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rang la révélation divine, parce qu'elle ne nous conduit pas par degrés, mais nous élève tout d'un coup à une créance infailliblé.

Mais il y a eu de tout temps de grands hommes qui ont tâché de trouver un cinquième degré pour parvenir à la sagesse, incomparablement plus haut et plus certain que les quatre autres: c'est de chercher les premières causes et les vrais principes, dont on puisse déduire les raisons de tout ce qu'on est capable de savoir; et ce sont particulièrement ceux qui ont travaillé à cela, qu'on a nommés philosophes. Cependant je ne sache point qu'il y en ait eu jusqu'à présent à qui ce dessein ait réussi.....

Quels fruits peut-on tirer des principes de ma philosophie? Le premier fruit qu'on puisse tirer de ma philosophie est la satisfaction qu'on aura d'y trouver plusieurs vérités qui ont été jusqu'à présent ignorées; car, quoique souvent la vérité ne touche pas autant notre imagination que les faussetés et les fictions, parce qu'elle paroît moins admirable et plus simple, cependant le contentement qu'elle donne est toujours plus durable et plus solide. Le second fruit est, qu'en étudiant ces principes, on s'accoutumera peu à pen à mieux juger de toutes les choses qui se rencontrent, et ainsi à être plus sage; en quoi ils auront un effet contraire à celui de la philosophie commune : car on peut aisément remarquer, dans ceux qu'on

appelle pédans, qu'elle les rend moins capables de raison qu'ils ne seroient, s'ils ne l'avoient jamais apprise. Le troisième est, que les vérités qu'ils contiennent, étant très-claires et très-certaines, ôteront tous sujets de dispute, et ainsi disposeront les esprits à la douceur et à la concorde, à la différence des controverses de l'école, qui, rendant insensiblement ceux qui les apprennent plus pointilleux et plus opiniâtres, sont peut-être la première cause des hérésies et des dissentions qui déchirent maintenant le monde. Le dernier et le principal fruit de ces principes, est qu'on pourra, en les cultivant, découvrir plusieurs vérités que je n'ai point expliquées, et ainsi passant peu à peu des unes aux autres, acquérir avec le temps une parfaite connoissance de toute la philosophie, et monter au plus haut degré de la sagesse....

Voici l'ordre qu'on doit observer pour s'instruire. Premièrement, on doit, avant tout, tâcher de se former une morale qui puisse suffire pour régler les actions de sa vie, parce que cela ne souffre point de délai, et que nous devons surtout tâcher de bien vivre. Après cela, on doit aussi étudier la logique, non pas celle de l'école; car elle n'est, à proprement parler, qu'une dialectique, qui enseigne les moyens de faire entendre à autrui les choses qu'on sait, ou même aussi de dire sans jugement plusieurs paroles touchant celles qu'on nesait pas; et ainsi elle corrompt le bon sens, plu

tôt qu'elle ne l'augmente mais celle qui apprend à bien conduire sa raison pour découvrir les vérités qu'on ignore. Et parce qu'elle dépend beaucoup de l'usage, il est bon qu'il s'exerce longtemps à en pratiquer les règles touchant des questions faciles et simples, comme sont celles des mathématiques. Puis, lorsqu'il s'est acquis quelque habitude de trouver la vérité dans ces questions, il doit commencer sérieusement à s'appliquer à la vraie philosophie, dont la première partie est la métaphysique, qui contient les principes de la connoissance, entre lesquels est l'explication des principaux attributs de Dieu, de l'immatérialité de nos amés, et de toutes les notions claires et simples qui sont en nous. La seconde est la physique, dans laquelle, après avoir trouvé les vrais principes des choses matérielles, on examine en général comment tout l'univers est composé, puis, en particulier quelle est la nature de cette terre, et de tous les corps qui se trouvent le plus communément autour d'elle....

Ainsi, toute la philosophie est comme un ar-bre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales, la médecine, la mécanique et la morale; j'entends la plus haute et la plus parfaite morale, qui, présupposant une entière connoissance des autres sciences, est le der

nier degré de la sagesse. Or, comme ce n'est pas des racines ni du tronc des arbres qu'on cueille les fruits, mais seulement des extrémités de leurs branches, ainsi la principale utilité de la philosophie dépend de celles de ses parties qu'on ne peut apprendre que les dernières.

XVIII.

La seule lumière naturelle nous enseigne que nous devons aimer Dieu. Nous pouvons l'aimer par la seule force de notre nature, quelque élevé qu'il soit au-dessus de nous.

(Tom. Ier., Lett. XXV.)

La seule lumière naturelle nous enseigne à aimer Dieu; et je ne fais aucun doute que nous ne puissions l'aimer par la seule force de notre nature. Je n'assure point que cet amour soit méritoire sans la grâce, je laisse démêler cela aux · théologiens; mais j'ose dire qu'à l'égard de cette vie, c'est la plus ravissante et la plus utile passion que nous puissions avoir, et même qu'elle peut être la plus forte, quoiqu'on ait besoin pour cela d'une méditation fort attentive, à cause que nous sommes continuellement distraits par la présence des autres objets.

Or, la route que je juge qu'on doit suivre pour

parvenir à l'amour de Dieu, est qu'il faut considérer qu'il est un esprit, ou une chose qui pense; en quoi la nature de notre ame ayant quelque ressemblance avec la sienne, nous venons facilement à nous persuader qu'elle est une émanation de sa souveraine intelligence, et divinæ quasi particula auræ.... Si avec cela nous prenons garde à l'infinité de la puissance par laquelle il a créé tant de choses, dont nous ne sommes que la moindre partie; à l'étendue de sa providence, qui fait qu'il voit d'une seule pensée tout ce qui a été, qui est, qui sera, et qui sauroit être ; à l'infaillibité de ses décrets, qui, quoiqu'ils ne troublent point notre libre arbitre, ne peuvent néanmoins, en aucune façon, être changés; et enfin, d'un côté, à notre petitesse, et de l'autre, à la grandeur de toutes les choses créées, en remarquant comment elles dépendent de Dieu, et en les considérant sous le rapport qu'elles ont à sa toute-puissance, sans les renfermer toutes comme dans une boule, comme font ceux qui veulent que le monde soit fini: la méditation de toutes ces choses remplit un homme, qui les entend bien, d'une joie si extrême, qu'il pense déjà avoir assez vécu, de ce que Dieu lui a fait la grâce de parvenir à de telles connoissances; et se joignant entièrement à lui de volonté, il l'aime si parfaitement, qu'il ne désire plus rien au monde, sinon que la volonté de Dieu soit faite; d'où il arrive qu'il ne craint plus ni la mort, ni

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