idées distinctes de plusieurs autres choses, elle n'y remarque rien qui l'assure de l'existence de leur objet, au lieu qu'elle aperçoit en celle-ci, non pas seulement comme dans les autres une existence pos¬ sible, mais une absolument nécessaire et éternelle. Et comme de ce qu'elle voit qu'il est nécessairement compris dans l'idée qu'elle a du triangle, que ses trois angles soient égaux à deux droits, elle se persuade absolument que le triangle a trois angles égaux à deux droits; de même, de cela seul qu'elle aperçoit que l'existence nécessaire et éternelle est comprise dans l'idée qu'elle a d'un être tout parfait, elle doit conclure que cet être tout parfait est, ou existe.

Elle pourra s'assurer encore mieux de la vérité

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de cette conclusion, si elle prend garde qu'elle n'a point en soi l'idée ou la notion d'aucune autre chose où elle puisse reconnoître une existence qui soit ainsi absolument nécessaire. Car de cèla seul, elle saura que l'idée d'un être tout parfait n'est point en elle par une fiction, comme celle qui représente une chimère; mais qu'au contraire elle y est empreinte par une nature immuable et Ꭹ vraie, et qui doit nécessairement exister, parce qu'elle ne peut être conçue qu'avec une existence nécessaire (1)

(1) On voit, dans le tome III des OEuvres de Leibnitz, une discussion très-longue et très-vive entre Leibnitz et M. Eccard, sou ami et son collaborateur dans l'Histoire de la maison de Brunswick, sur la preuve de Descartes. Ce dernier soutenoit que cette preuve étoit rigoureusement démonstrative; le premier n'en jugeoit pas aussi avantageusement : il pensoit que, pour la rendre complète, il y avoit un point à démontrer, qui ne l'avoit pas été pár Descartes, savoir que Dieu, ou l'être par soi, l'être nécessaire, étoit possible. Le P. Mersenne, auteur des secondes objections faites à Descartes, avoit déjà fait observer (p. 144) qu'il prouvoit seufement que Dieu doit exister, si sa nature est possible ou ne répugne point; il réduisoit sa preuve à ce syllogisme. S'il n'implique point que Dieu soit, il est certain qu'il existe or il n'implique point que Dieu soit donc, etc. La ma¬ jeure est incontestable, et Leibnitz en tomberoit parfaitement d'accord. Il n'y a que la mineure qui ait besoin de preuve, suivant lui, et suivant le P. Mersenne. Descartes, dans sa réponse au P. Mersenne, est étonné qu'on aperçoive la quelque difficulté. Il lui paroît évident que, dès qu'il n'y a

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