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tion de la créature; en ce que si jamais il vouloit que nous cessassions d'être, il faudroit qu'il eût le néant pour le terme d'une action positive.

Ce que vous dites après cela, touchant le progrès à l'infini, savoir, qu'il n'y a point de répu gnance qu'il y ait un tel progrès, vous le désavouez incontinent après; car vous confessez vous-même qu'il est impossible qu'il y en puisse avoir dans ces sortes de causes, qui sont tellement connexes et subordonnées entr'elles, que l'inférieur ne peut agir si le supérieur ne lui donne le branle.. Or il ne s'agit ici que de ces sortes de causes, savoir, de celles qui donnent et conservent l'être à leurs effets, et non pas de celles de qui les effets ne dé pendent qu'au moment de leur production, comme sont les parens; et par conséquent l'autorité d'Aristote ne m'est point ici contraire.

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Non plus que ce que vous dites de la Pandore des poètes. << Pourquoi donc pareillement, me de<< mandez-vous, après avoir admiré en divers << hommes une science éminente, une haute sa«gesse, une puissance souveraine, etc., n'auriez<< vous pas pu assembler ces perfections, les au<< gmenter, les imaginer si accomplies, qu'on ne pût rien y ajouter, et que celui qui les posséde« roit fûl fout-connoissant, tout-puissant, etc.? et << voyant que la nature humaine ne peut contenir <<< un tel assortiment de perfections, pourquoi ne pas « rechercher si une telle nature existe ou non »?

Mais vous avouez donc vous-même que je puis tellement accroître et augmenter toutes les perfec-. tions que je reconnois être dans l'homme, qu'il me sera facile de reconnoître qu'elles sont telles qu'elles ne sauroient convenir à la nature humaine; ce qui me suffit entièrement pour démontrer l'existence de Dieu : car je soutiens que cette vertu-là d'augmenter et d'accroître les perfections humaines jusqu'à tel point qu'elles ne soient plus humaines, mais infiniment relevées au-dessus de l'état et condition des hommes, ne pourroit être en nous, si nous n'avions un Dieu pour auteur de notre être...

Lorsque vous reprenez ce que j'ai dit, qu'on ne peut rien ajouter ni diminuer de l'idée de Dieu, il semble que vous n'ayez pas pris garde à ce que disent communément les philosophes, que les essences des choses sont indivisibles; car l'idée représente l'essence de la chose, à laquelle si on ajoute ou diminue quoi que ce soit, elle devient aussitôt l'idée d'une autre chose.... Quand on a une fois conçu l'idée du vrai Dieu, quoiqu'on puisse découvrir en lui de nouvelles perfections qu'on n'avoit pas encore aperçues, son idée n'est point pourtant accrue ou augmentée, mais elle est seulement rendue plus distincte et plus expresse; parce qu'elles ont dû être toutes contenues dans cette même idée que l'on avoit auparavant, puisqu'on suppose qu'elle étoit vraie de la même

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façon que l'idée du triangle n'est point augmentée lorsqu'on vient à remarquer en lui plusieurs propriétés qu'on avoit auparavant ignorées. Car ne pensez pas que l'idée que nous avons de Dieu, se forme successivement de l'augmentation des perfections des créatures; elle se forme toute entière, et toute à la fois, de ce que nous concevons par notre esprit l'être infini, incapable de toute sorte d'augmentation.

Enfin, lorsque vous dites qu'il y a lieu de s'étonner pourquoi le reste des hommes n'a pas les mêmes pensées de Dieu que celles que j'ai, puisqu'il a empreint en eux son idée aussi bien qu'en moi. C'est de même que si vous vous étonniez de ce que tout le monde ayant la notion du triangle, chacun pourtant n'y remarque pas également autant de propriétés, et qu'il y en a même peut-être quelques-uns qui lui en attribuent de fausses.

O IX.

SECONDE DEMONSTRATION de l'existence de Dieu, tirée de ce que l'existence est nécessairement renfermée dans l'idée de Dieu.

(MEDIT. V. pag. 63.)

Je trouve en moi une infinité d'idées de certaines choses, qui ne peuvent pas être estimées un pur néant, quoique peut être elles n'aient aucune

existence hors de ma pensée; et qui ne sont pas feintes par moi, quoiqu'il soit en ma liberté de les penser ou de ne les penser pas; mais qui ont leurs vraies et immuables natures. Comme, par exemple, lorsque j'imagine un triangle, quoiqu'il n'y ait peut-être en aucun lieu du nionde hors de ma pensée une telle figure, et qu'il n'y en ait jamais eu, il ne laisse pas néanmoins d'y avoir une certaine nature, ou forme, ou essence déterminée de cette figure, laquelle est immuable et éternelle, que je n'ai point inventée, et qui ne dépend en aucune façon de mon esprit; comme il paroît, de ce que l'on peut démontrer diverses propriétés de ce triangle, savoir, que ses trois angles sont égaux à deux droits, que le plus grand angle est, soutenu par le plus grand côté, et autres semblables, lesquelles maintenant, soit que je veuille ou non, je reconnois très-clairement et très-évidemment être en lui, quoique je n'y aie pensé auparavant en aucune façon, lorsque je me suis imaginé la première fois un triangle; et par conséquent on ne peut pas dire que je les aie feintes et inventées....

Or maintenant, si de cela seul que je puis tirer de ma pensée l'idée de quelque chose, il s'ensuit que tout ce que je reconnois elairement et distin ctement appartenir à cette chose, lui appartient en effet, ne puis-je pas tirer de ceci un argument et une preuve démonstrative de l'existence de Dieu 2 Il est certain que je ne trouve pas moins en

pas

moi son idée, c'est-à-dire, l'idée d'un être souverainement parfait, que celle de quelque figure ou de quelque nombre que ce soit : et je ne connois moins clairement et distinctement qu'une actuelle et éternelle existence appartient à sa nature, que je connois que tout ce que je puis démontrer de quelque figure ou de quelque nombre, appartient véritablement à la nature de cette figure ou de ce nombre; et par conséquent, quoique tout ce que j'ai conclu, dans mes Méditations précédentes, ne se trouvât point véritable, l'existence de Dieu devroit passer en mon esprit au moins pour aussi certaine que j'ai estimé jusqu'ici toutes les vérités des mathématiques, qui ne regardent que les nombres et les figures; quoiqu'à la vérité cela ne paroisse pas d'abord entièrement manifeste, mais semble avoir quelque apparence de sophisme : car ayant accoutumé dans toutes les autres choses de faire une distinction entre l'existence et l'essence, je me persuade aisément que l'existence peut être séparée de l'essence de Dieu, et qu'ainsi on peut concevoir Dieu comme n'étant pas actuellement. Mais néanmoins, lorsque j'y pense avec plus d'attention, je trouve manifestement que l'existence ne peut non plus être séparée de l'essence de Dieu, que de l'essence d'un triangle rectiligne, la grandeur de ses trois angles égaux à deux droits;, ou bien de l'idée d'une montagne l'idée d'une vallée en sorte qu'il n'y a pas moins

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