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noissance de leurs causes, et de tous les remèdes dont la nature nous a pourvus. Or, ayant dessein d'employer toute ma vie à la recherche d'une science si nécessaire, et ayant rencontré un chemin qui me semble tel qu'on doit infailliblement la trouver en le suivant, à moins qu'on n'en soit empêché, ou par la briéveté de la vie, ou par le défaut des expériences, je jugeois qu'il n'y avoit point de meilleur remède contre ces deux empêchemens, que de communiquer fidèlement au public le peu que j'aurois trouvé, et de convier les bons esprits de tâcher d'aller plus loin, en contribuant, chacun selon son inclination et son pou voir, aux expériences qu'il faudroit faire, et communiquant aussi au public toutes les choses qu'ils apprendroient, afin que les derniers commençant où les précédens auroient achevé, et ainsi joignant les vies et les travaux de plusieurs, nous allassions tous ensemble beaucoup plus loin, que chacun en particulier ne sauroit faire.

XVII

UTILITE de la philosophie pour régler nos mœurs mœurs, et nous conduire dans cette vie: fruits qu'on peut retirer des principes de la philosophie de Descartes : ordre à observer pour s'instruire.

(Préface des Principes de la Philosophie.)

Ce mot philosophie signifie l'étude de la sagesse i par la sagesse, on n'entend pas seulement la pru dence dans les affaires, on entend encore une parfaite connoissance de toutes les choses que l'homme peut savoir, tant pour la conduite de sa vie, que pour la conservation de sa santé et l'invention de tous les arts: afin que cette connoissance soit telle, il est nécessaire qu'elle soit déduite des premières causes; en sorte que, pour étudier à l'acquérir, ce qui se nomme proprement philosopher, il faut commencer par la recherche de ces premières causes, c'est-à-dire des principes.

Ces principes doivent avoir deux conditions; Pune, qu'ils soient si clairs et si évidens que l'esprit humain ne puisse douter de leur vérité, lorsqu'il s'applique avec attention à les considérer; l'autre, que ce soit d'eux que dépende la connoissance des autres choses, de manière qu'ils puissent être

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Connus sans elles, mais non pas réciproquement elles sans eux. Après cela, il faut tâcher de déduire tellement de ces principes la connoissance des choses qui en dépendent, qu'il n'y ait rien, en toute la suite des déductions qu'on en fait, qui ne soit très-manifeste.

Il n'y a véritablement que Dieu seul qui soit parfaitement sage, c'est-à-dire, qui ait l'entière connoissance de la vérité de toutes choses; mais on peut dire que les hommes ont plus ou moins de sagesse, à proportion de ce qu'ils ont plus ou moins de connoissance des vérités plus importantes. Je crois qu'il n'y a rien en ceci dont tous les doctes ne demeurent d'accord.

Puisque cette philosophie s'étend à tout ce que l'esprit humain peut savoir, on doit donc croire que c'est elle seule qui nous distingue des sauvages et des barbares, et que chaque nation est d'autant plus civilisée et polie, que les hommes y philosophent mieux: ainsi le plus grand bien qui puisse être en un Etat, est d'avoir de vrais philosophes. Et s'il est utile à chaque homme en particulier de vivre avec ceux qui s'appliquent à cette étude, il est incomparablement meilleur de s'y appliquer soi-même comme sans doute il vaut beaucoup mieux se servir de ses propres yeux pour se conduire, et jouir par-là de la beauté des couleurs et de la lumière, que de les avoir fermés et de suivre la conduite d'un autre; mais encore

ce dernier vaut-il mieux que de les tenir fermés, et n'avoir que soi pour se conduire.

C'est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher; et le plaisir de voir toutes les choses que notre vue découvre, n'est point comparable à la satisfaction que donne la connoissance de celles qu'on trouve par la philosophie; et enfin cette étude est plus nécessaire, pour régler nos mœurs et nous conduire en cette vie, que n'est l'usage de nos yeux pour guider nos pas. Les bêtes brutes, qui n'ont que leurs corps à conserver, s'occupent continuellement à chercher de quoi le nourrir; mais les hommes, dont la principale partie est l'esprit, devroient employer leurs principaux soins à la recherche de la sagesse, qui en est la vraie nourriture; et je m'assure aussi qu'il y en a plusieurs qui n'y manqueroient pas, s'ils avoient l'espérance d'y réussir, et s'ils savoient combien ils en sont capables.

Il n'y a point d'ame tant soit peu noble, qui demeure si fort attachée aux objets des sens, qu'elle ne s'en détourne quelquefois, et ne souhaite quelque autre plus grand bien, quoiqu'elle ignore souvent en quoi il consiste. Ceux que la fortune favo rise le plus, qui ont en plus grande abondance la santé, les honneurs, les richesses, ne sont pas plus exempts de ce désir que les autres; au contraire, je me persuade que ce sont eux qui soupirent avec

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le plus d'ardeur après un autre bien plus souverain que tous ceux qu'ils possèdent. Or ce souverain bien, considéré par la raison naturelle, sans la lumière de la foi, n'est autre chose que la connoissance de la vérité par ses premières causes, c'est-à-dire la sagesse, dont la philosophie est l'étude. Et parce que toutes ces choses sont entièrement vraies, elles ne seroient difficiles à persuader si elles étoient bien déduites.

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Mais ce qui empêche de les croire, c'est que l'expérience montre que ceux qui font profession d'être philosophes, sont souvent moins sages et moins raisonnables, que d'autres qui ne se sont jamais appliqués à cette étude.

Mais quels sont les degrés de sagesse auxquels on est parvenu jusqu'à présent? Le premier ne contient que des notions qui sont si claires d'ellesmêmes, qu'on les peut acquérir sans méditation: le second comprend tout ce que l'expérience des sens fait connoître : le troisième, ce que la conversation des autres hommes nous apprend à quoi l'on peut ajouter, pour le quatrième, la lecture, non de tous les livres, mais particulièrement de ceux qui ont été écrits par des personnes capables de nous donner de bonnes instructions; car c'est une espèce de conversation que nous avons avec leurs auteurs. Il me semble que toute la sagesse qu'on a coutumie d'avoir, n'est acquise que par ces quatre moyens car je ne mets point ici en

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