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seigne ici que très-mal; les professeurs n'y font que discourir une heure le jour, environ la moitié de l'année, sans dicter jamais aucun écrit, ni achever le cours en aucun temps déterminé; en sorte que ceux qui en veulent savoir un peu, sont contraints de se faire instruire en particulier par quelque maître, ainsi qu'on fait en France pour le droit, lorsqu'on veut entrer en office. Or, quoique mon opinion ne soit pas que toutes les choses qu'on enseigne en philosophie soient aussi vraies que l'Evangile, cependant, parce que la philosophie est la clef des autres sciences, je crois qu'il est très-utile d'en avoir étudié le cours entier, comme il s'enseigne dans les écoles des Jésuites, avant qu'on entreprenne d'élever son esprit audessus de la pédanterie, pour se faire savant de la bonne sorte. Et je dois rendre cet honneur à mes maîtres, de dire qu'il n'y a aucun lieu au monde où je juge qu'elle s'enseigne mieux qu'à la Flèche. Outre que c'est, ce me semble, un grand changement, pour la première sortie de la maison, de passer tout d'un coup en un pays différent de langue, de façons de vivre, et de religion, au lieu que l'air de la Flèche est voisin du vôtre, et parce qu'il y va quantité de jeunes gens de tous les quartiers de la France, ils y font un certain mélange d'humeurs, par la conversation les uns des autres, qui leur apprend presque la même chose que s'ils voyageoient; et enfin l'égalité que les Jésuites

mettent entr'eux, en ne traitant guère d'une autre manière ceux qui sont les plus distingués que ceux qui le sont le moins, est une invention extrêmement bonne, pour leur ôter la délicatesse et les autres défauts qu'ils peuvent avoir acquis par la coutume d'être bien traités dans les maisons de leurs parens. Mais, monsieur, j'appréhende que la trop bonne opinion que vous m'avez fait avoir de moi-même, en prenant la peine de me demander mon avis, ne m'ait donné occasion de vous l'écrire plus librement que je ne devois : c'est pourquoi je n'y ose rien ajouter, sinon que si M. votre fils vient en ces quartiers, je le servirai en tout ce qui me sera possible.

XXXIV.

DESCARTES, accusé par Voëtius, auprès des magistrats d'Utrecht, d'être ami des Jésuites, convient du fait.

(Tom. III, Lett. Iere.)

Etant du pays et de la religion dont je suis, il n'y a que les ennemis de la France qui puissent m'imputer à crime d'être ami, ou de rechercher l'amitié de ceux à qui nos rois ont coutume de communiquer le plus intérieur de leurs pensées, en les choisissant pour confesseurs. Or chacun sait que les Jésuites de France ont cet honneur, et

même que le révérend P. Dinet (qui est le seul auquel on me reproche d'avoir écrit) fut choisi pour confesseur du roi, peu de temps après que j'eus publié la lettre que je lui adressois. Et, si nonobstant cette raison, il y a des gens si partiaux et si zélés pour la religion de ce pays, qu'ils s'offensent qu'on ait quelque communication avec ceux qui font profession de la combattre, ils doivent trouver cela plus mauvais dans Voëtius, qui, voulant être Ecclesiarum Belgicarum decus et ornamentum, ne laisse pas d'écrire à quelquesuns de nos religieux, dont la règle est plus austère que celle des Jésuites (Minimes), et de les appeler les défenseurs de la vérité, pour tâcher d'acquérir leurs bonnes grâces, que non pas dans un François qui fait profession d'être de la même religion que son roi. Mais, outre cela, pour vous faire voir combien Voëtius se plaît à tromper le monde, et à persuader à ceux qui le croient, des choses qu'il ne croit pas lui-même, si vous prenez la peine de lire le petit livre intitulé: Septimæ objectiones, etc., qui contient la Jettre sur laquelle il s'est fondé pour m'objecter l'amitié des Jésuites, et dont il a obtenu de vous la condamnation, à ce qu'on dit; ou bien s'il vous plaît seulement de demander à quelqu'un qui l'ait lu, de quoi il y est traité, vous saurez que tout ce livre est composé contre un Jésuite, dont je fais gloire d'être maintenant l'ami, et je veux bien

qu'on sache que mes maîtres ne m'ont point appris à être irréconciliable; vous saurez aussi que j'y avois écrit vingt fois plus de choses au désavantage de ce Jésuite, que je n'avois faitau désavantage de Voëtius, dont je n'avois parlé qu'en passant, et sans le nommer; en sorte que, lorsqu'il a été cause que vous avez condamné ce livre, il semble s'être rendu le procureur des Jésuites, et avoir obtenu de vous, en leur faveur, plus qu'ils n'ont tâché ou espéré d'obtenir des magistrats d'aucunes des villes où l'on dit qu'ils ont le plus de pouvoir.

XXXV.

JUGEMENT de Descartes sur le livre de Hobbes, de Cive.

(Tom. Ier., Lett. XVII)

L'auteur du livre de Cive, me paroît le même que celui qui a fait les troisièmes objections contre mes Méditations, et je le trouve beaucoup plus habile en morale qu'en métaphysique et en physique, malgré que je ne puisse en aucune manière approuver ses principes, ni ses maximes, qui sont très-mauvaises et très dangereuses, en ce qu'il suppose tous les hommes méchans, ou qu'il leur donne sujet de l'être. Tout son but est d'écrire en faveur de la monarchie; ce qu'on pourroit faire plus

avantageusement et plus solidement qu'il n'a fait, en prenant des maximes plus vertueuses et plus solides.

XXXVI.

JUGEMENT de Descartes sur le livre du Prince, de Machiavel.

(Tom. Ier., Lett. XIII et XV.)

J'ai lu le livre dont votre altesse (il écrit à la Princesse Palatine) m'a commandé de lui écrire mon opinion, et j'y trouve plusieurs préceptes qui me semblent fort bons, tels que ceux-ci : Un prince doit toujours éviter la haine et le mépris de ses sujets; et, L'amour du peuple vaut mieux que les forteresses. Mais il y en a aussi plusieurs autres que je ne saurois approuver; et je crois que la faute capitale, dans cet auteur, est qu'il n'a pas mis assez de distinction entre les princes qui ont acquis un Etat par des voies justes, et ceux qui l'ont usurpé par des moyens illégitimes; et qu'il a donné à tous généralement les préceptes qui ne sont propres qu'à ces derniers. Car, comme en bâtissant une maison dont les fondemens sont si mauvais qu'ils ne sauroient soutenir des murailles hautes et épaisses, on est obligé de les faire foibles et basses ainsi ceux qui ont commencé à s'établir par des crimes, sont ordinairement contraints de

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