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XXVI.

AVANTAGE d'exécuter promptement ce qu'on délibéré avec sagesse: et confiance dans la Providence.

(Tom. Ier., Lett. XII.)

- Je confesse une faute très-signalée que j'ai com mise dans le traité des Passions, en ce que, pour flatter ma négligence, j'y ai mis au nombre des émotions de l'ame, qui sont excusables, une je ne sais quelle langueur, qui nous empêche quelquefois de mettre en exécution les choses qui ont été approuvées par notre jugement.

J'avoue bien qu'on a grande raison de prendre du temps pour délibérer, avant d'entreprendre les choses qui sont d'importance; mais lorsqu'une affaire est commencée, et qu'on est d'accord du principal, je ne vois pas qu'on ait aucun profit à chercher des délais en disputant pour les condi tions. Car si l'affaire nonobstant cela réussit, tous les petits avantages, qu'on aura peut-être acquis par ce moyen, ne servent pas autant que peut nuire le dégoût que causent ordinairement ces délais; et si elle ne réussit pas, tout cela ne sert qu'à faire savoir au monde qu'on a eu des desseins qui ont manqué outre qu'il arrive bien plus souvent, lorsque l'affaire qu'on entreprend est

fort

fort bonne, que pendant qu'on en diffère l'exécution, elle s'échappe, que non pas lorsqu'elle est mauvaise. C'est pourquoi je me persuade que la résolution et la promptitude sont des vertus trèsnécessaires pour les affaires déjà commencées, et l'on n'a pas sujet de craindre ce qu'on ignore; car souvent les choses qu'on a le plus appréhendées, avant de les connoître, se trouvent meilleures que celles qu'on a désirées. Ainsi le meilleur est en cela de se fier à la providence divine, et de se laisser conduire par elle.

XXVII.

LA JUSTICE, FONDEMENT DES

:

ÉTATS.

(Tom. III, Lett. Iere.)

La justice seule maintient les Etats et les Empires c'est pour l'amour d'elle que les hommes ont quitté les grottes et les forêts pour bâtir des villes; c'est elle seule qui donne et qui maintient la liberté : comme, au contraire, c'est de l'impunité des coupables et de la condamnation des innocens, que vient la licence, qui, selon la remarque de tous les politiques, a été la ruine des républiques.

XXVIII.

PREFERENCE qu'on doit quelquefois donner à la génération future sur la génération présente.

(Discours de la Méthode, pag. 66.)

Il est vrai que chaque homme est obligé de procurer, autant qu'il est en lui, le bien des autres, et que c'est proprement ne valoir rien, que de n'être utile à personne. Cependant nos soins doivent s'étendre plus loin que le temps présent; et il est bon d'omettre des choses qui apporteroient peut-être quelque profit à ceux qui vivent, lorsque c'est à dessein d'en faire d'autres qui en apportent davantage à nos neveux.

XXIX.

DEFINITIONS de l'amour et de la haine. Distinction entre l'amour de concupiscence et les autres espèces d'amour.

(Traité des Passions, pag. 110.)

L'amour est une émotion de l'ame, qui l'incite à se joindre de volonté aux objets qui paroissent lui être convenables; et la haine est une émotion, qui l'incite à vouloir être séparée des objets qui se présentent à elle comme nuisibles.

ici parler

Par le mot de volonté, je n'entends pas du désir, qui est une passion à part, et se rapporte à l'avenir, mais du consentement par lequel on se considère, dès à présent, comme joint avec ce qu'on aime; en sorte qu'on imagine un tout, duquel on croit qu'on est seulement une partie, et que la chose aimée en est une autre : comme, au contraire, en la haine on se considère seul comme un tout, entièrement séparé de la chose pour laquelle on a de l'aversion.

Or on distingue communément deux sortes d'amours; l'un est nommé amour de bien veillance, c'est-à-dire, qui incite à vouloir du bien à ce qu'on aime; l'autre est nommé amour de concupiscence, c'est-à-dire, qui fait désirer la chose qu'on aime. Mais il semble que cette distinction regarde seulement les effets de l'amour, et non point son essence: car aussitôt qu'on s'est joint de volonté à quelque objet, de quelque nature qu'il soit, on a pour lui de la bienveillance, c'est-àdire, on joint aussi à lui de volonté les choses qu'on croit lui être convenables : ce qui est un des principaux effets de l'amour. Et si on juge que ce soit un bien de le posséder, ou d'être associé avec lui d'autre façon que de volonté, on le désire : ce qui est aussi l'un des plus ordinaires effets de l'amour.

Il n'est pas besoin aussi de distinguer autant d'espèces d'amour qu'il y a de divers objets qu'on peut aimer. Car, par exemple, quoique la passion qu'un

ambitieux a pour la gloire, un avaricieux pour l'argent, un ivrogne pour le vin, un homme d'honneur pour son ami, et un bon père pour ses enfans, soient bien différentes entr'elles, cependant, en ce qu'elles participent de l'amour, elles sont semblables. Mais les quatre premiers n'ont de l'amour que pour la possession des objets auxquels se rapporte leur passion, et n'en ont point pour les objets mêmes, pour lesquels ils ont seulement du désir, mêlé avec d'autres passions particulières au lieu que l'amour qu'un bon père a pour ses enfans est si pur, qu'il ne désire rien avoir d'eux, et ne veut point les posséder autrement qu'il fait, ni être joint à eux plus étroitement qu'il est déjà; mais, les considérant comme d'autres soimêmes, il recherche leur bien comme le sien propre, ou même avec plus de soin, parce que se représentant que lui et eux font un tout, dont il n'est pas la meilleure partie, il préfère souvent leurs intérêts aux siens, et ne craint pas de se perdre pour les sauver. L'affection que les gens d'honneur ont pour leurs amis, est de cette nature, quoiqu'elle soit rarement aussi parfaite....

On peut, ce me semble, avec plus de raison, distinguer l'amour par l'estime qu'on fait de ce qu'on aime, en comparaison de soi-même. Car, lorsqu'on estime l'objet de son amour moins que soi, on n'a pour lui qu'une simple affection; lorsqu'on l'estime à l'égal de soi, cela se nomme

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