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Car, qu'il n'y ait rien dans un effet qui n'ait été d'une semblable ou plus excellente façon dans sa cause, c'est une première notion, et si évidente qu'il n'y en a point de plus claire; et cette autre commune notion, que de rien, rien ne se fait, la comprend en soi, parce que si on accorde qu'il y ait quelque chose dans l'effet, qui n'ait point été dans sa cause, il faut aussi demeurer d'accord que cela procède du néant; et s'il est évident que le néant ne peut être la cause de quelque chose, c'est seulement parce que dans cette cause il n'y auroit pas la même chose que dans l'effet.

C'est aussi une première notion que toute la réalité ou toute la perfection, qui n'est qu'objectivement dans les idées, doit être formellement ou éminemment dans leurs causes; et toute l'opinion que nous avons jamais eue de l'existence des choses qui sont hors de notre esprit, n'est appuyée que sur elle seule car, d'où nous a pu venir le soupçon qu'elles existoient, sinon de cela seul que leurs idées venoient par les sens frapper notre esprit?

Or qu'il y ait en nous quelque idée d'un être souverainement puissant et parfait; et aussi que la réalité objective de cette idée ne se trouve point en nous, ni formellement, ni éminemment, cela deviendra manifeste à ceux qui y penseront sérieusement, et qui voudront avec moi prendre la peine d'y bien réfléchir: mais je ne le saurois

pas mettre par force dans l'esprit de ceux qui ne liront mes Méditations que comme un roman, pour se désennuyer, et sans y donner une grande attention. Or, de tout cela, on conclut très-manifestement que Dieu existe; et cependant, en faveur de ceux dont la lumière naturelle est si foible, qu'ils ne voient pas que c'est une première notion, que toute la perfection, qui est objectivement dans une idée, doit être réellement dans quelqu'une de ses causes, je l'ai encore démontré d'une façon plus aisée à concevoir, en montrant que l'esprit qui a cette idée ne peut pas exister par lui-même. Je ne vois pas qu'on prouve rien contre moi, en disant que j'ai peut-être reçu l'idée qui me représente Dieu, des pensées que j'ai eues auparavant, des enseignemens des livres, des discours et entretiens de mes amis, etc., et non pas de mon esprit seul. Car mon argument aura toujours la même force, si en m'adressant à ceux de qui on dit que je l'ai reçue, je leur demande s'ils l'ont par eux-mêmes, ou bien par autrui, au lieu de le demander de moi-même; et je conclurai toujours que celui-là est Dieu, de qui elle est premièrement dérivée....

Mais outre cela, nous concevons en Dieu une immensité, simplicité ou unité absolue, qui embrasse et contient tous ses autres attributs, et de laquelle nous ne trouvons ni en nous, ni ailleurs, auçun exemple; mais elle est (ainsi que je l'ai dit

auparavant) comme la marque de l'ouvrier imprimée sur son ouvrage. Et par son moyen, nous connoissons qu'aucune des choses que nous concevons être en Dieu et en nous, et que nous considérons en lui par parties, et comme si elles étoient distinctes, à cause de la foiblesse de notre entendement, et que nous les expérimentons telles en nous, ne conviennent point à Dieu et à nous, en la façon qu'on nomme univoque dans les écoles comme aussi nous connoissons que de plusieurs choses particulières qui n'ont point de fin, dont nous avons les idées, comme d'une connoissance sans fin, d'une puissance, d'un nombre, d'une longueur, etc. qui sont aussi sans fin, il y en a quelques-unes qui sont contenues formellement dans l'idée que nous avons de Dieu, comme la connoissance et la puissance, et d'autres qui n'y sont qu'éminemment, comme le nombre et la longueur; ce qui certes ne seroit pas ainsi, si cette idée n'étoit rien autre chose en nous qu'une fiction. Et elle ne seroit pas aussi conçue si exactement de la même manière par tout le monde : car c'est une chose très-remarquable, que tous les métaphysiciens s'accordent unanimement dans la description qu'ils font des attributs de Dieu, (au moins de ceux qui peuvent être connus par la seule raison humaine) en telle sorte qu'il n'y a aucune chose physique ni sensible, aucune chose dont nous avons une idée si expresse et si pal

pable, touchant la nature de laquelle il ne se rencontre chez les philosophes une plus grande diversité d'opinions, qu'il ne s'en rencontre touchant celle de Dieu.

Et certes jamais les hommes ne pourroient s'éloigner de la vraie connoissance de cette nature divine, s'ils vouloient seulement porter leur attention sur l'idée qu'ils ont de l'être souverainement parfait. Mais ceux qui mêlent quelques autres idées avec celle-là, composent par ce moyen un Dieu chimérique, en la nature duquel il y a des choses qui se contrarient; et après l'avoir ainsi composé, il n'est pas étonnant s'ils nient qu'un tel Dieu, qui leur est représenté par une fausse idée, existe. Ainsi, lorsqu'on me parle d'un être corporel très-parfait, si on prend le nom de trèsparfait absolument, en sorte qu'on entende que le corps est un être dans lequel toutes les perfections se rencontrent, on dit des choses qui se contrarient, parce que la nature du corps enferme plusieurs imperfections; par exemple, que le corps soit divisible en parties, que chacune de ses parties ne soit pas l'autre, et autres semblables: car c'est une chose de soi manifeste, que c'est une plus grande perfection de ne pouvoir être divisé, que de pouvoir l'être, etc. Que si on entend seulement ce qui est très-parfait dans le genre de corps, cela n'est point le vrai Dieu.

On m'objecte que quoique l'idée d'un ange soit

plus parfaite que nous, il n'est pourtant pas besoin qu'elle ait été mise en nous par un ange : j'en demeure aisément d'accord; car j'ai déjà dit moimême, dans la troisième Méditation, qu'elle peut étre composée des idées que nous avons de Dieu et de l'homme. Et cela ne m'est en aucune façon contraire.

VIII.

RÉPONSE de Descartes à différentes observations critiques de Gassendi, sur la démonstration précédente.

(MÉDIT. Rép. aux cinquièmes object., p. 467.)

Vous dites, monsieur, (il parle à M. Gassendi) que nous ne formons l'idée de Dieu que sur ce que nous avons appris et entendu des autres, en lui attribuant, à leur exemple, les mêmes perfections que nous avons vu que les autres lui attribuoient. J'aurois voulu que vous eussiez aussi ajouté d'où ces premiers hommes, de qui nous avons appris et entendu ces choses, ont eu cette même idée de Dieu; car s'ils l'ont eue d'eux-mêmes, pourquoi ne la pourrons-nous pas aussi avoir de nous-mêmes? si Dieu la leur a révélée, par conséquent Dieu existe.

que

Et lorsque vous ajoutez, que celui qui dit une chose infinie, donne à une chose, qu'il ne comprend

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