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que consistoit le secret de ces philosophes, qui out pu autrefois se soustraire à l'empire de la fortune, et, malgré les douleurs et la pauvreté, disputer de la félicité avec leurs dieux : parce que, s'occupant sans cesse à considérer les bornes qui leur étoient prescrites par la nature, ils se persuadoient si parfaitement que rien n'étoit en leur pouvoir que leurs pensées, que cela seul étoit suffisant pour les empêcher d'avoir aucune affection pour d'autres choses; et ils disposoient de leurs pensées si absolument, qu'ils avoient en cela quelque raison de s'estimer plus riches, et plus puissans, et plus libres, et plus heureux, qu'aucun des autres hommes, qui, n'ayant point cette philosophie, ne disposoient jamais ainsi de tout ce qu'ils veulent, quelque favorisés de la nature et de la fortune qu'ils puissent être.

Eufin, pour conclusion de cette morale, je m'avisai de faire une revue sur les diverses occupations qu'ont les hommes en cette vie, pour tâcher de faire choix de la meilleure ; et sans que je veuille rien dire de celle des autres, je pensai que je ne pouvois faire mieux que de continuer celle-là même où je me trouvois, c'est-à-dire, que d'employer toute ma vie à cultiver ma raison, et m'avancer, autant que je pourrois, en la connoissance de la vérité, suivant la méthode que je m'étois prescrite.

Les trois maximes précédentes n'étoient fon

dées que sur le dessein que j'avois de continuer à m'instruire: car Dieu nous ayant donné à chacun quelque lumière pour discerner le vrai d'avec le faux, je n'aurois pas cru devoir me contenter des opinions d'autrui un seul moment, si je ne me fusse proposé d'employer mon propre jugement à les examiner lorsqu'il seroit temps; et je n'aurois pu m'exempter de scrupule en les suivant, sije n'eusse espéré de ne perdre pour cela aucune occasion d'en trouver de meilleures, en cas qu'il y en eût; et enfin je n'aurois pu borner mes désirs, ni être content, si je n'eusse suivi un chemin par lequel, pensant être assuré de l'acquisition de toutes les connoissances dont je serois capable, je pensois être aussi assuré, par le même moyen, de l'acquisition de tous les vrais biens qui seroient jamais en mon pouvoir; d'autant plus que notre volonté ne se portant à suivre ni à fuir aucune chose, que selon que notre entendement la lui représente bonne ou mauvaise, il suffit de bien juger pour bien faire, et de juger le mieux qu'on puisse pour faire aussi tout de son mieux, c'està-dire, pour acquérir toutes les vertus, et ensemble tous les autres biens qu'il est possible d'acquérir; et lorsqu'on est certain que cela est, on ne sauroit manquer d'être content.

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Après m'être ainsi assuré des maximes précédentes, et les avoir mises à part, avec les vérités de la foi, qui ont toujours été les premières en ma

créance, je jugeai que, pour tout le reste de meɛ opinions, je pouvois librement entreprendre de m'en défaire.... Non que j'imitasse pour cela les sceptiques, qui ne doutent que pour douter, et affectent d'être toujours irrésolus: car, au contraire, tout mon dessein ne tendoit qu'à m'assurer, et à rejeter la terre mouvante et le sable, pour trouver le roc ou l'argile.

XV.

ECLAIRCISSEMENT sur une règle de conduite donnée par Descartes, dans son Discours sur la Méthode.

(Tom. II, Lett. II.)

Il est vrai que si j'avois dit absolument, qu'il faut s'en tenir aux opinions qu'on a une fois déterminé de suivre, quoiqu'elles fussent douteuses, je ne serois pas moins repréhensible que si j'avois dit qu'il faut être opiniâtre et obstiné; parce que, se tenir à une opinion, c'est le même que de persévérer dans le jugement qu'on en a fait. Mais j'ai dit toute autre chose, savoir, qu'il faut être résolu en ses actions, lors même qu'on demeure irrésolu en ses jugemens, et ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses, c'est-à-dire n'agir pas moins constamment, suivant les opinions qu'on juge dou

teuses, lorsqu'on s'y est une fois déterminé, c'està-dire, lorsqu'on a considéré qu'il n'y en a point d'autres qu'on juge meilleures ou plus certaines, que si on connoissoit que celles-là fussent les meilleures; comme en effet elles le sont sous cette condition. Et il n'est pas à craindre que cette fermeté dans l'action nous engage de plus en plus dans l'erreur ou dans le vice; parce que l'erreur ne peut être que dans l'entendement, lequel, je suppose, nonobstant cela, demeurer libre, et considérer comme douteux ce qui est douteux: outre que je rapporte principalement cette règle aux actions de la vie qui ne souffrent aucun délai, et que je ne m'en sers que par provision, avec dessein de changer mes opinions, aussitôt que j'en pourrai trouver de meilleures, et de ne perdre aucune occasion d'en chercher.

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XVI.

IMPORTANCE de la médecine pour la sagesse : zèle de Descartes pour ses progrès.

(Discours de la Méthode, pag. 62.)

Au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigue dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle connoissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des

cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connoissons les divers métiers de nos artisans, nous pourrions les employer de la même manière à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer, pour l'invention d'une infinité de moyens qui nous feroient jouir sans aucune peine des fruits de la terre, et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais aussi principalement pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien, et le fondement de tous les autres biens de cette vie : car même l'esprit dépend si fort du tempérament, et de la disposition des organes du corps, que, s'il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusqu'ici, je crois que c'est dans la médecine qu'on doit le chercher. Il est vrai que celle qui est maintenant en usage, contient peu de choses dont l'utilité soit si remarquable: mais, sans que j'aie aucun dessein de la mépriser, je m'assure qu'il n'y a personne, même de ceux qui en font profession, qui n'avoue que tout ce qu'on y sait, n'est presque rien en comparaison de ce qui reste à y savoir; et qu'on se pourroit exempter d'une infinité de maladies, tant du corps que de l'esprit, et même aussi peut-être de l'affoiblissement de la vieillesse, si on avoit assez de con

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