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être du conseil de Dieu, et prendre avec lai lá charge de conduire le monde; d'où résulte une infinité de vaines inquiétudes et de troubles inutiles.

J

Après qu'on a ainsi reconnu la bonté de Dieu, l'immortalité de nos ames, et la grandeur de l'univers, il y a encore une vérité dont la connoisşance me semble fort utile; c'est que, quoiquè chacun de nous soit une personne séparée des antres, et dont, par conséquent, les intérêts sont, en quelque façon, distincts de ceux du reste du monde, cependant on doit penser qu'on ne sauroit subsister seul, et qu'on est en effet l'une des parties de l'univers, et plus particulièrement encore l'une des parties de cette terre, l'une des parties de cet état, de cette société, de cette famille à laquelle on est joint par sa demeure, par son serment, par sa naissance; et il faut toujours préferer les intérêts du tout dont on est partie, à ceux de sa personne en particulier; cependant avec mesure el discrétion car on auroit tort de s'exposer à un grand mal, pour procurer seulement un petit bien à ses parens ou à son pays; et si un homme vaut plus lui seul que tout le reste de sa ville, il n'auroit pas raison de vouloir se perdre pour la sauver. Mais si on rapportoit tout à soimême, on ne craindroit pas de nuire beaucoup aux autres hommes, lorsqu'on croiroit en retirer quelque petite commodité, et on n'auroit aucune

vraie amitié, ni aucune fidélité, ni généralement aucune vertu; au lieu qu'en se considérant comme une partie du public, on prend plaisir à faire du bien à tout le monde, et même on ne craint pas d'exposer sa vie pour le service d'autrui, lorsque Poccasion s'en présente; jusque là qu'on voudroit aussi perdre son ame, s'il se pouvoit, pour sauver les autres en sorte que cette considération est la source et l'origine de toutes les plus héroïques actions que fassent les hommes; car pour ceux qui s'exposent à la mort par vanité, parce qu'ils espèrent en être loués, ou par stupidité, parce qu'ils n'appréhendent pas le danger, je crois qu'ils sont plus dignes de pitié que d'estime. Mais lorsque quelqu'un s'y expose, parce qu'il croit que c'est son devoir, ou bien lorsqu'il souffre quelque mal, afin qu'il en revienne du bien aux autres, quoique peut-être il ne considère pas expressément qu'il agit sur le fondement qu'il doit plus au public, dont il est une partie, qu'à soi-même en son particulier, il le fait cependant en vertu de cette considération, qui est confusément en sa pensée; et cette considération, on est naturellement porté à l'avoir, lorsqu'on connoît et qu'on aime Dieu comme il faut; car alors, s'abandonnant totalement å sa volonté, on se dépouille de ses propres inté→ rêts, et on n'a point d'autre passion que de faire ce qu'on croit lui être agréable. Ensuite de quoi on à des satisfactions d'esprit et des contentemens, qui

valent incomparablement mieux que toutes les petites joies passagères qui dépendent des sens.

Outre ces vérités, qui regardent en général toutes nos actions, il en faut aussi savoir beaucoup d'autres, qui se rapportent plus particulièrement à chacune; et les principales me semblent être celles que j'ai remarquées plus haut, savoir, que toutes nos passions nous représentent les biens, à la recherche desquels elles nous incitent, beaucoup plus grands qu'ils ne sont véritablement, et que les plaisirs du corps ne sont jamais aussi durables que ceux de l'ame, ni si grands, quand on les possède, qu'ils paroissent quand on les espère : ce que nous devons soigneusement remarquer, afin que, lorsque nous sommes agités de quelque passion, nous suspendions notre jugement jusqu'à ce qu'elle soit appaisée, et que nous ne nous laissions pas aisément tromper par la fausse apparence des biens de ce monde.

A quoi je ne puis ajouter autre chose, sinon qu'il faut aussi examiner en particulier les mœurs des lieux où nous vivons, pour savoir jusques où elles doivent être suivies; et quoique nous ne puissions pas avoir des démonstrations certaines de tout, nous devons néanmoins prendre parti, et embrasser les opinions qui nous paroissent les plus vraisemblables touchant toutes les choses qui sont de pratique, afin que, lorsqu'il est question d'agir, nous ne soyons jamais irrésolus; car il n'y

a que la seule irrésolution qui cause les regrets et les repentirs.

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Au reste, j'ai dit ci-dessus qu'outre la connoissance de la vérité, l'habitude est aussi requise pour être toujours disposé à bien juger; car puisque nous ne pouvons être continuellement attentifs à une même chose, quelque claires et évidentes qu'aient été les raisons qui nous ont persuadé ci-devant une vérité, nous pouvons ensuite être détournés de la croire par de fausses apparences, à moins que, par une longue et fréquente méditation, nous l'ayons tellement imprimée en notre esprit, qu'elle soit tournée en habitude; et dans ce sens on a raison, dans l'école, de dire. que les vertus sont des habitudes et en effet on ne pêche guère faute d'avoir en théorie la connoissance de ce qu'on doit faire, mais seulement faute de l'avoir en pratique, c'est-à-dire, faute d'avoir une ferme habitude de le croiré. Et parce que, pendant que j'examine ici ces vérités, j'en au÷ gmente aussi en moi l'habitude, j'ai une obligation particulière à la princesse (il écrit à la Princesse Palatine) qui permet que je len entretienne, et il n'y a rien en quoi j'estime mon loisir mieux employé, tab mi'.

VII.

Contrain dobio lib 1.4

LA béatitude ne doit pas être fondée sur notre ignorance.

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(Tom. Ier, Lett. Vili.) ?

Je me suis quelquefois proposé un doute, savoit, s'il est mieux d'être gai et content, en imaginant les biens qu'on possède plus grands et plus estimables qu'ils ne sont en effet, et en ignorant, ou ne s'arrêtant pas à considérer ceux qui manquent, que d'avoir plus d'attention et de capacité pour connoître la juiste valeur des uns et des autres, ét sion en devient plus tristesh n

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Si je pensois que le souverain bien fût la joie, je ne douterois point qu'on ne dût tâcher de se rendre joyeux à quelque prix que ce pût être, et j'approuverois la brutalité de ceux qui noient leurs déplaisirs dans de vin, ou qui les étourdissent avec du tabac. Mais je distingue entre le souverain bien, qui consiste dans l'exercice de la vertu, ou (ce qui est le même) en la phasession de toutes les perfections dont l'acquisition dépend de notre libre arbitre, et la satisfaction d'esprit qui snit de cette acquisition. C'est pourquoi, voyant que c'est une plus grande perfection de connoître la vérité, quoique même elle soit à notre désavantage, que de l'ignorer, j'avoue qu'il vaut mieux être moins

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