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cités à la fin de ma réponse aux objections qui m'avoient été faites, afin d'être dispensé d'en dire davantage; joint aussi que n'étant point théologien de profession, j'aurois peur que les choses, que j'en pourrois dire, fussent moins bien reçues de moi que d'un autre. Toutefois, puisque le concile ne détermine pas que verbis exprimere non possumus, mais seulement que vix possumus, je me hasarderai ici de vous dire en confidence une façon qui me semble assez commode et très-utile pour éviter la calomnie des hérétiques, qui nous objectent que nous croyons en cela une chose qui est entièrement incompréhensible et qui implique contradiction; mais c'est, s'il vous plaît, que si vous la communiquez à d'autres, ce sera sans m'en attribuer l'invention, et même que vous ne la communiquerez à personne, si vous jugez qu'elle ne soit pas entièrement conforme à ce qui a été déterminé par l'Eglise.

Premièrement, je considère ce que c'est que le corps d'un homme, et je trouve que ce mot de corps est fort équivoque; car, quand nous parlons d'un corps en général, nous entendons une partie déterminée de la matière, et ensemble de la quantité dont l'univers est composé; en sorte qu'on ne sauroit ôter tant soit peu de cette quantité, que nous ne jugions incontinent que le corps est moindre et qu'il n'est plus entier, ni changer aucune particule de cette matière, que nous ne pensions

ensuite que le corps n'est plus totalement le même, ou idem numero. Mais quand nous parlons du corps d'un homme, nous n'entendons point une partie déterminée de matière, ni qui ait une grandeur déterminée, mais seulement nous entendons toute la matière qui est ensemble unie avec l'ame de cet homme; en sorte que, quoique cette matière change, et que la quantité augmente ou diminue, nous croyons toujours que c'est le même corps, idem numero, pendant qu'il demeure joint et uni à la même ame, et nous croyons que le corps est tout entier, pendant qu'il a en soi toutes les dispositions requises pour conserver cette union. Car il n'y a personne qui ne voie que nous avons les mêmes corps que nous avons eus dans notre enfance, quoique leur quantité soit beaucoup augmentée, et que, selon l'opinion commune des médecins et selon la vérité, il n'y ait plus en eux aucune partie de la matière qui y étoit alors, et même qu'ils n'aient plus la même figure; en sorte qu'ils ne sont idem numero qu'à cause qu'ils sont sujets d'une même ame.

Pour moi qui ai examiné la circulation du sang, et qui crois que la nutrition ne se fait que par une continuelle expulsion des parties de notre corps qui sont chassées de leur place par d'autres qui y entrent, je ne pense pas qu'il y ait aucune particule de nos membres qui demeure la même numero un scul moment, encore que notre corps,

en tant qu'humain, soit toujours le même numero, pendant qu'il est uni avec la même ame, et même en ce sens-là il est indivisible; car si on coupe un bras ou une jambe à un homme, nous pensons bien que son corps est divisé, en prenant le mot de corps en la première signification, mais non pas en le prenant en la seconde, et nous ne pensons pas que celui qui a un bras ou une jambe coupée soit moins homme qu'un autre; enfin quelque matière que ce soit, et de quelque quantité ou figure qu'elle puisse être, pourvu qu'elle soit unie avec la même ame raisonnable, nous la prenons toujours pour le corps du même homme, et pour ce corps tout entier, si elle n'a pas besoin d'être accompagnée d'autre matière pour demeurer jointe à cette ame.

De plus, je considère que, lorsque nous mangeons du pain et que nous buvons du vin, les petites particules de ce pain et de ce vin se dissolvent en notre estomac, coulent incontinent de là dans nos veines, et par cela seul qu'elles se mêlent avec le sang, elles se transsubstantient naturellement, et deviennent partie de notre corps; quoique, si nous avions la vue assez subtile pour les distinguer dans les autres parties du sang, nous verrions qu'elles sont encore les mêmes numero qui composoient auparavant le pain et le vin; en sorte que, si nous n'avions point d'égard à l'union qu'ils ont avec l'ame, nous les pourrions nommer pain et

vin comme auparavant, et cette transsubstantiation se fait sans miracle.

Mais, à son exemple, je ne vois point de difficulté de penser que tout le miracle de la transsubstantiation, qui se fait au saint sacrement, consiste en ce que, au lieu que les parties particulières de ce pain et de ce vin auroient dû se mêler avec le sang de Jésus-Christ, et s'y diviser en certaines façons particulières, afin que son ame les informât naturellement, elle les informe sans cela par la force des paroles de la consécration; et au lieu que l'ame de Jésus-Christ ne pourroit naturellement demeurer jointe avec chacune des particules du pain et du vin, si ce n'étoit qu'elles fussent assemblées avec plusieurs autres qui composent tous les organes du corps humain nécessaires à la vie, elle demeure jointe surnaturellement à chacune d'elles, quoiqu'on les sépare; et de cette façon il est aisé de comprendre comment le corps de Jésus Christ n'est qu'une fois dans l'hostie quand elle n'est point divisée, et néanmoins qu'il est tout entier en chacune de ses parties quand elle l'est, parce que la matière, quelque grande ou petite qu'elle soit lorsqu'elle est ensemble informée de la même ame humaine, est prise pour un corps humain tout entier.

Cette explication choquera sans doute d'abord ceux qui sont accoutumés à croire qu'afin que le de Jésus-Christ soit en l'Eucharistie, il faut

corps

que tous ses membres y soient avec leur même quantité et figure, et la même matière numero dont ils ont été composés quand il est monté au ciel; et enfin que la forme substantielle du pain en soit ôtée. Mais ils pourront se délivrer bientôt de ces difficultés, s'ils considèrent qu'il n'y a rien de cela déterminé par l'Eglise, et que tous les membres extérieurs et leur quantité en matière, ne sont point nécessaires à l'intégrité du corps humain, et ne sont en rien utiles et convenables au sacrement où l'ame de Jésus-Christ informe la matière de l'hostie, afin d'être reçu par les hommes et de l'unir plus étroitement à eux, et cela ne diminue en rien la vénération de ce sacrement. Et enfin on doit considérer qu'il est impossible, et qu'il semble manifestement impliquer contradiction, que ces membres y soient; car ce que nous nommons, par exemple, le bras ou la main d'un homme, est ce qui en est la figure extérieure, et la grandeur, et l'usage; en sorte que, quoi que ce soit qu'on puisse imaginer en l'homme pour la main ou pour le bras de Jésus-Christ, c'est faire outrage à tous les dictionnaires, et changer entièrement l'usage des mots, que de le nommer bras ou main, puisqu'il n'en a ni l'extension ni la figure extérieure. Je vous aurai obligation si vous m'apprenez votre sentiment touchant cette explication, et je souhaiterois bien aussi de savoir celui du P. N.; mais le temps ne me permet pas de lui écrire.

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