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des raisonnemens décousus. Ce qui le constitue, c'est le soin, c'est l'attention à saisir avec justesse, à embrasser avec plénitude tout ce qui doit concourir à la découverte des vérités que nous cherchons; et parce qu'il est impossible de parvenir à cette découverte, à la faveur de syllogismes ou de raisonnemens, si on n'en lie un très-grand nombre ensemble, il est certain que ceux qui n'en agissent point ainsi, étant par-là très-exposés à ne point voir et à laisser ainsi sans examen quelquesunes des choses dont ils devoient considérer la totalité, contractent l'habitude de l'inconsidération, et perdent l'usage du bon esprit.

Cependant ces mêmes personnages s'imaginant être fort habiles, parce qu'ils possèdent dans leur mémoire beaucoup de choses publiées par d'autres, et qu'ils croient sur leur autorité, deviennent de véritables pédans, pleins de la plus folle arrogance. Si, de plus, ils s'attachent par préférence à la lecture de certains livres, remplis de bagatelles, de disputes, de méchancetés, il est très-difficile que, quand même ils ne seroient pas nés méchans ni dépourvus de tout génie, ils ne deviennent querelleurs, impertinens et méchans eux-mêmes.

Cependant il faut convenir que le naturel influe beaucoup dans ces fâcheuses conséquences; car, dans les livres que j'ai distingués en bons et mauvais, il n'en est point qui soient pleinement bons ou pleinement mauvais souvent, dans le

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même auteur, on rencontre des choses qui sont positivement mauvaises, d'autres qui ne sont que frivoles, d'autres véritablement bones, et dont les unes lui appartiennent, et les autres sont empruntées d'ailleurs. Mais, semblables aux abeilles et aux araignées qui travaillent sur les fleurs, les lecteurs, suivant la diversité de leur génie, ne cueillent sur les livres, les uns que le miel, et les autres que le venin; et c'est ainsi que l'étude des lettres rend les hommes nés avec de bonnes inclinations, meilleurs et plus sages, et ceux qui sont nés avec des inclinations contraires, plus méchans et plus fous.

Il existe, au reste, une marque très-certaine pour les reconnoître et les distinguer les uns des autres. C'est que chacun d'eux s'attache plus particulièrement aux livres où il rencontre plus de choses conformes à ses inclinations. Il est encore entr'eux une très-grande différence: ceux qui, nés avec de mauvaises inclinations; ont encore mal étudié, sont le plus souvent arrogans, opiniâtres, emportés, tandis que les autres, je veux dire ceux qui ont étudié avec sagesse et acquis l'érudition dont j'ai parlé, ne sont jamais dominés par l'orgueil, parce qu'ils sont profondément convaincus de la foiblesse de l'esprit humain, et qu'ils font peu d'état de ce qu'ils savent, persuadés qu'il est un nombre incomparablement plus grand de choses qu'ils ne savent pas; d'où il résulte qu'ils

sont simples et dociles, toujours prêts à apprendre les vérités qu'ils ne connoissent pas encore, et qu'enfin, accoutumés comme ils sont, à plier leur esprit suivant les circonstances, il est inipossible qu'ils ne soient pleins de douceur, de bonté et de véritable politesse.

*

Ces mêmes hommes n'ignorent pas non plus que la véritable érudition ne dépend pas uniquement de la lecture: en conséquence, ils travaillent à l'acquérir par leurs propres réflexions, par l'usage des affaires du monde, parla société de plus ha biles gens; et ils ne vivent pas uniquement au milieu des livres. Mais il arrive de la que, ne s'é tant point fait la réputation d'hommes doctes, ils ne jouissent, par le défaut de ce titre, d'aucune considération auprès des ignorans et que s'ils vivent dans une érudition privée, on les oublie totalement, ou s'il en est quelquefois question, on n'en parle seulement que comme de bons pères de famille qui ne sont pas entièrement dépourvus de bon sens; et c'est ainsi que de très-grands esprits demeurent souvent parfaitement inconnus. Il est bien vrai que si les personnages dont nous parlons entrent dans les affaires, on aura bientôt reconnu qu'ils ont plus de prudence et de politesse que les autres. Mais on attribuera cet avantage à la bonté de leur naturel; et on ne s'apercevra pas qu'ils le doivent à la manière dont ils ont cultivé leur esprit.

XXIV.

DANGER de souffrir en soi des mouvemens de

colère.

(Ex Epist. ad Voetium, pag. 26.)

Toute émotion de l'ame, tendante à la colère, la haine, la dispute, est toujours très préjudiciable à la personne qui est ainsi émue, quelque juste que puisse en être la cause, parce que telle est la nature de l'homme, qu'un petit mouvement déréglé, auquel nous nous livrons, laisse en nous une grande disposition à nous livrer à d'autres mouvemens du même genre, plus déréglés encore; et si quelqu'un a souffert une fois qu'il s'élève dans son ame un mouvement de colère, pour un sujet qui étoit légitime, il deviendra par-là même beaucoup plus enclin à se mettre une autre fois en colère pour un sujet qui ne le seroit pas.

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XXV.

RÈGLES de la correction fraternelle que doivent observer tous les hommes, et particulièrement les prédicateurs.

(Ex Epist. ad Voetium, pag. 54.)

L'Apôtre saint Paul, écrivant aux Corinthiens, et voulant leur faire connoître le prix de la charité, s'exprime ainsi : (Chap. XIII.)

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« Quand je parlerois toutes les langues des hom<< mes et même celles des anges, si je n'ai pas la <«< charité, je suis comme l'airain qui résonne et « comme la cymbale qui retentit. Quand j'aurois «le don de prophétie, que je saurois tous les mys« tères, et que je posséderois toute la science; « quand j'aurois même toute la foi jusqu'à trans<< porter les montagnes, si je n'ai point la charité, « je ne suis rien; et quand je donnerois tout ce « que j'ai pour la nourriture des pauvres, et que « je livrerois mon corps pour être brûlé, si je « n'ai pas la charité, tout cela ne me servira de <<< rien »>.

Il suit manifestement de là, que tout talent, tout don de Dieu, quelque distingué qu'il puisse être, s'il n'est pas, dans l'homme qui le possède, joint à la charité, doit être compté pour rien.

L'Apôtre indique au même lieu les caractères auxquels on peut reconnoître la charité : « La cha« rité, dit-il, est patiente; elle est douce; elle n'est << point envieuse, ni dissimulée, ni superbe; elle << n'est point ambitieuse; elle ne cherche point << son intérêt particulier; elle ne se met point en «< colère; elle ne soupçonne point le mal; elle ne << se réjouit point de l'injustice, mais elle se réjouit <<< de la vérité ».

De-là nous tirons encore cette conséquence, que ceux qui sont emportés, méchans, envieux, brouillons, orgueilleux, arrogans, chicaneurs,

BIBL. UNIV.

GENT

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