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être communs à plusieurs; cela fait que les orgueilleux tâchent d'abaisser tous les autres hommes, et qu'esclaves comme ils sont de leurs désirs, ils ont l'ame incessamment agitée de haine, d'envie, de jalousie ou de colère.

Pour la bassesse ou humilité vicieuse, elle consiste principalement en ce qu'on se sent foible ou peu résolu, et que, comme si on n'avoit pas l'usage entier de son libre arbitre, on ne peut s'empêcher de faire des choses, dont on sait qu'on se repentira ensuite; puis aussi en ce qu'on croit ne pouvoir subsister par soi-même, ni se passer de plusieurs choses, dont l'acquisition dépend d'autrui. Ainsi elle est directement opposée à la générosité; et il arrive souvent que ceux qui ont l'esprit le plus bas, sont les plus arrogans et les plus superbes, tandis que les plus généreux sont les plus modestes et les plus humbles: mais au lieu que ceux qui ont l'esprit fort et généreux, demeurent constamment les mêmes, quelques prospérités ou adversités qui leur arrivent, ceux qui l'ont foible et abject vivent au gré de la fortune; et la prospérité ne les enfle pas moins que l'adversité les abat. On voit même souvent qu'en même temps qu'ils s'abaissent honteusement, auprès de oeux dont ils attendent quelque profit ou craignent quelque mal, ils s'élèvent insolemment au-dessus de ceux de qui ils n'espèrent ni ne craignent rien.

Mais comment acquérir la générosité? Il est certain que la bonne éducation sert beaucoup à corriger les défauts de la naissance. Si donc on s'occupe souvent à considérer ce que c'est que le libre arbitre, et combien sont grands les avantages qui viennent de ce qu'on a une ferme résolution d'en bien user: comme aussi, d'un autre côté, combien sont vains et inutiles tous les soins qui travaillent les ambitieux; on peut exciter en soi la passion, et ensuite acquérir la vertu de générosité, qui est comme la clef de toutes les autres vertus, et un remède général contre tous les déréglemens des passions; et il me semble que cette considération est bien digne de remarque....

Finissons par observer que, plus on a l'ame noble et généreuse, plus on a d'inclination à rendre à chacun ce qui lui appartient; et ainsi on n'a pas seulement une très-profonde humilité à l'égard de Dieu, mais aussi on rend sans répugnance tout l'honneur et le respect qui est dû aux hommes, à chacun selon le rang et l'autorité qu'il a dans le monde, et on ne méprise rien que les vices. Au contraire, ceux qui ont l'esprit bas et foible, sont sujets à pécher par excès, quelquefois en révérant et craignant des choses qui ne sont dignes que de mépris, et quelquefois en dédaignant insolemment celles qui méritent le plus d'être révérées : et ils passent souvent fort promptement de l'extrême impiété à la superstition, puis de la superstition

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à l'impiété; en sorte qu'il n'y a aucun vice ni aucun déréglement d'esprit dont ils ne soient capables.

XXXII.

REMÈDE général contre les passions.

(Traité des Passions, pag. 231.)

Je compte, entre les remèdes contre les passions, la préméditation, et l'industrie par laquelle on peut corriger les défauts de son naturel, en s'exerçant à séparer en soi les mouvemens du sang et des esprits, d'avec les pensées auxquelles ils ont coutume d'être joints. J'avoue qu'il y a peu de personnes qui se soient assez préparées de cette façon contre toutes sortes d'attaques, et que ces mouvemens excités dans le sang, par les objets des passions, suivent d'abord si promptement des seules impressions qui se font dans le cerveau, et de la disposition des organes, quoique l'ame n'y contribue en aucune façon, qu'il n'y a point de sagesse humaine qui fût capable de leur résister, lorsqu'on n'y est pas assez préparé.... Ainsi ceux qui sont fort portés de leur nature aux émotions de la joie et de la pitié, ou de la peur, ou de la colère, ne peuvent s'empêcher de se pâmer, ou de pleurer, ou de trembler, ou d'avoir le sang tout

Pr

ému, comme s'ils avoient la fièvre, lorsque leur imagination est fortement touchée par l'objet de quelqu'une de ces passions. Mais ce qu'on peut toujours faire en telle occasion, et que je pense devoir indiquer ici, comme le remède le plus général et le plus aisé à pratiquer contre tous les excès des passions, c'est que, lorsqu'on se sent le sang ému, on doit être averti, et se souvenir que tout ce qui se présente à l'imagination, tend à tromper l'ame, et à lui faire paroître les raisons qui servent à persuader l'objet de sa passion, beaucoup plus fortes qu'elles ne sont, et celles qui servent à la dissuader, beaucoup plus foibles. Et lorsque la passion ne persuade que des choses dont l'exécution souffre quelque délai, il faut s'abstenir d'en porter sur l'heure aucun jugement, et se distraire par d'autres pensées, jusqu'à ce que le temps et le repos ait entièrement appaisé l'émotion qui est dans le sang; et enfin lorsqu'elle incite à des actions, à l'égard desquelles il est nécessaire qu'on prenne une résolution sur-le-champ, il faut que la volonté se porte principalement à considérer et à suivre les raisons qui sont contraires à celles que la passion représente, quoiqu'elles paroissent moins fortes. Ainsi, par exemple, lorsqu'on est inopinément attaqué par quelque ennemi, l'occasion ne permet pas, il est vrai, qu'on emploie aucun temps à délibérer; mais ce qu'il me semble que ceux qui sont accoutumés à faire

réflexion sur leurs actions, peuvent toujours, c'est que, lorsqu'ils se sentiront saisis de la peur, ils tâcheront de détourner leur pensée de la considération du danger, en se représentant les raisons pour lesquelles il y a beaucoup plus de sûreté et plus d'honneur dans la résistance que dans la fuite; et au contraire, lorsqu'ils sentiront que le désir de la vengeance et la colère les incite à courir inconsidérément vers ceux qui les attaquent, ils auront soin de penser que c'est impru dence de se perdre, quand on peut sans déshonneur se sauver, et que, si la partie est fort inégale', il vaut mieux faire une honnête retraite ou demander quartier, que s'exposer brutalement à une mort certaine.

XXXIII.

JUGEMENT de Descartes sur la bonne éducation qu'on recevoit dans les collèges des Jésuites, et particulièrement dans celui de la Flèche.

(Tom. II, Lett. XC.)

Vous voulez savoir mon opinion sur l'éducation de M. votre fils (il écrit à un de ses amis).... Je ne vous conseille point de l'envoyer dans nos quartiers, pour y étudier la philosophie, comme vous en avez la pensée. La philosophie ne s'en

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