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pas, un nom qu'il n'entend point non plus, vous ne mettez point de distinction entre l'intellection (ou la notion) conforme à la portée de notre esprit, telle que chacun reconnoît assez en soi-même avoir de l'infini, et la conception entière et parfaite des choses, (c'est-à-dire, qui comprenne tout ce qu'il a d'intelligible en elles,) qui est telle que personne n'en eut jamais non-seulement de l'infini, mais même aussi peut-être d'aucune autre chose qui soit au monde, quelque petite qu'elle soit. Et il n'est pas vrai que nous concevions l'infini par la négation du fini, vu qu'au contraire toute limitation contient en soi la négation de l'infini.

Il n'est pas vrai aussi que l'idée qui nous représente toutes les perfections que nous attribuons à Dieu, n'a pas plus de réalité objective qu'en ont les choses finies: car vous confessez vous-même que toutes ces perfections sont amplifiées par notre esprit, afin qu'elles puissent être attribuées à Dieu. Pensez-vous donc que les choses ainsi amplifiées, ne soient point plus grandes que celles qui ne le sont point? et d'où nous peut venir cette faculté d'amplifier toutes les perfections créées, c'est-àdire, de concevoir quelque chose de plus grand et de plus parfait qu'elles ne sont, sinon de cela seul que nous avons en nous l'idée d'une chose plus grande, à savoir de Dieu même ? Et enfin il n'est pas vrai aussi que Dieu seroit très-peu de chose, s'il n'étoit point plus grand que nous le

concevons; car nous concevons qu'il est infini, et il ne peut y avoir rien de plus grand que l'infini. Mais vous confondez l'intellection avec l'imagination, et vous feignez, que nous imaginons Dieu comme quelque grand et puissant géant, Cainsi que feroit celui qui, n'ayant jamais vu d'éléphant, s'imagineroit qu'il est semblable à un ciron d'une grosseur et grandeur démesurée; ce que je confesse avec vous être fort impertinent.

Vous prétendez mal à propos que cet axiome, il n'y a rien dans un effet qui n'ait été premièrement dans sa cause, se doit plutôt entendre de la cause matérielle que de l'efficiente; car il est impossible de concevoir que la perfection de la forme spréexiste dans la cause matérielle, mais bien dans la seule cause efficiente....

Vous dites que l'idée de l'infini ne pourroit être vraie qu'autant qu'on comprendroit l'infini, mais que ce qu'on en connoît n'est tout au plus qu'une partie de l'infini, et même une fort petite partie, qui ne représente pas mieux l'infini que le portrait d'un simple cheveu représente un homme tout entier. Mais je vous avertirai qu'il répugne que je comprenne quelque chose, et que ce que je comprends soit infini : car pour avoir une idée vraie de l'infini, il ne doit en aucune façon être compris, d'autant que l'incompréhensibilité même est contenue dans la raison formelle de l'infini; et néanmoins c'est une chose manifeste, que l'idée

que nous avons de l'infini, ne représente pas seulement une de ses parties, mais l'infini tout entier, selon qu'il doit être représenté par une idée humaine; quoiqu'il soit certain que Dieu, ou quelque autre nature intelligente en puisse avoir une autre beaucoup plus parfaite, c'est-à-dire, beaucoup plus exacte et plus distincte que celle que les hommes en ont: de la même manière que nous disons que celui qui n'est pas versé dans la géométrie, ne laisse pas d'avoir l'idée de tout le triangle, lorsqu'il le conçoit comme une figure composée de trois lignes, quoique les géomètres puissent connoître plusieurs autres propriétés du triangle, et remarquer quantité de choses dans son idée, que celui-là n'y observe pas. Car, comme il suffit de concevoir une figure composée de trois lignes, pour avoir l'idée de tout le triangle; de même il suffit de concevoir une chose qui n'est renfermée dans aucunes limites, pour avoir une vraie et entière idée de tout l'infini.

Vous tombez ici dans la même erreur, lorsque vous niez que nous puissions avoir une vraie idée de Dieu car quoique nous ne connoissions pas toutes les choses qui sont en Dieu, néanmoins tout ce que nous connoissons être en lui, est entièrement véritable. Quant à ce que vous dites, que le pain n'est pas plus parfait que celui qui le désire, et que de ce que je conçois que quelque chose est actuellement contenue dans une idée, il ne

s'ensuit pas qu'elle soit actuellement dans la chose dont elle est l'idée; tout cela, dis-je, nous montre seulement que vous voulez témérairement impugner plusieurs choses dont vous ne comprenez pas le sens car de ce que quelqu'un désire du pain, on n'infère pas que le pain soit plus parfait que lui, mais seulement que celui qui a besoin de pain est moins parfait que lorsqu'il n'en a pas besoin. Et de ce que quelque chose est contenue dans une idée, je ne conclus pas que cette chose existe actuellement, sinon lorsqu'on ne peut assigner aucune autre cause de cette idée, que cette chose même qu'elle représente actuellement existante: ce que j'ai démontré ne se pouvoir dire de plusieurs mondes, ni d'aucune autre chose que ce soit, excepté de Dieu seul.

Lorsque vous niez que nous ayons besoin du concours et de l'influence continuelle de la cause première pour être conservés, vous niez une chose que tous les métaphysiciens affirment comme trèsmanifeste, mais à laquelle les personnes peu lettrées ne pensent pas souvent, parce qu'elles portent seulement leurs pensées sur ces causes qu'on appelle dans l'école secundum fieri, c'est-à-dire de qui les effets dépendent, quant à leur production, et non pas sur celles qu'ils appellent secundum esse, c'est-à-dire de qui les effets dépendent, quant à leur subsistance et continuation dans l'être. Ainsi, l'architecte est la cause de la maison,

et le père la cause de son fils, quant à la production seulement; c'est pourquoi l'ouvrage étant une fois achevé, il peut subsister et demeurer sans cette cause: mais le soleil est la cause de la lumière qui procède de lui; et Dieu est la cause de toutes les choses créées, non-seulement en ce qui dépend de leur production, mais même en ce qui concerne leur conservation ou leur durée dans l'être, c'est pourquoi il doit toujours agir sur son effet d'une même façon, pour le conserver dans le premier être qu'il lui a donné. Et cela se démontre fort clairement par ce que j'ai expliqué de l'indépendance des parties du temps; ce que vous tâchez en vain d'éluder, en proposant la nécessité de la suite qui est entre les parties du temps considéré dans l'abstrait, de laquelle il n'est pas ici question, mais seulement du temps, ou de la durée de la chose même, de qui vous ne pouvez pas nier que tous les momens ne puissent être séparés de ceux qui les suivent immédiatement, c'est-à-dire, qu'elle ne puisse cesser d'être dans chaque moment de sa durée.

Et lorsque vous dites qu'il y a en nous assez de vertu pour nous faire persévérer, à moins que quelque cause corruptive ne survienne, vous ne prenez pas garde que vous attribuez à la créature la perfection du créateur, en ce qu'elle persévère dans l'être indépendamment d'autrui; et en même temps que vous attribuez au créateur l'imperfec

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