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de la raison le mieux qu'il est en son pouvoir, et de faire en toutes ses actions ce qu'il juge être le meilleur, est véritablement sage, autant que sa nature permet qu'il le soit; et par cela seul il est juste, courageux, modéré, et a toutes les autres vertus, mais tellement jointes entr'elles, qu'il n'y en a aucune qui paroisse plus que les autres : quoiqu'elles soient donc beaucoup plus parfaites que celles à qui le mélange de quelque défaut donne de l'éclat; cependant, parce que le commun des honimes les remarque moins, on n'a pas coutume de leur donner autant de louanges.

Outre cela, de deux choses qui sont requises pour Ja sagesse, telle que je viens de la définir, savoir, que l'entendement connoisse tout ce qui est bien, et que la volonté soit toujours disposée à le suivre, il n'y a que celle qui consiste, dans la volonté, que tous les hommes peuvent également avoir, parce que l'entendement de quelques-uns n'est pas aussi bon que celui des autres. Mais quoique ceux qui n'ont pas le plus d'esprit puissent être aussi parfaitement sages que leur nature le permet, et se rendre très-agréables à Dieu par leur vertu, si seulement ils ont toujours une ferme résolution de faire tout le bien qu'ils connoîtront, et de n'omettre rien pour apprendre celui qu'ils ignorent; cependant ceux qui avec une constante volonté de bien faire, et un sain très-particulier de s'instruire, ont aussi un très-excellent esprit,

arrivent sans doute à un plus haut degré de sagesse que les autres (1).

(1) Ces réflexions de Descartes étoient un préliminaire au compliment qu'il préparoit à la Princesse Palatine, et qui mérite d'être connu, parce qu'il nous fait connoître combien cette princesse étoit digne de la correspondance que Descartes entretenoit avec elle, correspondance à laquelle nous sommes redevables de ce qu'il y a de plus intéressant dans notre collection.

<«< Ces trois choses se trouvent très-parfaitement en votre << altesse : car le soin qu'elle a eu de s'instruire, paroît assez « de ce que ni les divertissemens de la cour, ni la manière << dont les princesses ont coutume d'être élevées, qui les « détournent entièrement de la connoissance des lettres, << n'ont pu empêcher que vous n'ayez très-soigneusement « étudié tout ce qu'il y a de meilleur dans les sciences on << connoît l'excellence de votre esprit, en ce que vous les avez

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parfaitement apprises en fort peu de temps. Mais j'en ai << encore une autre preuve qui m'est particulière, en ce que << je n'ai jamais rencontré personne qui ait si généralement et << si bien entendu tout ce qui est contenu dans mes écrits; car « il en est plusieurs qui les trouvent très-obscurs, même entre « les meilleurs esprits et les plus doctes; et je remarque pres« que en tous, que ceux qui conçoivent aisément les choses qui, appartiennent aux mathématiques, ne sont nullement « propres à entendre celles qui se rapportent à la métaphy« sique; et au contraire, que ceux à qui celles-ci sont aisées, << ne peuvent comprendre les autres: en sorte que je puis dire «< avec vérité que je n'ai jamais rencontré que le seul esprit de » votre altesse, à qui l'un et l'autre fût également facile, et « que, par conséquent, j'ai'juste raison de l'estimer incompa<<rable. Mais, ce qui augmente le plus mon admiration, c'est « qu'une connoissance si parfaite et si variée de toutes les

XXII.

DANGER DES MAUVAISES LECTURES.

(Ex Epist. ad Voetium, pag. 20.)

J'ai dit, dans mon Discours de la Méthode, que la lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés qui en ont été les auteurs, et même une conversation étudiée, dans laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées. (p. 7) Par la raison des contraires, on pourroit dire que la lecture des mauvais livres n'est guère moins pernicieuse que la fréquentation des mauvaises sociétés.... J'ajoute que, quoique les ouvrages où l'on invective fortement contre les vices ne soient point blâmables, qu'ils soient au contraire dignes d'éloge, il ne seroit pourtant point sans inconvénient d'en faire une lecture trop assidue, parce que telle est la foiblesse de notre nature, que la censure des vices, qui ne peut guère avoir lieu sans en faire la peinture, nous en inspire souvent le

« sciences n'est point en quelque vieux docteur qui ait em«ployé beaucoup d'années à s'instruire, mais en une priu<«< cesse encore jeune, et dont le visage représente mieux celui « que les poètes donnent aux Grâces, que celui qu'ils attri « buent aux Muses ou à la savante Minerve, etc. ».

goût. Sans doute il est permis aux théologiens de lire les mauvais livres, puisqu'il est de leur devoir de les réfuter ou de les corriger : mais, dans le fait, ils ne doivent eux-mêmes user que rarement de cette permission. Le seul désir de passer pour un homme qui a beaucoup lu, ne fut jamais, pour un homme pieux, une raison suffisante de lire de tels livres. Vit-on jamais un homme sage, dans le dessein seulement de s'amuser ou de se délasser, visiter des gens aftaqués de la peste; et qui pourroit douter que de mauvais livres ne renferment une peste véritable (1)?

XXIII.

IMPORTANCE du choix dans les lectures, et influence de ces lectures sur le caractère.

(Ex Epist. ad Voetium, pag. 22.)

Je distingue l'homme docte de l'homme érudit. J'appelle érudit, un homme qui, par l'étude et la culture, a poli son esprit et ses mœurs : et je crois qu'un tel homme ne se forme point par la lecture de toute sorte de livres indifféremment. C'est la

(1) Nous voudrions que le plan de notre travail nous eût permis de faire usage d'une multitude de réflexions également profondes et judicieuses, que Descartes a semées dans cet écrit, sur la lecture des livres et sur les savans.

lecture assidue des meilleurs ouvrages, c'est l'attention à converser avec les personnages qui ont déjà acquis ce genre d'érudition, toutes les fois que l'occasion s'en présente, c'est un ardent amour pour la vérité, et une étude suivie de toutes les vertus, qui seuls peuvent former l'érudit dont je parle.

Mais, pour ceux qui ne puisent toute leur science que dans des lieux communs, dans des index et des lexiques, ils peuvent bien, il est vrai, remplir en peu de temps leur mémoire de beaucoup de faits et de pensées; mais ils n'en deviendront pas pour cela plus sages ni meilleurs. Au contraire, ces sortes de livres ne renfermant aucun enchaînement de raisons, et tout y étant décidé par autorité, ou tout au plus par des raisonnemens coupés, qu'arrive-t-il de là? C'est que ceux qui tirent de ce fond toute leur doctrine, contractent l'habitude de s'en rapporter indifféremment à l'autorité de tous les auteurs qui tombent entre leurs mains; ou, s'ils font un choix, c'est uniquement l'esprit de parti qui le détermine: de cette manière, ils perdent peu à peu l'habitude d'user sagement de la raison naturelle, pour ne plus suivre qu'une raison artificielle et sophistique; car il est bon de savoir que le véritable usage de la raison, en quoi consiste toute l'érudition proprement dite, tout le bon esprit, toute la sagesse humaine, ne consiste pas lui-même dans des syllogismes isolés ou

des

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