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Il faut que j'ajoute encore un mot à cette lettre, pour vous dire que, par la même raison que je viens d'expliquer, il est impossible d'attribuer au corps de Jésus-Christ d'autre extension ni d'autre quantité que celle du pain; car ces mots de quantité et d'extension n'ont été inventés par les hommes que pour signifier cette quantité externe qui se voit et qui se touche; et quoique ce puisse être, dans l'hostie, que les philosophes nomment la quantité d'un corps qui ait la grandeur qu'avoit Jésus-Christ étant dans le monde avec son extension interne, c'est sans doute toute autre chose que ce que les autres hommes ont jusqu'ici nommé quantité et extension. Je suis, etc.

SECONDE LETTRE.

J'ai lu avec beaucoup d'émotion l'adieu pour jamais que j'ai trouvé dans la lettre que vous avez pris la peine de m'écrire; et il m'auroit touché encore davantage, si je n'étois ici dans un pays où je vois tous les jours plusieurs personnes qui sont revenues des antipodes. Ces exemples si ordinaires m'empêchent de perdre entièrement l'espérance de vous revoir quelque jour en Europe; et quoique votre dessein de convertir les sauvages soit très-généreux et très-saint, toutefois, parce que je m'imagine que c'est seulement de beaucoup de zèle et de patience dont on a besoin pour l'exécuter, et non pas de beaucoup d'esprit et de savoir,

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il me semble que les talens que Dieu vous a donnés pourroient être employés plus utilement en la conversion de nos athées qui se piquent de bon esprit, et ne veulent se rendre qu'à l'évidence de la raison; ce qui ne fait espérer qu'après que vous aurez fait une expédition aux lieux où vous allez, et conquis plusieurs milliers d'ames à Dieu, le même esprit qui vous y conduit vous ramenera et je le souhaite de tout mon coeur. Vous trouverez ici quelques réponses aux objections que vous m'avez faites touchant mes principes, et je les aurois faites plus amples, si je n'avois cru assu– rément que la plupart des difficultés, qui vous sont venues d'abord en commençant la lecture du livre, se seront évanouies d'elles-mêmes après que vous l'aurez eu achevée. Celles que vous trouvez, dans l'explication du saint sacrement, me semblent aussi pouvoir facilement être levées; car, premièrement, comme il ne laisse pas d'être vrai de dire que j'ai maintenant le même corps que j'avois il y a dix ans, quoique la matière dont il est composé soit changée, à cause que l'unité numérique du corps dépend de sa forme, qui est l'ame; ainsi les paroles de Notre-Seigneur n'ont pas laissé d'être très-véritables: Hoc est enim corpus meum, quod pro vobis tradetur; et je ne vois pas en quelle autre sorte il eût pu parler pour signifier mieux la transsubstantiation, au sens que je l'ai expliquée. Puis, pour ce qui est de la façon dont le

corps de Jésus-Christ auroit été en l'hostie qui eût été consacrée pendant le temps de sa mort, je ne vois point que l'Eglise en ait rien déterminé. Or il faut, ce me semble, bien prendre garde à distinguer les opinions déterminées par l'Eglise, de celles qui sont communément reçues par les docteurs, fondés sur des principes de physique mal assurés. Toutefois, quand l'Eglise auroit déterminé que l'ame de Jésus-Christ n'eût pas été unie à son corps dans l'hostie qui auroitété consacrée après sa mort, il suffit de dire que la matière de cette hostie auroit pour lors été autant disposée à être unie à l'ame de Jésus-Christ, que celle de son corps qui étoit dans le sépulcre, pour assurer qu'elle étoit véritablement son corps, puisque la matière, qui étoit alors dans le sépulcre, n'étoit nommée le corps de Jésus-Christ qu'à cause des dispositions qu'elle avoit à recevoir son ame; et il suffit aussi de dire que la matière du pain auroit eu les dispositions. du corps sans le's sans le sang, et celle du vin les dispositions du sang sans chair, pour assurer que le corps seul sans le sang eût été alors dans l'hostie, et le sang seul dans le calice: comme aussi ce qu'on dit, que c'est seulement par concomitance que le corps de Jésus Christ est dans le calice, se peut fort bien entendre, en pensant que bien que l'ame de JésusChrist soit unie à la matière contenue dans le calice ainsi qu'à un corps humain tout entier, et que par conséquent cette matière soit véritable

ment tout le corps de Jésus-Christ, elle ne lui est toutefois unie qu'en vertu des dispositions qu'a le sang à être uni avec l'ame humaine, et non pas en vertu de celle qu'a la chair; ainsi je ne vois aucune ombre de difficulté en tout cela, et néanmoins je me tiens très-volontiers avec vous aux paroles du concile, qu'il y est eá existendi ratione quam verbis exprimere vix possumus. Je suis, etc.

SUR

LA MORALE.

1.

OPINION de Descartes sur le souverain bien.

E

(Tome Ier., Lett. Iere., à la reine Christine.)

Je vais exposer mon opinion touchant le souverain bien, considéré dans le sens auquel les philosophes anciens en ont parlé....

On peut considérer la bonté de chaque chose en elle-même, saus la rapporter à autrui. Dans ce sens, il est évident que c'est Dieu qui est le souverain bien, parce qu'il est incomparablement plus parfait que les créatures; mais on peut aussi la rapporter à nous, et en ce sens, je ne vois rien que nous devions estimer bien, sinon ce qui nous appartient en quelque façon, et qui est tel, que c'est une perfection pour nous de le posséder. Ainsi, les philosophes anciens, qui, n'étant point éclairés de la lumière de la foi, ne savoient rien

de

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